La Démocratie Nouvelle
Mao Zedong
IX. Contre les irréductibles
Les irréductibles de la bourgeoisie viennent alors nous dire : « Bon ! vous autres communistes, vous remettez le régime socialiste à une étape ultérieure et vous dites : ’Les trois principes du peuple étant aujourd’hui nécessaires à la Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur réalisation complète’((Voir le manifeste du Comité central du Parti communiste chinois sur l’établissement de la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste, publié en septembre 1937.)). Eh bien ! remisez donc pour le moment votre communisme. » Récemment, de tels propos, camouflés sous l’enseigne de la « doctrine unique », sont devenus une clameur effroyable ; au fond, ce n’est que le hurlement des irréductibles qui aspirent au pouvoir absolu de la bourgeoisie. Mais, par politesse, disons simplement que c’est un manque total de bon sens.
Le communisme est le système complet de l’idéologie prolétarienne en même temps qu’un nouveau régime social. Cette idéologie et ce régime social diffèrent de toute autre idéologie et de tout autre régime social ; ils sont les plus parfaits, les plus progressistes, les plus révolutionnaires, les plus rationnels de toute l’histoire de l’humanité. L’idéologie et le régime social du féodalisme sont entrés au musée de l’histoire. Ceux du capitalisme sont, eux aussi, entrés au musée dans une partie du monde (en U.R.S.S.) ; partout ailleurs, ils ressemblent à « un moribond qui décline rapidement, comme le soleil derrière les collines de l’ouest » ; ils seront bientôt bons pour le musée. Seuls l’idéologie et le régime social du communisme se répandent dans le monde entier avec l’impétuosité de l’avalanche et la force de la foudre ; ils feront fleurir leur merveilleux printemps. L’introduction du communisme scientifique en Chine a élargi l’horizon des hommes et changé la face de la révolution chinoise. Sans la doctrine communiste pour la guider, la révolution démocratique ne pourra jamais triompher en Chine, ni, à plus forte raison, l’étape suivante de la révolution. Voilà pourquoi les irréductibles de la bourgeoisie demandent à grands cris que l’on « remise » le communisme. En vérité, il n’est pas possible de le « remiser », car la Chine serait perdue. Le communisme est pour le monde d’aujourd’hui l’étoile conductrice, et la Chine ne fait pas exception.
Chacun sait que, en matière de régime social, le Parti communiste a un programme pour le présent et un programme pour l’avenir, autrement dit, un programme minimum et un programme maximum. La démocratie nouvelle pour le présent, le socialisme pour l’avenir : ce sont les deux parties d’un tout organique, régies par la seule et même idéologie communiste. N’est-ce donc pas le comble de l’absurdité que de crier qu’il faut « remiser » le communisme parce que le programme minimum du Parti communiste et les idées politiques fondamentales des trois principes du peuple sont pratiquement les mêmes ? Pour nous communistes, c’est parce qu’ils sont pratiquement les mêmes qu’il nous est possible d’admettre « les trois principes du peuple comme politique du front uni antijaponais », d’affirmer que, « les trois principes du peuple étant aujourd’hui nécessaires à la Chine, notre Parti est prêt à lutter pour leur réalisation complète ». Autrement, cette possibilité serait exclue. Ce que nous avons là, c’est le front uni du communisme et des trois principes du peuple à l’étape de la révolution démocratique, le genre de front uni que le Dr Sun Yat-sen avait en vue lorsqu’il disait : « Le communisme est un grand ami des trois principes du peuple« ((Sun Yat-sen : « Conférences sur le principe du bien-être du peuple », 1924, deuxième conférence.)). Rejeter le communisme revient en fait à rejeter le front uni. C’est justement parce qu’ils veulent appliquer leur doctrine du parti unique et rejeter le front uni que les irréductibles ont fabriqué de telles absurdités pour rejeter le communisme.
