Les Cahiers de Contre-Enseignement prolétarien
#9 – Les manuels d’histoire et la guerre impérialiste
II. Préparation à la guerre impérialiste par les manuels d’histoire
2. Exaltation de la France et dénigrement de l’étranger
Pour que les enfants et jeunes gens puissent accepter la guerre future, il faut que leur pays leur apparaisse comme une chose chère, unique, précieuse, digne d’être admirée, aimée, défendue. Aussi les manuels se livrent-ils à une exaltation, à une glorification systématique de la France. Pays de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, toujours pacifique, flambeau de la justice, du droit et de la civilisation, pays en outre le plus beau du monde, admiré par les autres peuples, comment ne mourrait-on pas pour le défendre ?
C’est dans les manuels des écoles primaires, s’adressant à des enfants dont l’esprit critique n’est point développé, que ce parti pris de louange outrancière s’affirme avec le moins de pudeur.
Dans Lavisse, Cours moyen, nous lisons :
La France admirée : on disait que la France était le plus beau royaume après celui du ciel [au moyen-âge] (p. 44).
Il y a dans notre pays beaucoup de ressource et beaucoup d’énergie. On n’a jamais le droit de désespérer de la France (p. 89).
Les Canadiens parlent le français et n’ont pas oublié la France (p. 126).
Les Américains aiment la France (p. 135).
Il n’y a peut-être pas de pays au monde qui aurait montré tant de courage que la France dans une situation pareille [guerre de 1870] (p. 230).
La France est un des pays les plus libres du monde (p. 235).
Notre Patrie est la plus humaine des Patries (p. 267).
La République nous a donné toutes les libertés. Elle a fait faire de grands progrès à l’éducation nationale. Elle protège le travail et les travailleurs (p. 271).
Dans Gauthier, Deschamps, Aymard, Cours moyen :
La Révolution a mis dans les cœurs français l’amour de la liberté et de l’égalité politique, la patriotique fierté d’appartenir au grand peuple qui a proclamé les Droits de l’Homme (p. 95).
Si le monde ne craint plus la France, comme au temps de Louis XIV et de Napoléon, il admire notre pays pour sa vaillance et sa grandeur intellectuelle; il voit toujours en lui la patrie des idées de liberté et de justice (p. 265).
Les Français ont aimé davantage une patrie qui se montrait juste pour tous ses fils et qui rendait meilleur le sort des plus humbles d’entre eux (p. 265).
Dans Guiot et Mane, cours moyen, il y a, concluant le manuel, tout un chapitre sur « le rôle glorieux de la France » (pages 285 à 289), où sont exaltés tour à tour en termes lyriques les « bienfaits des aïeux », le « rôle civilisateur de la France », les « élans de générosité de la France », « l’amour de la France et de la République », « la France républicaine et pacifique ». Nous y lisons :
Vous êtes heureux de pouvoir vous dire les fils de la grande nation qui, durant des siècles, a brillé d’un si vif éclat et qui a su, depuis longtemps, occuper dans le monde une place prépondérante. Soyez fiers de vos ancêtres…
Dans le domaine des lettres et des arts, nulle nation n’a été aussi illustre…
Que de fois l’histoire enregistre les élans de générosité de votre nation !….
Aimez la République. Vous avez certainement apprécié ses bienfaits… Elle vous permet de recevoir l’instruction qui convient à des hommes libres; elle vous ouvre enfin volontiers l’accès de toutes les carrières.
Dans le même manuel nous lisons :
Au XIXème siècle, la France occupe le premier rang dans l’important mouvement scientifique… Soyons fiers de notre pays (p. 274).
Sous ce rapport [écrivains et artistes] elle [la France] n’a pas de rivale au XIXème siècle (p. 278).
De nos jours, dans presque tous les villages, la maison d’école est l’habitation la plus riante, la plus coquette et la plus confortable. Le château féodal n’est plus qu’un amas de ruines. Le château républicain, le château de l’enfance, la remplacé (p. 267).
Parmi les autres manuels, citons : Brossolette, Cours moyen:
La France à depuis 1870, réalisé la plupart des idées essentielles de la Révolution française, et on peut dire qu’en un temps aussi court jamais nation n’a fait un aussi bel effort vers la liberté républicaine et la justice sociale (p. 260).
