Les Cahiers de Contre-Enseignement prolétarien
#9 – Les manuels d’histoire et la guerre impérialiste
II. Préparation à la guerre impérialiste par les manuels d’histoire
5. Faux pacifisme masquant l’impérialisme
« Armé jusqu’aux dents, mais pacifique jusqu’à la moelle. » (Le gouvernement français caractérisé par lord Grey.)
Les budgets de guerre en France ont passé de 7.917 millions en 1927 à 13.877 millions en 1932.
C’est un fait bien significatif que, dans les manuels scolaires, on trouve fréquemment le mot « impérialisme » employé en parlant des puissances étrangères, mais jamais en parlant de la France. On admet volontiers l’existence d’un impérialisme américain, japonais, anglais, allemand, italien, on en montre les tendances et les manifestations. On n’admet pas qu’il puisse exister un « impérialisme français », comme si le capitalisme français, à la recherche des débouchés pour son industrie, n’était pas aussi rapace, aussi cynique et entreprenant que les capitalismes étrangers ; comme si la France faisant la guerre au Maroc et en Mauritanie, opprimant l’Indochine, Madagascar et autres colonies, accroissant sans cesse ses armements, cherchant à dominer l’Europe avec l’appui de ses États vassaux (Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Belgique), préparant en accord avec ceux-ci et le Japon l’attaque de l’U.R.S.S., n’était pas impérialiste !
Mais pour que enfants et jeunes gens soient prêts à la guerre future, il est nécessaire de leur dissimuler que la France capitaliste ressemble étrangement aux autres nations capitalistes ; que, par le fait qu’elle est capitaliste, ses grands industriels, ses financiers, son gouvernement sont amenés à envisager, à désirer, à préparer la guerre et à y conduire le pays. « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage », disait Jaurès. En quoi le capitalisme français pourrait-il faire exception? En quoi pourrait-il être d’une essence particulière et, contrairement à cette constatation de Jaurès, porter en lui la paix ? C’est cependant ce que les manuels d’histoire et autres tentent de faire croire. D’où la dissimulation systématique de l’impérialisme français.
Pour dissimuler l’impérialisme français, il faut faire croire en premier lieu que la France n’a que des intentions pacifiques, qu’elle ne songe qu’à organiser la paix dans le monde ; d’où l’affirmation menteuse de la France champion du pacifisme. Il faut, en second lieu, faire croire, contrairement à toutes les leçons des faits, que cette organisation de la paix est possible en régime capitaliste : d’où l’apologie de la S.D.N., l’affirmation non moins menteuse que cet organisme, instrument des grands impérialismes européens, est désireux et capable de travailler à pacifier le monde (nous publierons un cahier sur la S.D.N.).
Ouvrons tous les manuels, nous y trouverons sous ces deux aspects ce faux pacifisme bourgeois et capitaliste qui n’est que la doublure, le masque de l’impérialisme, destiné à tromper les masses vouées au massacre dans l’intérêt du grand capitalisme, et en premier lieu les enfants à l’esprit malléable, en qui l’impérialisme cynique voit, dès leur entrée à l’école, et même avant leur naissance (propagande pour la repopulation), d’abord et avant tout, de futurs soldats.
Voyons comment s’opère ce bourrage de crânes pacifiste au moment où redouble la course aux armements et où la guerre menace plus que jamais. Citons :
Lavisse, Cours moyen :
La S.D.N. est capable de surveiller tout ce qui se passe dans le monde et d’intervenir rapidement pour essayer d’apaiser les querelles [ex. : Mandchourie! (p. 267).
Les relations franco-allemandes se sont améliorées peu à peu. En 1925, a été signé, à Locarno, en Suisse, un traité entre la France et l’Allemagne… Le danger d’une nouvelle grande guerre a beaucoup diminué [?]. Les principaux États cherchent à s’entendre pour réduire les armées et les flottes de guerre. Tout cela semble promettre aux hommes, qui depuis des siècles ont tant souffert du fléau de la guerre, un avenir de travail dans la paix (p. 267).
Cette phrase, qui montre que le pacifisme bourgeois s’accommode fort bien de l’idée de guerre :
La République est pacifique, mais elle fait respecter nos droits et notre honneur (p. 271).
Gauthier et Deschamps, Cours moyen :
La Société des nations travaille à établir la paix (p. 257).
Une gravure représentant le Conseil de la Société des nations avec Briand (l’apôtre français de la paix ?) au centre et, dans la notice explicative, ces paroles :
La S.D.N. groupe presque tous les pays du monde. Sa mission consiste principalement à régler par l’arbitrage les conflits et à obtenir la réduction des armements nationaux. En 1926, par les accords de Locarno, les ennemis de la Grande Guerre se sont engagés à maintenir les frontières établies par la paix. En 1928, par le pacte Briand-Kellog, les puissances ont mis « hors la loi » le recours à la guerre (p. 259).
Guiot et Mane, Cours moyen :
Forte et respectée au dehors, elle [la France républicaine] ne songe pas aux guerres de conquête… Elle est avant tout pacifique (p. 288).
Rogie et Despiques, Cours moyen :
Ils [les traités de 1919] tentent d’organiser la Société des nations dont le rôle principal sera de prévenir de nouvelles guerres (p. 292).
