Observations sur quelques aspects de la structure des partis politiques dans les périodes de crise organique
Antonio Gramsci
(cahier de prison XXX selon numérotation Tatiana Schucht, 13 selon numérotation Valentino Gerratana)
A un certain point de leur vie historique, les groupes sociaux se détachent de leurs partis traditionnels, c’est-à-dire que les partis traditionnels, dans la forme d’organisation qu’ils présentent, avec les hommes bien déterminés qui les constituent, les représentent, et les dirigent, ne sont plus reconnus comme expression propre de leur classe ou fraction de classe. Quand ces crises se manifestent, la situation immédiate devient délicate et dangereuse, parce que le champ est ouvert aux solutions de force, à l’activité des puissances obscures, représentées par les hommes providentiels.
Comment se forment ces situations d’opposition entre « représentés et représentants » qui, du terrain des partis (organisations de parti au sens étroit de l’expression, domaine électoral-parlementaire, organisation de la presse) se reflètent dans tout l’organisme d’État, en renforçant la position correspondante du pouvoir bureaucratique (civil et militaire), de la haute finance, de l’Église et en général de tous les organismes relativement indépendants des fluctuations de l’opinion publique ? Dans chaque pays, le processus est différent, bien que le contenu soit le même. Et le contenu est la crise d’hégémonie de la classe dirigeante, qui se produit, ou bien parce que la classe dirigeante a échoué dans une de ses grandes entreprises politiques pour laquelle elle a demande ou exige par la force le consentement des grandes masses (la guerre par exemple) ou bien parce que de larges masses (surtout de paysans et d’intellectuels petit-bourgeois) sont soudain passées de la passivité politique à une certaine activité et qu’elles posent des revendications qui, dans leur ensemble inorganique, constituent une révolution. On parle de « crise d’autorité » et c’est précisément cela la crise d’hégémonie, ou crise de l’État dans son ensemble.
La crise crée des situations immédiates dangereuses, parce que les différentes couches de la population ne possèdent pas la même capacité de s’orienter rapidement et de se réorganiser avec le même rythme. La classe dirigeante traditionnelle, qui a un personnel nombreux et entraîné, change d’hommes et de programmes et récupère le contrôle qui était en train de lui échapper avec plus de célérité que ne peuvent le faire les classes subalternes ; elle fera s’il le faut des sacrifices, elle s’exposera à un avenir obscur chargé de promesses démagogiques, mais elle maintient le pouvoir, le renforce pour le moment et s’en sert pour écraser l’adversaire et disperser sa direction qui ne peut être ni très nombreuse ni très experte. Le passage des troupes d’un grand nombre de partis sous le drapeau d’un parti unique, qui représente mieux et résume les besoins de la classe tout entière, est un phénomène organique et normal, même si son rythme est très rapide et quasi foudroyant en comparaison avec des périodes de calme : il représente la fusion de tout un groupe social sous une direction unique, considérée comme la seule capable de résoudre un problème majeur de l’existence et d’éloigner un danger mortel. Quand la crise ne trouve pas cette solution organique, mais celle du chef providentiel, cela signifie qu’il existe un équilibre statique (dont les facteurs peuvent être disparates, mais où dominent l’immaturité des forces progressives) ; qu’aucun groupe, ni le groupe conservateur ni le groupe progressif, n’a la force de vaincre et que le groupe conservateur lui aussi a besoin d’un maître((Cf. Le 18 brumaire, de Louis Bonaparte. (Note de Gramsci.))).
Cet ordre de phénomènes est à rattacher à une des questions les plus importantes qui concernent le parti politique ; à la capacité du parti de réagir contre l’esprit d’habitude, contre les tendances à se momifier et à devenir anachronique. Les partis naissent et se constituent en organisation pour diriger la situation à des moments vitaux pour leurs classes ; mais ce n’est pas toujours qu’ils savent s’adapter aux nouvelles tâches et aux époques nouvelles, pas toujours qu’ils savent se développer au rythme où se développent l’ensemble des rapports de forces (et par suite position correspondante de leurs classes) dans un pays déterminé ou sur le plan international. Quand on analyse ces développements des partis, il faut distinguer : le groupe social ; la masse de parti ; la bureaucratie et l’état-major du parti. La bureaucratie est la force routinière et conservatrice la plus dangereuse ; si elle finit par constituer un corps solidaire et à part, et qui se sent indépendant de la masse, le parti finit par devenir anachronique, et dans les moments de crise aiguë il arrive à être vidé de son contenu social et reste comme construit dans le vide. On peut voir ce qui arrive à une série de partis allemands avec l’expansion de l’hitlérisme. Les partis français constituent un riche terrain pour de telles recherches : ils sont tous momifiés et anachroniques, documents historiques-politiques des diverses phases de l’histoire passée de la France, dont ils ont gardé la terminologie vieillie ; leur crise peut devenir encore plus catastrophique que celle des partis allemands.
