Notes sur Machiavel, sur la politique et sur le Prince moderne
Antonio Gramsci
11. Passage de la guerre de mouvement (et par attaque frontale) à la guerre de position dans le domaine politique
Cela me semble le problème de théorie politique le plus important qu’ait posé la période d’après-guerre, et le plus difficile à résoudre de façon juste. Il est lié aux problèmes soulevés par Bronstein((Léon Trotski)) qui, d’une façon ou d’une autre, peut être considéré comme le théoricien de l’attaque frontale à un moment où elle ne peut qu’entraîner la défaite. Ce passage à la guerre de position dans la science politique n’est lié qu’indirectement (médiatement) à celui survenu dans le domaine militaire, bien qu’il y ait certainement un lien et un lien essentiel. La guerre de position demande d’énormes sacrifices à des masses immenses de population; pour cette raison, une concentration inouïe de l’hégémonie est nécessaire et par conséquent une forme de gouvernement plus « interventionniste » qui prenne plus ouvertement l’offensive contre les opposants et organise en permanence l’ « impossibilité » d’une désagrégation interne : contrôles de tous genres, politiques, administratifs, etc., renforcement des « positions » hégémoniques du groupe dominant, etc. Tout cela indique que l’on est entré dans une phase culminante de la situation historique et politique, car dès qu’elle est acquise dans le domaine politique, la victoire de la « guerre de position » est décisive de façon définitive. La guerre de mouvement subsiste en politique tant qu’il s’agit de conquérir des positions qui ne sont pas décisives et qu’ainsi toutes les ressources de l’hégémonie de l’État ne sont pas mobilisables; mais quand, pour une raison ou pour une autre, ces positions ont perdu leur valeur et que seules les positions décisives ont de l’importance, on passe alors à la guerre de siège, tendue, difficile, qui exige des qualités exceptionnelles de patience et d’esprit d’invention. En politique, le siège est réciproque, malgré toutes les apparences, et le seul fait que celui qui domine doive faire étalage de toutes ses ressources, montre combien il prend son adversaire au sérieux.
« Une résistance trop longue dans une place assiégée est démoralisante en soi. Elle implique des souffrances, des fatigues, des privations de repos, des maladies et la présence continuelle non pas du danger aigu qui trempe, mais du danger chronique qui abat. »((Karl Marx : La question d’Orient, article du 14 septembre 1855.))
(P.P., pp. 71-72 et G.q. 6, § 138, pp. 801-802.)
[1930-1932]