Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon
Mao Zedong
VII. Défense stratégique et attaque stratégique dans la guerre de partisans
Le quatrième problème stratégique de la guerre de partisans concerne la défense stratégique et l’attaque stratégique. Il consiste à savoir comment, dans la guerre de partisans contre le Japon, appliquer concrètement, dans la défensive comme dans l’offensive, le principe des opérations offensives exposé ci-dessus à propos du premier problème.
Dans la défense stratégique et l’attaque stratégique (il serait plus juste de dire la contre-attaque stratégique) à l’échelle nationale s’inscrivent la défense stratégique et l’attaque stratégique réalisées à petite échelle dans la région de chaque base d’appui de partisans et autour d’elle.
Dans le premier cas, il s’agit de la situation stratégique qui se crée lorsque l’ennemi attaque et que nous sommes sur la défensive, et de notre stratégie pour cette période. Dans le second cas, il s’agit de la situation stratégique qui se crée lorsque l’ennemi est sur la défensive et que nous attaquons, et de notre stratégie pour cette période.
Section 1. La défense stratégique dans la guerre de partisans
Lorsque la guerre de partisans aura commencé et atteint une certaine ampleur, et surtout lorsque l’ennemi aura mis fin à son offensive stratégique contre l’ensemble de notre pays et passé à la défense des territoires occupés, l’offensive de l’ennemi contre les bases d’appui de la guerre de partisans deviendra inéluctable. Il est indispensable de le comprendre, car dans le cas contraire les dirigeants de la guerre de partisans ne se tiendraient pas sur leurs gardes, et face à une offensive sérieuse de l’ennemi, ils seraient saisis de panique et se feraient battre.
Pour liquider la guerre de partisans et ses bases d’appui, l’ennemi aura souvent recours à l’attaque concentrique : par exemple, des expéditions punitives » ont déjà été lancées quatre ou cinq fois dans la région du Woutaichan, et pour chacune d’elles, le plan prévoyait une attaque simultanée conduite en trois ou quatre, et même en six ou sept colonnes. L’ennemi attaquera les partisans et leurs bases d’appui avec un acharnement d’autant plus grand que la guerre de partisans se sera développée plus largement, que les bases d’appui en seront devenues plus importantes par leur position et que ses propres bases stratégiques et voies de communication importantes se trouveront plus menacées.
Par conséquent, plus les attaques ennemies contre les partisans sont acharnées dans une région, plus les succès de la guerre de partisans s’y avèrent grands et plus sa coordination avec les opérations régulières s’y révèle efficace.
Dans le cas d’une attaque concentrique de l’ennemi en plusieurs colonnes, le principe des opérations de partisans consiste à briser cette attaque concentrique en passant à la contre-attaque. Il est facile de la briser si les colonnes de l’ennemi qui avance ne représentent chacune qu’une unité, grande ou petite, sans forces d’appui, et s’il n’a pas la possibilité de laisser des garnisons, de construire des fortifications et des routes carrossables le long de sa ligne d’attaque. L’ennemi mène alors des opérations offensives et à l’extérieur des lignes, tandis que nous nous trouvons sur la défensive et opérons à l’intérieur des lignes.
La disposition de nos troupes doit être calculée de façon à en utiliser une petite partie pour fixer les forces de plusieurs colonnes de l’ennemi, et à lancer nos forces principales contre une seule de ces colonnes, en adoptant dans nos campagnes et nos combats la méthode des attaques par surprise (essentiellement des embuscades) et en frappant l’ennemi pendant qu’il est en marche. Soumis à toute une série d’attaques par surprise, l’ennemi, quoique fort, s’affaiblit et souvent se replie sans avoir pu atteindre ses buts. A ce moment, les détachements de partisans, tout en le poursuivant, peuvent continuer de l’affaiblir en lui portant des coups inattendus.
Quand l’ennemi n’a pas encore arrêté son attaque ou qu’il n’a pas encore effectué son repli, il occupe toujours les chefs-lieux de district et les bourgs sur le territoire de nos bases d’appui. En ce cas, nous devons encercler l’ennemi dans ces chefs-lieux de district ou ces bourgs, le couper de ses sources de ravitaillement et détruire ses voies de communication ; puis, lorsqu’il ne peut plus se maintenir et commence à se replier, c’est le moment à saisir pour le pourchasser. Une fois l’ennemi défait dans une direction, il faut porter rapidement nos forces dans une autre direction, et défaire ainsi par fractions l’ennemi qui se livre à une attaque concentrique.
