Le développement du capitalisme en Russie
Lénine
Chapitre III : PASSAGE DES PROPRIÉTAIRES FONCIERS DU SYSTÈME BASÉ SUR LA CORVÉE A CELUI DE l’EXPLOITATION CAPITALISTE
VII. L’EMPLOI DES MACHINES DANS L’AGRICULTURE
Si on la considère du point de vue de la construction et de l’emploi des machines agricoles, l’époque qui a suivi l’abolition du servage se divise en quatre périodes((Voir la Revue historico-statistique de l’industrie en Russie, t. I, St-Pétcrsbourg 1883 (ouvrage publié pour l’exposition de 1882), article de V. Tcherniaïev: « La fabrication des machines agricoles », ibid, t. II, St-Pétersbourg 1886, groupe IX, L’économie rurale et forestière de la Russie (St-Pétcrsbourg 1893, ouvrage publié pour l’exposition de Chicago), article de M V. Tcherniaïev Les instruments et machines agricoles ». Les forces productives de la Russie (St-Pétersbourg 1896, ouvrage publié pour l’exposition de 1896), l’article de M. Lénine: «Les instruments et machines agricoles» (section I). – Messager des Finances, 1896, n° 51 et 1897, n° 21. – V. Raspopine article cité. Seul ce dernier article place la question sur le terrain économique et politique, tandis que tous les autres ont été rédigés par des agronomes spécialisés.)). La première période englobe les dernières années qui ont précédé la réforme paysanne et les premières années qui l’ont suivie. Les propriétaires qui voulaient se passer du travail «gratuit» des serfs et éviter les difficultés de la libre embauche se précipitèrent sur les machines étrangères. Il va de soi que cette tentative se solda par un échec. La fièvre s’éteignit rapidement et à partir de 1863-1864 la demande de machines étrangères tomba. La seconde période commence à la fin des années 70 et se prolonge jusqu’en 1885: au cours de cette période, les importations de machines étrangères se développèrent à un rythme extrêmement rapide et régulier. La production nationale quant à elle augmente régulièrement mais moins rapidement que les importation qui connaissent une progression particulièrement rapide entre 1881 et 1884. Cette rapidité s’explique en partie par le fait qu’en 1881, les importations de fer et de fonte destinées aux usines fabriquant du matériel agricole cessèrent d’être libres. La troisième période s’étend de 1885 à 1890. En 1885, les importations de machines, qui jusqu’alors avaient été libres, furent taxées (50 kopecks-or par poud). Cette énorme taxe provoqua un ralentissement considérable du rythme des entrées; or la production nationale se développait avec lenteur par suite de la crise agricole dont le début remonte précisément à cette période. A partir des années 90, enfin, s’ouvre la quatrième période qui est marquée par un nouvel essor des importations de machines agricoles et par un développement extrêmement rapide de la production intérieure.
Les chiffres ci-dessous illustrent ce que nous venous de dire. Voici la moyenne annuelle des importations de machines agricoles pour les périodes suivantes:
Malheureusement, il n’existe pas de données aussi précises et aussi complètes sur la fabrication des machines et des instruments agricoles en Russie. Etant donné l’insuffisance de nos statistique industrielles, étant donné, d’autre part, que la production des machines agricoles est confondue avec celle des machines en général et qu’il n’existe aucune règle fixe permettant de distinguer la production «artisanale» de la production industrielle, il nous est impossible de présenter un tableau complet de la fabrication des machines agricoles en Russie. Toutefois, si on groupe les données provenant des sources indiquées plus haut, on obtient le tableau suivant:
Grâce à ces données on peut se rendre compte de la rapidité du processus de remplacement des instruments agricoles primitifs par les instruments perfectionnés (et, par conséquent, de la rapidité du processus de remplacement des formes d’exploitation primitives par le capitalisme). En dix-huit ans la consommation des machines agricoles s’est accrue de trois fois et demie et même davantage, grâce essentiellement à la production intérieure qui a plus que quadruplé. Il est remarquable d’autre part que le principal centre de cette production se déplace des provinces de la Vistule et de la Baltique vers les provinces russes des steppes méridionales. Alors que dans les années 70, le principal centre du capitalisme agraire de Russie se trouvait dans les provinces frontières de l’ouest, au cours des années 90 des centres encore plus importants se sont formés dans les provinces purement russes((Pour permettre de juger des changements survenus ces derniers temps, nous citerons les chiffres fournis par l’Annuaire de la Russie (édition du Comité central de la Statistique. St-Pétersbourg 1906) pour 1900-1903. La fabrication des machines agricoles dans l’Empire est évaluée ici à 12058000 roubles, et les importations à 15240000 roubles en 1902 et à 20615000 roubles en 1903. (Note de la 2e édition.))).
