Deux tactiques de la sociale-démocratie dans la Révolution démocratique
Lénine
12. La révolution démocratique perdra-t-elle de son envergure si la bourgeoisie s’en détourne ?
Les lignes qui précèdent étaient déjà écrites, quand nous avons reçu les résolutions de la conférence des néo-iskristes du Caucase, publiées par l’Iskra. Pour la bonne bouche nous n’aurions pu imaginer une meilleure documentation.
La rédaction de l’Iskra fait remarquer judicieusement :
« Sur la question fondamentale de tactique, la conférence du Caucase a pris une décision analogue [en effet !] à celle de la conférence de Russie. » (c’est à dire néo-iskriste)…
« La question concernant l’attitude de la social démocratie envers le gouvernement révolutionnaire provisoire, a été résolue par les camarades du Caucase dans le sens d’un désaveu complet de la nouvelle méthode prônée par le groupe Vpériod et par les délégués du soi disant congrès, qui y ont adhéré. »
« Il faut reconnaître comme très heureuse la formule que la conférence a donnée de la tactique du parti prolétarien dans la révolution bourgeoise. »
Ce qui est vrai, est vrai. Nul n’aurait pu formuler de façon plus « heureuse » l’erreur capitale des néo-iskristes. Nous reproduisons cette formule en entier, en mettant entre parenthèses d’abord les fleurs, et puis les fruits présentés à la fin.
Résolution de la conférence des néo-iskristes du Caucase sur le gouvernement provisoire :
« Estimant que notre tâche est d’utiliser là période révolutionnaire pour approfondir [évidemment ! On ferait bien d’ajouter approfondir à la manière de Martynov !] la conscience social-démocrate du prolétariat [seulement pour approfondir la conscience, et non pour conquérir la République ? Quelle compréhension « profonde » de la Révolution !] la Conférence, désireuse de garantir au Parti toute liberté de critiquer le régime politique bourgeois en voie de formation [il ne nous appartient pas de garantir la République ! Il nous appartient seulement de garantir la liberté de critique. Les idées anarchistes entraînent un langage anarchiste : le régime « politique bourgeois » !], se prononce contre la formation d’un gouvernement provisoire social-démocrate et contre la participation à ce gouvernement [rappelez vous la résolution bakouniste que cite Engels, adoptée dix mois avant la révolution espagnole : voir le n°3 du Prolétari] ; elle estime que le plus rationnel est d’exercer une pression du dehors [par en bas, et non par en haut] sur le gouvernement provisoire bourgeois afin de démocratiser autant que possible [?!]le régime politique. La Conférence estime que la formation par les social-démocrates d’un gouvernement provisoire ou leur entrée dans ce gouvernement conduirait, d’une part, à détacher du Parti social-démocrate les grandes masses prolétariennes qu’il aurait déçues, car la social démocratie, malgré la prise du pouvoir, ne serait pas en mesure de satisfaire les besoins vitaux de la classe ouvrière aussi longtemps que le socialisme ne serait pas institué [la République n’est pas un besoin vital ! Dans leur candeur, les auteurs ne remarquent pas qu’ils emploient un langage purement anarchiste, comme s’ils niaient la nécessité de prendre part aux révolutions bourgeoises !] ; d’un autre côté elle obligerait les classes bourgeoises à se détourner de la révolution, dont elle amoindrirait ainsi l’envergure. »
C’est là que gît le lièvre. Là, les idées anarchistes se mêlent (comme c’est toujours le cas chez les bernsteiniens d’Occident) au plus pur opportunisme. Pensez donc : ne pas entrer au gouvernement provisoire parce que cela obligerait la bourgeoisie à se détourner de la révolution, dont l’envergure serait ainsi amoindrie ! Mais ne sommes nous pas en présence, ici, de toute la philosophie néo-iskriste, sous son aspect pur et logique : la révolution étant bourgeoise, nous devons nous incliner devant la platitude bourgeoise et lui céder le pas. Si nous nous laissons guider ne serait ce que partiellement, ne serait-ce qu’une minute, par cette idée que notre participation peut amener la bourgeoisie à se détourner de la révolution, ne cédons-nous pas ainsi, entièrement la primauté dans la révolution aux classes bourgeoises ? Nous livrons complètement par là le prolétariat à la tutelle de la bourgeoisie (en réservant toute notre « liberté de critique » !!), en obligeant le prolétariat à la douceur et à la modération, afin que la bourgeoisie ne se détourne pas. Nous rognerons les besoins les plus vitaux du prolétariat, précisément ses besoins politiques, que n’ont jamais bien compris les économistes et leurs épigones; nous les rognerons pour que la bourgeoisie ne se détourne pas. Nous passons entièrement du terrain de la lutte révolutionnaire pour l’application du démocratisme dans les limites nécessaires au prolétariat, sur le terrain de marchandages avec la bourgeoisie; nous trahissons nos principes, nous trahissons la révolution pour acheter à la bourgeoisie son libre consentement (« afin qu’elle ne se détourne pas »).
En deux petites lignes, les néo-iskristes du Caucase ont su exprimer toute l’essence de leur tactique de trahison de la révolution, de transformation du prolétariat en un misérable appendice des classes bourgeoises. La tendance que nous avons tirée plus haut des erreurs de la nouvelle Iskra, s’érige maintenant devant nous en un principe clair et déterminé : à la remorque de la bourgeoisie monarchiste ! La proclamation de la République devant amener (et amenant déjà, exemple : M. Strouvé) la bourgeoisie à se détourner, donc, à bas la lutte pour la République. Toute revendication démocratique du prolétariat soutenue énergiquement et jusqu’au bout, devant toujours et partout dans le monde amener la bourgeoisie à se détourner, donc cachez vous dans vos trous, camarades ouvriers, n’agissez que du dehors, ne songez pas à utiliser pour la révolution les instruments et les procédés du régime « politique bourgeois », et conservez votre « liberté de critique ».
L’erreur fondamentale dans la façon même de comprendre le terme de « révolution bourgeoise » s’est fait jour ici. La « façon » ces termes sont compris par Martynov et la nouvelle Iskra aboutit tout droit à livrer la cause du prolétariat entre les mains de la bourgeoisie.
Quiconque a oublié l’ancien économisme, ne l’étudie pas ou ne s’en souvient pas, a de la peine à saisir ce qui en survit aujourd’hui. Rappelez vous le Credo [2] bersteinien. Des vues et des programmes « purement prolétariens », les gens déduisaient ceci : à nous, social-démocrates, l’économique, la véritable action ouvrière, la liberté de critiquer toute politicailerie, le véritable approfondissement du travail social-démocrate. Aux libéraux, la politique. Dieu nous garde de tomber dans le « révolutionisme » : cela obligerait la bourgeoisie à se détourner. Quiconque relira en entier le Credo ou le supplément au n°9 de la Rabotchaïa Mysl (septembre 1899), pourra suivre tout le cours de ce raisonnement.
Aujourd’hui, même raisonnement, mais sur une plus large échelle, et appliqué cette fois à l’appréciation de la « grande » révolution russe, hélas ! avilie et réduite par avance à l’état de caricature par les théoriciens du philistinisme orthodoxe ! A nous, social-démocrates, la liberté de critiquer, l’approfondissement de la conscience, l’action du dehors, A elles, aux classes bourgeoises, la liberté d’action, le champ libre pour la direction révolutionnaire (lisez libérale) des événements, la liberté d’appliquer des « réformes » par en haut.
Ces vulgarisateurs du marxisme n’ont jamais ni édité les paroles de Marx sur la nécessité de remplacer l’arme de la critique par la critique des armes. Invoquant en vain le nom de Marx, ils rédigent en fait des résolutions tactiques absolument dans l’esprit des bavards bourgeois de Francfort, qui critiquaient librement l’absolutisme, approfondissaient la conscience démocratique, sans comprendre que le temps de la révolution est celui de l’action, de l’action qui se fait à la fois d’en haut et d’en bas. Réduisant le marxisme à une casuistique, ils ont fait de l’idéologie de la classe révolutionnaire d’avant garde la plus décidée et la plus énergique, l’idéologie de ses éléments les moins évolués, qui esquivent les tâches démocratiques révolutionnaires difficiles et les réservent à messieurs les Strouvé.
Si par suite de l’entrée de la social démocratie au gouvernement révolutionnaire, les classes bourgeoises se détournent de la révolution, elles en « amoindriront l’envergure ».