Quand on examine cet ordre d’événements, on néglige généralement de faire une juste place à l’élément bureaucratique, civil et militaire, et on ne pense pas en outre que dans une telle analyse ne doivent pas seulement entrer les éléments militaires et bureaucratiques en action, mais les couches sociales où, dans le contexte des États considérés, se recrute traditionnellement la bureaucratie. Un mouvement politique peut être de caractère militaire même si l’armée en tant que telle n’y participe pas ouvertement ; un gouvernement peut être de caractère militaire même si l’armée en tant que telle ne participe pas au gouvernement. Dans certaines situations, il peut arriver qu’il faille ne pas « découvrir » l’armée, ne pas la faire sortir de la constitutionnalité, ne pas porter la politique parmi les soldats, comme on dit, pour maintenir l’homogénéité entre officiers et soldats sur un terrain d’apparente neutralité, au-dessus des factions ; et pourtant c’est l’armée, c’est-à-dire l’état-major et le corps des officiers, qui détermine la nouvelle situation et la domine. D’ailleurs, il n’est pas vrai que l’armée, selon les constitutions, ne doit jamais faire de politique ; l’armée devrait justement défendre la constitution, c’est-à-dire la forme légale de l’État, et les institutions qui vont de pair ; aussi la prétendue neutralité signifie-t-elle uniquement appui au clan réactionnaire, mais il faut bien dans de telles situations, poser ainsi la question si l’on veut empêcher que dans l’armée se reproduisent les divergences du pays et que disparaisse le pouvoir déterminant de l’état-major par suite de la désagrégation de l’instrument militaire. Tous ces éléments d’observation ne sont certes pas absolus ; suivant les moments historiques et suivant les pays, ils ont un poids bien différent.
La première recherche à faire est la suivante : existe-t-il dans un pays déterminé une couche sociale nombreuse pour laquelle la carrière bureaucratique, civile et militaire, soit un élément très important de vie économique et d’affirmation politique (participation effective au pouvoir, même indirectement, en usant du « chantage ») ? Dans l’Europe moderne, on peut reconnaître cette couche dans la moyenne et petite bourgeoisie rurale, qui est plus ou moins nombreuse dans les différents pays suivant le développement des forces industrielles, d’une part, et de la réforme agraire, d’autre part. Certes, la carrière bureaucratique (civile et militaire) n’est pas un monopole de cette couche sociale ; toutefois, elle lui convient particulièrement à cause de la fonction sociale que cette couche détient et des tendances psychologiques que cette fonction détermine ou favorise ; ces deux éléments donnent à l’ensemble du groupe social une certaine homogénéité, une certaine énergie dans la direction, et par suite une valeur politique et une fonction souvent décisive à l’ensemble de l’organisme social. Les éléments de ce groupe sont habitués à commander directement à des équipes parfois même très réduites, mais à commander « politiquement », non pas « économiquement » ; c’est-à-dire que dans leur art du commandement n’entre pas l’aptitude à ordonner les « choses », à ordonner « les hommes et les choses » en un tout organique, comme le veut la production industrielle, car ce groupe n’a pas de fonctions économiques au sens moderne du mot. Il a un revenu parce que juridiquement il est propriétaire d’une partie du sol national, et sa fonction est essentiellement d’interdire au cultivateur, par des moyens politiques, d’améliorer son existence, car toute amélioration relative de la situation du paysan serait catastrophique pour sa position sociale. La misère chronique et le travail prolongé du paysan, avec l’abrutissement qui s’ensuit, sont pour lui une nécessité primordiale. C’est pourquoi il déploie la plus grande énergie dans la résistance et la contre-attaque répondant à la plus petite tentative d’organisation autonome du travail paysan et à tout mouvement culturel paysan qui risque de sortir des limites de la religion officielle. Ce groupe social trouve ses limites et les raisons de sa faiblesse profonde dans sa dispersion territoriale et dans son « inhomogénéité » qui est intimement liée à cette dispersion ; c’est ce qui explique aussi