De la guerre prolongée
Mao Zedong
La guerre d’usure et la guerre d’anéantissement
- Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’essentiel dans la guerre, les buts qu’elle vise, c’est de conserver nos forces et d’anéantir les forces de l’ennemi.
Trois formes d’opérations militaires permettent d’atteindre ces buts : la guerre de mouvement, la guerre de position et la guerre de partisans.
Cependant, ces formes ne donnent pas les mêmes résultats, aussi fait-on communément la distinction entre guerre d’usure et guerre d’anéantissement.
- Dès l’abord, nous pouvons dire que la Guerre de Résistance est une guerre d’usure en même temps qu’une guerre d’anéantissement.
Pourquoi ? Parce que l’ennemi peut encore exploiter sa force et détient encore la supériorité et l’initiative sur le plan stratégique, et que par conséquent il est impossible de détruire rapidement et efficacement sa force, de mettre fin à sa supériorité et de lui arracher l’initiative sans engager contre lui des campagnes et des combats d’anéantissement ; et d’autre part, comme nous demeurons faibles et que nous ne sommes pas encore sortis de notre infériorité et de notre passivité sur le plan stratégique, nous ne saurions non plus nous dispenser de campagnes et de combats d’anéantissement si nous voulons gagner du temps pour nous assurer de meilleures conditions intérieures et internationales et pour modifier la situation défavorable où nous nous trouvons actuellement.
C’est pourquoi les campagnes d’anéantissement sont un moyen pour user l’ennemi sur le plan stratégique, et, en ce sens, la guerre d’anéantissement est également une guerre d’usure.
Le principal moyen donnant à la Chine la possibilité de poursuivre une guerre de longue durée est l’usure de l’ennemi par l’anéantissement de ses forces.
- Cependant, pour user l’ennemi sur le plan stratégique, on peut aussi recourir à des campagnes d’usure.
D’une façon générale, la guerre de mouvement répond aux tâches de l’anéantissement, la guerre de position est destinée à épuiser l’ennemi, et la guerre de partisans a en même temps pour tâche de l’user et de l’anéantir ; ces trois formes d’opérations sont distinctes les unes des autres.
En ce sens, les opérations d’anéantissement diffèrent des opérations d’usure. Les campagnes d’usure jouent un rôle auxiliaire, mais sont nécessaires dans la guerre prolongée.
- Pour atteindre le but stratégique qui est d’épuiser dans une grande mesure les forces de l’ennemi, la Chine, à l’étape de la défensive, doit, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue de la nécessité pratique, mettre à profit la possibilité d’anéantir les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de mouvement et en partie à la guerre de partisans, et utiliser en complément la possibilité d’user les forces de l’ennemi, propre surtout à la guerre de position et en partie à la guerre de partisans.
Dans l’étape de stabilisation des forces, nous devons continuer à utiliser ces propriétés de la guerre de partisans et de la guerre de mouvement pour épuiser, dans une tout aussi grande mesure, les forces de l’ennemi. Tout cela vise à nous permettre de mener une guerre prolongée, à modifier peu à peu notre situation par rapport à celle de l’ennemi et à préparer les conditions de notre passage à la contreoffensive.
Dans la contreoffensive stratégique, nous devons continuer à épuiser l’ennemi en anéantissant ses forces, de façon à le chasser définitivement du pays.
- L’expérience de dix mois de guerre a cependant montré que, dans un grand nombre de campagnes et même dans la plupart d’entre elles, la guerre de mouvement a glissé pratiquement vers la guerre d’usure, et que, dans certaines régions, la guerre de partisans n’a pas rempli dans la mesure appropriée la tâche qui lui revient dans l’anéantissement de l’ennemi.
Cette situation comporte un aspect positif : nous avons au moins réalisé un certain épuisement de l’ennemi, ce qui est important pour la poursuite de la guerre prolongée et pour la victoire finale, et notre sang n’a pas été répandu en vain.
Les aspects négatifs sont, premièrement, que nous n’avons pas épuisé l’ennemi suffisamment et, deuxièmement, qu’après tout nos pertes sont grandes et nos gains peu importants.
On doit certes reconnaître que cette situation s’explique par des raisons objectives, comme les différences entre l’ennemi et nous dans le degré d’équipement technique et de préparation militaire, mais, dans tous les cas, il faut, aussi bien du point de vue de la théorie que du point de vue de la pratique, recommander à nos forces régulières de poursuivre énergiquement la guerre d’anéantissement chaque fois que les conditions sont favorables.
Et si les détachements de partisans, en remplissant les nombreuses missions qui leur sont propres, comme le sabotage et le harcèlement, sont obligés de livrer de simples combats d’usure, il n’en faut pas moins leur recommander — et ils doivent d’ailleurs s’y efforcer d’eux-mêmes — de mener des campagnes et des combats d’anéantissement chaque fois que les conditions sont favorables, afin d’épuiser l’ennemi dans une grande mesure et de compléter largement l’équipement de nos propres forces.
- Ce que nous appelons « opérations offensives », « décision rapide » et « à l’extérieur des lignes » dans l’expression : « opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes », ainsi que « mouvement » dans l’expression « guerre de mouvement » se traduit principalement, du point de vue de la forme du combat, par le recours à la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant, et demande pour cela la concentration de forces supérieures.