Les données que nous citons, bien que provenant de documents officiels (à notre connaissance, ce sont les seuls qui existent), sont loin d’être complètes et il n’est pas toujours possible de les comparer d’une année à l’autre. Les chiffres les plus complets sont ceux qui portent sur les années 1876-1879. Ils ont été recueillis spécialement pour l’exposition de 1882 et ils embrassent non seulement la production «industrielle» mais également la production «artisanale» des machines agricoles. Selon ces chiffres, il y avait en moyenne, entre 1876 et 1879, 340 entreprises fabriquant des machines et des instruments agricoles, dans l’ensemble de la Russie d’Europe, royaume de Pologne compris, alors que selon la «statistique industrielle» il n’y avait en 1879 dans la Russie d’Europe que 66 usines consacrées à cette production (calculs établis d’après l’Index des fabriques et usines d’Orlov pour 1879). Cette énorme différence s’explique de la façon suivante: sur ces 340 entreprises, moins d’un tiers (100) avaient des moteurs à vapeur et plus de la moitié (196) marchaient à bras: d’autre part, 236 ne possédaient pas de fonderie et faisaient exécuter ailleurs les pièces de fonte (Revue histarico-statistique, l. c.). Pour les années 1890 et 1894, les renseignements ont été pris dans les Recueils de données sur la grande industrie en Russie (Édition du Département du commerce et des manufactures)((Le Messager des Finances (1897, n° 21) rapproche ces données pour les années 1888-1894, mais sans en indiquer exactement la source.)). Ces renseignements sont très incomplets même pour ce qui concerne la production «industrielle». C’est ainsi, par exemple, qu’en 1890, les Recueils dénombrent en Russie d’Europe 149 usines fabriquant des machines et des instruments agricoles alors que l’Index d’Orlov en dénombre plus de 163. Pour 1894, ils en comptent 164 (Messager des Finances, 1897, n° 21. p. 544) alors que la «Liste des usines et fabriques» en relève plus de 173 en 1894-1895. Quant à la petite production «artisanale», les recueils ne s’en soucient absolument pas((En 1864, on estimait à 64 le nombre des ateliers produisant et réparant les instruments agricoles; en 1871, à 112; en 1874, à 203; en 1879, à 340; en 1885, à 435; en 1892, à 400 et en 1895, à près de 400. (L’Economie rurale et forestière de la Russie, p. 358 et le Messager des Finances, 1896, n° 51.) Or, le Recueil ne comptait en 1888-1894 que 157-217 usines de ce genre (en moyenne 183 pour ces 7 années). Voici un exemple illustrant le rapport entre la production «industrielle» et la production «artisanale» des machines agricoles: dans la province de Perm on ne comptait en 1894 que 4 «usines» avec une production totale de 28000 roubles, tandis que le recensement de 1894-1895 dénombrait 94 entreprises artisanales produisant pour 50000 roubles de machines agricoles. Et parmi les entreprises «artisanales», il s’en trouve qui ont, par exemple, 6 ouvriers salariés et une production totale de plus de 8000 roubles. (Étude sur l’état de l’industrie artisanale dans la province de Perm. Perm 1896.) )). Il est donc indiscutable que les chiffres concernant les années 1890 et 1894 sont très inférieure à la réalité. Cela est d’ailleurs confirmé par les spécialistes qui estiment qu’au début des années 90, la Russie produisait pour environ 10 millions de roubles de machines et instruments agricoles (L’ Economie rurale et forestière, p. 359) et qu’en 1895, elle en produisait pour environ 20 millions de roubles. (Messager des Finances, 1896, n° 51.)
