L’Offensive du fascisme et les tâches de l’Internationale communiste dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière contre le fascisme
Georges Dimitrov
I — Le fascisme et la classe ouvrière
Déjà le VIe congrès de l’Internationale communiste avertissait le prolétariat international de la maturation d’une nouvelle offensive fasciste et appelait à la lutte contre elle. Le congrès indiquait que « des tendances fascistes et des germes du mouvement fasciste existent presque partout, sous une forme plus ou moins développée ».
Dans les conditions de la crise économique extrêmement profonde, de l’aggravation marquée de la crise générale du capitalisme, du développement de l’esprit révolutionnaire dans les masses travailleuses, le fascisme est passé à une vaste offensive. La bourgeoisie dominante cherche de plus en plus le salut dans le fascisme, afin de prendre contre les travailleurs des mesures extraordinaires de spoliation, de préparer une guerre de brigandage impérialiste, une agression contre l’Union soviétique, l’asservissement et le partage de la Chine et sur la base de tout cela de conjurer la révolution.
Les milieux impérialistes tentent de faire retomber tout le poids de la crise sur les épaules des travailleurs. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.
Ils s’efforcent de résoudre le problème des marchés par l’asservissement des peuples faibles, par l’aggravation du joug colonial et par un nouveau partage du monde au moyen de la guerre. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.
Ils s’efforcent de devancer la montée des forces de révolution en écrasant le mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans et en lançant une agression militaire contre l’Union soviétique, rempart du prolétariat mondial. C’est pour cela qu’ils ont besoin du fascisme.
Dans une série de pays, notamment en Allemagne, ces milieux impérialistes ont réussi, avant le tournant décisif des masses vers la révolution, à infliger une défaite au prolétariat et à instaurer la dictature fasciste.
Mais ce qui est caractéristique pour la victoire du fascisme, c’est précisément la circonstance que cette victoire, d’une part, atteste la faiblesse du prolétariat, désorganisé et paralysé par la politique socialdémocrate scissionniste de collaboration de classe avec la bourgeoisie, et, d’autre part, exprime la faiblesse de la bourgeoisie elle-même, qui est prise de peur devant la réalisation de l’unité de lutte de la classe ouvrière, prise de peur devant la révolution et n’est plus en état de maintenir sa dictature sur les masses par les vieilles méthodes de démocratie bourgeoise et de parlementarisme.
Au sujet de la victoire du fascisme en Allemagne, Staline a dit au XVIIe congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S. :
Il ne faut pas la considérer seulement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et comme le résultat des trahisons perpétrées contre elle par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme. Il faut la considérer aussi comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que la bourgeoisie n’est plus en mesure d’exercer le pouvoir par les vieilles méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir dans sa politique intérieure, aux méthodes terroristes de gouvernement; comme un signe attestant qu’elle n’a plus la force de trouver une issue à la situation actuelle sur la base d’une politique extérieure de paix, ce qui l’oblige à recourir à une politique de guerre. (J. Staline : « Deux Mondes », Rapport sur l’activité du Comité central présenté au XVIIe congrès du Parti communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S., les Questions du léninisme, t. II, p. 139, Editions sociales, Paris, 1947.)
Le caractère de classe du fascisme.
Le fascisme au pouvoir est, comme l’a caractérisé avec raison la XIIIe assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste, la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier.
La variété la plus réactionnaire du fascisme, c’est le fascisme du type allemand. Il s’intitule impudemment national-socialisme sans avoir rien de commun avec le socialisme. Le fascisme hitlérien, ce n’est pas seulement un nationalisme bourgeois, c’est un chauvinisme bestial. C’est un système gouvernemental de banditisme politique, un système de provocation et de tortures à l’égard de la classe ouvrière et des éléments révolutionnaires de la paysannerie, de la petite bourgeoisie et des intellectuels. C’est la barbarie médiévale et la sauvagerie. C’est une agression effrénée à l’égard des autres peuples et des autres pays.
Le fascisme allemand apparaît comme la troupe de choc de la contre-révolution internationale, comme le principal fomentateur de la guerre impérialiste, comme l’instigateur de la croisade contre l’Union soviétique, la grande patrie des travailleurs du monde entier.
Le fascisme, ce n’est pas une forme du pouvoir d’Etat qui, prétendument, « se place au-dessus des deux classes, du prolétariat et de la bourgeoisie », ainsi que l’affirmait, par exemple, Otto Bauer. Ce n’est pas « la petite bourgeoisie en révolte qui s’est emparée de la machine d’Etat », comme le déclarait le socialiste anglais Brailsford. Non. Le fascisme, ce n’est pas un pouvoir au-dessus des classes, ni le pouvoir de la petite bourgeoisie ou des éléments déclassés du prolétariat sur le capital financier. Le fascisme, c’est le pouvoir du capital financier lui-même. C’est l’organisation de la répression terroriste contre la classe ouvrière et la partie révolutionnaire de la paysannerie et des intellectuels. Le fascisme en politique extérieure, c’est le chauvinisme sous sa forme la plus grossière, cultivant une haine bestiale contre les autres peuples.
Il est nécessaire de souligner avec une vigueur particulière ce véritable caractère du fascisme parce que le masque de la démagogie sociale a permis au fascisme d’entraîner à sa suite, dans une série de pays, les masses de la petite bourgeoisie désaxée par la crise, et même certaines parties des couches les plus arriérées du prolétariat, qui n’auraient jamais suivi le fascisme si elles avaient compris son caractère de classe réel, sa véritable nature.
