L’école laïque contre la classe ouvrière
Joseph Boyer
Les mots d’ordre d’action des instituteurs Militants
Si la masse des instituteurs laïques reste sous l’influence de l’idéologie réformiste ou conservatrice, le prolétariat ne saurait négliger l’appui que lui apporte la minorité des instituteurs et professeurs révolutionnaires, ceux qui ont vu particulièrement dans leur famille les misères de la vie prolétarienne, ceux qui ont souffert particulièrement de la guerre capitaliste, et surtout les jeunes instituteurs et les jeunes normaliens défavorisés par leur situation, qui s’orientent vers les idées révolutionnaires. Un fait caractéristique est le développement récent pris par l’Union Générale des Étudiants de l’Enseignement (l’U.G.E.E.) dans les Écoles normales où elle a 34 sections et 600 adhérents, où son vaillant organe : Le Jeune Travailleur de l’Enseignement, défend les revendications des normaliens et organise un « contre-enseignement » prolétarien opposé au bourrage de crânes bourgeois des Écoles normales. Le fait que depuis une année seulement 60 élèves-maîtres et élèves-maitresses ont adhéré aux Jeunesses Communistes dans douze Écoles normales est aussi bien caractéristique. Nos camarades communistes doivent, par tous les moyens, soutenir l’action de l’U.G E.E. et des Jeunesses Communistes dans les Écoles normales. La lutte pour l’émancipation prolétarienne contre la bourgeoisie capitaliste doit se poursuivre sur le terrain scolaire comme sur tous les autres, et c’est les jeunes instituteurs surtout que nous devons gagner à notre cause.
Mais les instituteurs révolutionnaires, de leur côté, doivent acquérir une notion plus nette du rôle de l’école bourgeoise laïque et de leur tâche révolutionnaire dans et hors de cette école. C’est pour eux comme pour nos camarades ouvriers que cette brochure était nécessaire. C’est pour eux que nous essayerons de fixer les mots d’ordre d’action des instituteurs révolutionnaires.
La lutte à l’école contre l’enseignement bourgeois
Si le maître révolutionnaire ne peut faire à l’école laïque d’éducation révolutionnaire, cela ne signifie pas qu’il n’ait rien à y faire. Il doit, là comme ailleurs, dans la faible limite de ses possibilités, lutter contre la bourgeoisie. Il doit s’efforcer, tenacement, de neutraliser autant que possible le caractère bourgeois de l’enseignement. Cette lutte n’est que la partie la plus infime de sa tâche révolutionnaire, il ne doit se faire aucune illusion sur ses résultats, mais il ne doit pas la négliger.
L’un des moyens à employer est de s’efforcer de conquérir, dans le cadre bourgeois, le maximum d’autonomie administrative et pédagogique. La lutte pour l’autonomie administrative, c’est la lutte par exemple contre la direction d’école, contre la surveillance étroite des inspecteurs. La plus grande autonomie pédagogique s’obtiendra par l’emploi des méthodes actives permettant d’échapper davantage à la tyrannie des programmes, des méthodes et des chefs bourgeois, de lier davantage l’école à la vie sociale, à la vie des travailleurs, par exemple par l’imprimerie à l’école.
Le maître révolutionnaire dénoncera en toute occasion le mensonge de la neutralité scolaire. Il s’efforcera d’organiser la critique systématique de l’enseignement bourgeois donné à l’école laïque, en particulier dans les Écoles normales. Il luttera contre les manuels tendancieux, les boycottera et s’efforcera d’en empêcher l’introduction dans les classes.
Contre la rationalisation et la fascisation de l’école laïque
L’instituteur révolutionnaire luttera pied à pied contre la rationalisation et la fascisation de l’école laïque qui ne sont qu’un des aspects de la rationalisation capitaliste et de la fascisation du régime. Il luttera par l’action directe pour des traitements meilleurs, contre la scandaleuse différence entre les traitements de la base et du sommet, pour le traitement unique par catégorie selon la formule : à travail égal, salaire égal, contre les privilèges des directeurs, les promotions au choix, contre l’abaissement de culture des maîtres et la suppression de postes, pour l’amélioration des locaux scolaires et des logements de l’instituteur. Il luttera contre le faux libéralisme et le renforcement de l’autoritarisme dans les Écoles normales, contre la préparation militaire des normaliens et les cours d’infirmières des normaliennes. Il luttera contre le renforcement des prérogatives des directeurs, contre le contrôle des manuels scolaires, contre les ingérences du clergé à l’école laïque. Il dénoncera le bluff de l’école unique bourgeoise et les dangers d’ « écrémage » du prolétariat, de fabrication de renégats, que constitue la caricature d’école unique créée par la bourgeoisie.
