La démocratie populaire
Georges Dimitrov
V — La fédération des slaves du Sud et le problème macédonien
Je dois m’arrêter quelque peu sur la question de la Fédération des Slaves du Sud et le problème macédonien.
La trahison notoire du groupe de Tito envers l’Union soviétique et le camp anti-impérialiste et démocratique unique, sa ligne antimarxiste et nationaliste condamnée par le Bureau d’Information, par tous les Partis communistes et les organisations réellement prolétariennes et démocratiques, ont trouvé une expression particulière dans l’attitude de ce groupe sur la question de la Fédération des Slaves du Sud et du problème macédonien.
Après le 9 septembre 1944, lorsque la dictature fasciste fut renversée en Bulgarie et qu’un gouvernement populaire démocratique y fut établi, ainsi qu’en Yougoslavie, sous la direction des Partis communistes, les conditions les plus favorables furent créées pour un règlement durable des relations entre les deux Etats, règlement qui devait apporter au problème macédonien aussi, une solution démocratique radicale.
Dans les conjonctures intérieures et extérieures qui s’étaient produites, les intérêts vitaux, aussi bien ceux du peuple bulgare que ceux du peuple yougoslave, dictaient impérieusement de procéder à un rapprochement qui devait les conduire, dans l’avenir le plus proche, à leur unité économique et politico-étatique, à la formation d’une Fédération des Slaves du Sud. Une telle fédération, s’appuyant sur l’amitié avec l’Union soviétique et sur la collaboration fraternelle avec les autres Républiques démocratiques et populaires, serait à même de défendre avec succès la liberté et l’indépendance de nos peuples et d’assurer leur développement dans la voie menant au socialisme. C’est dans les cadres d’une telle fédération qu’auraient pu trouver leur solution les questions pendantes, léguées par les anciens régimes monarcho-bourgeois, relatives à la réunion des Macédoniens de la région du Pirine à la République populaire de Macédoine ; d’autre part, le problème du retour à la Bulgarie des territoires occidentaux qui avaient été annexés par la Yougoslavie du roi Alexandre, après la première guerre mondiale, et dont le caractère est purement bulgare, aurait également pu être réglé de cette manière.
C’est dans cette voie que notre Parti s’engagea résolument et avec enthousiasme, comptant sur la parole des communistes yougoslaves, auxquels nous sommes liés par un travail en commun et une amitié de longue date. C’est cette position que notre Parti soutient aujourd’hui encore. Mais cette voie, la seule juste, fut abandonnée par les dirigeants nationalistes de Yougoslavie. Après que les gouvernements des deux pays eurent examiné et décidé une série de mesures propres à faciliter la formation de la Fédération, le Comité central du Parti communiste yougoslave, au mois de mars dernier, déclara à notre Parti qu’il avait une autre conception de cette question, qu’il ne fallait pas se hâter de fonder la Fédération, et refusa de poursuivre les pourparlers. En même temps, les dirigeants yougoslaves portèrent au premier plan la transformation de la région du Pirine en une région autonome, en vue de son rattachement à la Yougoslavie, indépendamment de l’accord sur la Fédération.
Évidemment, cette volte-face de Tito et de son groupe sur le problème de la Fédération est indissolublement liée à leur trahison envers le marxisme-léninisme. En fait, ce groupe glisse sur la pente du nationalisme et adopte aujourd’hui les positions du chauvinisme grand-serbe, qui aspirait à l’hégémonie dans les Balkans et à l’annexion de la Macédoine à la Serbie, autrement dit à la Yougoslavie.
Les révélations faites au congrès des communistes albanais sur les aspirations du groupe de Tito à l’égard de la République populaire d’Albanie, sont une autre preuve éclatante de sa politique de duplicité, de nationalisme grossier et de son reniement du front socialiste uni, constitué par l’Union soviétique et les démocraties populaires.