Le développement du fascisme et la dictature fasciste elle-même, revêtent dans les différents pays des formes diverses, selon les conditions historiques sociales et économiques, selon les particularités nationales et la situation internationale du pays donné. Dans certains pays, principalement là où le fascisme n’a pas de large base dans les masses et où la lutte des différents groupements dans le camp de la bourgeoisie fasciste elle-même est assez forte, le fascisme ne se résout pas du premier coup à liquider le Parlement et laisse aux autres partis bourgeois, de même qu’à la social-démocratie, une certaine légalité. Dans d’autres pays, où la bourgeoisie dominante appréhende la proche explosion de la révolution, le fascisme établit son monopole politique illimité ou bien du premier coup, ou bien en renforçant de plus en plus la terreur et la répression à l’égard de tous les partis et groupements concurrents. Ce fait n’exclut pas, de la part du fascisme, au moment d’une, aggravation particulière de sa situation, les tentatives d’élargir sa base et, sans changer d’essence de classe, de combiner la dictature terroriste ouverte avec une falsification grossière du parlementarisme.
L’arrivée du fascisme au pouvoir, ce n’est pas la substitution ordinaire d’un gouvernement bourgeois à un autre, mais le remplacement d’une forme étatique de la domination de classe de la bourgeoisie — la démocratie bourgeoise — par une autre forme de cette domination, la dictature terroriste déclarée. Méconnaître cette distinction serait une faute grave, qui empêcherait le prolétariat révolutionnaire de mobiliser les couches laborieuses les plus étendues de la ville et de la campagne pour la lutte contre la menace de la prise du pouvoir par les fascistes, et d’utiliser les contradictions existant dans le camp de la bourgeoisie elle-même. Mais c’est une faute non moins grave et non moins dangereuse de sousestimer l’importance que revêtent, pour l’instauration de la dictature fasciste, les mesures réactionnaires de la bourgeoisie, qui s’aggravent aujourd’hui dans les pays de démocratie bourgeoise, et qui écrasent les libertés démocratiques des travailleurs, falsifient et rognent les droits du Parlement, accentuent la répression contre le mouvement révolutionnaire.
On ne saurait se faire de l’arrivée du fascisme au pouvoir l’idée simpliste et unie qu’un comité quelconque du capital financier déciderait d’instaurer à telle date la dictature fasciste. En réalité, le fascisme arrive ordinairement au pouvoir dans une lutte réciproque, parfois aiguë, avec les vieux partis bourgeois ou une portion déterminée d’entre eux, dans une lutte qui se mène même à l’intérieur du camp fasciste et qui en arrive parfois à des collisions armées, comme nous l’avons vu en Allemagne, en Autriche, et dans d’autres pays. Tout cela sans affaiblir cependant l’importance du fait qu’avant l’instauration de la dictature fasciste, les gouvernements bourgeois passent ordinairement par une série d’étapes préparatoires et prennent une série de mesures réactionnaires contribuant à l’avènement direct du fascisme. Quiconque ne lutte pas, au cours de ces étapes préparatoires, contre les mesures réactionnaires de la bourgeoisie et le fascisme grandissant, n’est pas en état d’entraver la victoire du fascisme, mais au contraire la facilite.
Les chefs de la social-démocratie estompaient et cachaient aux masses le vrai caractère de classe du fascisme, ils n’appelaient pas à la lutte contre les mesures réactionnaires de plus en plus fortes de la bourgeoisie. Ils portent la grande responsabilité historique du fait qu’au moment décisif de l’offensive fasciste, une partie considérable des masses travailleuses, en Allemagne et dans une série d’autres pays fascistes, n’a pas reconnu dans le fascisme le rapace financier sanguinaire, leur pire ennemi, et du fait que ces masses n’ont pas été prêtes à la riposte.
Quelle est donc la source de l’influence du fascisme sur les masses ? Le fascisme réussit à attirer les masses parce qu’il en appelle, de façon démagogique, aux plus sensibles de leurs besoins et de leurs aspirations. Le fascisme ne se borne pas à attiser les préjugés profondément enracinés dans les masses ; il joue aussi sur les meilleurs sentiments des masses, sur leur sentiment de justice et parfois même sur leurs traditions révolutionnaires. Pourquoi les fascistes allemands, ces laquais de la grande bourgeoisie et ces ennemis mortels du socialisme, se font-ils passer devant les masses pour des « socialistes » et représentent-ils leur avènement au pouvoir comme une « révolution » ? Parce qu’ils visent à exploiter la foi dans la révolution, l’élan vers le socialisme, qui vivent au cœur des grandes masses travailleuses d’Allemagne.
Le fascisme agit dans l’intérêt des ultra-impérialistes, mais il se montre aux masses sous le masque de défenseur de la nation lésée et en appelle au sentiment national blessé, comme, par exemple, le fascisme allemand qui entraîna les masses derrière lui avec le mot d’ordre : « Contre Versailles ! ».
Le fascisme vise à l’exploitation la plus effrénée des masses, mais il aborde celles-ci avec une habile démagogie anticapitaliste, en exploitant la haine profonde des travailleurs pour la bourgeoisie rapace, les banques, les trusts et les magnats financiers, et en formulant les mots d’ordre les plus tentants au moment donné pour les masses politiquement frustes. En Allemagne : « l’intérêt général prime l’intérêt privé » ; en Italie : « notre Etat n’est pas un Etat capitaliste, mais corporatif » ; au Japon : « pour un Japon sans exploitation » ; aux Etats-Unis : « pour le partage de la richesse », etc.
Le fascisme livre le peuple à la merci des éléments vénaux les plus corrompus, mais se présente devant lui en revendiquant un « pouvoir honnête et incorruptible ». En spéculant sur la profonde déception des masses à l’égard des gouvernements de démocratie bourgeoise, le fascisme s’indigne hypocritement contre la corruption (par exemple, les affaires Barmat et Sklarek en Allemagne, l’affaire Staviski en France, et une série d’autres).
