Les Cahiers de Contre-Enseignement prolétarien
#9 – Les manuels d’histoire et la guerre impérialiste
Introduction : L’école, instrument de préparation à la guerre
Dans tous les pays régis par le capitalisme, qu’ils soient des monarchies ou des républiques, qu’ils connaissent la dictature fasciste ou la démocratie bourgeoise entre lesquelles il n’y a qu’une différence de degré (voir notre Cahier n° 2 : l’État et ses fonctions), dans tous ces pays une minorité capitaliste ayant accaparé la majorité des richesses, capitaux et moyens de production, est en réalité maîtresse du pays, malgré les parlements et les suffrages plus ou moins universels. Nulle part le peuple n’est souverain mais partout l’argent est roi, et partout la bourgeoisie, avec la puissance économique, possède la puissance politique et morale. Avec l’argent, elle possède le moyen d’influencer, de faire fonctionner à son profit et au détriment de la masse des travailleurs exploités et trompés, tous les rouages de la vie politique et sociale. Or, l’un de ces rouages est l’école. On ne saurait se faire une idée exacte du rôle de l’école dans la société capitaliste actuelle tant que l’on n’a pas aperçu cette emprise du capitalisme sur l’école, tant que l’on n’a pas vu comment l’école sert de support au régime capitaliste. Certes, la bourgeoisie s’efforce par tous les moyens de dissimuler cette emprise. En France, particulièrement, à la faveur de la vieille lutte entre l’école libre religieuse et l’école laïque gouvernementale, bien des illusions, entretenues par le gouvernement bourgeois dans les écoles normales, persistent sur la valeur « émancipatrice » de l’école laïque. Nous renvoyons le lecteur qui voudra apprécier justement ce que représente historiquement l’école laïque à la brochure de J. Boyer : l’École laïque contre la classe ouvrière.
En tous pays, la bourgeoisie se sert de l’école pour développer dans la masse des travailleurs les idées qui lui sont favorables. En 1926, à Vienne (Autriche), le IVème Congrès de l’internationale de l’Enseignement, après étude des questions suivantes : école et morale, école et religion, lutte contre la guerre et l’impérialisme, constatait que « les écoles des États bourgeois, religieuses ou laïques, répandent chez les enfants des prolétaires une idéologie et une morale conformes au maintien de la domination politique, économique et morale de la classe capitaliste ».
Cette vérité, en ce qui concerne l’école laïque française, est camouflée par le gouvernement bourgeois, au moyen du dogme de la neutralité scolaire. Nous avons, dans notre Cahier n° 6, « la Neutralité scolaire », démontré que celle-ci n’existe d’aucune manière. Nous y avons énuméré 22 dogmes imposés par la bourgeoisie à l’école laïque, et nous avons démontré que ces dogmes sont tous des corollaires de l’intérêt de la bourgeoisie.
Nous voulons dans ce Cahier montrer seulement sur un point précis, mais d’une manière ample et concrète, comment la bourgeoisie capitaliste utilise l’école pour ses fins. Il s’agit de la préparation par l’école à la guerre capitaliste.
En effet, le régime capitaliste est basé sur la concurrence économique. Les bourgeoisies des divers pays entrent en conflit pour l’exploitation du globe. Les impérialismes se heurtent. Un sentiment national puissant dans les masses populaires est pour chacun d’eux un gage de succès. C’est pour cela que, dans tous les pays capitalistes, le culte de la patrie, l’idée de la défense nationale, sont parmi les dogmes essentiels de la morale scolaire. En tous pays capitalistes, l’école sert à préparer moralement à la guerre capitaliste. Elle y prépare de bien des manières, tantôt ouvertement, tantôt sournoisement, par exemple sous le masque pacifiste, mais toujours avec persévérance. C’est une des fonctions essentielles de l’école capitaliste. Il n’est même pas exagéré de dire que l’une des causes principales pour lesquelles le capitalisme ascendant a, en tous pays, à la fin du XIXème siècle, développé l’instruction populaire, c’est que, avec le développement de la technique militaire, les guerres sont devenues des guerres de masses. Tandis que sous l’ancien régime, les guerres se faisaient avec quelques milliers d’hommes, ce sont des millions d’hommes aujourd’hui, c’est la nation entière qui participe activement à la guerre. C’est donc la nation entière qui doit être préparée moralement à la guerre, et l’école obligatoire est l’un des instruments essentiels de cette préparation. C’est un fait bien significatif et nullement fortuit que dans tous les pays capitalistes l’apparition de l’école obligatoire a concordé avec l’instauration du service militaire obligatoire.
La démonstration de la préparation à la guerre impérialiste par l’école pourrait être faite pour n’importe quel pays capitaliste : Allemagne, Italie, Angleterre, Japon, États-Unis, etc. Nous la ferons ici en ce qui concerne la France, et aussi, bien que d’autres enseignements concourent à la préparation à la guerre (instruction civique, morale, géographie), seulement en ce qui concerne les manuels d’histoire des écoles primaires les plus répandus.
C’est, en effet, surtout par l’enseignement de l’histoire que se fait la préparation morale de la guerre. On sait à quel point l’enfant est rébarbatif à cet enseignement tel qu’il est officiellement imposé à l’école, l’histoire des batailles, des traités et des rois. On a pu se demander comment, depuis cinquante ans que l’école laïque existe, malgré tous les « progrès pédagogiques, on a pu persister à maintenir un enseignement aussi antipédagogique, aussi stérile au point de vue éducatif. La raison en est uniquement que, malgré le dégoût de l’enfant pour l’enseignement de l’histoire, celui-ci sert puissamment à lui inculquer l’idée patriotique propre à en faire, éventuellement, une volontaire et docile « chair à canon ».
Nous montrerons que ce fut là le but essentiel de l’enseignement de l’histoire à l’école primaire, dans la période qui précéda la grande guerre (1870-1914), pendant la guerre et dans la période d’après-guerre (1918-1932). Nous montrerons surtout que les manuels scolaires actuellement utilisés concourent tous à cette préparation, à l’acceptation de la guerre impérialiste chaque jour plus menaçante.