Vous entendez, ouvriers russes ? L’envergure de la révolution sera plus grande, si elle est faite – à moins que les social-démocrates ne les en détournent par messieurs les Strouvé, qui veulent transiger avec le tsarisme, et non le vaincre. L’envergure de la révolution sera plus grande si, des deux dénouements possibles de cette révolution, envisagés plus haut, c’est le premier qui se réalise, c’est à dire si la bourgeoisie monarchiste arrive à s’entendre avec l’autocratie sur une « constitution » à la Chipov.
Les social-démocrates qui écrivent des choses aussi déshonorantes dans des résolutions destinées à diriger l’ensemble du Parti ou qui approuvent ces « heureuses » résolutions, sont aveuglés par une casuistique qui a vidé le marxisme de tout ce qu’il a de vivant, au point qu’ils ne remarquent pas comment ces résolutions transforment en phraséologie tout ce qu’ils disent de juste ailleurs. Prenez n’importe quel article de l’Iskra, prenez même la fameuse brochure de notre célèbre Martynov, vous entendrez parler de l’insurrection populaire, de la nécessité de mener la révolution jusqu’au bout, de la tendance à s’appuyer sur les couches profondes du peuple dans la lutte contre la bourgeoisie inconséquente. Mais toutes ces bonnes choses se changent en une pitoyable phraséologie, dès l’instant que vous acceptez ou approuvez l’idée d’un « amoindrissement » de « l’envergure de la révolution » si la bourgeoisie s’en désintéresse. De deux choses l’une, messieurs : ou nous devons nous efforcer de faire la révolution avec le peuple et de remporter une victoire complète sur le tsarisme, malgré la bourgeoisie inconséquente, intéressée et poltronne; ou nous n’admettons pas. ce « malgré », nous craignons que la bourgeoisie « ne se détourne », et dès lors nous livrons le prolétariat et le peuple à la bourgeoisie, à une bourgeoisie inconséquente, intéressée et poltronne.
N’allez pas interpréter mes paroles à votre manière. Ne criez pas qu‘on vous accuse de trahir consciemment. Non, vous avez toujours glissé vers le bourbier, et vous voilà maintenant enlisés avec la même inconscience que les économistes d’autrefois, entraînés irrésistiblement et sans retour sur la pente de l’« approfondissement » du marxisme, jusqu’à en faire un « ergotage » anti-révolutionnaire sans âme et sans vie.
De quelles forces sociales réelles dépend « l’envergure de la révolution» ? Y avez vous réfléchi, messieurs ? Laissons de côté le forces de la politique extérieure et des combinaisons internationales, qui ont pris maintenant une tournure très avantageuse pour nous, mais que nous retranchons toutes de notre examen, avec juste raison puisque nous nous occupons des forces intérieures de la Russie. Examinez ces forces sociales intérieures. Contre la révolution se dressent l’autocratie, la cour, la police, le corps de fonctionnaires, l’armée, une poignée d’aristocrates. Plus l’indignation est profonde dans le peuple, et moins l’armée est sûre, plus l’hésitation grandit chez les fonctionnaires. Poursuivons. La bourgeoisie est maintenant, dans son ensemble, pour la révolution : elle prodigue des discours sur la liberté, parle de plus en plus souvent au nom du peuple et même au nom de la révolution((La lettre ouverte de M. Strouvé à Jaurès, récemment publiée par dernier dans l’Humanité et par M. Strouvé dans le n° 72 de l’Osvobojdénié est intéressante à cet égard.)). Mais nous, marxistes, nous savons tous par la théorie et observons chaque jour et à toute heure, par l’exemple de nos libéraux, de nos zemtsy et des gens de l’Osvobojdénié, que la bourgeoisie s’affirme pour la révolution d’une façon inconséquente, cupide et poltronne. La masse de la bourgeoisie se rangera inévitablement aux côtés de la réaction, de l’autocratie, contre la révolution, contre le peuple dès que seront satisfaits ses intérêts mesquins et égoïstes, dès qu’elle « se sera détournée » du démocratisme conséquent (et elle s’en détourne dès aujourd’hui !). Reste le « peuple », c’est à dire le prolétariat et la paysannerie : seul le prolétariat est capable d’aller avec fermeté jusqu’au bout, car il va bien au delà de la révolution démocratique. C’est pourquoi le prolétariat est au premier rang dans la lutte pour la République, repoussant avec mépris le conseil stupide, indigne de lui, de compter avec la défection possible de la bourgeoisie. La paysannerie renferme une masse d’éléments semi prolétariens à côté de ses éléments petits-bourgeois. Ceci la rend instable, elle aussi, et oblige le prolétariat à se grouper en un parti de classe strictement défini. Mais l’instabilité de la paysannerie diffère radicalement de l’instabilité de la bourgeoisie, car, à l’heure actuelle, la paysannerie est moins intéressée à la conservation absolue de la propriété privée qu’à la confiscation des terres seigneuriales, une des formes principales de cette propriété. Sans devenir pour cela socialiste, sans cesser d’être petite bourgeoise, la paysannerie est capable de devenir un partisan décidé, et des plus radicaux, de la révolution démocratique. Elle le deviendra inévitablement si seulement le cours des événements révolutionnaires qui font son éducation, n’est pas interrompu trop tôt par la trahison de la bourgeoisie et la défaite du prolétariat. A cette condition, la paysannerie deviendra inévitablement le rempart de la révolution et de la République, car seule une révolution entièrement victorieuse pourra tout lui donner dans le domaine des réformes agraires, tout ce que la paysannerie désire, ce à quoi elle rêve, ce qui lui est vraiment nécessaire (non pour la suppression du capitalisme, comme se le figurent les « socialistes révolutionnaires », mais) pour sortir de l’abjection du demi servage, des ténèbres de l’abrutissement et de la servitude, pour améliorer ses conditions d’existence autant que faire se peut dans le cadre de l’économie marchande.