Contre l’école cléricale et la cléricalisation de l’école laïque
La dénonciation du caractère contre-révolutionnaire de l’école laïque ne doit pas faire oublier la lutte sans merci contre l’école cléricale non moins néfaste : l’instituteur révolutionnaire n’oubliera pas que la religion est « l’opium du peuple » et que la Russie soviétique est le seul pays du monde où l’instruction religieuse soit interdite dans toutes les écoles.
Mais sa lutte contre l’école cléricale devra toujours conserver un caractère de lutte de classes très net.
Il ne se laissera pas entraîner à collaborer à ces organismes officiels bourgeois qui sont les « Sociétés de défense laïque ». Il refusera tout rapport avec les bourgeois anticléricaux, et montrera en toute occasion la fragilité et l’hypocrisie de leur position et de leurs convictions.
Il ira d’ailleurs plus loin qu’eux. Nos « grands laïques » prétendent ne lutter que contre les empiétements du clergé, mais non contre la religion pour laquelle ils sont pleins de respect : « Notre laïcité n’est par une antireligion », dit Herriot, et Ferdinand Buisson écrit un livre pour montrer l’identité de la religion et de la morale. Les maîtres révolutionnaires doivent affirmer au contraire leur volonté de lutter non seulement contre le cléricalisme, mais contre la religion elle-même, poison des cerveaux prolétariens, qui soutient les classes privilégiées et crée parmi les travailleurs des mentalités d’esclaves.
Cette lutte contre l’école cléricale ne devra jamais prendre le caractère d’une défense de l’école laïque et d’une glorification de la valeur émancipatrice de celle-ci. Il faudra au contraire ne négliger aucune occasion de marquer que l’une et l’autre sont également nuisibles pour le prolétariat, de les mettre toutes les deux « dans le même sac ». Il faudra montrer à quel point la laïcité de notre enseignement est toute relative, puisqu’il existe un grand nombre d’écoles congréganistes, puisque à côté de l’école laïque se donne l’enseignement religieux, puisqu’on Alsace-Lorraine le clergé a conservé ses anciens droits sur l’école, puisque dans les lycées et collèges il y a encore des aumôniers, puisqu’enfin aux colonies les écoles congréganistes sont puissamment soutenues par le gouvernement laïque; à quel point aussi cette laïcité est précaire, puisque les écoles congréganistes gagnent du terrain, puisque le clergé pénètre l’école laïque elle-même, et puisque la bourgeoisie a montré, par l’exemple de l’Italie, qu’elle n’hésiterait pas, en installant sa dictature fasciste, à supprimer les écoles laïques et à rétablir l’enseignement religieux obligatoire.
Certains camarades ont affirmé qu’il fallait « prendre l’école laïque dans son mouvement, la défendre contre la bourgeoisie de droite et l’attaquer contre la bourgeoisie de gauche ». Position fausse et équivoque puisqu’elle part de la dangereuse distinction entre la gauche et la droite de la bourgeoisie. Le mouvement de l’école laïque ne commande nullement cela, puisque ce mouvement tend au contraire chaque jour à l’effacement toujours plus grand de la lutte entre l’école laïque et l’école congréganiste. Dans tous les clans de la bourgeoisie on prêche la réconciliation : les prêtres renoncent de plus en plus à attaquer l’école laïque qu’ils espèrent conquérir pacifiquement de l’intérieur, et inversement, on voit cinquante grands laïques demander le rétablissement des noviciats des congrégations étrangères, un Varenne visiter les bonnes sœurs en Indochine et un Ferdinand Buisson déclarer à Bordeaux, au Congrès d’Orientation professionnelle féminine, le 24 septembre 1926 : « L’Église, l’École, la Famille, ces trois grandes forces éducatrices doivent s’unir pour arriver au progrès, car seule, chacune ne peut accomplir l’œuvre nécessaire. » Ainsi, la bourgeoisie identifie de plus en plus pratiquement ses deux écoles, et cela n’est qu’un des aspects de la concentration bourgeoise, de l’effacement de la lutte entre la bourgeoisie de gauche et la bourgeoisie de droite. Et ce serait le moment que choisiraient les maîtres révolutionnaires pour rétablir une opposition qui a de moins en moins de raison d’être ! Non ! Le prolétariat doit là aussi préciser sa position de lutte. De même qu’ils ont renoncé, pour leur plus grand bénéfice, à défendre la bourgeoisie de gauche contre la bourgeoisie de droite, les ouvriers et paysans révolutionnaires doivent renoncer à croire que l’école laïque est moins dangereuse pour eux que l’école religieuse. Si l’on peut dire que celle-ci est plus nuisible par l’enseignement religieux qu’on y dispense, c’est des dogmes néfastes qu’on enseigne aussi à l’école laïque, d’autant plus dangereusement que c’est derrière la façade hypocrite du libéralisme et de la démocratie.
