Le développement du capitalisme en Russie
Lénine
Chapitre II : LA DÉCOMPOSITION DE LA PAYSANNERIE
XIII. CONCLUSIONS DU CHAPITRE II
Résumons les principales thèses qui découlent des données que nous venons d’analyser.
1° Le milieu économique et social dans lequel se trouve placée actuellement la paysannerie russe est l’économie marchande. Même dans la zone agricole centrale (qui, à cet égard, et par rapport aux régions périphériques du Sud-Est ou aux provinces industrielles est la plus retardataire), le paysan est entièrement subordonné au marché : il dépend du marché aussi bien pour sa consommation individuelle que pour son exploitation, sans même parler des impôts.
2° Si on examine les rapports économiques et sociaux existant dans la paysannerie (agricole et communautaire), on retrouve toutes les contradictions propres à toute économie marchande et à tout capitalisme: la concurrence, la lutte pour l’indépendance économique, l’accaparement de la terre (achetée ou affermée), la concentration de la production entre les mains d’une minorité, la prolétarisation de la majorité et son exploitation par la minorité qui dispose du capital commercial et qui emploie des ouvriers agricoles. Les phénomènes économiques existant au sein de la paysannerie présentent tous, sans aucune exception, la forme contradictoire qui est la caractéristique spécifique du régime capitaliste, c’est-à-dire qu’ils traduisent tous une lutte et une opposition d’intérêts, marquent tous un avantage pour les uns et un inconvénient pour les autres. Il en va de même pour l’affermage, les achats de terre et pour les «métiers auxiliaires» dans leurs types diamétralement opposés; il en va de même également pour le progrès technique de l’économie.
Nous attribuons une importance capitale à cette conclusion, non seulement pour le problème du capitalisme en Russie, mais également pour la question de savoir ce que vaut la doctrine populiste en général. Ces contradictions nous prouvent en effet sans aucune équivoque et de façon irréfutable que les rapports économiques existant dans la communauté rurale ne constituent nullement un système particulier («la production populaire», etc.), mais un banal régime petit-bourgeois. En dépit des théories qui ont dominé chez nous au cours de ce dernier demi-siècle, la paysannerie communautaire russe n’est pas l’antagoniste du capitalisme, elle en est, au contraire, la base la plus profonde et la plus solide. La plus profonde parce que c’est précisément à l’intérieur même de la «communauté», loin de toute influence «artificielle» et malgré des institutions qui entravent les progrès du capitalisme que nous assistons à la formation constante d’éléments capitalistes. La plus solide, parce que c’est sur l’agriculture en général et sur la paysannerie en particulier que pèsent le plus les traditions de l’ancien temps, les traditions du régime patriarcal et c’est donc là que l’action transformatrice du capitalisme (développement des forces productives, changement de tous les rapports sociaux, etc.) se manifeste avec le plus de lenteur et de a façon a plus graduelle((Cf. Das Kapital, I2, S. 527.)).
3° L’ensemble des contradictions économiques existant au sein de la paysannerie constitue ce que nous appelons la décomposition de la paysannerie. En employant le terme de « dépaysannisation »((Revue agricole de la province de Nijni-Novgorod 1892.)), les paysans donnent eux-mêmes une définition extrêmement juste et saisissante de ce processus qui tend à détruire radicalement l’ancienne paysannerie patriarcale et à créer de nouveaux types de population rurale.
Avant de donner les caractéristiques de ces types, nous devons noter une chose. Dans notre littérature, ce processus a été signalé depuis longtemps et à maintes reprises. C’est ainsi par exemple qu’en se basant sur les travaux de la commission Valouïev((La commission Valouïev, « Commission d’enquête sur la situation de l’agriculture en Russie» dirigée par le ministre du tsar Valouïev. En 1872-73, recueillit nue abondante documentation sur la situation de l’économie rurale de la Russie après l’abolition du servage. Cette documentation était constituée par des rapports de gouverneurs, des déclarations et témoignages de gros propriétaires fonciers, de maréchaux de la noblesse, de différents services des zemstvos et des administrations cantonales, de marchands de grain, de popes de villages, de koulaks, de sociétés agricoles et statistiques, et de diverses institutions liées à l’agriculture. Ces matériaux furent publiés dans un livre intitulé Rapports de la commission d’enquête sur la situation de l’agriculture en Russie, Pétersbourg. 1873. )) M. Vassiltchikov avait déjà constaté qu’en Russie on assistait à la formation d’un «prolétariat rural» et à la «dislocation» de la «classe paysanne». (La possession foncière et l’agriculture, 1er éd., t. I, chap. IX). V. Orlov (Recueil de renseignements stat. pour la province de Moscou, t. IV, fasc. I, p. 14) et beaucoup d’autres ont également attiré l’attention sur ce fait. Mais toutes ces indications sont demeurées tout à fait fragmentaires. On n’a jamais essayé d’étudier méthodiquement ce phénomène; c’est ce qui explique que malgré la profusion de matériaux que nous fournissent les recensements par foyer de la statistique des zemstvos, nous manquons toujours de renseignements sur ce point. C’est ce qui explique également que la majorité des auteurs qui ont abordé cette question, considèrent que la décomposition de la paysannerie n’est qu’une simple apparition d’inégalités entre les fortunes, une simple «différenciation», suivant l’expression favorite des populistes en général et de M. Karychev en particulier (v. son livre sur l’Affermage et ses articles du Rousskoïé Bogatstvo) . Il est certain qu’au départ de ce processus il y a apparition d’inégalités entre les patrimoines, mais on ne peut en aucun cas limiter le processus à cette «différenciation». L’ancienne paysannerie n’est pas seulement l’objet d’une «différenciation», elle se détruit complètement, elle cesse d’exister, elle est entièrement supplantée par des types de population rurale nouveaux, qui constituent la base d’une société où dominent l’économie marchande et la production capitaliste. Ces types, ce sont la bourgeoisie rurale ( la petite bourgeoisie surtout) et le prolétariat rural, la classe des producteurs de marchandises dans l’agriculture et la classe des salariés agricoles.