Ce n’est pas tout. Ce qui attache la paysannerie à la révolution, ce ne sont pas seulement les transformations agraires radicales, mais encore tous ses intérêts généraux et constants. Même dans la lutte contre le prolétariat, la paysannerie a besoin de la démocratie, car seul le régime démocratique peut traduire exactement ses intérêts et lui donner la prépondérance, à elle qui est la masse, qui est la majorité. Plus la paysannerie sera instruite (et depuis la guerre avec le Japon elle s’instruit avec une rapidité que beaucoup ne soupçonnent pas, habitués qu’ils sont à mesurer l’instruction à la toise scolaire), plus elle sera conséquente et décidée en s’affirmant pour une révolution démocratique intégrale, parce que la souveraineté du peuple ne constitue pas pour elle, comme pour la bourgeoisie, une menace mais, au contraire, un avantage. La République, démocratique deviendra son idéal dès qu’elle commencera à se libérer de son monarchisme naïf; car le monarchisme conscient de la bourgeoisie maquignonne (avec sa Chambre haute, etc.) c’est, pour la paysannerie, la même servitude, la même oppression et la même ignorance à peine teintées d’un vernis constitutionnel à l’européenne.
Voilà pourquoi la bourgeoisie, comme classe, se réfugie naturellement et immanquablement sous l’aile du parti monarchiste libéral, tandis que la paysannerie, comme masse, se met sous la direction du parti révolutionnaire et républicain. Voilà pourquoi la bourgeoisie est incapable de mener la révolution démocratique jusqu’au bout, alors que la paysannerie en est capable. Et nous devons l’y aider de toutes nos forces.
On m’objectera : cela n’est pas à démontrer, c’est l’a b c que tous les social-démocrates comprennent parfaitement. Non, ceux-là ne le comprennent pas qui peuvent parler d’« amoindrissement de l’envergure » de la révolution, si la bourgeoisie s’en retire. Ces gens-là répètent des phrases apprises de notre programme agraire, mais sans en comprendre le sens; car autrement ils ne redouteraient pas l’idée de dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, qui découle nécessairement de toute la conception marxiste et de notre programme; autrement ils ne borneraient pas l’envergure de la grande révolution russe à l’envergure de la bourgeoisie. Les résolutions concrètes anti-marxistes et anti-révolutionnaires de ces gens éclipsent leurs phrases abstraites, empruntées au marxisme révolutionnaire.
Qui comprend véritablement le rôle de la paysannerie dans la révolution russe victorieuse, ne dira jamais que l’envergure de la révolution diminuera quand la bourgeoisie s’en sera détournée. Car le véritable essor de la révolution russe ne commencera vraiment, la révolution n’atteindra vraiment la plus grande envergure possible à l’époque de la révolution démocratique bourgeoise que lorsque la bourgeoisie s’en sera détournée et que la masse paysanne, marchant de conserve avec le prolétariat, assumera un rôle révolutionnaire actif. Pour être menée jusqu’au bout, d’une façon conséquente, notre révolution démocratique doit s’appuyer sur des forces capables de paralyser l’inconséquence inévitable de la bourgeoisie (c’est à dire capables justement de « l’obliger à se détourner » ce que craignent dans leur simplicité les partisans caucasiens de l’Iskra).