d’autres caractéristiques : la volubilité, la multiplicité des systèmes idéologiques suivis et l’étrangeté même des idéologies parfois suivies. La volonté est orientée fermement vers un but, mais elle est lente et elle a besoin, en général, d’un long processus pour se centraliser sur le plan de l’organisation et sur le plan politique. Le processus s’accélère quand la « volonté » spécifique de ce groupe coïncide avec la volonté et les intérêts immédiats de la classe qui est au sommet ; non seulement le processus s’accélère mais aussitôt se manifeste la « force militaire » de cette couche sociale, qui parfois, s’étant organisée, dicte sa loi à la haute classe, au moins pour ce qui concerne la « forme » de la solution, sinon pour le contenu. On voit jouer ici les mêmes lois qu’on a notées pour les rapports ville-campagne pour ce qui est des classes subalternes : la force de la ville, automatiquement devient force de la campagne, mais, comme à la campagne les conflits prennent tout de suite une forme aiguë et « personnelle », à cause de l’absence de marges économiques et de la pression normalement plus lourde qui s’exerce du haut vers le bas, à la campagne les contre-attaques doivent être plus rapides et décidées. Le groupe en question comprend et voit que l’origine de ses maux est dans les villes, dans la force des villes, et c’est pourquoi il comprend qu’il « doit » dicter la solution aux hautes classes urbaines, afin que le foyer principal soit éteint, même si la chose ne convient pas immédiatement aux-dites classes soit parce que trop dispendieuse soit parce que dangereuse à la longue (ces classes envisagent des cycles plus amples de développement, où il est possible de manœuvrer et pas seulement leur intérêt « physique » immédiat). C’est en ce sens que doit se comprendre la fonction de direction de cette couche et non au sens absolu ; ce n’est toutefois pas peu de chose((On voit un reflet de ce groupe dans l’activité idéologique des intellectuels conservateurs, de droite. Le livre de Gaetano MOSCA : Teoria de! governi e governo parlamentare (seconde édition de 1925, la première est de 1883) peut servir d’exemple à cet égard ; dès 1883, Mosca était terrorisé par un contact possible entre ville et campagne. Mosca, de par sa position défensive (de contre-attaque), comprenait mieux en 1883 la technique de la politique des classes subalternes que ne la comprenaient, même plusieurs dizaines d’années après, les représentants de ces forces subalternes, celles des villes y compris. (Note de Gramsci.))). Il faut noter comment ce caractère « militaire » dudit groupe social, qui était traditionnellement un reflet spontané de certaines conditions d’existence est maintenant consciemment éduqué et préparé organiquement. Dans ce mouvement conscient rentrent les efforts systématiques qui visent à faire surgir et à maintenir d’une façon stable des associations variées de militaires en congé et d’anciens combattants des divers corps et des différentes armes, surtout des officiers, qui sont liées aux états-majors et peuvent être à l’occasion mobilisées, sans qu’il soit besoin de faire appel à l’armée qui conserverait ainsi son caractère de réserve d’alarme, renforcée et mise à l’abri de la décomposition politique, par ces forces « privées » qui ne pourront pas ne pas influer sur son « moral», en le soutenant et en le fortifiant. On peut dire que se manifeste un mouvement du type « cosaque », non pas en formations échelonnées le long des frontières marquant les limites nationales, comme cela arrivait aux cosaques du tsar, mais le long des « frontières » du groupe social.
Par conséquent, dans toute une série de pays, influence de l’élément militaire dans la vie de l’État ne signifie pas seulement influence et poids de l’élément technique-militaire, mais influence et poids de la couche sociale d’où l’élément technique-militaire (surtout les officiers subalternes) tire particulièrement son origine. Cette série d’observations est indispensable pour analyser l’aspect le plus intime de cette forme politique déterminée qu’on appelle généralement césarisme ou bonapartisme, pour la distinguer des autres formes où l’élément technique-militaire, en tant que tel, prédomine, sous des formes peut-être encore plus voyantes et exclusives.