Il est au plus haut point instructif qu’une analyse purement théorique du processus de formation du capitalisme agraire montre que la décomposition des petits producteurs est un facteur important de ce processus. Nous faisons ici allusion à l’un des chapitres les plus intéressants du livre III du Capital, le chapitre 47 qui est consacré à «La genèse de la rente foncière capitaliste». Pour point de départ de cette genèse, Marx prend la rente-prestations de travail (Arbeitsrente)((Dans la traduction russe (pp. 651 et suivantes) ce terme figure sous le nom de «rente-travail». Nous estimons que notre traduction est plus exacte, car en russe le terme «otrabotki» (prestations de travail. — N. R.) signifie justement le travail du cultivateur pour le compte du propriétaire terrien.)), « où le producteur direct cultive, pendant une partie de la semaine, le sol qui lui appartient en fait avec des instruments (charrue, bétail, etc.) dont il est le propriétaire de fait ou de droit. Les autres jours il « travaille gratuitement sur les terres du propriétaire foncier » (Das Kapital, III, 2, 332.Trad. russe, p. 651). La seconde forme de rente est la rente en produits (Produktenrente) ou rente en nature: le producteur immédiat tire tout le produit de la terre qu’il exploite lui-même et remet au propriétaire tout le surproduit en nature. Cette forme de rente donne une plus grande autonomie au producteur qui a la possibilité d’acquérir par son travail un certain excédent en plus de la quantité de produits qui satisfait ses besoins fondamentaux. «De même, cette forme de rente, écrit Marx, entraînera des différences plus marquées dans la situation économique des différents producteurs directs. Du moins, cette possibilité existe-t-elle, y compris la possibilité pour le producteur, d’acquérir les moyens d’exploiter à son tour directement le travail d’autrui» (S. 329. Trad. russe, 657). On voit donc qu’alors même que domine l’économie naturelle, dès que s’élargit le champ d’action des paysans dépendants apparaissent les premiers germes de leur décomposition. Mais ces germes ne peuvent se développer qu’avec la forme suivante de rente, la rente-argent, qui n’est qu’une simple modification de a rente naturelle. Le producteur immédiat donne au propriétaire foncier non pas les produits, mais le prix de ces produits((Il faut établir une distinction rigoureuse entre la rente-argent et la rente foncière capitaliste: cette dernière implique l’existence de capitaliste, et d’ouvriers salariés dans l’agriculture, tandis que la première implique l’existence de paysans dépendants. La rente capitaliste est une partie de la plus-value, restant après déduction du profit de l’employeur; la rente-argent est le prix de tout le surproduit versé par le paysan au propriétaire. Un exemple de la rente-argent en Russie est l’obrok du paysan au propriétaire. Il est hors de doute que les impôts actuels de nos paysans contiennent eux aussi une certaine part de rente en argent. Parfois le fermage paysan se rapproche de la rente en argent, quand son taux élevé ne laisse au paysan qu’un maigre salaire.)). La base de cette forme de rente reste le même: le producteur immédiat demeure le possesseur traditionnel du sol, mais «la base de cette sorte de rente… tend à disparaître» (p. 330). La rente-argent «suppose un développement déjà plus important du commerce, de l’industrie urbaine, de la production marchande en général, partant de la circulation monétaire» (331)((K. Marx, le Capital, livre III, tome III, Editions Sociales, Paris, 1960, p. 177.)). Le rapport traditionnel, de droit coutumier, entre le paysan dépendant et le propriétaire terrien se transforme en un rapport purement monétaire, basé sur un contrat. Cela a conduit d’une part, à l’expropriation de l’ancienne paysannerie; de l’autre, au rachat par le paysan de sa terre et de sa liberté. «Dès avant que la rente en nature ne se transforme en rente-argent, ou parallèlement à cette transformation, se constitue forcément une classe de non-possédants, de journaliers qui se louent pour l’argent. Dans la période de formation de cette nouvelle classe lorsqu’elle n’existe encore qu’à l’état sporadique, les paysans aisés astreints au paiement d’une rente (rentepflichtigen)) ont pris l’habitude d’exploiter pour leur propre compte des salariés agricoles … Peu à peu augmentent leurs chances d’amasser une certaine fortune et de devenir eux-mêmes de futurs capitalistes. Parmi les anciens exploitants, possesseurs de la terre, se crée ainsi une pépinière de fermiers capitalistes; son développement est lié au développement général de la production capitaliste hors des campagnes». (Das Kapital, III, 2, 332. Trad. russe, pp. 659-660.)((K. Marx, le Capital, livre III, tome III, Editions Sociales, Paris, 1960. p. I79.))
