Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien
#16 – Le chauvinisme linguistique
Langue et race
Si considéré en lui-même le chauvinisme linguistique vaut d’être étudié et combattu, il le mérite plus encore si l’on considère que le langage est utilisé comme point de départ soit d’une propagande impérialiste (voyez laïus sur les pays de langue française), soit d’un bourrage de crânes profasciste consistant à dresser des peuples l’un contre l’autre à l’aide du concept de race, lorsque l’histoire ne fournit plus assez de motifs à exaltation chauvine. Il suffira de citer ici les conclusions auxquelles est arrivée la science bourgeoise elle-même.
« L’idée qui se présente d’abord à l’esprit est de mettre en rapport le langage et la race. Le seul grand manuel qui existe de linguistique générale, celui de Friedrich Müller (Srundriss der Sprachwissenschaft, Vienne 1876-1888) est même bâti sur cette idée. On y passe successivement en revue les langues des peuples à cheveux crépus et celles des peuples à cheveux plats ; c’est en fonction des caractères ethniques que se fait le classement des langues. Il n’est rien de plus étrange pour le lecteur que cette disposition ; mais le principe, chose plus grave, n’en résiste pas à l’examen. Les jugements sur les races doivent toujours être entendus avec beaucoup de restrictions. Quel que soit le rôle qu’aient joué les changements de langue, on ne peut établir de liens nécessaires entre ces deux notions. Il ne faut pas confondre les caractères ethniques, qui ne peuvent s’acquérir qu’avec le sang, et les institutions — langue, religion, culture — qui sont des biens éminemment transmissibles, qui se prêtent et s’échangent. Nous voyons, en jetant un coup d’œil sur la carte linguistique de l’Europe actuelle, que sous l’uniformité d’une même langue se dissimulent des races fort mêlées((VENDRYÉS, p. 275-276.)). »
L’histoire tout entière confirme ce jugement. Il est piquant de choisir comme seul exemple le pays où fleurissent aujourd’hui les théories raciales, l’Allemagne.
En effet, signalons qu’avant de s’y généraliser les dialectes germaniques ont eu à lutter contre trois grands dialectes slaves : le prussien, le polabe et le sorabe. Le premier vécut jusqu’au XVIème siècle, entre Dantzig et Königsberg ; le second, parlé sur le cours inférieur de l’Elbe est mort au XVIIIème siècle; le troisième, appelé aussi ivende, ou serbe de Lusace, est encore parlé aujourd’hui dans le Spreewald. Et comme les colonisateurs de l’ordre teutonique n’ont pas chassé les populations slaves qui parlaient ces langues, mais les ont simplement asservies (grandes propriétés féodales en Prusse), nous arrivons à ceci, que l’allemand est parlé en Allemagne par des Slaves. Évidemment, par la science internationale, les Slaves sont aussi des Aryens ; mais pour les savants de cette science internationale bourgeoise, le communisme, « produit spécifiquement russe », est le fruit du génie slave. Le germain pur-sang doit frémir à cette pensée.
« J’ai cité cet exemple pour son actualité, mais tous les linguistes sont d’accord pour dire que « s’il est juste de parler de langues indo-européennes », il est absolument vicieux de parler d’une « race » indo-européenne((Hovelacque : la Linguistique, p. 407.)) ».
Certains vont même jusqu’à avancer que rien ne prouve que l’indo-européen commun ait été parlé par une race qui soit la souche des races européennes modernes. Le fait qu’il existe en Europe des dolichocéphales blonds, des brachycéphales bruns, des dolichocéphales bruns, ou des brachycéphales blonds, n’est pas fait pour donner du poids à cette opinion, à moins de changer la définition du mot « race » pour les besoins de la cause.