Comme on le sait, il y avait deux moyens possibles à la solution du problème macédonien, qui, durant des dizaines d’années, fut au centre des rivalités et des guerres dans les Balkans. L’un était la révolution démocratique, qui devait amener l’affranchissement de la Macédoine du joug turc. Cette voie était suivie par l’organisation révolutionnaire macédonienne (Gotzé Deltchev, Sandansky et d’autres), ainsi que par l’Union révolutionnaire social-démocrate de Macédoine (Hadji Dimov, Nicolas Karev et d’autres). Ces organisations jouissaient de l’appui complet de notre Parti. Nombre de membres de celui-ci étaient des militants actifs du mouvement révolutionnaire macédonien.
Le second moyen était celui de la bourgeoisie nationaliste. Il prônait la libération de la Macédoine du joug turc par une guerre, son annexion à l’un des pays balkaniques ou son partage entre eux. Notre Parti a toujours été un ennemi résolu du nationalisme bourgeois belliciste et a lutté le plus énergiquement contre les plans d’asservissement et de partage de la Macédoine, chers aux monarchies balkaniques et aux cliques réactionnaires capitalistes.
En pratique, le second de ces moyens a prévalu et nous conduisit aux deux guerres balkaniques (1912 et 1913). Il eut pour résultat la libération de la Macédoine du joug turc et son partage entre la Serbie, la Grèce et la Bulgarie.
Étant donné le danger croissant d’une agression impérialiste dans les Balkans, les partis socialistes de la péninsule lancèrent le mot d’ordre d’une fédération démocratique balkanique. Unis au sein d’une puissante fédération, les peuples balkaniques auraient mieux défendu leur liberté et leur indépendance contre les convoitises des forces impérialistes. Cette fédération aurait, de même, facilité la solution de toutes les questions nationales en suspens dans les Balkans, y compris la question macédonienne. La Macédoine, morcelée en trois parties, devait s’unir en un Etat, égal en droits, dans le cadre de la fédération.
Notre Parti liait avec raison la solution de la question macédonienne à la création d’une fédération démocratique balkanique. Voici pourquoi il a toujours combattu implacablement la politique de conquête des mégalo-bulgares et leur chauvinisme. Le Parti demeura sur cette position pendant la guerre balkanique, ainsi que pendant la première guerre mondiale. En quoi consistait le chauvinisme mégalo-bulgare de la bourgeoisie monarchiste et capitaliste ?
Il consistait, premièrement, en son aspiration à l’hégémonie dans les Balkans et, deuxièmement, en celle d’annexer la Macédoine à l’Etat bulgare. Cette politique qui, durant la deuxième guerre mondiale, fut pratiquée sous la direction de l’Allemagne hitlérienne, était en réalité une politique de trahison, qui camouflait le désir des nazis de faire de la prétendue « Grande Bulgarie » une colonie allemande.
Après la Révolution socialiste d’Octobre et l’entrée des Partis communistes balkaniques dans l’Internationale communiste, la Fédération socialiste balkanique prit le nom de Fédération communiste balkanique. Notre Parti y jouait un rôle très actif.
La Fédération voyait, elle aussi, la solution de tous les problèmes balkaniques, y compris la question macédonienne, dans la création d’une Fédération démocratique, capable de défendre la liberté et l’indépendance de tous les peuples de la péninsule.
Ainsi, notre Parti avait adopté, sur ces points, une position juste, populaire, traditionnelle, une position qui offrait une vraie solution démocratique aux affaires macédoniennes. Le mot d’ordre d’une République fédérative démocratique balkanique s’accordait entièrement avec l’enseignement du marxisme-léninisme sur la question nationale.
Les ouvriers conscients des pays balkaniques, écrivait Lénine en 1912, furent les premiers à lancer le slogan d’une solution démocratique radicale de la question nationale dans les Balkans. Ce slogan, c’est la République fédérative balkanique. La faiblesse des classes démocratiques dans les Etats balkaniques d’aujourd’hui (prolétariat peu nombreux, paysans arriérés, dispersés, illettrés) eut pour résultat, que l’union économique et politique nécessaire devint une union des monarchies balkaniques. (Lénine : Œuvres, 4e éd. russe, t. XVIII, p. 340.)