Une vaste base d’appui, comme par exemple la région du Woutaichan, constitue une « région militaire » qui se divise en quatre, cinq « sous-régions militaires » ou davantage, chacune comprenant des détachements armés opérant de façon indépendante. En appliquant les méthodes d’opérations décrites plus haut, ces détachements brisent ouvrent en même temps ou successivement les attaques de l’ennemi.
Dans un plan d’opérations visant à repousser une attaque concentrique, nos forces principales sont généralement disposées à l’intérieur des lignes. Dans le cas où nous disposerions de forces suffisantes, il faut en utiliser une faible partie (par exemple des détachements de partisans de districts et d’arrondissements, et éventuellement, des unités détachées des forces principales) à l’extérieur des lignes pour détruire les voies de communication de l’ennemi et immobiliser ses renforts. Si l’ennemi se maintient longtemps sur le territoire de nos bases d’appui, nous pouvons adopter une tactique inverse, c’est-à-dire laisser une partie de nos forces à l’intérieur de ces bases d’appui pour investir et harceler l’ennemi, et attaquer avec le gros de nos forces la région d’où il est venu, y développer notre activité militaire et contraindre de la sorte l’ennemi à se retirer de nos bases pour aller attaquer le gros de nos forces. C’est ce qu’on appelle « attaquer la principauté de Wei pour sauver celle de Tchao »((En l’an 353 av. J.C, les troupes de la principauté de Wei assiégèrent la ville de Hantan, capitale de la principauté de Tchao. Le prince de Tsi ordonna à ses généraux Tien Ki et Souen Pin de porter secours à la principauté de Tchao. Souen Pin, tenant compte de ce que les troupes d’élite de Wei combattaient de la principauté de Tchao et que la principauté de Wei se trouvait sans défense, attaqua cette dernière. L’armée de Wei revint alors en arrière pour sauver son pays ; les troupes du prince de Tsi, profitant de l’épuisement de l’armée ennemie, infligèrent à celle-ci une lourde défaite à Koueiling (dans la partie nord-est de l’actuel district de Hotseh, province du Chantong) ; ainsi, le siège fut levé devant la capitale de Tchao. Depuis lors les stratèges chinois appellent toute tactique similaire la méthode « attaquer la principauté de Wei pour sauver celle de Tchao ».)).
Durant les opérations visant à briser une attaque concentrique de l’ennemi, les forces d’autodéfense antijaponaises locales et toutes les organisations locales de masse doivent être totalement mobilisées pour prendre part aux opérations ou activités militaires et aider par tous les moyens nos troupes dans la lutte contre l’ennemi. Pour combattre l’ennemi, il est important de prendre deux mesures : décréter localement l’état de siège et, dans la mesure du possible, « consolider les remparts et vider les champs ». La première mesure est nécessaire pour réprimer l’activité des traîtres à la nation et priver l’ennemi de la possibilité d’obtenir des renseignements, la deuxième pour appuyer les opérations de nos troupes (consolider les remparts) et pour priver l’ennemi de ravitaillement (vider les champs). Par « vider les champs », il faut entendre rentrer la moisson dès qu’elle est mûre.
Souvent, pendant sa retraite, l’ennemi brûle les maisons dans les villes qu’il abandonne et les villages situés le long de sa ligne de retraite, dans le but de ruiner les bases d’appui de la guerre de partisans, mais ce faisant, il se prive d’habitations et de ravitaillement lors de sa nouvelle attaque et se nuit à lui-même. C’est là un exemple concret qui montre comment une seule et même chose comporte deux aspects contraires.
Les dirigeants de la guerre de partisans ne doivent pas envisager l’idée d’abandonner leur base d’appui et de passer à une autre, sans avoir effectué des tentatives répétées pour repousser la puissante attaque concentrique de l’ennemi et sans avoir acquis la conviction qu’il est impossible de la briser en cet endroit. Dans de telles circonstances, il ne faut pas se laisser aller au pessimisme. En général, dans les régions montagneuses, il est toujours possible de briser l’attaque concentrique de l’ennemi et de tenir les bases d’appui, à condition toutefois que le commandement ne commette pas d’erreurs de principe. Ce n’est que dans les régions de plaine et dans les conditions d’une forte attaque concentrique de l’ennemi qu’il faut, partant de la situation concrète, envisager la solution suivante : laisser dans cette région un grand nombre de petits détachements de partisans en vue d’opérations dispersées et transférer temporairement les grosses unités de partisans dans les régions montagneuses, de façon qu’elles puissent revenir déployer leurs activités dans les plaines après le départ des forces principales de l’ennemi.