La concentration des forces et l’emploi de la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant sont donc les conditions mêmes d’une guerre de mouvement, c’està-dire d’opérations offensives de décision rapide à l’extérieur des lignes.
Tout cela a pour but d’anéantir les forces de l’ennemi.
- Ce qui fait la force de l’armée japonaise, ce n’est pas seulement son armement, c’est aussi la préparation de ses officiers et soldats — son organisation, la confiance qu’elle a en ellemême pour n’avoir jamais connu la défaite dans les guerres précédentes, sa croyance superstitieuse dans le Mikado et les puissances surnaturelles, son arrogance, son mépris des Chinois, etc.
Toutes ces caractéristiques proviennent des longues années d’endoctrinement des troupes dans l’esprit samouraï par les militaristes japonais, et des coutumes nationales du Japon.
C’est pour cette raison surtout que nos troupes ont fait très peu de prisonniers bien qu’elles aient pu infliger à l’ennemi de lourdes pertes en tués et en blessés.
Beaucoup ont sousestime ce fait dans le passé.
Il faudra bien du temps pour détruire ces caractéristiques de l’armée japonaise.
D’abord, nous devons tenir sérieusement compte de ces particularités et ensuite en faire l’objet d’un travail patient et méthodique, travail politique, travail de propagande dans le domaine international, travail parmi le peuple japonais.
Sur le plan militaire, la guerre d’anéantissement est bien entendu l’une des méthodes de cette action.
Les pessimistes peuvent s’appuyer sur ces caractéristiques de l’ennemi pour faire valoir leur théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine, et les spécialistes militaires qui s’en tiennent à la passivité peuvent y trouver de quoi fonder leur opposition à la guerre d’anéantissement.
En ce qui nous concerne, nous considérons au contraire que tous ces facteurs qui font la force de l’armée japonaise peuvent être réduits à néant, et que leur destruction a déjà commencé.
La principale méthode à employer à cette fin consiste à gagner politiquement les soldats japonais.
Il ne faut pas les blesser dans leur fierté, mais chercher à comprendre cette fierté et la diriger dans la bonne voie.
En traitant les prisonniers avec générosité, on peut amener les soldats japonais à prendre clairement conscience du caractère antipopulaire de la politique d’agression que poursuivent les dirigeants du Japon.
D’autre part, il faut montrer aux soldats japonais l’esprit indomptable, l’héroïsme et la combativité acharnée de l’armée chinoise et du peuple chinois ; en d’autres termes, il faut leur porter des coups destructeurs dans les combats d’anéantissement.
L’expérience de dix mois de guerre prouve qu’il est possible d’anéantir les forces de l’ennemi.
Les batailles de Pinghsingkouan et de Taieultchouang en donnent la preuve.
Le moral de l’armée japonaise commence déjà à baisser, ses soldats ne comprennent pas les buts de la guerre et, tombés dans l’encerclement des troupes chinoises et du peuple chinois, ils font preuve, dans leurs assauts, d’un courage bien moindre que les soldats chinois ; ces conditions objectives ainsi que d’autres encore, qui favorisent nos opérations d’anéantissement, vont croissant à mesure que la guerre se prolonge.
Le fait que nos opérations d’anéantissement font tomber la morgue de l’ennemi signifie que ces opérations sont en même temps l’une des conditions permettant de réduire la durée de la guerre et d’accélérer la libération des soldats japonais et de tout le peuple japonais. Le chat ne lie amitié qu’avec le chat, et jamais avec la souris.
- Il faut reconnaître par ailleurs qu’à l’heure actuelle, nous le cédons à l’ennemi par l’équipement technique et le niveau de préparation des troupes.
C’est pourquoi il nous est difficile, en bien des cas, particulièrement dans les régions de plaine, d’obtenir un résultat maximum dans les combats d’anéantissement, par exemple de capturer la totalité ou la plus grande partie d’une formation ennemie.
Les exigences excessives dans ce sens des partisans de la théorie de la victoire rapide sont erronées ; ce qu’il est correct d’exiger dans la Guerre de Résistance, c’est de poursuivre autant que possible une guerre d’anéantissement.
Quand les circonstances sont favorables, il faut concentrer dans chaque bataille des forces supérieures et employer la tactique de l’encerclement et du mouvement tournant — s’il n’est pas possible d’encercler complètement l’ennemi, en encercler une partie ; s’il n’est pas possible de capturer toutes les forces encerclées, en capturer une partie, et si cela même est impossible, infliger de lourdes pertes aux forces encerclées.
Dans tous les cas où la situation ne favorise pas les opérations d’anéantissement, il faut effectuer des opérations d’usure. Il faut appliquer le principe de la concentration des forces quand les conditions sont favorables et le principe de la dispersion des forces quand les conditions sont défavorables.
Quant au commandement des opérations dans les campagnes, il faut appliquer le principe du commandement centralisé dans le premier cas et le principe de la décentralisation dans le second.
Tels sont les principes de base des opérations sur les champs de bataille de la Guerre de Résistance.