De la guerre prolongée
Mao Zedong
Pourquoi une guerre prolongée ?
- Venons-en maintenant à la question de la guerre prolongée.
A cette question : « Pourquoi une guerre prolongée ? » on ne peut donner une réponse correcte qu’en se référant à tous les contrastes fondamentaux entre l’ennemi et nous.
Par exemple, si nous prêtons attention au seul fait que le Japon est une grande puissance impérialiste et la Chine un pays faible, semi-colonial et semi-féodal, nous risquons de tomber dans la théorie de l’asservissement inéluctable de la Chine.
Car la longue durée de la guerre ne découle, ni en théorie ni en pratique, de cette seule circonstance que le faible s’oppose au fort.
Elle ne découle pas non plus du seul fait que l’un des pays est grand et l’autre petit, que l’un est progressiste et l’autre rétrograde, ou que l’un bénéficie d’un large soutien international et l’autre non.
Il arrive souvent que le grand engloutisse le petit ou, au contraire, que le petit engloutisse le grand.
Pour les Etats comme pour les choses, il n’est pas rare que ce qui est progressiste mais faible soit anéanti par ce qui est rétrograde mais plus fort.
L’ampleur de l’aide extérieure est un facteur important, mais secondaire, dont la portée dépend des particularités fondamentales des parties belligérantes.
Aussi notre conclusion, selon laquelle la Guerre de Résistance sera longue, repose-t-elle sur l’appréciation, dans leur action réciproque, de toutes les particularités qui caractérisent aussi bien l’ennemi que notre pays.
Le danger de notre asservissement réside dans le fait que l’ennemi est fort et que nous sommes faibles.
Mais, en même temps, l’ennemi a ses propres côtés faibles, et nous avons nos avantages. Par nos efforts, nous pouvons réduire l’avantage de l’ennemi et aggraver ses points faibles.
D’autre part, nous pouvons, par nos efforts, accroître nos avantages et surmonter notre point faible.
Voilà pourquoi nous serons à même de remporter la victoire finale et d’échapper à l’asservissement, tandis que l’ennemi sera finalement vaincu et verra s’écrouler inéluctablement tout son régime impérialiste.
- Puisque l’ennemi n’a qu’un avantage et que toutes ses autres particularités comptent au nombre de ses points faibles, et puisque nous n’avons qu’un point faible et que toutes nos autres particularités comptent au nombre de nos avantages, pourquoi n’en résulte-t-il pas un équilibre mais bien la supériorité de notre ennemi et notre infériorité à l’heure actuelle ?
Il est évident que l’on ne peut aborder cette question d’une façon aussi formelle.
En vérité, la disparité des forces entre l’ennemi et nous est actuellement si grande que les côtés faibles de l’ennemi ne se sont pas encore aggravés et ne peuvent pour le moment s’aggraver au point de contrebalancer sa puissance, et nos avantages ne se sont pas encore développés et ne peuvent pour le moment se développer au point de compenser notre faiblesse.
Voilà pourquoi l’équilibre n’est pas encore possible, mais seulement le déséquilibre.
- Si nos efforts pour persévérer dans la Guerre de Résistance et pour maintenir le front uni ont modifié quelque peu le rapport de la force et de la supériorité de l’ennemi à notre faiblesse et à notre infériorité, le changement n’est toutefois pas encore radical.
De ce fait, à une étape donnée de la guerre, l’ennemi peut être victorieux jusqu’à un certain point alors que nous pouvons dans une certaine mesure connaître la défaite.
Mais pourquoi dans l’étape en question, la victoire de l’ennemi et notre défaite gardentelles ce caractère strictement limité, sans pouvoir devenir une victoire ou une défaite complètes ?
En voici les raisons : Premièrement, si l’ennemi est fort et nous faibles, cette force et cette faiblesse ont été, dès le début, toutes relatives et non absolues ; deuxièmement, nos efforts pour persévérer dans la Guerre de Résistance et maintenir le front uni ont encore accentué ce caractère relatif.