Le prolétariat doit faire jusqu’au bout la révolution démocratique, en s’adjoignant la masse paysanne, pour écraser par la force la résistance de l’autocratie et paralyser l’instabilité de la bourgeoisie. Le prolétariat doit faire la révolution socialiste en s’adjoignant la masse des éléments semi prolétariens de la population, pour briser par la force la résistance de la bourgeoisie et paralyser l’instabilité de la paysannerie et de la petite bourgeoisie. Telles sont les tâches du prolétariat, tâches que les gens de la nouvelle Iskra présentent d’une façon si étriquée dans tous leurs raisonnements et toutes leurs résolutions sur l’envergure de la révolution.
Gardons nous d’oublier une circonstance que l’on perd souvent de vue quand on traite de cette « envergure ». Gardons nous d’oublier qu’il est question ici, non pas des difficultés du problème, mais de la direction dans laquelle sa solution doit être cherchée et trouvée. Il ne s’agit pas de la question de savoir s’il est facile ou difficile de rendre puissante, invincible, l’envergure de la révolution, mais de la façon dont il faut s’y prendre pour augmenter cette envergure. Le désaccord porte précisément sur le caractère fondamental de l’activité, sur son orientation même. Nous soulignons ce fait, parce que les gens inattentifs et les gens de mauvaise foi confondent trop souvent deux questions différente : la question du chemin à prendre, c’est à dire du choix à faire entre deux chemins différents, et la question de la facilité ou de la proximité du but à atteindre par le chemin choisi.
Nous n’avons pas touché à cette dernière question dans notre exposé précédent, car elle n’a pas suscité de désaccords ni de divergences au sein du Parti. Mais il va de soi que cette question est d’elle-même extrêmement importante et mérite de retenir la plus grande attention de tous les social-démocrates. Ce serait faire preuve d’un optimisme impardonnable que d’oublier combien il est difficile d’entraîner au mouvement, non seulement les masses de la classe ouvrière, mais encore celles de la paysannerie. Ce sont ces difficultés qui ont fait échouer bien des fois les efforts pour mener jusqu’au bout la révolution démocratique; elles ont fait triompher principalement la bourgeoisie inconséquente et cupide, qui, elle, « en retirait un capital » la défense que la monarchie lui assurait contre le peuple, et « sauvegardait l’innocence » du libéralisme… qui est aujourd’hui celui de l’Osvobojdénié. Mais difficulté n’est pas impossibilité. Ce qui importe, c’est d’être sûr d’avoir pris le bon chemin. Cette certitude centuple l’énergie et l’enthousiasme révolutionnaires, qui peuvent faire des miracles.
La comparaison entre la résolution des néo-iskristes caucasiens et celle du III° congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie fait aussitôt ressortir la profondeur du désaccord qui existe entre les social-démocrates de nos jours sur la question du chemin à suivre. La résolution du congrès déclare : la bourgeoisie est inconséquente; elle ne manquera pas de chercher à nous arracher les conquêtes de la révolution. Aussi préparez vous énergiquement à la lute, camarades ouvriers; armez vous, gagnez à nous la paysanerie. Nous ne céderons pas sans combat nos conquêtes révolutionnaires à la bourgeoisie cupide. La résolution des néo-iskristes caucasiens dit : la bourgeoisie est inconséquente, elle peut se détourner de la révolution. Aussi, camarades ouvriers, ne songez pas, s’il vous plaît, à faire partie du gouvernement provisoire, alors la bourgeoisie se détournerait certainement de la révolution, dont l’envergure s’en trouverait amoindrie !
Les uns disent : faites avancer la révolution jusqu’au bout, malgré la résistance ou la passivité de la bourgeoisie inconséquente.
Les autres disent : ne pensez pas à mener vous-mêmes la révolution jusqu’au bout, car, alors la bourgeoisie inconséquente ne manquerait pas de s’en détourner.
Ne sommes nous pas en présence de deux chemins diamétralement opposés ? N’est il pas évident que l’une de ces deux tactiques exclut nécessairement l’autre ? Que la première est la seule tactique juste de la social démocratie révolutionnaire, la seconde n’étant au fond qu’une tactique dans le pur esprit l’Osvobojdénié ?