Avant la deuxième guerre mondiale, un puissant mouvement progressiste macédonien s’était développé, en Bulgarie, au nom du droit du peuple de Macédoine de se constituer en nation indépendante ; ce mouvement trouva un appui énergique auprès de notre Parti. Pendant la guerre, ce dernier travailla en plein accord avec les communistes macédoniens ; plus tard, nos partisans
menèrent, côte à côte avec leurs camarades, un combat résolu contre les occupants germano-bulgares. Notre Parti salua chaleureusement la création de la République populaire de Macédoine, dans les cadres de la République Fédérative Populaire de Yougoslavie.
Il est notoire que dans la lutte pour la défense du droit du peuple macédonien de disposer de lui-même, contre la politique de conquête de la bourgeoisie bulgare, nous avons subi de nombreuses et lourdes pertes.
Afin de faciliter le rapprochement et le rattachement ultérieur des régions macédoniennes séparées par la frontière, notre Parti accepta, après l’accord de Bled, l’introduction de l’étude de la langue officielle macédonienne dans toutes les écoles de la région du Pirine, au titre de discipline obligatoire. Il donna également son accord à la venue dans cette région d’un grand nombre d’instituteurs de Skopié, de libraires, chargés de la diffusion d’ouvrages en macédonien. C’était là une preuve que notre Parti portait une sympathie des plus vives au rassemblement du peuple macédonien.
Mais la bonne volonté de notre pays fut trahie par les dirigeants de Belgrade et de Skopié. La plupart des professeurs et libraires venus de cette dernière ville, et cela de toute évidence, sur les directives de leurs dirigeants, se révélèrent les agents d’une propagande mégalo-yougoslave, anti-bulgare et chauvine. Plus tard, après la trahison du groupe de Tito envers le camp anti-impérialiste unifié et envers l’Union soviétique, ils s’affirmèrent ouvertement des agents antisoviétiques.
Ce que les émissaires de Kolichevsky entreprenaient dans la région du Pirine, n’était qu’un reflet de ce qui se pratiquait et se pratique toujours dans la République populaire de Macédoine. Sous prétexte de lutter contre le chauvinisme mégalo-bulgare, on menait et on mène, avec le concours de l’appareil administratif et de toutes les autres organisations sociales, politiques et culturelles, une campagne systématique contre tout ce qui est bulgare, notre peuple, sa culture, le régime de la démocratie populaire, le Front de la Patrie et surtout notre Parti. Les livres et les journaux bulgares, notamment l’organe du Parti Rabotnitchesko Délo, ne peuvent pénétrer dans la République populaire de Macédoine. Toutes les inscriptions en bulgare sur les écoles, les autres édifices et monuments sont effacées avec empressement. Les noms de famille, tels, par exemple : Kolichev, Ouzounov, Tsvetkov et d’autres, ont été changés, comme l’on sait, en : Kolichevsky, Ouzounovsky, Tsvetkovsky, cela uniquement pour qu’ils perdent leur consonance bulgare.
Les personnalités officielles de la République populaire de Macédoine ne se gênent pas pour faire des déclarations dirigées contre le peuple bulgare et contre la République populaire de Bulgarie. On connaît le discours prononcé par Kolichevsky, le 23 mars dernier, au IIe congrès du Front populaire macédonien, dans lequel il s’en prit à notre pays et à son gouvernement, en lançant la calomnie que ce dernier avait privé de ses droits et opprimé la population macédonienne de la région du Pirine.
Les journaux, les agences et la radio des impérialistes anglo-américains s’emparèrent avec ardeur de ce discours provocateur de Kolichevsky, pour entreprendre une ignoble campagne de calomnies contre la République populaire de Bulgarie et l’œuvre d’unification du peuple macédonien.