4° La décomposition provoque un développement des groupes extrêmes, aux dépens de la «paysannerie» moyenne. Cela aboutit à la création de deux types nouveaux de population rurale dont l’indice commun est le caractère marchand, monétaire de l’exploitation. Le premier de ces types est la bourgeoisie rurale ou paysannerie aisée. Elle englobe les cultivateurs indépendants, qui pratiquent l’agriculture marchande sous toutes ses formes (les formes principales seront décrites au chapitre IV), puis les propriétaires d’établissements industriels et commerciaux, d’entreprises commerciales, etc. Cette paysannerie mène de front l’agriculture commerciale et des entreprises industrielles et commerciales et cette combinaison de «l’agriculture et des métiers auxiliaires» constitue son caractère spécifique. C’est cette paysannerie aisée qui engendre la classe des fermiers, car l’affermage des terres en vue de la vente du blé joue (dans la zone agricole) un rôle énorme dans leurs exploitations, souvent plus important que le lot de terre concédé. Dans la plupart des cas, l’étendue de l’exploitation dépasse la force de travail de la famille; aussi a formation d’un contingent d’ouvriers agricoles et plus encore de journaliers, est-elle la condition indispensable de l’existence de la paysannerie aisée((Notons que l’emploi du travail salarié n’est pas un indice obligatoire du concept de petite bourgeoisie. Toute production indépendante destinée au marché rentre dans cette notion, dès lors qu’existent, dans la structure sociale de l’économie, les contradictions décrites plus haut (point 2), en particulier quand la masse des producteurs se transforme en ouvriers salariés .)). Les paysans investissent l’argent disponible qu’ils reçoivent sous forme de revenu net dans des opérations commerciales et usuraires (on sait quelle extension démesurée elles ont pris dans nos campagnes) ou s’en servent, quand les conditions sont favorables, pour acheter de la terre, améliorer leurs exploitations, etc. En un mot, ce sont de petits agrariens. Numériquement, la bourgeoisie paysanne représente une faible minorité de la paysannerie (certainement pas plus d’un cinquième des foyers ce qui correspond à peu près aux trois dixièmes de la population); il va de soi que cette proportion varie sensiblement selon les contrées. Mais, si on considère le rôle qu’elle joue dans l’ensemble de l’économie paysanne, la part des moyens de production appartenant aux paysans qui lui revient, et la part des produits agricoles qu’elle fournit dans la somme totale des denrées produites par la paysannerie, on voit que la bourgeoisie paysanne exerce une prédominance absolue et qu’actuellement elle est maîtresse de la campagne.
5° L’autre type nouveau est le prolétariat rural, la classe des ouvriers salariés possédant un lot de terre concédé. Ce type englobe la paysannerie pauvre, y compris celle qui est complètement dépourvue de terre; mais le représentant le plus typique du prolétariat rural russe est le salarié agricole, le journalier, le manoeuvre, l’ouvrier du bâtiment ou tout autre ouvrier doté d’un lot concédé. Les traits distinctifs du prolétariat rural sont les suivants((Pour prouver que nous avons raison de ranger la paysannerie non possédante parmi la classe des ouvriers salariés munis d’un lot, il faut montrer non seulement quelle est la catégorie de paysans qui vend sa force de travail et comment elle la vend, mais aussi quels sont les employeurs qui achètent la force de travail et comment ils l’achètent. C’est ce que nous ferons dans les chapitres suivants.)) : ses exploitations sont très peu étendues, elles n’occupent qu’un lopin de terre et se trouvent en pleine décadence (la mise en location de la terre en est un indice frappant) ; il ne peut subsister sans vendre sa force de travail (= les «métiers auxiliaires» de la paysannerie pauvre) ; son niveau de vie est extrêmement bas (il est même probablement inférieur à celui des ouvriers qui n’ont pas de lot). Il faut ranger parmi le prolétariat rural au moins la moitié des foyers paysans (ce qui correspond à peu près aux 4/10 de la population), c’est-à-dire tous les paysans qui n’ont pas de cheval et la majeure partie de ceux qui n’en ont qu’un (il va de soi qu’il ne s’agit là que d’une estimation globale et approximative, à laquelle il est nécessaire d’apporter des modifications plus ou moins notables suivant les régions, compte tenu des conditions locales). Nous avons exposé plus haut pour quelles raisons nous estimions qu’il y a dès maintenant une part aussi importante de la paysannerie qui appartient au prolétariat((Le prof. Conrad estime que la norme pour un vrai paysan allemand est un couple de bêtes de travail (Gespannbauerngüter), v. La possession foncière et l’économie rurale (Moscou 1896, pp. 84-85). Pour la Russie cette norme devrait être plutôt augmentée. Pour définir la notion de «paysan», Conrad prend justement la proportion des individus ou des foyers, fournissant un «travail salariés