D’ailleurs, la « doctrine unique » est tout aussi absurde. Aussi longtemps qu’il existera des classes, il y aura autant de doctrines que de classes, et même les différents groupes d’une seule classe pourront avoir chacun leur propre doctrine. Puisque la classe féodale a son féodalisme, la bourgeoisie son capitalisme, les bouddhistes leur bouddhisme, les chrétiens leur christianisme, les paysans leur polythéisme, puisque, ces dernières années, il se trouve encore des gens pour préconiser le kemalisme, le fascisme, le vitalisme((Tchen Li-fou, l’un des chefs des services secrets de Tchiang Kaï-chek, embaucha quelques plumitifs réactionnaires qui publièrent, sous son nom tristement célèbre, un livre intitulé Le Vitalisme, bourré d’inepties et faisant l’éloge du fascisme du Kuomintang.)), la « doctrine de répartition selon le travail fourni »((Mot d’ordre ronflant avancé impudemment par le seigneur de guerre Yen Si-chan, représentant des grands propriétaires fonciers et des gros compradores de la province du Chansi.)), pourquoi le prolétariat ne pourrait-il pas avoir son communisme ? Puisque les « ismes » sont innombrables, pourquoi à la vue du seul communisme crie-t-on qu’il faut le « remiser » ? A dire vrai, il ne peut être question de le « remiser » ; mieux vaut entrer en compétition. Si le communisme est battu, nous, communistes, nous accepterons la défaite de bonne grâce. S’il ne Test pas, qu’on « remise » au plus vite cette « doctrine unique » contraire au principe de la démocratie.
Pour éviter les malentendus et pour ouvrir les yeux aux irréductibles, il faut montrer clairement l’analogie et les différences entre les trois principes du peuple et le communisme.
En comparant les deux doctrines, on constatera aussi bien l’analogie que les différences.
Premièrement, l’analogie. Elle réside dans le programme politique fondamental des deux doctrines pour l’étape de la révolution démocratique bourgeoise en Chine. Les trois principes politiques révolutionnaires : nationalisme, démocratie et bienêtre du peuple, selon la nouvelle interprétation des trois principes du peuple donnée par le Dr Sun Yat-sen en 1924, sont analogues dans leurs grandes lignes au programme politique communiste pour l’étape de la révolution démocratique chinoise. Cette analogie et l’application des trois principes du peuple donnèrent naissance au front uni des deux doctrines et des deux partis. C’est une erreur de négliger cet aspect de la question.
Deuxièmement, les différences : 1) Une différence partielle des programmes pour l’étape de la révolution démocratique. Le programme communiste pour tout le cours de la révolution démocratique prévoit les pleins droits pour le peuple, la journée de travail de huit heures et une révolution agraire radicale, points qui ne figurent pas dans les trois principes du peuple. Si on ne les y incorpore pas et si on n’est pas prêt à les réaliser, il n’y aura qu’une analogie de base entre les deux programmes démocratiques, on ne pourra pas dire qu’ils sont tout à fait les mêmes. 2) Une différence en ce qui concerne la révolution socialiste. La doctrine communiste prévoit, en plus de l’étape de la révolution démocratique, celle de la révolution socialiste ; c’est pourquoi, outre un programme minimum, elle a un programme maximum, c’est-à-dire le programme pour la réalisation du socialisme et du communisme. Les trois principes du peuple ne prévoient que l’étape de la révolution démocratique, non celle de la révolution socialiste ; aussi ne contiennent-ils qu’un programme minimum et pas de programme maximum, c’est-à-dire pas de programme pour la réalisation du socialisme et du communisme. 3) Une différence dans la conception du monde. La conception communiste du monde est le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, alors que la conception du monde contenue dans les trois principes du peuple, c’est la conception historique qui s’exprime dans le principe du bienêtre du peuple, et elle est dans son essence dualiste ou idéaliste ; les deux conceptions sont opposées l’une à l’autre. 4) Une différence quant à la capacité d’aller jusqu’au bout dans la révolution. Les communistes unissent la théorie à la pratique, c’est-à-dire qu’ils sont des révolutionnaires conséquents. Chez les partisans des trois principes du peuple, exception faite de ceux qui sont tout à fait fidèles à la révolution et à la vérité, l’unité de la théorie et de la pratique n’existe pas et il y a contradiction entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font ; en d’autres termes, ils ne sont pas des révolutionnaires conséquents. Telles sont les différences entre les deux doctrines, les différences qui distinguent les communistes des partisans des trois principes du peuple. C’est assurément une grave erreur de négliger ces différences, de ne voir que l’unité et non les contradictions.
Quand on aura compris cela, on saura pourquoi les irréductibles de la bourgeoisie demandent de « remiser » le communisme. Ne pas voir que c’est pour assurer le pouvoir absolu à la bourgeoisie serait totalement de bon sens.