Résolution sur le communisme et les colonies
Parti Communiste – Section française de l’Internationale communiste (PC-SFIC)
Le 2e Congrès de l’Internationale Communiste, tenu en août 1920, avait déclaré dans ses thèses sur les questions coloniales :
La grande guerre européenne et ses résultats ont montré clairement que les masses des pays assujettis hors d’Europe sont liées d’une façon absolue au mouvement prolétarien d’Europe et que c’est là une conséquence inévitable de la centralisation du capitalisme mondial…
L’Internationale Communiste doit étendre le cercle de son activité. Sa tâche est d’organiser la classe ouvrière du monde entier pour le renversement de l’ordre capitaliste et l’établissement du communisme.
Ces directives s’imposaient en toute première ligne au Parti Communiste de France, puisque la bourgeoisie de ce pays domine des colonies dont la population atteint 40 millions d’habitants.
Les colonies sont considérées par les classes dominantes comme un grenier de matières premières pour la production desquelles les indigènes sont tenus pour de simples bêtes de somme, comme un débouché privilégié pour le commerce métropolitain ; et aussi comme étant destinées à fournir au militarisme des combattants pour les prochaines guerres que prépare la rivalité entre les impérialismes rivaux des divers pays.
Des dizaines de milliers de coloniaux ont péri dans la guerre européenne. D’autres dizaines de mille restent asservis au militarisme français ; il les expédie, durant la présente « paix sur le pied de guerre », en Allemagne, en Cilicie, en Syrie, sous les climats les plus meurtriers pour ces hommes des pays chauds. On embrigade les métropolitains au nom de la Défense Nationale : ce prétexte ne peut servir dans les colonies annexées d’hier : là, on recrute les Africains et les Asiatiques par des promesses fallacieuses d’argent ou de butin, par l’alcool, par l’arbitraire administratif, ou (quand ces procédés échouent) par la violence, la terreur et les exécutions exemplaires. Le militarisme français se vante, par la bouche de Mangin, de disposer de 400 000 soldats indigènes ; à la vérité, et par les procédés sus-visés, il peut lever un ou deux millions d’Africains et d’Asiatiques. Il espère trouver ainsi des victimes plus dociles que les ouvriers et paysans français, et aussi se servir des contingents coloniaux comme d’instruments aveugles pour opprimer et écraser le prolétariat d’Europe.
Outre la nécessité de combattre le danger que présente, pour le mouvement d’émancipation prolétarienne la mainmise absolue du capitalisme métropolitain sur des populations indigènes encasernées de force, il faut s’attendre à voir, durant une période révolutionnaire, la bourgeoisie utiliser les possessions coloniales comme refuge de la contre-révolution ou, tout au moins, s’appuyer sur elles pour organiser celle-ci. Nous devons, dès maintenant, prévenir cette tactique et, pour cela, nous efforcer de gagner la sympathie des masses indigènes et de les éduquer en leur montrant que leurs maux ont la même cause que ceux de la classe ouvrière métropolitaine.
Ce n’est pas tout de formuler ce devoir : encore faut-il entreprendre les tâches pratiques qui en dérivent. Cela n’est pas facile, pour plusieurs raisons :
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La première, c’est qu’il n’existe pas encore dans le Parti Communiste de tradition bien assise en matière d’action coloniale. La 2e Internationale avait à peu près complètement négligé de susciter aux colonies un mouvement d’opposition contre le capitalisme, se contentant d’émettre en cette matière des déclarations d’un réformisme ambigu et platonique. Tout est donc à orgaaniser aujourd’hui par le Parti Communiste ;
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Ce qui fait la complexité et la délicatesse de cette œuvre, c’est aussi la diversité même des catégories de colonies constituant le domaine colonial français. Il en résulte que les moyens d’action ne sont pas uniformes et devront varier avec chaque grand groupe de colonies. On peut, en gros, répartir celles-ci dans les cinq catégories suivantes ; Afrique du Nord, Afrique Occidentale et Equatoriale, Indo-Chine, Madagascar, Vieilles Colonies ;
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Une autre difficulté résulte de l’inaptitude à peu près générale des indigènes à s’émanciper eux-mêmes. Ils n’ont pas de passé révolutionnaire ; dans beaucoup de colonies, ils sont habitués à la servitude et ne conçoivent pas encore la possibilité de s’en délivrer. Notre effort en vue de leur émancipation et en vue de les amener à seconder, par là-même, notre action révolutionnaire, ne sera pas sérieusement soutenu par eux, tout au moins au début, dans ces pays où l’arbitraire administratif ne connaît pas de limite.