ou exerçant des « métiers auxiliaires» en général (ibid.). – Le prof. Stébout, dont l’autorité en la matière de faits ne peut être mise en doute, écrivait en 1882 : «Après la chute du servage, le paysan avec sa petite exploitation rurale, s’il cultive exclusivement les céréales, surtout dans la zone centrale des Terres Noires en Russie, s’est déjà transformé dans la plupart des cas en un artisan, un salarié agricole ou un journalier qui ne s’occupe d’agriculture qu’accessoirement» (Articles sur l’économie rurale russe, ses insuffisances et les moyens de la perfectionner, Moscou 1883, p. 11). Il est évident que l’on compte ici parmi les artisans les ouvriers salariés de l’industrie (ouvriers du bâtiment, etc.). Si inexacte que soit cette terminologie, elle est très répandue dans nos publications, même spécialement économiques.)). Ajoutons que dans nos publications, la thèse selon laquelle le capitalisme a besoin d’ouvriers libres et dépourvus de terre est souvent comprise de façon mécaniste. Il s’agit là d’une thèse absolument juste en tant qu’elle définit une tendance fondamentale. Mais la pénétration du capitalisme dans l’agriculture est particulièrement lente et prend des formes très variées. Les propriétaires ruraux ont très souvent intérêt à ce que des lots de terre soient distribués aux ouvriers agricoles et c’est pourquoi l’ouvrier agricole doté d’un lot de terre est un type inhérent à tous les pays capitalistes. Ce type prend des formes différentes selon les différents Etats: le cottager anglais n’est pas le paysan parcellaire de France ou des provinces rhénanes, et ce dernier n’est pas le bobyl ni le knecht de Prusse. Chez chacun d’entre eux on retrouve la trace de régimes agraires particuliers, d’une histoire particulière des rapports agraires, ce qui d’ailleurs n’empêche pas l’économiste de les ramener tous à un seul et même type: celui du prolétaire agricole. La juridiction qui fonde le droit de ce prolétaire à une parcelle de terre n’a aucune importance pour cette classification. Que la terre appartienne au prolétaire agricole en toute propriété (comme c’est le cas pour le paysan parcellaire), qu’il la reçoive en jouissance d’un landlord ou d’un Rittergutsbesitzer((Seigneur terrien)), ou qu’il la détienne en tant que membre d’une communauté rurale grand-russe, cela ne change rien à l’affaire((Nous empruntons au Handwört der Staatwiss (La possession foncière et l’agriculture, Moscou 1896) quelques exemples des diverses formes que prend en Europe le travail salarié dans l’agriculture. « Le bien paysan, dit J. Conrad, doit être distingué de la parcelle, du lot «bobyl» ou du «maraîcher», dont le propriétaire est forcé de chercher une autre occupation ou gagne-pain» (pp. 83-84). «En France, d’après le recensement de 1881, 18 000 000 d’individus, soit un peu moins de la moitié de la population, tiraient leurs moyens de subsistance de l’agriculture: près de 9 millions de propriétaires, 5 millions de fermiers et métayers et 4 millions de journaliers et petits propriétaires ou petits fermiers, vivant surtout d’un travail salarié… On suppose qu’en France 75 % au moins des ouvriers ruraux possèdent leur terre à eux» (p. 233, Goltz). En Allemagne, on classe parmi les ouvriers ruraux les catégories suivantes qui possèdent de la terre: 1° les koutniks, bobyls, maraîchers (il s’agit d’une catégorie qui se rapproche de celle des détenteurs gratuits de chez nous) ; 2° les journaliers contractuels; ils ont un lopin de terre et se font embaucher pour une partie de l’année (cf. nos «trekhdnevniki»)(Voir note suivante). «Les journaliers contractuels constituent le gros des ouvriers agricoles dans les régions de l’Allemagne où domine la grande propriété foncière» (p. 236) ; 3° les ouvriers agricoles exploitant une terre prise à ferme (p. 237).))((Les paysans, à qui il a été fait une donation, sont les anciens serfs seigneuriaux qui, au moment de l’abolition du servage en 1861, reçurent gratuitement (sans rachat) des gros propriétaires fonciers un lot minuscule représentant un quart de la superficie maximum du lot fixé par la loi pour la localité donnée. Toutes les autres terres dont ces paysans disposaient auparavant leur furent reprises par les propriétaires qui purent ainsi les maintenir dans un état de servitude même après l’abolition du servage. Les trekhdnevniki étaient des ouvriers agricoles salariés employés à la journée, possédant un lot de terre et une misérable exploitation; ils devaient travailler 3 jours par semaine pendant tout l’été sur les terres d’un koulak ou d’un gros propriétaire foncier, pour un salaire de 20 à 30 roubles ou pour du blé. Cette catégorie d’ouvriers était particulièrement répandue dans les provinces du nord-ouest de la Russie tsariste.)). En classant la paysannerie pauvre dans le prolétariat rural, nous ne disons rien de neuf. L’expression a déjà été employée à maintes reprises par de nombreux écrivains; seuls les économistes populistes s’obstinent à parler de la