Le fascisme capte, dans l’intérêt des cercles les plus réactionnaires de la bourgeoisie, les masses déçues qui abandonnent les vieux partis bourgeois. Mais il en impose à ces masses par la violence de ses attaques contre les gouvernements bourgeois, par son attitude intransigeante à l’égard des vieux partis de la bourgeoisie.
Dépassant en cynisme et en hypocrisie toutes les autres variétés de la réaction bourgeoise, le fascisme adapte sa démagogie aux particularités nationales de chaque pays et même aux particularités des différentes couches sociales dans un seul et même pays. Et les masses de la petite bourgeoisie, voire une partie des ouvriers, poussés au désespoir par la misère, le chômage et la précarité de leur existence, deviennent victimes de la démagogie sociale et chauvine du fascisme.
Le fascisme arrive au pouvoir comme le parti de choc contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat, contre les masses populaires en fermentation, mais il présente son avènement au pouvoir comme un mouvement « révolutionnaire » contre la bourgeoisie au nom de « toute la nation » et pour le « salut » de la nation. (Rappelons-nous la « marche » de Mussolini sur Rome, la « marche » de Pilsudski sur Varsovie, La « révolution » nationale-socialiste de Hitler en Allemagne, etc.)
Mais quel que soit le masque dont le fascisme s’affuble sous quelque forme qu’il apparaisse, quelle que soit la voie qu’il emprunte pour arriver au pouvoir :
Le fascisme est l’offensive la plus féroce du Capital contre les masses travailleuses. Le fascisme, c’est le chauvinisme effréné et la guerre de conquête. Le fascisme, c’est la réaction forcenée et la contre-révolution. Le fascisme, c’est le pire ennemi de la classe ouvrière et de tous les travailleurs !
Qu’est-ce que le fascisme vainqueur apporte aux masses ?
Le fascisme avait promis aux ouvriers un « juste salaire », mais, en fait, il leur a apporté un niveau de vie encore plus bas, un niveau de vie misérable. Il avait promis du travail aux chômeurs, mais, en fait, il leur a apporté des tortures de la faim encore plus pénibles, un travail forcé, un travail servile. En fait, il transforme les ouvriers et les chômeurs en parias de la société capitaliste sans aucun droit ; il détruit leurs syndicats ; il les prive du droit de faire grève et les empêche d’éditer la presse ouvrière ; il les embrigade de force dans les organisations fascistes ; il dilapide les fonds de leurs assurances sociales ; quant aux fabriques et aux usines, il en fait des casernes où règne l’arbitraire effréné des capitalistes.
Le fascisme avait promis à la jeunesse travailleuse de lui ouvrir largement la voie d’un brillant avenir. En fait, il a apporté les licenciements en masse de la jeunesse des entreprises, les camps de travail et le dressage militaire sans répit pour la guerre de conquête.
Le fascisme avait promis aux employés, aux petits fonctionnaires, aux intellectuels d’assurer leur subsistance, d’abolir la toute puissance des trusts et la spéculation du capital bancaire. En fait, il leur a apporté une incertitude du lendemain et un désespoir plus grands encore; il les soumet à une nouvelle bureaucratie composée de ses partisans les plus dévoués. Il établit une dictature insupportable des trusts ; il sème dans des proportions inouïes la corruption, la décomposition.
Le fascisme avait promis à la paysannerie ruinée, tombée dans la misère, de liquider le joug des dettes, d’abolir les fermages et même d’aliéner sans compensation les terres des propriétaires fonciers au profit des paysans sans terre et en train de se ruiner. En fait, il établit un asservissement inouï de la paysannerie travailleuse aux trusts et à l’appareil d’Etat fasciste, il pousse jusqu’aux dernières limites l’exploitation de la masse fondamentale de la paysannerie par les grands agrariens, les banques et les usuriers. « L’Allemagne sera une nation paysanne, ou elle ne sera pas », déclarait solennellement Hitler. Eh bien ! qu’est-ce que les paysans ont reçu en Allemagne, sous Hitler ? La moratorium, déjà annulé ? Ou la loi sur l’héritage de la ferme paysanne qui pousse à évincer des campagnes des millions de fils et de filles de paysans et à en faire des mendiants ? Les salariés agricoles sont convertis en demi-serfs, privés même du droit élémentaire de libre déplacement. La paysannerie laborieuse est privée de la possibilité de vendre sur le marché les produits de son exploitation.
Et en Pologne ?
Le paysan polonais, écrit le journal polonais Czas, use de procédés et de moyens employés, peut-être, seulement à l’époque du Moyen âge : il fait couver le feu dans son poêle et le prête à son voisin, il divise les allumettes en plusieurs fragments, il prête sa vieille eau de savon, il fait bouillir des tonneaux à harengs pour obtenir de l’eau salée. Ce n’est pas là une fable, mais la situation réelle de la campagne, et chacun peut s’en convaincre.
Or, ce ne sont pas les communistes qui écrivent ces choses, mais un journal réactionnaire polonais ! Encore n’est-ce pas tout, loin de là.
Chaque jour, dans les camps de concentration de l’Allemagne fasciste, dans les sous-sols de la Gestapo, dans les cachots polonais, dans les Sûretés générales bulgare et finlandaise, dans la Glavniatch de Belgrade, dans la Sigouranza roumaine, dans les îles d’Italie, on fait subir aux meilleurs fils de la classe ouvrière, aux paysans révolutionnaires, aux champions d’un radieux avenir de l’humanité, des violences et des brimades si répugnantes qu’elles font pâlir les agissements les plus infâmes de l’Okhrana tsariste. Le fascisme scélérat d’Allemagne transforme en une bouillie sanglante le corps des maris en présence de leurs femmes ; aux mères, il envoie par colis postal les cendres de leurs fils assassinés. La stérilisation est transformée en un instrument de lutte politique. Dans les salles de tortures, on injecte de force, aux antifascistes prisonniers, des substances toxiques, on leur brise les mains, on leur crève les yeux, on les suspend, on les gorge d’eau, on leur découpe le signe fasciste dans la chair.