Citons maintenant quelques chiffres plus détaillés concernant la variété et la quantité des machines et des instruments agricoles fabriqués en Russie. Selon les estimations, on a produit 25835 instruments en 1876, 29590 en 1877, 35226 en 1878 et 47892 en 1879. Il n’y a qu’à citer les données suivantes pour s’apercevoir qu’actuellement, ces chiffres sont complètement dépassés: alors qu’en 1879, la production des charrues était d’environ 14500, elle atteignait 75000 en 1894 (Messager des Finances, 1897, n° 21). «Si, il y a cinq ans, se posait la question de savoir quelle mesure il fallait prendre pour généraliser l’emploi des charrues dans les exploitations paysannes, actuellement, ce problème est pratiquement résolu. L’achat d’une charrue par un paysan a cessé d’être une chose insolite. C’est devenu un phénomène normal et l’on peut compter par milliers le nombre des charrues achetées chaque année par les paysans((Comptes rendus et recherches sur l’industrie artisanale en Russie. Editions du ministère des Biens de l’Etat, t. I. St-Pétersbourg, 1892, p. 202. Dans le même temps la fabrication des charrues par les paysans baisse, évincée par la production industrielle. )).» Etant donné la masse d’instruments primitifs employés en Russie, de larges débouchés continuent à être offerts à la production des charrues((L’Economie rurale et forestière de la Russie, p. 360. )) dont l’emploi s’est tellement répandu que le problème des applications de l’électricité commence à se poser. C’est ainsi, par exemple, que dans la Torgovo-promychlennaïa Gazéta (1902, n° 6) on peut lire qu’au deuxième congrès de l’électricité, «le rapport de M. Rjevski sur «l’électricité dans l’agriculture» a suscité un vif intérêt». A l’aide de croquis remarquables, le rapporteur a montré comment l’énergie électrique était utilisée en Allemagne pour la culture des champs. Il a fourni, sur l’économie que permet de réaliser ce procédé, des chiffres tirés d’un devis qu’il avait établi à la demande du propriétaire d’un domaine dans une province du Sud. Le projet prévoyait le labeur de 540 déciatines par an (une partie de cette superficie devait être labourée deux fois par an et la profondeur du labour devait être de 4,5 à 5 verchok((Verchok = 4,4 cm)), le sol étant composé de terre noire pure). En plus des charrues, le projet prévoyait des machines pour les autres travaux des champs, ainsi qu’une batteuse et un moulin d’une puissance de 25 chevaux travaillant 2000 heures par an. Le rapporteur avait évalué à 41000 roubles le coût de l’installation complète du domaine (le chiffre comprenant 6 verstes de fil électrique de 50 mm). Le labour d’une déciatine reviendrait à 7,40 roubles si un moulin était installé et à 8,70 roubles sans moulin. Étant donné le prix de la main-d’œuvre, du bétail, etc., dans cette localité, l’équipement électrique permettrait une économie de 1013 roubles dans le premier cas et de 966 roubles dans le second (sans le moulin, en effet, la consommation d’énergie électrique serait moins importante).
Pour la production des batteuses et des tarares, le tournant n’a pas été aussi brusque, car il y avait déjà longtemps que ces instruments étaient fabriqués de façon relativement courante((En 1879, il a été fabriqué près de 4500 batteuses; en 1894-1895, près de 3500. Ce dernier chiffre n’englobe pas les fabrications artisanales.)). Il s’est même créé dans la ville de Sapojok (province de Riazan) et dans les villages environnants un centre de production «artisanale» qui a permis à la bourgeoisie paysanne locale de réaliser de coquets bénéfices (cf. Comptes rendus et recherches, I, pp. 208-210). Pour les moissonneuses la production a été particulièrement rapide: alors qu’en 1879, on en produisait 780 par an, en 1893 on estimait que leur vente atteignait environ de 7000 à 8 000 par an et environ 27000 en 1894-1895. En 1895, l’usine de G. Greaves qui se trouve à Berdiansk, province de Tauride, et qui est «la plus grande usine de