paysannerie en général, comme de quelque chose d’anticapitaliste et se refusent à voir que la masse de la «paysannerie» occupe d’ores et déjà une place parfaitement déterminée dans l’ensemble du système de production capitaliste, à savoir la place des ouvriers salariés, agricoles et industriels. Chez nous, par exemple, il est très bien porté d’exalter notre régime agraire qui conserve la communauté rurale et la paysannerie, etc., et de l’opposer à l’organisation agraire capitaliste des pays baltes. Aussi est-il intéressant de voir quelles sont les catégories de la population rurale que, dans les pays baltes, on considère parfois comme des ouvriers agricoles et des journaliers. Parmi les paysans de ces provinces, on distingue les gros détenteurs de terre (25 à 50 déciatines d’un seul tenant), les bobyls (qui ont des lopins de 3 à 10 déciatines) et les paysans sans terre. Comme le fait remarquer justement M. Korolenko, «le type dont le bobyl se rapproche le plus est le paysan russe des provinces centrales» (Le travail salarié libre, p. 495) ; le bobyl en effet est perpétuellement obligé de partager son temps entre la recherche de différents gagne-pain et sa propre exploitation. Mais ce qui nous intéresse tout particulièrement, c’est la condition économique des salariés agricoles. Les propriétaires fonciers considèrent eux-mêmes qu’ils ont intérêt à doter ces ouvriers d’un lot de terre qu’ils décomptent des salaires. Voici quelques exemples relatifs à la propriété foncière des ouvriers agricoles des pays baltes: 1° 2 déciatines de terre (nous traduisons les Lofstelle en déciatines: 1 LofsteIle = 1/3 de déciatine ; le mari travaille 275 jours, la femme 50 jours par an pour 25 kopecks par jour; 2° 2 déciatines 2/3; «l’ouvrier agricole a un cheval, 3 vaches, 3 brebis et 2 porcs» (pp. 508, 518) : il travaille une semaine sur deux, sa femme 50 jours par an; 3° 6 déciatines de terre (district de Bauske, province de Courlande). «l’ouvrier agricole a 1 cheval, 3 vaches, 3 brebis et plusieurs porcs»; p. 518), il travaille 3 jours par semaine et sa femme 35 jours par an; 4° 8 déciatines de terre dans le district de Hasenpot, province de Courlande; «dans tous les cas les ouvriers ont droit à la mouture gratuite et à l’assistance médicale, y compris les médicaments, et leurs enfants vont à l’école» (p. 519), etc. Nous attirons l’attention de nos lecteurs sur l’étendue des exploitations et de la propriété terrienne de ces ouvriers, c’est-à-dire sur ce qui, d’après nos populistes, fait à nos paysans une place à part dans le régime agraire européen qui correspond à la production capitaliste. Si on réunit tous les exemples donnés dans l’ouvrage que nous avons cité, on obtient les données suivantes: 10 ouvriers agricoles possèdent 31,5 déciatines, c’est-à-dire en moyenne 3,15 déciatines chacun. D’autre part, on considère comme ouvriers agricoles des paysans qui ne travaillent pour le propriétaire foncier que pendant la moindre partie de l’année (6 mois le mari, 35 à 50 jours la femme), ainsi que des paysans qui ont un cheval et qui possèdent deux et même trois vaches. Nous nous demandons vraiment en quoi des ouvriers agricoles de ce type sont différents de nos «paysans communautaires»? La vérité, c’est que dans les pays baltes on appelle les choses par leur nom tandis que chez nous on met ensemble les paysans riches et les ouvriers agricoles qui possèdent un cheval, on fait la «moyenne» et on s’attendrit sur l’«esprit communautaire», sur le «principe du travail», la «production populaire», la «combinaison de l’agriculture et des petites industries» …
6° Le chaînon intermédiaire entre ces deux types de la «paysannerie» postérieurs à l’abolition du servage est la paysannerie moyenne. C’est dans cette dernière catégorie que l’économie marchande est le moins développée. Il n’y a guère que dans les bonnes années et lorsque les conditions sont particulièrement favorables que le travail agricole indépendant suffit à l’entretien de la paysannerie moyenne, dont la situation est, par conséquent, très instable. Pour joindre les deux bouts, le paysan moyen est, dans la plupart des cas, obligé d’emprunter de l’argent contre du travail garanti par des prestations, obligé de chercher des «gagne-pain d’appoint», et une partie de ces gagne-pain lui vient de la vente de sa force de travail. Chaque fois que la récolte est mauvaise, des masses de paysans moyens se trouvent rejetées dans les rangs du prolétariat. Par ses rapports sociaux, ce groupe oscille entre le groupe supérieur – autour duquel il gravite et où seule une faible minorité de favorisés réussit à pénétrer -, et le groupe inférieur où le pousse toute l’évolution sociale. Nous avons vu que la bourgeoisie paysanne refoulait non seulement le groupe inférieur, mais également le groupe moyen de la paysannerie. Cela aboutit à la «depaysannisation», à l’élimination des catégories moyennes et au renforcement des extrêmes, qui est un phénomène propre à l’économie capitaliste.