J’ai sous les yeux le relevé statistique du S.R.I. — Secours rouge international, — concernant les hommes assassinés, blessés, arrêtés, estropiés et torturés en Allemagne, Pologne, Italie, Autriche, Bulgarie, Yougoslavie. Dans la seule Allemagne, depuis l’accession des nationaux-socialistes au pouvoir, il a été tué plus de 4.200 personnes, on en a arrêté 317.800, blessé et soumis à de pénibles tortures 218.600 : ouvriers, paysans, employés, intellectuels, antifascistes, communistes, social-démocrates, membres des organisations chrétiennes de l’opposition. En Autriche, le gouvernement fasciste « chrétien », depuis les combats de février de l’année dernière, a assassiné 1.900 ouvriers révolutionnaires, en a blessé et mutilé 10.000, arrêté 40.000. Et ce relevé est loin d’être complet !
Il m’est difficile de trouver les mots capables d’exprimer toute l’indignation qui s’empare de nous à l’idée des tourments que les travailleurs subissent aujourd’hui dans les pays fascistes. Les chiffres et les faits que nous citons, ne reflètent même pas la centième partie du tableau véritable de l’exploitation et des tortures de la terreur blanche, dont est pleine la vie quotidienne de la classe ouvrière dans les différents pays capitalistes. Il n’est point de livres, si nombreux soient-ils, qui puissent donner une idée claire des férocités innombrables exercées par le fascisme sur les travailleurs.
C’est avec une émotion profonde et un sentiment de haine à l’égard des bourreaux fascistes que nous inclinons les drapeaux de l’Internationale communiste devant la mémoire inoubliable de John Scheer, Fiete Schultz, Luttgens en Allemagne ; Koloman Wallisch et Munchreiter en Autriche ; Challay et Furst en Hongrie ; Kofardjiev, Lutibradski et Voïkov en Bulgarie ; devant la mémoire des milliers et des milliers d’ouvriers, de paysans, de représentants des intellectuels avancés, communistes, social- démocrates et sans-parti, qui ont donné leur vie dans la lutte contre le fascisme. Nous saluons de cette tribune le chef du prolétariat allemand et président d’honneur de notre congrès, le camarade Thaelmann. Nous saluons les camarades Rakosi, Gramsci, Antikaïnen, Ionko, Panov. Nous saluons le leader des socialistes espagnols Caballero, jeté en prison par les contre-révolutionnaires, Thomas Mooney qui, depuis dix-huit ans déjà, languit en prison, et les milliers d’autres prisonniers du Capital et du fascisme et nous leur disons : « Frères de lutte, frères d’armes, vous n’êtes pas oubliés. Nous sommes avec vous. Chaque heure de notre vie, chaque goutte de notre sang, nous les donnerons pour vous affranchir et affranchir tous les travailleurs du honteux régime fasciste. » Lénine nous avertissait déjà que la bourgeoisie réussirait peut-être à frapper d’une terreur féroce les travailleurs et à repousser pour un temps plus ou moins bref les forces croissantes de la révolution, mais que, de toute façon, elle ne réussirait pas à échapper à sa perte.
La vie, écrivait Lénine, l’emportera. La bourgeoisie a beau se démener, s’exaspérer à en perdre la raison, dépasser toutes les bornes, commettre sottise sur sottise, se venger d’avance des bolcheviks et s’efforcer de massacrer une fois de plus comme aux Indes, en Hongrie, en Allemagne et ailleurs des centaines, des milliers, des centaines de milliers de bolcheviks jeunes et vieux : elle fait en agissant ainsi ce qu’ont toujours fait les classes condamnées par l’histoire. Les communistes doivent savoir que l’avenir leur appartient, quoi qu’il arrive. C’est pourquoi nous pouvons et nous devons unir dans la grande lutte révolutionnaire l’ardeur la plus passionnée au sang-froid le plus grand et à l’estimation la plus froide des agitations forcenées de la bourgeoisie. (Lénine : la Maladie infantile du communisme, p. 66, Editions sociales, Paris, 1950.)
Oui, si nous-mêmes et le prolétariat du monde entier marchons d’un pas ferme dans la voie .que nous indiquent Lénine et Staline, la bourgeoisie périra quoi qu’elle fasse.
La victoire du fascisme est-elle inévitable ?
Pourquoi et de quelle façon le fascisme a-t-il pu vaincre ?
Le fascisme est le pire ennemi de la classe ouvrière et des travailleurs. Le fascisme est l’ennemi des neuf dixièmes du peuple allemand, des neuf dixièmes du peuple autrichien, des neuf dixièmes des autres peuples des pays fascistes. Comment, de quelle manière, ce pire ennemi a-t-il pu vaincre ?
Le fascisme a pu accéder au pouvoir avant tout parce que la classe ouvrière, par suite de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie que pratiquaient les chefs de la social-démocratie, s’est trouvée scindée, désarmée au point de vue politique et au point de vue de l’organisation, face à l’agression de la bourgeoisie. Quant aux Partis communistes, ils étaient insuffisamment forts pour soulever les masses, sans et contre la social-démocratie, et les conduire ainsi à la bataille décisive contre le fascisme.
En effet ! Que les millions d’ouvriers social-démocrates, qui, aujourd’hui, tout comme leurs frères communistes, éprouvent par eux-mêmes les horreurs de la barbarie fasciste, réfléchissent sérieusement : si, en 1918, au moment où éclata la révolution en Allemagne et en Autriche, le prolétariat autrichien et allemand n’avait pas suivi la direction social-démocrate d’Otto Bauer, de Friedrich Adler et de Renner en Autriche, d’Ebert et de Scheidemann en Allemagne, mais avait suivi la voie des bolcheviks russes, la voie de Lénine et de Staline, le fascisme n’existerait aujourd’hui ni en Autriche, ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Hongrie, ni en Pologne, ni dans les Balkans. Ce n’est pas la bourgeoisie, mais la classe ouvrière qui serait depuis longtemps déjà maîtresse de la situation en Europe.