Ces difficultés ne doivent, en aucune façon, justifier l’abandon par le Parti Communiste d’une politique coloniale réaliste et effective. Si nous les signalons, c’est uniquement pour montrer l’utilité d’une organisation spéciale destinée à mener à bien la propagande communiste.
Cette organisation spéciale, le Comité Directeur en a déjà préparé la formation en créant au siège du Parti un Comité d’études coloniales.
Ce Comité est un organe consultatif, recruté parmi des spécialistes, c’est-à-dire des membres du Parti connaissant les colonies pour y avoir vécu.
Il a pour mission de réunir la documentation en matière coloniale, de fournir aux Congrès du Parti et, dans l’intervalle des Congrès, au Comité Directeur, des conclusions pouvant permettre de prendre des décisions appropriées, en matière de doctrine, de propagande et de tactique.
Le Comité d’études coloniales a élaboré un exposé de la situation actuelle des différents groupes de colonies, en précisant les principaux besoins d’ordre économique, politique et social, ressentis par les indigènes ainsi que par les travailleurs métropolitains vivant aux colonies. De la constatation de ces besoins, il a dégagé, comme conclusions, des règles de tactique susceptibles, par leur mise en application, de fomenter aux colonies un mouvement d’opposition contre le capitalisme et un mouvement correspondant de sympathie pour le communisme.
L’ordre du jour du Congrès de Marseille étant trop chargé, ce rapport du Comité d’études coloniales ne pourra, malheureusement, y être examiné et discuté. Mais ce qu’on peut attendre du Congrès de Marseille, c’est d’abord, qu’il approuve le principe de la création d’un organisme spécial pour la politique coloniale du Parti ; c’est ensuite qu’il mandate le Comité Directeur en vue : 1° de continuer et élargir la tâche préparatoire commencée ; 2° de présenter, au plus prochain Congrès du Parti, une thèse coloniale sérieusement étudiée, pour y être discutée à fond de manière que, à partir de ce moment-là, le Parti soit en possession d’une politique coloniale claire, méthodique et pratique.
En conséquence, nous proposons au Congrès de vouloir bien adopter la résolution suivante :
Résolution
Le 2e Congrès du Parti Communiste français, réuni à Marseille, ayant pris connaissance du rapport présenté par le Comité Directeur, au nom du Comité d’études coloniales, et montrant la nécessité de créer au plus tôt, aux colonies, un mouvement d’opposition, animé de l’esprit communiste, contre le capitalisme et ses deux formes particulières, l’impérialisme et le militarisme ;
Tenant compte de la complexité du problème colonial, en raison de l’hétérogénéité des colonies et de l’évolution économique, politique et sociale, souvent rudimentaire, des populations indigènes, ainsi que de la puissance de l’arbitraire administratif dont elles sont victimes ;
Approuve le principe de la création d’un organisme spécial d’études et de documentation en matière coloniale, organisme consultatif et placé sous le contrôle du Comité Directeur ;
Charge ce dernier de prendre toutes mesures utiles en vue de commencer, dès maintenant, une propagande active en matière coloniale, en attendant qu’un projet complet et détaillé d’action coloniale soit discuté dans le prochain Congrès du Parti ;
Demande au groupe parlementaire une active intervention en faveur des indigènes des colonies privés de tous droits((Paragraphe ajouté au cours du Congrès.)) ;
En particulier, invite le Comité Directeur d’accorder une place à l’élude de cette question dans l’Humanité et dans les publications et éditions du Parti ;
Engage les sections en général, spécialement celles existant aux colonies ou dans les villes ayant de fréquentes relations avec celles-ci, ainsi que les communistes isolés de toutes races, à collaborer dès maintenant avec le Comité d’études coloniales.
Le Comité d’Etudes Coloniales.