7° La différenciation de la paysannerie crée un marché intérieur pour le capitalisme. Dans le groupe inférieur il se forme un marché pour les objets de consommation (marché de la consommation individuelle). Tout en consommant moins que le paysan moyen et en consommant des produits de plus mauvaise qualité (pomme de terre au lieu de pain, etc.), le prolétaire rural achète plus. La formation et le développement de la bourgeoisie paysanne créent le marché de deux manières: d’une part et essentiellement, il y a création d’un marché pour les moyens de production (marché de la consommation productive) car la paysannerie aisée s’efforce de convertir en capital les moyens de production qu’elle «accumule» aux dépens des propriétaires fonciers «appauvris» et des paysans ruinés. D’autre part, il y a également création d’un marché pour la consommation personnelle étant donné que lorsque les paysans s’enrichissent, leurs besoins s’accroissent((Le développement intense du marché des cotonnades (dont la production s’est accrue avec une telle rapidité après l’abolition du servage, parallèlement à la ruine de la masse des paysans) ne peut s’expliquer que par le fait que c’est la décomposition de la paysannerie qui crée le marché intérieur. M. N.-on qui, pour illustrer ses théories du marché intérieur, cite l’exemple de notre industrie textile, a été absolument incapable d’expliquer comment a pu se produire ce phénomène contradictoire.)).
8° La décomposition de la paysannerie est-elle en train de s’accentuer et à quelle cadence? Sur ce problème, nous ne possédons pas de statistiques précises susceptibles d’être rapprochées des tableaux combinés (§§ I – VI). Cela n’a rien d’étonnant car en effet jusqu’à présent personne n’a encore tenté d’étudier ne fut-ce que la statique de la décomposition et d’indiquer les formes que revêt ce processus((La seule exception est l’ouvrage remarquable de I. Gourwich: The economics of the russian village, New York 1892. Trad. russe (La situation économique de la campagne russe, M. 1896). La façon dont Mr Gourwich a utilisé les recueils de la statistique des zemstvos qui ne fournissent aucun tableau classant les groupes de paysans d’après leur situation économique, mérite notre admiration.)). Mais, toutes les données d’ensemble qui portent sur l’économie de nos campagnes montrent que la décomposition ne cesse de progresser et que cette progression suit un rythme rapide. D’un côté, on trouve des «paysans» qui abandonnent la terre ou la mettent en location, il y a accroissement du nombre des foyers sans cheval, exode des «paysans» vers les villes, etc.; de l’autre côté, «les tendances progressistes de l’économie paysanne» suivent leur cours, les «paysans» achètent de la terre, améliorent leur exploitation, y introduisent des charrues, développent les cultures fourragères, la laiterie, etc. Nous savons à présent quels sont les «paysans» qui participent à ces deux aspects, diamétralement opposés du processus.
D’autre part, le développement du mouvement de migration donne une vigoureuse impulsion à la décomposition de la paysannerie, notamment de la paysannerie agricole. On sait que ce sont principalement les paysans des provinces agricoles qui émigrent (dans les provinces industrielles l’émigration est tout à fait insignifiante), particulièrement ceux des provinces centrales à dense population, où les prestations de travail (qui retardent la décomposition de la paysannerie) sont le plus répandues. C’est là un premier point. Le second point, c’est que ce sont principalement les paysans moyens qui partent des régions d’exode et que ce sont surtout les groupes extrêmes qui restent. La migration a donc pour conséquence de renforcer la décomposition dans les régions d’où les paysans s’en vont et de transporter des éléments de décomposition dans les régions de colonisation (en Sibérie, les nouveaux venus commencent à travailler comme salariés agricoles)((Les entraves qu’on met au mouvement de migration ont donc pour effet de retarder considérablement la décomposition de la paysannerie.)). Ce rapport entre la migration et la décomposition de la paysannerie a été amplement démontré par I. Gourwich dans son excellente étude sur L’émigration paysanne vers la Sibérie (Moscou 1883). Nous recommandons vivement au lecteur cet ouvrage, autour duquel la presse populiste a tant cherché à faire le silence((Voir aussi l’ouvrage de M. Priimak: Données numériques pour l’étude des immigrations en Sibérie. (Note de la 2e édition.))).