Prenons, par exemple, la social-démocratie autrichienne. La révolution de 1918 l’avait portée à une hauteur considérable. Elle détenait le pouvoir. Elle occupait de fortes positions dans l’armée, dans l’appareil d’Etat. En s’appuyant sur ses positions, elle pouvait tuer dans l’œuf le fascisme naissant. Mais elle a livré sans résister les positions de la classe ouvrière l’une après l’autre. Elle a permis à la bourgeoisie de rendre son pouvoir plus fort, d’annuler la Constitution, d’épurer l’appareil d’Etat, l’armée et la police des militants social-démocrates, de retirer l’arsenal aux ouvriers. Elle a permis aux bandits fascistes d’assassiner impunément les ouvriers social-démocrates ; elle a accepté les conditions du pacte de Hüttenberg qui ouvrait la porte des entreprises aux éléments fascistes. En même temps, les chefs de la social-démocratie bourraient le crâne aux ouvriers, à l’aide du programme de Linz qui prévoyait le recours éventuel à la violence armée contre la bourgeoisie et l’instauration de la dictature du prolétariat, en les assurant que le Parti répondrait par l’appel à la grève générale et à la lutte armée si les classes dirigeantes usaient de violence à l’égard de la classe ouvrière. Comme si toute la politique de préparation de l’agression fasciste contre la classe ouvrière n’était pas une succession de violences exercées contre elle, sous le voile des formes constitutionnelles. Même à la veille des batailles de Février et pendant ces batailles, la direction de la social-démocratie autrichienne a laissé le Schutzbund, qui luttait héroïquement, isolé des grandes masses et elle a voué le prolétariat autrichien à la défaite.
La victoire du fascisme était-elle inévitable en Allemagne ? Non, la classe ouvrière allemande pouvait la conjurer.
Mais, pour cela, elle aurait dû parvenir à réaliser le front unique prolétarien antifasciste, elle aurait dû obliger les chefs de la social-démocratie à cesser leur campagne contre les communistes et à accepter les propositions répétées du Parti communiste sur l’unité d’action contre le fascisme.
Lors de l’offensive du fascisme et de la liquidation graduelle par la bourgeoisie des libertés démocratiques bourgeoises, elle n’aurait pas dû se contenter des résolutions verbales de la socialdémocratie, mais répondre par une véritable lutte de masse, qui eût entravé les plans fascistes de la bourgeoisie allemande.
Elle aurait dû empêcher l’interdiction, par le gouvernement Braun-Severing, de l’Association des combattants rouges, établir entre cette association et la Reichsbanner, qui comptait près d’un million de membres, une liaison de combat et obliger Braun et Severing à armer l’une et l’autre pour riposter aux bandes fascistes et les écraser. [Reichsbanner : organisation de masse social-démocrate à caractère semi-militaire (N.R.).]
Elle aurait dû contraindre les leaders social-démocrates placés à la tête du gouvernement prussien à prendre des mesures de défense contre le fascisme, à arrêter les chefs fascistes, à interdire leur presse, à confisquer leurs ressources matérielles et les ressources des capitalistes qui finançaient le mouvement fasciste, à dissoudre les organisations fascistes, à leur enlever leurs armes, etc.
Puis, elle aurait dû obtenir le rétablissement et l’extension de toutes les formes d’assistance sociale et l’établissement d’un moratoire et de secours de crise pour les paysans, en train de se ruiner sous l’effet des crises, en imposant les banques et les trusts, afin de s’assurer de cette façon le soutien de la paysannerie travailleuse. Cela n’a pas été fait par la faute de la social-démocratie d’Allemagne, et c’est pourquoi le fascisme a su vaincre.
La bourgeoisie et les nobles devaient-ils inévitablement triompher en Espagne, pays où se combinent si avantageusement les forces de l’insurrection prolétarienne et de la guerre paysanne ?
Les socialistes espagnols étaient au gouvernement dès les premiers jours de la révolution. Ont-ils établi une liaison de combat entre les organisations ouvrières de toutes les tendances politiques, y compris communistes et anarchistes, ont-ils soudé la classe ouvrière en une organisation syndicale unique ? Ont-ils exigé la confiscation de toutes les terres des propriétaires fonciers, de l’Eglise, des couvents au profit des paysans, pour gagner ces derniers à la révolution ? Ont-ils tenté de lutter pour le droit des Catalans et des Basques à disposer d’eux-mêmes, pour l’affranchissement du Maroc ? Ont-ils procédé dans l’armée à l’épuration des éléments monarchistes et fascistes, pour préparer son passage du côté des ouvriers et des paysans ? Ont-ils dissous la garde civile, exécrée du peuple et bourreau de tous les mouvements populaires ? Ont-ils frappé le parti fasciste de Gil Robles, ont-ils porté des coups à l’Eglise catholique pour abattre sa puissance ? Non, ils n’ont rien fait de tout cela. Ils ont repoussé les propositions répétées des communistes sur l’unité d’action contre l’offensive de la réaction bourgeoise- agrarienne et du fascisme. Ils ont voté des lois électorales qui ont permis à la réaction de conquérir la majorité des Cortès, des lois réprimant les mouvements populaires, des lois en vertu desquelles on juge actuellement les héroïques mineurs des Asturies. Ils ont fait fusiller par la garde civile les paysans en lutte pour la terre, etc.
C’est ainsi que la social-démocratie a frayé au fascisme la route du pouvoir et en Allemagne et en Autriche et en Espagne, en désorganisant et en divisant les rangs de la classe ouvrière.