Au mois de juillet dernier, de la tribune du Ve congrès du Parti communiste yougoslave, à Belgrade, fut lancée contre notre pays la pointe la plus acérée des attaques dirigées contre les nations de démocratie populaire. Dans leurs discours, Tito, Djilas, Tempo, Kolichevsky, Vlakhov déversèrent leur haine chauvine contre la Bulgarie, contre notre Parti, dont le seul tort est de n’avoir pas consenti à ce qu’ils s’emparent purement et simplement de la région du Pirine et d’avoir flétri la trahison des dirigeants yougoslaves. Le général Tempo, dans sa rage chauvine, est allé jusqu’à se permettre les plus basses insultes à l’égard de la lutte antifasciste du peuple bulgare et de notre mouvement de partisans, cela, malgré le fait notoire que nos maquisards ont lutté côte à côte avec leurs camarades yougoslaves et que nos armées ont pris une part active, sous le commandement du maréchal Tolboukhine, à la guerre pour la libération finale de la Yougoslavie.
Le président du conseil de la République populaire de Serbie, Pètre Stambolitch, ne s’est pas gêné, lui non plus, à la fin du mois de septembre dernier, pour lancer publiquement à la Skoupchtina de Belgrade la calomnie, selon laquelle les hommes politiques responsables bulgares auraient mené une propagande contre l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Yougoslavie.
Il est bien évident que des calomnies de ce genre visent uniquement à provoquer l’hostilité des peuples yougoslaves à l’égard des Bulgares, à creuser un abîme entre ces deux peuples frères et en même temps à fournir une arme à la propagande impérialiste, pour qu’elle puisse lancer de nouveaux mensonges contre la Bulgarie.
Pendant la deuxième moitié du mois de novembre dernier, un procès fut intenté à Skopié à des fascistes bulgares, agents de police et autres criminels de guerre qui avaient commis, lors de l’occupation, des exactions en Macédoine. Ces criminels de guerre avaient été livrés aux Yougoslaves par les autorités bulgares. En réalité, ce procès fut sciemment transformé en une campagne chauvine et haineuse, dirigée contre le peuple bulgare et notre pays. Procureurs, juges et criminels s’étaient concertés au préalable, pour insulter et calomnier la Bulgarie et son peuple, avec une unanimité touchante.
La politique nationaliste et chauvine des acolytes de Tito et de Kolichevsky, qui représente l’autre face de leur ligne antisoviétique, n’est pas dirigée uniquement contre nous, mais aussi contre le peuple macédonien lui-même. Cette politique, qui a adopté les méthodes des nationalistes bulgares et serbes, sème la haine au sein des Macédoniens, excite l’une des parties de ce peuple contre l’autre, applique l’oppression et la terreur à ceux qui ne sont pas d’accord avec la ligne des dirigeants yougoslaves actuels. Ainsi, la réalisation de l’idéal séculaire du peuple macédonien, son unité nationale, est artificiellement retardée.
Toutefois, la population de la région du Pirine ne se laisse pas prendre à cette propagande anti-bulgare de division forcenée. Elle adopte une position négative en ce qui concerne la demande d’annexion de cette région par la Yougoslavie, avant que ne soit créée la fédération entre la Yougoslavie et la Bulgarie, étant donné que depuis un temps immémorial, elle se sent liée au point de vue économique, politique et culturel, au peuple bulgare dont elle ne veut pas se séparer. En outre, la population du Pirine garde vivantes les traditions du mouvement révolutionnaire macédonien et en particulier du courant de Serrés, avec, au principe selon lequel la Macédoine appartient aux positions de la Fédération, seule solution valable quant à la question macédonienne.
Nous savons fort bien que le cours nationaliste et chauvin, suivi par les dirigeants de Belgrade et de Skopié, du type de Tito et de Kolichevsky, n’est pas approuvé par la majorité du peuple macédonien, convaincu de ce que son union nationale sera édifiée sur la compréhension entre la Yougoslavie et la Bulgarie, en collaboration avec leurs peuples, avec le puissant concours de l’Union soviétique.
Notre Parti a toujours tenu et tient aujourd’hui encore au principe, selon lequel la Macédoine appartient aux Macédoniens. Fidèles aux traditions révolutionnaires de ces derniers, nous sommes fermement convaincus, comme tous les patriotes macédoniens de bonne foi, que leur peuple ne réalisera son unité nationale et n’assurera son avenir en tant que nation libre, égale en droits, que dans le cadre d’une Fédération des Slaves du sud.