9° On sait que dans nos campagnes le capital commercial et usuraire joue un rôle considérable. Les faits qui témoignent de ce phénomène sont légion et nous pensons qu’il n’est pas utile de les citer ni d’en indiquer les sources: ils sont connus de tous et ne concernent pas directement notre sujet. Le seul problème qui nous intéresse est le suivant: quel rapport le capital commercial et usuraire a-t-il avec la décomposition de la paysannerie dans nos campagnes? Y a-t-il une liaison entre les relations des divers groupes de la paysannerie, dont nous avons parlé plus haut, et les relations existant entre les créanciers et les débiteurs paysans? L’usure accélère-t-elle la décomposition ou la retarde-t-elle ?
Rappelons tout d’abord comment ce problème est posé par la théorie. On sait que dans son analyse de la production capitaliste, l’auteur du Capital accorde une énorme importance au capital commercial et usuraire. Sur cette question, les thèses fondamentales de Marx sont les suivantes: 1) Le capital commercial et usuraire, d’une part, et le capital industriel (c’est-à-dire celui qui est investi dans la production, que celle-ci soit industrielle ou agricole), d’autre part, constituent un seul et même type de phénomène économique, compris dans cette formule générale: il s’agit d’acheter une marchandise pour la revendre en réalisant un profit (Das Kapital, I, 2, Abschnitt, chapitre 4, notamment les pages 148-149 de la seconde édition allemande). 2) Historiquement, le capital commercial et usuraire précède la formation du capital industriel et il est logiquement une condition nécessaire de cette formation (Das Kapital, III, 1, pp. 312-316; trad. russe, pp. 262-265, t. III, 2, pp. 132-137, 149; trad. russe, pp. 488-492, 502) mais en soi il ne constitue pas encore une condition suffisante pour qu’apparaisse le capital industriel (c’est-à-dire la production capitaliste); en effet, le capital commercial et le capital usuraire ne décomposent pas toujours l’ancien mode de production, pour lui substituer le mode de production capitaliste: la formation de ce dernier «dépend tout à fait du degré de développement historique et des circonstances qu’il implique» (ibid., 2, 133; trad. russe, 489). «La mesure dans laquelle il détruit l’ancien système de production» (par le commerce et le capital commercial) «dépend d’abord de la solidité et de la structure intérieure de celui-ci. Ce n’est pas non plus du commerce, mais du caractère de l’ancien mode de production que dépend le résultat du processus de dissolution, c’est-à-dire le mode de production nouveau remplacera l’ancien» (ibid., t. III, 316; trad. russe, 265). 3) Le développement indépendant du capital commercial est inversement proportionnel au niveau de développement de la production capitaliste (ibid., p. 312, trad. russe, 262) ; plus le capital commercial et usuraire est développé, moins le capital industriel (= la production capitaliste) l’est, et inversement.
Quand on s’occupe de la Russie, il faut donc résoudre le problème suivant: chez nous, le capital commercial et le capital usuraire sont-ils liés au capital industriel? Le commerce et l’usure, en décomposant le vieux mode de production, préparent-ils son remplacement par le mode de production capitaliste ou par quelque autre mode ?((M. V. V. a abordé cette question dès la première page de ses Destinées du capitalisme. Mais ni là, ni dans aucun autre de ses ouvrages, il n’a essayé d’analyser les données portant sur les rapports du capital commercial et du capital industriel en Russie. M. N.-on, bien qu’il ait prétendu suivre fidèlement la théorie de Marx, a préféré néanmoins substituer à la notion nette et précise de «capital commercial> un terme vague et flou de son invention: «Capitalisation» ou «capitalisation des revenus»; et, sous le couvert de ce terme nébuleux, il a esquivé, littéralement esquivé, la question. Pour lui, le précurseur de la production capitaliste en Russie n’est pas le capital commercial, mais la «production populaire» (Voir note suivante).))((Lénine avait déjà critiqué la théorie populiste sur la «production populaire » dans son ouvrage Ce que sont les «amis du peuples » et comment ils luttent contre les sociales-démocrates? (Voir Œuvres, Paris-Moscou, tome I). )) Ce sont là des questions de fait qui doivent être résolues pour chacun des aspects de l’économie nationale russe. Pour ce qui est de l’agriculture paysanne, la réponse à ces questions se trouve dans les données que nous avons examinées plus haut. Et cette réponse est affirmative. On connaît la thèse des populistes: le «koulak» et le «moujik avisé» ne sont pas deux formes d’un seul et même phénomène économique, mais constituent au contraire des phénomènes antagonistes que rien ne lie. Cette thèse n’est absolument pas fondée. C’est là un de ces préjugés populistes à l’appui desquels personne n’a jamais essayé d’apporter ne fût-ce qu’un semblant de preuve par une analyse de données économiques précises. Les chiffres prouvent le contraire. Que le paysan embauche des ouvriers pour développer sa production, qu’il vende de la terre (rappelons-nous les données que nous avons citées sur l’étendue des fermages chez les riches) ou de l’épicerie, qu’il fasse commerce du chanvre, du