Le fascisme a vaincu aussi parce que le prolétariat s’est trouvé coupé de ses alliés naturels. Le fascisme a vaincu parce qu’il a réussi à entraîner à sa suite les grandes masses de la paysannerie, du fait que la social-démocratie pratiquait au nom de la classe ouvrière une politique en réalité antipaysanne. Le paysan avait vu se succéder au pouvoir une série de gouvernements social-démocrates qui, à ses yeux, personnifiaient le pouvoir de la classe ouvrière, mais pas un d’entre eux n’avait résolu le problème de la misère paysanne, pas un d’entre eux n’avait donné la terre à la paysannerie ! La social-démocratie d’Allemagne n’avait pas touché aux propriétaires fonciers : elle entravait les grèves des ouvriers agricoles. Le résultat, c’est que ceux-ci, en Allemagne, bien avant l’accession de Hitler au pouvoir, abandonnèrent les syndicats réformistes et, dans la plupart des cas, passèrent aux Casques d’acier et aux nationaux-socialistes.
Le fascisme a vaincu encore parce qu’il a réussi à pénétrer dans les rangs de la jeunesse, du moment que la social-démocratie détournait la jeunesse ouvrière de la lutte de classe, que le prolétariat révolutionnaire n’avait pas déployé parmi les jeunes le travail éducatif nécessaire et n’avait pas réservé une attention suffisante à la lutte pour ses intérêts et ses aspirations spécifiques. Le fascisme a su saisir le besoin d’activité combative, particulièrement vif chez les jeunes et il a entraîné une partie considérable d’entre eux dans ses détachements de combat. La nouvelle génération de la jeunesse masculine et féminine n’a pas passé par les horreurs de la guerre. Elle sent peser sur ses épaules tout le fardeau de la crise économique, du chômage et de l’effondrement de la démocratie bourgeoise. Faute de perspectives d’avenir, des couches considérables de jeunes se sont avérées particulièrement sensibles à la démagogie fasciste, qui leur dessinait un avenir tentant lors de la victoire du fascisme.
Dans cet ordre d’idées, nous ne pouvons omettre une série de fautes commises par les Partis communistes, fautes qui ont freiné notre lutte contre le fascisme. Il y avait dans nos rangs une sous- estimation inadmissible du danger fasciste, sous-estimation qui, jusqu’à présent, n’est pas liquidée partout. Il y avait autrefois dans nos Partis des points de vue du genre de « l’Allemagne n’est pas l’Italie » ; autrement dit : le fascisme a pu vaincre en Italie, mais sa victoire est impossible en Allemagne. Ce pays étant un pays hautement développé sous le rapport de l’industrie, hautement cultivé, riche des traditions de quarante années de mouvement ouvrier, où le fascisme est impossible. Il y avait aussi des points de vue qui existent encore aujourd’hui, du genre de celui-ci : dans les pays de démocratie bourgeoise « classique », il n’y a pas de terrain pour le fascisme. Ces points de vue ont pu et peuvent contribuer à diminuer la vigilance à l’égard du danger fasciste et entraver la mobilisation du prolétariat dans la lutte contre le fascisme.
On peut citer également de nombreux cas où les communistes ont été pris au dépourvu par le coup d’Etat fasciste. Souvenez-vous de la Bulgarie, où la direction de notre Parti a pris une position « neutre » et, au fond, opportuniste à l’égard du coup d’Etat du 9 juin 1923 ; de la Pologne où, en mai 1926, la direction du Parti communiste, ayant apprécié d’une façon erronée les forces motrices de la révolution polonaise, n’a pas su distinguer le caractère fasciste du coup d’Etat de Pilsudski et s’est traînée à la queue des événements ; de la Finlande où notre Parti, se basant sur une idée fausse de la fascisation lente, graduelle, a laissé passer le coup d’Etat fasciste préparé par un groupe dirigeant de la bourgeoisie, coup d’Etat qui a pris le Parti et la classe ouvrière au dépourvu.
Alors le national-socialisme était déjà devenu en Allemagne un mouvement de masse menaçant, il y avait des camarades, pour qui le gouvernement de Brüning était déjà celui de la dictature fasciste, qui déclaraient avec morgue : « Si le « troisième Empire » de Hitler arrive un jour, ce ne sera qu’à un mètre et demi sous terre, avec, au-dessus de lui, le pouvoir ouvrier vainqueur. »
Les communistes d’Allemagne ont longtemps sous-estimé la blessure du sentiment national et l’indignation des masses contre Versailles ; ils prenaient une attitude dédaigneuse à l’égard des flottements de la paysannerie et de la petite bourgeoisie; ils tardaient à établir un programme d’émancipation sociale et nationale, et lorsqu’ils l’eurent formulé, ils n’ont pas su l’adapter aux besoins concrets et au niveau des masses : ils n’ont pas même su le populariser largement dans les masses.
Dans plusieurs pays, on substituait à la nécessité de déployer la lutte de masse contre le fascisme des raisonnements stériles sur le caractère du fascisme « en général » et une étroitesse sectaire en ce qui concernait la manière de poser et de résoudre les tâches politiques d’actualité du Parti.
Si nous parlons des causes de la victoire du fascisme, si nous signalons la responsabilité historique de la social-démocratie pour la défaite de la classe ouvrière, si nous notons aussi nos propres erreurs dans la lutte contre le fascisme, ce n’est pas simplement parce que nous voulons fouiller le passé. Nous ne sommes pas des historiens détachés de la vie, nous sommes des combattants de la classe ouvrière, tenus de répondre à la question qui tourmente des millions d’ouvriers : Peut-on, et par quel moyen, prévenir la victoire du fascisme ? Et nous répondons à ces millions d’ouvriers : Oui, il est possible de barrer la route au fascisme. C’est parfaitement possible. Cela dépend de nous-mêmes, des ouvriers, des paysans, de tous les travailleurs !