L’Espagne et la Grèce offrent deux exemples typiques, avec des traits semblables et dissemblables. Pour l’Espagne, il faut tenir compte de certains détails : grandeur du territoire et faible densité de la population paysanne. Entre le noble des latifundia et le paysan, n’existe pas une bourgeoisie rurale nombreuse ; d’où faible importance des officiers subalternes comme force en soi (ceux qui avaient au contraire une certaine importance antagoniste, c’étaient les officiers des armes savantes, l’artillerie et le génie, officiers issus de la bourgeoisie des villes, qui s’opposaient aux généraux et tentaient de mener leur politique propre). Les gouvernements militaires y sont donc des gouvernements de « grands » généraux. Passivité des masses paysannes comme citoyens et comme troupe. Si dans l’armée se manifeste une désagrégation politique, c’est dans un sens vertical et non horizontal, par suite de la concurrence des cliques dirigeantes : la troupe se scinde pour suivre les chefs qui luttent entre eux. Le gouvernement militaire est une parenthèse entre deux gouvernements constitutionnels ; l’élément militaire est la réserve permanente de l’ordre et de la conservation, c’est une force politique opérant « publiquement » quand la « légalité » est en danger. Il arrive la même chose en Grèce, avec la différence que le territoire grec est disséminé en un système d’îles et qu’une partie de la population, la plus énergique et la plus active, est toujours sur la mer, ce qui facilite les intrigues et les complots militaires. Le paysan grec est passif comme le paysan espagnol, mais dans un tableau d’ensemble de la population, le Grec plus énergique et plus actif, étant marin et presque toujours loin de son centre de vie politique, la passivité générale doit être analysée différemment et la solution du problème ne peut être la même (les exécutions survenues en Grèce, il y a de cela un certain nombre d’années, des membres d’un gouvernement renversé, doivent probablement s’expliquer comme nu mouvement de colère de cet élément énergique et actif qui voulait donner une sanglante leçon). Ce qu’il faut particulièrement observer, c’est qu’en Grèce comme en Espagne, l’expérience du gouvernement militaire n’a pas créé une idéologie politique et sociale permanente et formellement organique, comme il arrive au contraire dans les pays bonapartistes en puissance pour ainsi dire. Mais les conditions historiques générales des deux types sont les mêmes : équilibre des groupes urbains en lutte, qui empêche le jeu de la démocratie « normale », le parlementarisme ; toutefois, l’influence de la campagne dans cet équilibre est différent. Dans des pays comme l’Espagne, la campagne, complètement passive, permet aux généraux de la noblesse terrienne de se servir politiquement de l’armée pour rétablir l’équilibre branlant, c’est-à-dire la domination des groupes de la haute société. Dans d’autres pays, la campagne n’est pas passive, mais son mouvement n’est pas politiquement coordonné à celui des villes : l’armée doit rester neutre, sans quoi, il est possible qu’elle se désagrège horizontalement (elle restera neutre jusqu’à un certain point, s’entend), et c’est au contraire la classe militaire bureaucratique -qui entre en action, et qui, avec des moyens militaires, étouffe le mouvement dans les campagnes (c’est là qu’il est le plus immédiatement dangereux) ; dans cette lutte, elle trouve une certaine unification politique et idéologique, elle trouve des alliés dans les classes moyennes des villes renforcées par les étudiants d’origine rurale qui s’y trouvent, elle impose ses méthodes politiques aux classes de la haute société, qui doivent lui faire une foule de concessions et permettre telle législation favorable ; elle réussit en somme à faire pénétrer dans l’État ses intérêts jusqu’à un certain point et à remplacer une partie du personnel dirigeant, continuant à rester armée au milieu du désarmement général et dénonçant le danger d’une guerre civile entre ses propres forces armées et l’armée, si la haute classe montre trop de velléités de résistance. Ces observations ne doivent pas être conçues comme des schèmes rigides, mais seulement comme des critères pratiques d’interprétation historique et politique. Dans les analyses concrètes d’événements réels, les formes historiques sont bien caractérisées et à peu près « uniques ». César représente une combinaison de circonstances réelles bien différente de celle que représente Napoléon 1er comme celle de Primo de Rivera diffère de celle de Zivkovitch, etc.