moissonneuses existant en Europe» (Messager des Finances, 1896, n° 51) en a produit 4464. Chez les paysans de la province de Tauride, les moissonneuses sont si répandues, qu’on a vu apparaître un type nouveau de «métier auxiliaire», qui consiste à aller moissonner à la machine le blé appartenant à autrui((C’est ainsi qu’en 1893, «dans le domaine d’Ouspenskoïé appartenant à Falz-Fein (détenteur de 200000 déciatines), il s’est trouvé réunies environ 700 moissonneuses paysannes offrant leurs services. Mais la moitié des paysans a dû s’en retourner, 350 machines seulement ayant été louées» (Chakhovskoï : Les petites industries agricoles exercées au-dehors, Moscou 1896; p. 161). Toutefois, dans les autres provinces de steppes, notamment sur la rive gauche de la Volga, les moissonneuses sont encore peu répandues. Au reste, ces dernières années ces provinces s’efforcent également de rattraper la Nouvelle-Russie. En 1890, le chemin de fer Syzran-Viazma a transporté 75000 pouds de machines agricoles, locomobiles et pièces détachées; et en 1891 il en a transporté 62000 pouds; en 1892, 88000 pouds, en 1893, 120000 pouds et en 1894, 212000 pouds; ainsi, le transport de ces machines a presque triplé de volume en cinq ans à peine. La gare d’Oukholovo a expédié en 1893 environ 30000 pouds de machines agricoles de fabrication locale et en 1894 environ 82000 pouds, tandis que jusqu’en 1892 inclusivement elle n’en expédiait même pas 10000 pouds par an. «On expédie d’Oukholovo surtout des batteuses fabriquées dans le bourg de Kanino et le village de Smykovo et, en partie, à Sapojok, chef-lieu de district, province de Riazan. Le bourg de Kanino possède trois fonderies appartenant à Iermakov, Karev et Golikov, où l’on fabrique principalement les pièces de machines agricoles. Le finissage et le montage sont effectués à peu près par tous les habitants de ces deux agglomérations; Kanino et Smykovo)» (Coup d’oeil rapide sur l’activité commerciale du chemin de fer Syzran-Viazma en 1894. Fasc. IV, Kalouga, 1896, pp. 62-63). Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est d’abord que cet accroissement énorme de la production ait eu lieu justement au cours de ces dernières années où les prix du blé étaient bas; d’autre part, c’est le lien qui existe entre la production «en usine» et la production dite «artisanale». Cette dernière est tout simplement une «annexe extérieure» de la fabrique.)).
Nous avons des données analogues pour d’autres instruments agricoles d’un usage moins fréquent. C’est ainsi, par exemple, qu’il existe d’ores et déjà plusieurs dizaines d’usines qui fabriquent des semoirs à la volée, qu’il y en a sept qui produisent des semoirs à ligne plus perfectionnés (Les forces productives, I, 51) alors qu’en 1893, il n’y en avait que deux (L’économie rurale et forestière, p. 360). Ajoutons que ces semoirs sont largement répandus, en particulier dans le Sud de la Russie. Les machines sont employées dans toutes les branches de l’agriculture et pour toutes les opérations concernant tel ou tel produit: les rapports spécialisés nous indiquent que les tarares, les trieurs, les séchoirs, les presses à foin, les broyeuses à lin, etc., sont extrêmement répandus. L’Annexe au compte rendu agricole, publié en 1898 par la direction du zemstvo (Séverny Kourier, 1899, de la province de Pskov n° 32), note que l’emploi des machines s’est généralisé, notamment celui des broyeuses à lin, depuis que la culture du lin est passée du stade de la consommation individuelle au stade commercial. Le nombre des charrues s’accroît. D’autre part, l’accroissement du nombre des machines et la hausse des salaires sont favorisés par l’exode vers les villes. C’est ainsi que dans la province de Stavropol (ibid., n° 33) alors qu’en 1882, on comptait 908 machines, on en comptait en moyenne 29275, en 1891-1893, en moyenne 54874, en 1894-1896, et ce chiffre atteignait 64000 en 1895. Cette augmentation est liée au renforcement de l’immigration.