Considérons la situation de départ et son évolution : L’ennemi est fort, mais des facteurs défavorables minent sa force, toutefois pas encore au point de réduire sa supériorité à néant.
Nous sommes faibles, mais des facteurs favorables compensent notre faiblesse, toutefois pas encore au point de mettre fin à notre infériorité.
Aussi l’ennemi reste-t-il relativement fort, et nous relativement faibles ; l’ennemi ne l’emporte sur nous que relativement et nous ne le lui cédons que relativement.
Des deux côtés, force et faiblesse, supériorité et infériorité n’ont jamais eu un caractère absolu, et de plus, nos efforts persévérants, pendant la guerre, pour résister au Japon et maintenir le front uni ont modifié encore davantage le rapport initial des forces.
Par conséquent, la victoire de l’ennemi et notre défaite ont, au cours de cette étape, un caractère strictement limité, et voilà pourquoi la guerre sera de longue durée.
- Mais la situation ne cesse de se modifier.
Si nous savons appliquer une tactique militaire et politique correcte au cours des différentes phases de la guerre, sans commettre d’erreurs de principe, et si nous déployons au mieux tous nos efforts, les facteurs avantageux pour nous et défavorables pour l’ennemi se renforceront au fur et à mesure que durera la guerre et continueront à modifier la situation donnée au départ, à savoir que l’ennemi est fort et nous faibles, qu’il l’emporte sur nous et que nous le lui cédons.
Ainsi, à une autre étape donnée, il se produira dans cette situation un grand changement, qui aboutira à la défaite du Japon et à la victoire de la Chine.
- Actuellement, l’ennemi arrive encore, tant bien que mal, à exploiter sa force, et notre Guerre de Résistance ne l’a pas encore sérieusement affaibli.
Son insuffisance en ressources humaines et matérielles n’est pas encore assez grave pour faire obstacle à son offensive ; au contraire, il peut encore la poursuivre jusqu’à un certain point.
Le caractère rétrograde et barbare de la guerre menée par le Japon, facteur qui est de nature à aggraver l’antagonisme entre les classes au Japon même et à renforcer la résistance de la nation chinoise, n’a pas encore créé une situation qui puisse empêcher radicalement l’ennemi de poursuivre son offensive.
Enfin, l’isolement international du Japon s’aggrave, mais il n’est pas encore complet.
Dans nombre de pays qui ont exprimé leur volonté d’aider la Chine, les capitalistes qui font commerce de munitions et de matières premières stratégiques et ne songent qu’à leur profit continuent à fournir au Japon de grandes quantités de matériel de guerre((II s’agit principalement ici des Etats-Unis d’Amérique.)).
Leurs gouvernements((II s’agit ici des gouvernements de pays impérialistes comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France.)) se montrent encore peu disposés à se joindre à l’Union soviétique pour appliquer des sanctions contre le Japon.
Tout cela justifie cette thèse que notre Guerre de Résistance ne peut triompher rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre prolongée.
Pour ce qui est de la Chine, des progrès ont été réalisés au cours des dix mois de guerre dans les domaines militaire, économique, culturel et de l’appareil d’Etat, où se manifeste notre faiblesse, mais ils sont encore loin d’être suffisants pour faire cesser l’offensive de l’ennemi et nous permettre de préparer notre contre-offensive.
En outre, du point de vue quantitatif, nous avons eu à subir certaines pertes.
Quant aux facteurs qui nous sont favorables, ils jouent certes déjà un rôle actif, mais il nous faut encore déployer de grands efforts pour qu’ils atteignent un degré de développement tel qu’ils nous permettent de stopper l’offensive de l’ennemi et de préparer notre contre-offensive. Pour l’instant, à l’intérieur du pays, les phénomènes de corruption n’ont pas disparu et les progrès ne sont pas assez rapides ; à l’extérieur, les forces qui aident le Japon agissent toujours et les forces antijaponaises ne se sont pas encore assez développées. Tout cela fait que notre guerre ne peut être gagnée rapidement et qu’elle ne peut être qu’une guerre de longue durée.