La possibilité de prévenir la victoire du fascisme dépend avant tout de l’activité combative de la classe ouvrière elle-même, de l’union de ses forces en une armée combative unique luttant contre l’offensive du Capital et du fascisme. Le prolétariat qui aurait réalisé son unité de combat, paralyserait l’action du fascisme sur la paysannerie, la petite-bourgeoisie des villes, la jeunesse et les intellectuels ; il saurait en neutraliser une partie et attirer l’autre à ses côtés.
Deuxièmement, cela dépend de l’existence d’un fort parti révolutionnaire, dirigeant de façon juste la lutte des travailleurs contre le fascisme. Un parti qui appelle systématiquement les ouvriers à reculer devant le fascisme et permet à la bourgeoisie fasciste de renforcer ses propositions, un tel parti mènera inévitablement les ouvriers à la défaite.
Troisièmement, cela dépend de la juste politique de la classe ouvrière à l’égard de la paysannerie et des masses petites-bourgeoises de la ville. Ces masses, il faut les prendre telles qu’elles sont, et non pas telles que nous voudrions les voir. C’est seulement dans le cours de la lutte qu’elles surmonteront leurs doutes et leurs hésitations ; c’est seulement si nous prenons une attitude de patience à l’égard de leurs inévitables hésitations et si le prolétariat leur accorde son appui politique qu’elles s’élèveront à un degré supérieur de conscience révolutionnaire et d’activité.
Quatrièmement, cela dépend de la vigilance et de l’action du prolétariat révolutionnaire au bon moment. Ne pas permettre au fascisme de nous prendre au dépourvu, ne pas lui abandonner l’initiative, lui porter des coups décisifs, alors qu’il n’a pas encore su rassembler ses forces, ne pas lui permettre de se consolider, lui riposter à chaque pas là où il se manifeste, ne pas lui permettre de conquérir des positions nouvelles, comme tente de le faire avec succès le prolétariat français.
Voilà les principales conditions pour prévenir le progrès du fascisme et son accession au pouvoir. Le fascisme est un pouvoir féroce mais précaire.
La dictature fasciste de la bourgeoisie, c’est un pouvoir féroce, mais précaire. Quelles sont les causes essentielles de la précarité de la dictature fasciste ?
Le fascisme qui s’apprêtait à surmonter les divergences et les contradictions du camp de la bourgeoisie, aggrave encore davantage ces contradictions. Le fascisme s’efforce d’établir son monopole politique en détruisant par la violence les autres partis politiques. Mais la présence du système capitaliste, l’existence des classes différentes et l’aggravation des contradictions de classe amènent inévitablement le monopole politique du fascisme à s’ébranler et à éclater. Ce n’est pas là le pays soviétique, où la dictature du prolétariat se réalise également à l’aide d’un parti sans concurrent, mais où ce monopole politique répond aux intérêts des millions de travailleurs et s’appuie de plus en plus sur l’édification d’une société sans classes.
Dans un pays fasciste, le parti des fascistes ne peut conserver longtemps son monopole, parce qu’il n’est pas en mesure de s’assigner pour tâche l’abolition des classes et des antagonismes de classe. Il anéantit l’existence légale des partis bourgeois, mais une série d’entre eux continuent à exister illégalement : quant au Parti communiste, même dans les conditions de l’illégalité, il va de l’avant, il se trempe et guide la lutte du prolétariat contre la dictature fasciste. De cette façon, le monopole politique du fascisme doit éclater sous les coups des antagonismes de classe.
Une autre cause de la précarité de la dictature fasciste consiste en ceci que le contraste entre la démagogie anticapitaliste du fascisme et la politique d’enrichissement de la bourgeoisie monopoliste par la pire des spoliations, permet de divulguer plus facilement la nature de classe du fascisme et conduit à l’ébranlement et au rétrécissement de sa base de masse.
En outre, la victoire du fascisme provoque la haine profonde et l’indignation des masses, contribue au développement de l’esprit révolutionnaire dans leur sein et donne une puissante impulsion au front unique du prolétariat contre le fascisme.
En faisant une politique de nationalisme économique (autarcie) et en accaparant la plus grande partie du revenu national pour préparer la guerre, le fascisme mine toute l’économie du pays et aggrave la guerre économique entre les Etats capitalistes. Il confère aux conflits qui éclatent au sein de la bourgeoisie le caractère de collisions violentes et fréquemment sanglantes, ce qui sape la stabilité du pouvoir d’Etat fasciste aux yeux du peuple. Un pouvoir qui assassine ses propres partisans, comme on l’a vu le 30 juin de l’année dernière en Allemagne, un pouvoir fasciste contre lequel une autre partie de la bourgeoisie fasciste lutte les armes à la main (putsch national-socialiste en Autriche, interventions violentes de divers groupes fascistes contre le gouvernement fasciste en Pologne, en Bulgarie, en Finlande et dans d’autres pays), un tel pouvoir ne peut garder longtemps son autorité aux yeux des grandes masses petites-bourgeoises.
La classe ouvrière doit savoir utiliser les contradictions et les conflits dans le camp de la bourgeoisie, mais elle ne doit pas nourrir l’illusion que le fascisme s’épuisera de lui-même. Le fascisme ne s’écroulera pas automatiquement. Seule, l’activité révolutionnaire de la classe ouvrière aidera à utiliser les conflits qui surgissent inévitablement dans le camp de la bourgeoisie, pour miner la dictature fasciste et la renverser.