II est donc temps que le prolétariat et les maîtres révolutionnaires proclament la tactique « classe contre classe » contre toutes les formes de l’école bourgeoise, comme ils l’ont affirmée contre tous les partis bourgeois.
Critique permanente de l’école laïque bourgeoise
La lutte contre l’école cléricale se doublera donc de la critique permanente et systématique de l’école laïque bourgeoise, de la dénonciation sans répit de son caractère de classe. Ce travail est loin d’être fait, parmi les instituteurs comme parmi les ouvriers et les paysans. Il fait partie du travail d’éducation révolutionnaire.
Certains instituteurs ont affirmé que se livrer à pareille critique de l’école laïque c’était, pour l’instituteur, se combattre lui-même! Comme si c’était aussi, pour l’ouvrier, se combattre lui-même que de lutter contre le patronat dans l’usine où il est exploité, de lutter contre la guerre dans l’armée où il est embrigadé, de lutter contre l’État bourgeois et le régime capitaliste qui l’oppriment!
Pour un contre-enseignement révolutionnaire et antireligieux
La critique de l’école congréganiste et de l’école laïque bourgeoise devra être appuyée et complétée par un vaste travail de contre-enseignement révolutionnaire et antireligieux, en liaison avec la lutte pour les revendications immédiates, pour contrebalancer dans la mesure du possible l’enseignement bourgeois :
Parmi les enfants, le maître révolutionnaire apportera son appui à la formation de groupes d’enfants prolétariens, à la création d’une presse et d’une littérature enfantines prolétariennes.
Parmi les élèves-maîtres, le devoir est de soutenir activement l’U.G.E.E., excellente organisation de lutte contre la bourgeoisie dans les Écoles normales. C’est l’U.G.E.E. qui, en même temps qu’elle défend les revendications des normaliens, a pris l’initiative d’organiser un contre-enseignement prolétarien dans les Écoles normales, dans les matières où le bourrage de crânes bourgeois sévit avec la plus grande intensité (histoire, morale, sociologie, littérature). De nombreux instituteurs et professeurs doivent apporter leur contribution à cet effort, l’étendre au corps enseignant et à la classe ouvrière, apporter également leur adhésion, leur collaboration au Cercle d’études marxistes et aux cours d’éducation politique et d’éducation générale par correspondance créés par le Parti communiste. C’est là un terrain fécond où les maîtres révolutionnaires, en liaison directe avec la classe ouvrière, se prépareront à la tâche qui leur incombera après la Révolution prolétarienne.
Les groupes de parents prolétariens
Pour la défense de l’école congréganiste et la conquête de l’école laïque, l’Église a su organiser des groupes de parents catholiques qui agissent parfois puissamment du dehors sur l’école. Il serait utile que pour une pression révolutionnaire sur l’école bourgeoise, les ouvriers et paysans révolutionnaires, en accord avec les maîtres révolutionnaires, organisent partout où cela est possible, des « groupes de parents prolétariens ». L’exemple donné par le prolétariat allemand en ces matières doit être suivi. Les cellules du Parti communiste et les syndicats unitaires devraient envisager les mesures pratiques à prendre à cet égard. Les questions de l’enfance et de l’école sont chères à la population laborieuse, et l’expérience a toujours prouvé qu’on l’intéressait aisément à ces problèmes. Il serait donc nécessaire» en premier lieu, d’attirer davantage l’attention des parents d’élèves qui adhèrent aux organisations révolutionnaires sur les problèmes scolaires, sur la mainmise honteuse que s’efforce de réaliser l’école congréganiste ou laïque sur l’âme de leurs enfants, sur la nécessité de contrôler l’enseignement qui y est donné et de manifester chaque fois qu’il est nécessaire les oppositions ou les volontés du prolétariat révolutionnaire. Une organisation récemment développée, l’Union fédérale des libres penseurs prolétariens, pourrait, sur ce terrain, leur apporter un sérieux appui.