Il va de soi que la demande de moteurs mécaniques augmente avec le nombre des machines employées: en même temps que les machines à vapeur, «les moteurs à pétrole commencent depuis un certain temps à être de plus en plus utilisés dans nos exploitations» (Les forces productives, I, 56). Bien qu’il y ait à peine sept ans que ces moteurs sont apparus à l’étranger, nous avons déjà sept usines qui en fabriquent. Alors que dans la province de Kherson, après 1870, il n’y avait que 134 locomobiles employées pour l’agriculture (Matériaux pour la statistique des moteurs à vapeur dans l’Empire de Russie, St-Pétersbourg 1882), en 1881, il y en avait environ cinq cents (Revue historico-statistique, t. II, Section des instruments agricoles). En 1884-1886, on dénombrait 435 batteuses à vapeur dans trois des six districts de la province. «A l’heure actuelle (1895), il y en a au moins deux fois plus». (Téziakov: Les ouvriers agricoles et l’organisation du contrôle sanitaire dans la province de Kherson, Kherson 1896, p. 71). Selon le Messager des Finances (1897, n° 21), dans la province de Kherson «on compte environ 1150 batteuses à vapeur et presque autant dans la région du Kouban… Depuis quelque temps, les achats de batteuses à vapeur ont un caractère industriel… Il y a des cas où après avoir couvert entièrement, grâce à deux ou trois bonnes récoltes, le prix d’une première batteuse avec locomobile (5000 roubles), l’agriculteur en achetait aussitôt une deuxième aux mêmes conditions. Aussi est-il assez fréquent de trouver au Kouban des petites exploitations possédant 5 ou même 10 batteuses de ce genre qui sont considérées comme indispensables dans toute exploitation installée tans soit peu normalement». «D’une façon générale, on compte actuellement dans le Sud de la Russie plus de 10000 locomobiles destinées à des usages agricoles» (Les forces productives, IX, p. 151)((Cf. La correspondance du district de Pérékop (province de Tauride), publiée par les Rousskié viédomosti du 19 août 1898 (n° 167). «Grâce à l’emploi généralisé des moissonneuses et des batteuses à vapeur ou hippomobiles parmi nos agriculteurs, les travaux des champs … avancent avec une extrême rapidité. L’ancien battage au «rouleau» est du domaine du passé … Le cultivateur criméen augmente d’année en année ses emblavures, de sorte qu’il se voit obligé, bon gré mal gré, de recourir aux instruments et machines perfectionnés. Tandis qu’au rouleau on ne peut battre plus de 150 à 200 pouds de grains par jour, une batteuse à vapeur de 10 chevaux en fournit 2000 à 2500 et une batteuse hippomobile, 700 à 800 pouds par jour. Voilà pourquoi la demande d’instruments agricoles, de moissonneuses et de batteuses augmente chaque année au point que les usines et les fabriques n’en ont pas en magasin et ne peuvent satisfaire aux commandes, comme ce fut le cas cette année». Une des raisons principales de la diffusion des instruments perfectionnés est la baisse des prix du blé qui oblige les exploitants ruraux à diminuer le coût de la production.)).
En 1875-1878, le nombre total des locomobiles destinnées à l’agriculture pour toute la Russie d’Europe était de 1351. En 1901, d’après des renseignements incomplets (Recueil de comptes rendus de l’inspection des fabriques pour 1903), il était dé 12091; en 1902, de 14609; en 1903, de 16021, et en 1904, de 17287. Il suffit de rapprocher ces chiffres pour voir quelle gigantesque révolution le capitalisme a provoqué dans notre agriculture au cours des deux ou trois dernières décennies. Ce processus a d’ailleurs été considérablement accéléré grâce à la contribution des zemstvos. Au début de 1897 «11 zemstvos de province et 203 zemstvos de district» possédaient leur dépôt de machines agricoles, «avec un fonds de roulement total d’environ 1 million de roubles» (Messager des Finances, 1897, n° 21). Dans la province de Poltava, les dépôts de zemstvos ont réalisé les chiffres d’affaires suivants: 22600 roubles, en 1890, 94900 roubles, en 1892, et 210100 roubles, en 1895. En six ans, ils ont vendu 12600 charrues, 500 tarares et trieurs, 300 moissonneuses et 200 batteuses hippomobiles. «Les Cosaques et les paysans sont les principaux clients des dépôts de zemstvos. Ils ont acheté 70% des charrues et des batteuses hippomobiles. Par contre, ce sont essentiellement les propriétaires fonciers (et en particulier les gros propriétaires qui possèdent plus de 100 déciatines) qui achètent des semoirs et des moissonneuses» (Messager des Finances, 1897, n° 4).
D’après le compte rendu de la direction du zemstvo de la province d’Ekatérinoslav pour 1895, «les instruments agricoles perfectionnés se répandent dans cette province à un rythme extrêmement rapide», Ainsi, dans le district de Verkhnédniéprovsk on comptait:
La direction du zemstvo de la province de Moscou établit que les paysans de cette province avaient en 1895 41210 charrues réparties entre 20,2% des foyers paysans (Messager des Finances, 1896, n° 31). Un calcul spécialement établi en 1896, dénombre dans la province de Tver 51266 charrues, soit 16,5% des foyers paysans. Dans le district de Tver il n’y avait en 1890 que 290 charrues, et en 1896 on comptait 5581 (Recueil de rens. stat. sur la province de Tver, t. XIII, fasc. 2, pp. 91, 94). On jugera par là de la rapidité avec laquelle la bourgeoisie paysanne affermit et améliore ses exploitations.