foin, du bétail, etc., ou de l’argent (dans ce cas c’est un usurier), il s’agit toujours d’un seul et même type économique et, pour le fond, ses opérations se ramènent à un seul et même rapport économique. Mais ce n’est pas tout. Le fait que la paysannerie aisée investit son argent non seulement dans des entreprises commerciales (voir plus haut) mais également pour améliorer ses exploitations, acheter et affermer de la terre, améliorer son matériel, embaucher des ouvriers, etc., ce fait montre donc que dans la communauté rurale russe en plus de l’usure et des prêts générateurs de servitude pour les débiteurs, le capital est employé à la production. Si dans nos campagnes, le capital ne pouvait créer que servitude et usure, les chiffres concernant la production ne feraient apparaître ni décomposition de la paysannerie ni formation d’une bourgeoisie paysanne et d’un prolétariat rural: cela serait impossible. Toute la paysannerie se ramènerait alors à un type assez uniforme d’agriculteurs écrasés par la misère parmi lesquels seuls se détacheraient les usuriers et cela uniquement par l’importance de leur fortune en argent et non par l’importance et l’organisation de leur production agricole. Des données que nous avons analysées plus haut, il ressort enfin cette thèse importante, à savoir que le développement indépendant du capital commercial et usuraire retarde la décomposition de la paysannerie. Au fur et à mesure que le commerce se développera rapprochant la campagne de la ville, évinçant les marchés ruraux primitifs et sapant le monopole du boutiquier de village, que se développeront les formes normales de crédit qui sont en vigueur en Europe, éliminant l’usurier de village, la décomposition de la paysannerie s’accentuera en profondeur et en étendue. Les paysans aisés, dont le capital aura été évincé du petit commerce et de l’usure, investiront de plus en plus dans la production; ils commencent d’ailleurs déjà à le faire.
10° Un autre facteur important de la vie économique de nos campagnes et qui retarde la décomposition de la paysannerie, ce sont les survivances du régime de la corvée, c’est-à-dire les prestations en travail. La base de ces prestations est le paiement du travail en nature, ce qui sous-entend que l’économie marchande est peu développée. Pour que ce système puisse fonctionner, il faut précisément qu’il y ait un paysan moyen qui ne soit pas tout à fait aisé (autrement, il ne se laisserait pas assujettir à ces prestations), mais qui ne soit pas non plus un prolétaire (pour se charger des prestations, il faut posséder son matériel, il faut être un cultivateur tant soit peu «diligent».)
Quand nous avons dit qu’actuellement la bourgeoisie paysanne était maîtresse de la campagne, nous avons fait abstraction des facteurs qui retardent la décomposition: la servitude, l’usure, les prestations de travail, etc. En réalité. il arrive souvent que les vrais maîtres des villages contemporains ne soient pas les représentants de la bourgeoisie paysanne mais les usuriers ruraux et les propriétaires fonciers du voisinage. Mais une telle abstraction est néanmoins tout à fait légitime car autrement, il serait impossible d’étudier le régime intérieur des rapports économiques existant dans la paysannerie. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les populistes eux-mémes ont recours à ce procédé. Seulement, ils s’arrêtent à mi-chemin sans aller jusqu’au bout de leur raisonnement. Dans les Destinées du capitalisme, monsieur V. V. remarque que par suite du poids des impôts, etc., les «conditions de la vie naturelle (sic) n’existent plus» pour le «mir», pour la communauté rurale (287). Fort bien. Mais toute la question est justement de savoir quelles sont ces «conditions naturelles» qui n’existent pas encore pour notre campagne. Si on veut répondre à cette question, il faut étudier la structure des rapports économiques existant à l’intérieur de la communauté rurale. Pour ce faire, il est nécessaire de soulever, si l’on peut s’exprimer ainsi, les vestiges du passé d’avant l’abolition du servage qui dissimulent ces «conditions naturelles» de la vie de nos campagnes. Si M. V. V. avait procédé de la sorte, il aurait vu que la structure des rapports ruraux indique une complète décomposition de la paysannerie, et que cette décomposition((Au fait, puisque nous parlons des Destinées du capitalisme de M. V. V. et plus spécialement du chapitre VI. d’où la citation est tirée, nous ne pouvons pas ne pas signaler qu’il y a là des pages excellentes et très justes, précisément celles où l’auteur parle non des «destinées de capitalisme», et même nullement du capitalisme, mais des modes de perception des impôts. Il est caractéristique que M. V. V. ne remarque pas le lien indissoluble existant entre ces modes et les survivances du système de la corvée, qu’il est (on le verra par la suite) capable d’idéaliser. )) sera d’autant plus profonde que la disparition de la servitude, de l’usure, des prestations en travail, etc., sera plus complète. Nous avons montré plus haut, en nous basant sur les données de la statistique des zemstvos, que d’ores et déjà cette différenciation était un fait acquis et que la paysannerie s’était complètement scindée en groupes opposés.