Si la France a, dans les manuels d’histoire, toutes les vertus, il est clair qu’il ne saurait en être de même des puissances étrangères, dont l’abaissement est plus ou moins nécessaire pour rehausser son éclat. D’ailleurs, n’ont-elles pas été toutes plus ou moins ou ne risquent-elles pas d’être un jour les « ennemis » qu’il faudra pouvoir haïr pour pouvoir les combattre avec toute l’ardeur nécessaire ? Ainsi la besogne de dénigrement de l’étranger est le complément nécessaire de l’exaltation de la France. L’une et l’autre sont les deux pôles opposés qui, en se renforçant simultanément, rendront possible un jour le jaillissement de l’étincelle patriotique et de l’héroïsme guerrier.
Certes, dans ce dénigrement de l’étranger, toutes les puissances ne sont pas traitées sur le même pied. On dit surtout du mal des ennemis de la dernière guerre ou des ennemis les plus probables de la prochaine guerre : Allemagne, Italie, U.R.S.S. Les alliés de la dernière guerre, Angleterre, États-Unis et autres, sont ménagés, reçoivent même quelques éloges en considération de l’aide qu’ils apportèrent à la France, mais avec, par ailleurs, bien des réserves et des critiques sur leur rôle passé et en considération de leur possible rôle futur. Notre « fidèle et loyale alliée » l’Angleterre, par exemple, ne fut-elle pas et ne peut-elle pas redevenir la « perfide Albion » ? Les vassaux directs de l’impérialisme français, comme la Pologne, la Yougoslavie, la Belgique, ne reçoivent guère que des éloges. Enfin, les petites puissances, militairement négligeables en cas de guerre, sont négligées par les manuels, qui évitent le plus souvent de leur accorder une personnalité morale sympathique ou antipathique. C’est ainsi que tout petit Français bien élevé sait que les Allemands sont de « sales types » et les Belges de « braves gens ». Il ne saurait classer, jusqu’à nouvel ordre, dans l’une ou l’autre de ces catégories, les Suisses, les Norvégiens ou les Péruviens.
Quelles que soient ces nuances et leurs variations, d’une façon générale l’étranger n’est qu’occasionnellement digne d’admiration. Il ne l’est jamais au même point que la France, et s’il l’est, c’est presque toujours uniquement pour des services rendus à celle-ci. D’une façon générale, quand la France, au cours de l’histoire, s’est heurtée à l’étranger, c’est toujours ce dernier qui eut tort et dont les actes furent tortueux et coupables.
Il n’est pas rare de voir ainsi des faits du même genre appréciés de façon totalement différente suivant qu’il s’agit de la France ou d’une autre nation. Lavisse, Cours moyen, écrit :
Le roi de Prusse, Frédéric II, était capable de toutes les perfidies pour agrandir ses États (p. 125).
Quelle différence de ton lorsqu’il parle de Louis XI :
Louis XI s’empara du duché de Bourgogne. Il hérita de la Provence, du Maine et de l’Anjou. C’est en réunissant ainsi les pays qui appartenaient à leurs grands vassaux que les rois ont créé la France. Ils ont fait comme les propriétaires qui achètent un champ, puis un autre, puis un autre encore, et arrondissent ainsi leur propriété (p. 55).
Et voilà comment une même opération apparaît dans un cas criminelle, dans l’autre comme une bonne action !
À propos de Napoléon, le même manuel écrit :
L’Angleterre est en partie la cause des guerres de l’Empire; elle a forcé Napoléon à combattre tous les États de l’Europe (p. 190).
Par suite de la situation créée par la grande guerre, de la rivalité persistante — malgré Locarno — entre l’impérialisme français et l’impérialisme allemand, et par suite de la haine du capitalisme français contre l’U.R.S.S. construisant le socialisme, c’est naturellement surtout l’Allemagne et l’U.R.S.S. qui sont odieusement dénigrées dans les manuels. Nous le montrerons en détail dans les deux chapitres spéciaux : mensonges sur les causes et faits de la grande guerre ; préparation à la guerre contre l’U.R.S.S.