Le développement du capitalisme en Russie
Lénine
Chapitre II : LA DÉCOMPOSITION DE LA PAYSANNERIE
VII. LA STATISTIQUE. DES ZEMSTVOS POUR LA PROVINCE DE NIJNI-NOVGOROD
Les chiffres du recensement par foyer de la statistique des zemstvos ont été totalisés, pour trois districts de la province de Nijni-Novgorod (ceux de Kniaguinine, de Makariev et de Vassilsoursk), en un tableau récapitulatif divisant les exploitations paysannes (ce tableau ne porte que sur les exploitations possédant des lots concédés et ne s’occupe que des paysans qui habitent leur village) en 5 groupes d’après les bêtes de travail. (Matériaux pour l’évaluation des terres de la province de Nijni-Novgorod. Partie économique. Fasc. IV, IX et XII. Nijni-Novgorod, 1888, 1889, 1890).
Si on réunit ces trois districts, on obtient les données suivantes sur les groupes d’exploitations (dans les trois districts ces données portent sur 52 260 foyers, 294 798 individus des deux sexes, 433 593 déc. de terre communautaire, 51 960 déc. de terre achetée, 86 007 déc. de terre affermée (il s’agit là de tous les affermages, qu’ils portent sur les lots concédés ou non, sur des labours ou des prairies), et 19 274 déc. de terres données en location).
Nous voyons qu’ici encore il y a concentration de la terre achetée (les foyers aisés qui constituent 9,6% du total possèdent 46,2% des terres achetées, alors que les paysans pauvres qui représentent les 2/3 des foyers en possèdent moins d’un quart), de la terre affermée et des lots concédés mis en location par les pauvres entre les mains de la paysannerie aisée qui est pourtant mieux pourvue en lots (la part de terre concédée détenue par les groupes supérieurs est plus grande que la part de population qu’ils représentent ). De ce fait, la répartition réelle de la terre exploitée par la «paysannerie» est toute différente de la répartition de la terre communautaire. La superficie dont disposent en réalité les paysans qui n’ont pas de cheval est inférieure à celle du lot de terre communautaire garanti par la loi. Chez les paysans qui ont un ou deux chevaux, la propriété foncière ne dépasse que de 10 à 30% la superficie du lot (9,4 déciatines au lieu de 8,1; 13,8 au lieu de 10,5).
En revanche, les paysans aisés possèdent une superficie une fois et demie ou deux fois supérieure à celle du lot. Alors que si on considère la quantité de terre communautaire accordée à chacun des groupes, les différences sont infimes, elles sont énormes si on considère l’étendue réelle des exploitations agricoles. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à consulter les chiffres concernant le bétail, que nous avons cités et les chiffres relatifs à la surface ensemencée que nous donnons maintenant.
Si on considère les surfaces ensemencées, les différences entre les groupes sont encore plus marquées que si on considère la superficie réelle des terres qu’ils possèdent et des terres qu’ils exploitent, sans même parler des lots concédés((Si nous prenons l’indice 100 pour la quantité de terre communautaire détenue par foyer paysan sans cheval, l’étendue de cette terre détenue par les groupes supérieurs sera de: 159, 206, 259, 321. Pour la propriété foncière réelle de chacun des groupes, les chiffres seront les suivants: 100, 214, 314, 477, 786, et pour la surface ensemencée: 100, 231, 378. 568, 873.)). Cela nous montre une fois de plus à quel point la classification d’après la terre concédée est défectueuse. A l’heure actuelle, en effet, la «répartition égalitaire» de cette terre n’est plus qu’une fiction juridique. Les autres colonnes du tableau montrent de quelle manière se réalise dans la paysannerie «la combinaison de l’agriculture et des métiers auxiliaires»: la paysannerie aisée pratique une agriculture capitaliste et commerciale (fort pourcentage d’exploitations employant des ouvriers agricoles) et en même temps, elle possède des entreprises industrielles et commerciales. Les paysans pauvres au contraire vendent leur force de travail (gagne-pain hors du village) tout en continuant à ensemencer de très petites superficies: en d’autres termes, ils deviennent des ouvriers agricoles et des journaliers pourvus d’un lot de terre. Notons que si on n’observe pas une diminution normale du pourcentage des foyers ayant un gagne-pain hors du village, cela provient du fait que dans la province de Nijni-Novgorod ces «gagne-pain» et «métiers auxiliaires» sont d’une grande diversité: à côté des ouvriers agricoles, des manoeuvres, des ouvriers du bâtiment et des chantiers navals, etc., on classe en effet dans la catégorie des gens exerçant un métier auxiliaire un nombre relativement très important de koustaris, de propriétaires d’ateliers industriels, de marchands, de revendeurs, etc. On comprend donc qu’en confondant des types aussi différents, on fausse le chiffre des « foyers ayant un gagne-pain d’appoint »((Sur les «métiers auxiliaires» des paysans de la province de Nijni-Novgorod. v. M. Plotnikov: Les industries artisanales de la province de Nijni-Novgorod (Nijni-Novgorod 1894), les tableaux de la fin du livre, de même que les recueils de statistique des zemstvos, en particulier sur les districts de Gorbatov et de Sémionov. )).
Pour ce qui est des différences entre les exploitations agricoles des divers groupes de paysans, notons que dans la province de Nijni-Novgorod «le fumage … est une des conditions essentielles du rendement des labours» (p. 79 du Recueil sur le district de Kniaguinine). La récolte moyenne de seigle s’élève régulièrement à mesure qu’augmente le fumage de la terre: avec 300 à 500 charretées de fumier par 100 déciatines de terre communautaire elle est de 47,1 mesures par déciatine ; avec 1 500 charretées et plus. elle est de 62,7 mesures (ibid., p. 84). Il est donc évident que la différence entre les groupes doit être encore plus marquée en ce qui concerne l’importance de la production agricole, que la différence en ce qui concerne a surface ensemencée; il est également clair que les statisticiens de Nijni-Novgorod ont commis une grave erreur en étudiant le rendement en général sans faire de distinction entre le rendement obtenu par les paysans aisés et par les paysans pauvres.