Dans l’analyse du troisième degré ou moment du système des rapports de forces existant dans une situation déterminée, on peut recourir utilement au concept qui, dans la science militaire, est appelé de la « conjoncture stratégique », ou bien, avec plus de précision, du degré de préparation stratégique du théâtre de la lutte, dont un des principaux éléments est donné par les conditions qualitatives du personnel dirigeant et des forces actives qu’on peut appeler de première ligne (forces d’assaut comprises). Le degré de préparation stratégique peut donner la victoire à des forces « apparemment » (c’est-à-dire quantitativement) inférieures à celles de l’adversaire. On peut dire que la préparation stratégique tend à réduire à zéro ce qu’on appelle « facteurs impondérables », c’est-à-dire les réactions immédiates de surprise, venant, à un moment donné, des forces traditionnellement inertes et passives. Parmi les éléments de la préparation d’une conjoncture stratégique favorable, il faut justement placer ceux qu’on a considérés dans les observations sur l’existence et l’organisation d’une couche militaire à côté de l’organisme technique de l’armée nationale((A propos de la « couche militaire », ce qu’écrit T. Tittoni dans ses Souvenirs personnels de politique intérieure, est intéressant (Nuova Antologia, 1-16 avril 1929). Tittoni raconte qu’il a médité sur le fait que, pour réunir la force publique nécessaire pour faire face aux tumultes qui éclataient dans une localité, il fallait dégarnir d’autres régions : pendant la semaine rouge de juin 19,14, on avait, pour réprimer les troubles d’Ancone, dégarni Ravenne, où le préfet, privé de la force publique, dut s’enfermer dans la préfecture, en abandonnant la ville aux insurgés. « A plusieurs reprises, je me demandais ce qu’aurait pu faire le gouvernement si un mouvement de révolte avait éclaté simultanément dans toute la péninsule. » Tittoni proposa au gouvernement l’enrôlement des « volontaires de l’ordre », anciens combattants encadrés par des officiers en congé. Le projet Tittoni fut jugé digne de considération, mais aucune suite n’y fut donnée. (Note de Gramsci.))).
On peut élaborer d’autres éléments d’après cet extrait du discours fait au Sénat le 19 mai 1932 par le général Gazzera ministre de la Guerre (cf. Corriere della Sera, 20 mai) :
« Le régime de discipline de notre armée apparaît aujourd’hui, grâce au fascisme, comme une norme directive qui vaut pour toute la nation. D’autres armées ont eu et conservent encore aujourd’hui une discipline formelle et rigide. Nous gardons présent à l’esprit le principe que l’armée est faite pour la guerre, et que c’est à la guerre qu’elle doit se préparer ; la discipline du temps de paix doit donc être la même que celle du temps de guerre, laquelle doit dans le temps de paix trouver son fondement spirituel. Notre discipline se fonde sur un esprit de cohésion entre les chefs et les simples soldats, qui est le résultat spontané du système suivi. Ce système a résisté magnifiquement pendant une longue guerre très dure, jusqu’à la victoire ; c’est le mérite du régime fasciste d’avoir étendu à tout le peuple italien une tradition de discipline si remarquable. De la discipline de chacun dépend l’issue de la conception stratégique et des opérations tactiques. La guerre a enseigné bien des choses et elle nous a aussi appris qu’il y a un fossé profond entre la préparation du temps de paix et la réalité de la guerre. Il est certain que, quelle que soit la préparation, les opérations mettent au début les belligérants en face de problèmes nouveaux qui donnent lieu à des surprises de part et d’autre. Il ne faut pas en conclure pour autant qu’il n’est pas utile d’avoir une conception a priori et qu’on ne peut tirer aucun enseignement de la dernière guerre. On peut en tirer une doctrine de guerre, qui doit être comprise comme une discipline intellectuelle, et comme un moyen pour promouvoir des modes de raisonnement sans discordance et une uniformité de langage telle qu’elle permette à tous de comprendre et de se faire comprendre. Si, parfois, l’unité de doctrine a menacé de dégénérer en schématisme, on a réagi aussitôt et promptement, en imprimant à la tactique, parfois aussi grâce aux progrès de la technique, une rapide rénovation. Une telle réglementation n’est donc pas statique, n’est pas traditionnelle comme d’aucuns le croient. La tradition n’est considérée qu’en tant que force et les règlements sont toujours en cours de révision non pas en vertu d’un désir de changement, mais pour pouvoir les adapter à la réalité. »
On peut trouver, dans les Mémoires de Churchill, un exemple de « préparation de la conjoncture stratégique », là où il parle de la bataille du Jutland. (Mach., pp. 50-58.) [1932-33]