En liquidant les restes de démocratie bourgeoise, en érigeant la violence déclarée en un système de gouvernement, le fascisme sape les illusions démocratiques et le prestige de la légalité aux yeux des masses travailleuses. Et cela à plus forte raison dans les pays où, comme par exemple en Autriche et en Espagne, les ouvriers ont lutté les armes à la main contre le fascisme. En Autriche, la lutte héroïque du Schutzbund et des communistes, en dépit de la défaite, a ébranlé dès le début la solidité de la dictature fasciste. En Espagne, la bourgeoisie n’a pas réussi à passer aux travailleurs la muselière fasciste. Les combats armés d’Autriche et d’Espagne ont eu pour résultat que des masses de plus en plus grandes de la classe ouvrière prennent conscience de la nécessité d’une lutte de classe révolutionnaire.
Seuls les philistins monstrueux, des laquais de la bourgeoisie comme le plus ancien théoricien de la IIe Internationale, Karl Kautsky, peuvent reprocher aux ouvriers d’avoir pris, voyez-vous, les armes en Autriche et en Espagne. Quel aspect aurait aujourd’hui le mouvement ouvrier d’Autriche et d’Espagne, si la classe ouvrière de ces pays s’était inspirée des conseils de trahison des Kautsky ? La classe ouvrière éprouverait dans ses rangs une profonde démoralisation.
L’école de la guerre civile, dit Lénine, n’est pas vaine pour les peuples. C’est une dure école et son cours complet renferme inévitablement des victoires de la contre-révolution, le déchaînement des réactionnaires en furie, la répression sauvage du pouvoir ancien contre les insurgés, etc. Mais seuls les pédants invétérés et les esprits momifiés peuvent se lamenter à propos de l’entrée des peuples dans cette pénible école : cette école enseigne aux classes opprimées la conduite de la guerre civile, elle leur enseigne la révolution victorieuse, elle concentre dans la masse des esclaves modernes cette haine que les esclaves abêtis, abrutis, ignorants, recèlent en eux éternellement, et qui aboutit aux admirables prouesses historiques des esclaves parvenus à la conscience de l’opprobre de leur esclavage. (Lénine : « Les matières inflammables de la politique mondiale ». Œuvres complètes, 4ème éd. russe, t. XV, p. 160.)
La victoire du fascisme en Allemagne, on le sait, a entraîné une nouvelle vague de l’offensive fasciste qui a abouti en Autriche à la provocation de Dollfuss, en Espagne à de nouvelles offensives de la contre-révolution visant les conquêtes révolutionnaires des masses, en Pologne à la réforme fasciste de la Constitution, et, en France, a stimulé les détachements armés des fascistes à faire une tentative de coup d’Etat en février 1934. Mais cette victoire et la frénésie de la dictature fasciste ont provoqué le réflexe du front unique prolétarien contre le fascisme à l’échelle internationale. L’incendie du Reichstag, qui fut le signal de l’offensive générale du fascisme contre la classe ouvrière, la mainmise sur les syndicats et les autres organisations ouvrières, et le pillage de ces organisations, les gémissements des antifascistes tourmentés sans répit qui sortent des sous-sols des casernes et des camps de concentration fascistes, montrent aux masses avec la force de l’évidence à quoi a abouti le rôle scissionniste réactionnaire des chefs de la social-démocratie allemande, qui avaient repoussé les propositions communistes de lutte en commun contre le fascisme agressif, et convainquent de la nécessité d’unir toutes les forces de la classe ouvrière pour renverser le fascisme.
La victoire de Hitler a donné aussi une impulsion décisive à la réalisation du front unique de la classe ouvrière contre le fascisme en France. La victoire de Hitler n’a pas seulement éveillé chez les ouvriers la peur de partager le sort des ouvriers allemands; elle n’a pas seulement attisé en eux la haine des bourreaux de leurs frères de classe allemands, mais elle a encore affermi en eux la résolution de ne permettre en aucun cas dans leur pays ce qui est arrivé à la classe ouvrière d’Allemagne.
L’aspiration puissante au front unique dans tous les pays capitalistes montre que les leçons de la défaite ne sont pas perdues. La classe ouvrière commence à agir d’une façon nouvelle. L’initiative du Parti communiste pour organiser le front unique et l’abnégation sans réserve des communistes, des ouvriers révolutionnaires dans la lutte contre le fascisme ont eu pour conséquence de porter à un degré sans précédent l’autorité de l’Internationale communiste. Dans le même temps, se développe la crise profonde de la IIe Internationale, qui s’est manifestée et accentuée avec un éclat particulier depuis la banqueroute de la social-démocratie allemande.
Les ouvriers social-démocrates peuvent se convaincre avec de plus en plus d’évidence que l’Allemagne fasciste, avec toutes ses horreurs et sa barbarie, c’est, en fin de compte, le résultat de la politique social-démocrate de collaboration de classe avec la bourgeoisie. Ces masses se rendent compte de plus en plus nettement que la voie où les chefs de la social-démocratie allemande ont mené le prolétariat, ne doit pas être reprise. Jamais encore il n’y a eu dans le camp de la IIe Internationale un aussi grand désarroi idéologique qu’à l’heure actuelle. La différenciation s’opère à l’intérieur de tous les Partis social-démocrates.
Dans leurs rangs se forment deux camps principaux ; à côté du camp des éléments réactionnaires, qui s’efforcent par tous les moyens de maintenir le bloc de la social-démocratie avec la bourgeoisie et repoussent avec rage le front unique avec les communistes, commence à se former un camp d’éléments révolutionnaires, doutant de la justesse de la politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie, partisan de la réalisation du front unique avec les communistes et commençant, dans une mesure de plus en plus grande, à passer sur les positions de la lutte de classe révolutionnaire.
Ainsi, le fascisme qui est apparu comme le fruit de la décadence du système capitaliste agit en dernière analyse comme un facteur de décomposition ultérieure de ce système. Ainsi, le fascisme qui s’est chargé d’enterrer le marxisme, le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, conduit lui-même, en conséquence de la dialectique de la vie et de la lutte de classe, au développement ultérieur des forces qui doivent creuser sa fosse, la fosse du capitalisme.