Pour une participation active à la lutte prolétarienne
Mais la tâche essentielle du maître révolutionnaire est de ne pas oublier qu’en dehors de son travail professionnel, il doit se donner corps et âme au soutien des luttes politiques et économiques du prolétariat. Il doit être un militant dans toute la force du mot. En particulier dans le domaine de l’organisation, de l’éducation politique et de l’éducation générale et de l’élaboration de la théorie révolutionnaire, il peut rendre aux camarades ouvriers et paysans de grands services, mais dans l’agitation, les mouvements et les grèves, il doit être là aussi. Tout en apportant au Parti communiste et dans le mouvement syndical ses critiques et ses suggestions en toute indépendance d’esprit, il saura, contrairement à trop d’intellectuels, se libérer de toute vanité petite-bourgeoise et se plier à la nécessaire discipline prolétarienne, en se pénétrant modestement de l’idée que l’ardeur de la lutte du prolétariat exploité a plus de valeur révolutionnaire que l’instruction frelatée que la bourgeoisie lui a dispensée.
En conclusion de cette étude, nous affirmerons avec notre camarade russe Pistrak (Pédagogie Prolétarienne : édition de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement) : « L’unique issue (du problème scolaire prolétarien en régime capitaliste) c’est la lutte sociale substituée à la réforme pédagogique, autrement dit, c’est la création de conditions sociales où les réformes pédagogiques et le champ de l’éducation aient comme perspective un degré de développement encore inconnu dans l’histoire de l’humanité. »
Pour une vulgarisation des réalisations de l’école du travail soviétique
Pour montrer aux travailleurs la pleine vérité de cette affirmation, une dernière tâche s’impose : la diffusion des magnifiques réalisations de l’école soviétique, des principes et des méthodes de l’école unique du travail. École fondée sur le principe du travail socialement utile, le travail manuel étant le point de départ de la plus haute culture économique et sociale, considérée comme l’étude approfondie du travail et des travailleurs dans le passé et dans le présent. Et encore est-ce mal s’exprimer que de parler d’étude : il faut dire surtout que l’école soviétique participe activement à la vie sociale, aux œuvres et aux luttes actuelles des travailleurs. Elle n’a pas pour but de créer, comme l’école technique bourgeoise, de bons serviteurs d’un mécanisme, mais de familiariser les enfants ouvriers avec les processus élémentaires du plus grand nombre possible d’opérations du travail (école polytechnique), afin qu’ils puissent devenir des maîtres de la production, des constructeurs égaux libres et responsables du socialisme. Dans cette école, des programmes fondés sur le matérialisme marxiste, l’introduction de l’enseignement antireligieux, le développement de l’autodiscipline scolaire, l’emploi de méthodes hautement éducatives comme le système des complexes, le plan Dalton adapté, les diagrammes et les journaux muraux, préparent l’enfant à faire preuve de la plus grande initiative mise toujours au service de la tâche collective. Ainsi se forgent de véritables mentalités fraternelles, en opposition aux mentalités étroitement égoïstes formées par la froide école capitaliste sans âme du régime qui ne connaît plus que le culte du veau d’or.
C’est là seulement que le prolétariat a sa véritable école laïque, — mise au service de la masse des travailleurs et non au service d’une minorité de parasites capitalistes.
Contre le cinquantenaire de l’école laïque bourgeoise
Telles sont les tâches du maître révolutionnaire en face de l’école laïque bourgeoise. Au moment où la bourgeoisie s’apprête à fêter en 1931 le cinquantenaire de « son » école laïque, disons bien haut que le prolétariat ne doit pas s’associer à cette mascarade. Ce n’est pas l’école bourgeoise d’aujourd’hui qu’il a à défendre, c’est l’école prolétarienne de demain qu’il a à préparer par l’action révolutionnaire. À bas les illusions créées par la bourgeoisie sur les bienfaits de l’école laïque ! À bas l’école laïque qui se croit émancipée et émancipatrice ! À bas le cinquantenaire de l’école laïque !
Qu’on consacre les millions votés pour les fêtes par le Parlement à donner des secours d’urgence aux enfants de chômeurs !
Sabotons les fêtes officielles ! Organisons nos contre-manifestations et nos contre-expositions !
Vive l’école soviétique prolétarienne ! Vive l’émancipation de l’école par la lutte révolutionnaire !