Par suite de la contradiction entre l’étendue du territoire de la Chine et l’insuffisance des forces de l’ennemi, ce dernier ne peut pas, en règle générale, recourir à la méthode de la « guerre de blockhaus », que le Kuomintang a appliquée dans la période de la guerre civile en Chine. Nous devons cependant considérer que l’ennemi peut, dans une certaine mesure, se servir de cette méthode contre des bases de partisans qui menacent particulièrement ses points vitaux. Nous devons, même dans ce cas, être prêts à poursuivre fermement la guerre de partisans.
Si nous avons été capables de poursuivre une guerre de partisans même dans les conditions de la guerre civile, il est certain que cela est d’autant plus réalisable dans une guerre nationale. Car même si l’ennemi parvient à mettre en ligne contre certaines de nos bases d’appui des forces d’une supériorité écrasante, en qualité comme en quantité, les contradictions nationales entre l’ennemi et nous n’en resteront pas moins entières et les fautes du commandement des troupes ennemies n’en seront pas moins inévitables. Nos victoires sont fondées sur un sérieux travail parmi les masses et sur des méthodes de guerre pleines de souplesse.
Section 2. L’attaque stratégique dans la guerre de partisans
Après que l’attaque de l’ennemi a été brisée et avant qu’il n’en entreprenne une nouvelle, il y a une période où il se trouve sur la défensive stratégique et où nous passons à l’offensive stratégique.
En une telle période, notre ligne d’opérations ne consiste pas à attaquer un ennemi qui tient fermement ses positions défensives et e nous ne sommes pas sûrs de vaincre, mais à détruire ou à chasser systématiquement hors de régions déterminées les forces ennemies eu considérables et les troupes fantoches dont les détachements de partisans peuvent venir à bout ; de même, nous devons élargir les territoires occupés par nous, soulever les masses populaires dans la lutte contre l’envahisseur, compléter et instruire les détachements de partisans et en organiser de nouveaux. Si, une fois ces tâches réalisées jusqu’à un certain point, l’ennemi est toujours sur la défensive, nous pouvons entreprendre un nouvel élargissement des régions occupées par nous, attaquer les villes et les voies de communication tenues par des forces ennemies peu importantes et les occuper pour un temps ou pour une longue période, suivant les circonstances.
Telles sont les tâches de l’attaque stratégique, dont le but est de mettre à profit la période où l’ennemi se trouve sur la défensive pour accroître avec efficacité nos forces armées et la force des masses populaires, ainsi que pour réduire avec efficacité les forces de l’ennemi et pour nous mettre en mesure de briser, par des opérations planifiées et vigoureuses, la nouvelle attaque qu’entreprendra l’ennemi.
Le repos et l’instruction des troupes sont nécessaires. La période où l’ennemi passe à la défensive est le meilleur moment pour le repos et l’instruction. Mais il ne s’agit pas de s’occuper exclusivement de cela, en se désintéressant de tout le reste ; il faut trouver du temps pour le repos et l’instruction au cours même de l’élargissement du territoire occupé par nous, de l’anéantissement des petites unités ennemies et du travail pour la mobilisation des masses. C’est habituellement à ce moment-là que l’on résout les difficultés dans l’approvisionnement en vivres, vêtements, couvertures, etc.
C’est aussi le moment de détruire sur une vaste échelle les voies de communication de l’ennemi, de paralyser ses transports et d’apporter par là une aide directe aux troupes régulières au cours de leurs campagnes. Alors, dans toutes les bases de partisans, toutes les régions de partisans et tous les détachements de partisans, se manifeste un enthousiasme général, et les régions saccagées par l’ennemi se relèvent peu à peu des ruines et renaissent à la vie. Dans les régions occupées par l’ennemi, les masses populaires s’en réjouissent aussi, partout s’étend le prestige des détachements de partisans.
Dans le camp de l’ennemi et de ses laquais, les traîtres, grandit la panique, s’aggrave la désagrégation, en même temps que s’accroît la haine pour les partisans et les bases d’appui et que s’intensifient les préparatifs contre les partisans C’est pourquoi, lors de l’attaque stratégique, les dirigeants de la guerre de partisans doivent se garder de chanter victoire, de sous-estimer l’ennemi, de négliger le renforcement de l’union dans leurs rangs et la consolidation des bases et des détachements de partisans.
En un tel moment, ils doivent savoir observer chaque mouvement de l’ennemi et découvrir les signes annonciateurs d’une nouvelle attaque, de façon à pouvoir, dès que celle-ci commence, mettre fin en bon ordre à leur attaque stratégique, passer à la défensive stratégique et briser au cours de celle-ci l’attaque de l’ennemi.