Calvet, Cours moyen et supérieur :
La paix règne aujourd’hui en Europe et quelques conflits ont été apaisés sans trop de peine par la Société des nations, dont presque tous les pays font désormais partie (p. 320).
On peut espérer qu’un esprit nouveau [pacifique] anime aujourd’hui les nations (p. 321).
Si elle [la France] a repris la place que lui avaient fait perdre ses défaites de 1870, du moins aucun esprit de conquête ne l’anime, et c’est bien à tort que ceux qui se défient d’elle lui ont fait le reproche d’impérialisme (p. 320).
Mais l’auteur, sans apercevoir la contradiction de sa pensée, aussitôt après révèle candidement à la fois l’existence de l’impérialisme français et du caractère véritable de la S.D.N., instrument chargé de garantir aux impérialismes alliés les bénéfices de leur victoire :
Elle [la France] a conservé, il est vrai, une assez forte armée… Mais c’est uniquement par souci de sa sécurité, pour se protéger contre un retour offensif des ennemis d’hier. Il faut, en effet, faire accepter leur défaite aux vaincus de 1918, empêcher toute guerre de revanche. C’est à quoi s’emploient d’ailleurs avec un zèle louable les principaux États et la Société des nations (p. 320).
Brossolette, Cours moyen :
À Genève, au sein de la Société des nations, le gouvernement français fait les plus grands efforts pour que la guerre devienne impossible entre les peuples. En 1925, un accord fameux a été signé dans le même but, à Locarno, entre la France, l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne D’autres accords ont mis depuis la guerre « hors la loi ». Il est regrettable toutefois qu’on n’ait pas arrêté les moyens de punir ceux qui violeraient ces accords (p. 262).
L’auteur cite ces paroles de Briand à la séance de l’Assemblée des nations, à Genève, le 10 septembre 1926 :
Les traités d’arbitrage se multiplient de peuple à peuple; on se promet de ne plus se battre, on se promet des juges. La paix chemine ainsi à travers toutes ces entreprises, et c’est l’esprit de la Société des nations qui anime tout cela, et c’est elle qui a rendu tout cela possible, et c’est elle, par conséquent, que tous les peuples doivent défendre du plus profond de leur amour, du plus profond de leur cœur (p. 262).
Pomot et Besseige, Cours moyen :
C’est peut-être ce manuel, œuvre d’hommes « de gauche », qui étale le plus dangereusement la démagogie et le bourrage de crâne pacifistes. Un chapitre de trois pages : « Pour la paix. La Société des nations », terminé par des extraits de discours de Briand et Stresemann en 1921, contenant des phrases sentimentales sur les horreurs de la guerre, la solidarité des nations, puis ces affirmations :
« La Société des nations a déjà beaucoup travaillé pour la paix » (p. 190), « La France a joué un grand rôle dans la Société des nations… Nous avons le droit d’en être fiers » (p. 190).
Enfin ces phrases, qui révèlent que tout cet hypocrite bagage pacifiste ne fait que dissimuler la préparation à la guerre :
Il faut souhaiter que les Allemands soient venus dans la Société des nations sans arrière-pensée guerrière. L’avenir nous montrera s’ils sont sincères…
La Société des nations a fait le premier effort sérieux pour amener les hommes à s’entendre par-dessus les frontières. Cela ne doit pas les empêcher d’aimer leur patrie et de la défendre si elle est attaquée [souligné dans le texte] (p. 191).
Duvillage, Cours élémentaire et moyen :
La Société des nations a constitué, en 1921, la Cour permanente de Justice internationale… Ce tribunal… s’efforcera de maintenir la paix entre les peuples… la guerre sauvage sera remplacée par l’arbitrage… (p. 318).
La Nouvelle Histoire de France, cours moyen, de la Fédération de l’Enseignement, contient ces lignes :
Par la paix de Versailles, a été fondée la Société des nations, qui doit régler les discussions entre pays… Le monde devrait donc vivre maintenant en paix. Mais la paix ne dépend pas seulement des conditions politiques. Elle dépend avant tout des conditions économiques, de la concurrence industrielle et commerciale à travers le monde. Elle dépend aussi de la volonté des peuples. Quand les peuples, mieux instruits, se connaîtront mieux, ils cesseront de se haïr, et les gouvernements ne pourront plus les lancer les uns contre les autres. Comme le disait un jour Anatole France à des instituteurs : « L’union des travailleurs fera la paix du monde. »
C’est donc le seul manuel qui fasse de justes réserves sur le pacifisme officiel. Mais de simples réserves ne sauraient satisfaire le maître révolutionnaire. Le souci de faire accepter le manuel par le gouvernement bourgeois, en même temps que les restes de préjugés démocratiques chez les auteurs, les ont menés, ici encore, à un « centrisme » dans l’expression qui laisse subsister de dangereuses équivoques. Dire que la Société des nations « doit régler » les discussions entre pays et que « le monde devrait donc vivre maintenant en paix », c’est encore laisser croire à l’enfant que la S.D.N. est vraiment un instrument de paix. C’est dissimuler le caractère impérialiste de cette institution. Dire que « la guerre dépend avant tout des conditions économiques, de la concurrence industrielle et commerciale à travers le monde », c’est bien, certes, mais cela reste bien vague, et ne donne nullement à l’enfant l’idée et l’explication de la véritable cause des guerres actuelles, celle qu’exprimait Jaurès dans la formule : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ».