Le développement du capitalisme en Russie
Lénine
Chapitre IV : LE PROGRÈS DE L’AGRICULTURE COMMERCIALE
VII. LE TRAITEMENT DES PRODUITS AGRICOLES
Nous avons déjà eu l’occasion de noter (chap. I, parag. 1) que lorsqu’ils classent les différents systèmes agricoles selon le principal produit marchand, les écrivains, spécialisés dans l’agriculture, rangent dans une catégorie à part le système usinier ou industriel. Ce système consiste à soumettre le produit agricole à un traitement spécialisé, avant de l’utiliser pour la consommation (personnelle ou productive.). Parfois les établissements où ce traitement est effectué font partie des exploitations qui fournissent le produit brut. Dans d’autres cas, ils appartiennent à des industriels spécialisés qui achètent ce produit aux agriculteurs. Au point de vue économico-politique, la différence existant entre ces deux types est infime. Le progrès des industries agricoles a une énorme importance pour le développement du capitalisme. Premièrement, en effet, ce progrès constitue l’une des formes du développement de l’agriculture commerciale, et justement de celle qui montre avec le plus de netteté que l’agriculture est en train de devenir une des branches industrielles de la société capitaliste. Deuxièmement, le développement du traitement spécialisé des produits agricoles est, en règle générale, indissolublement lié au progrès technique de l’économie rurale: d’une part, il arrive souvent qu’une amélioration de l’agriculture soit indispensable, rien que pour obtenir les matières premières destinées à être traitées (par exemple, les plantes à rhizomes) ; d’autre part, les résidus de la transformation sont fréquemment utilisés pour l’agriculture, ce qui provoque une élévation du rendement et rétablit, ne fût-ce que partiellement, l’équilibre et l’interdépendance entre l’agriculture et l’industrie, équilibre dont la rupture constitue une des contradictions les plus profondes du capitalisme. Nous devons maintenant exposer quelles sont les caractéristiques du développement des industries agricoles en Russie depuis l’abolition du servage.
1. Distillation
Nous envisageons ici la distillation du seul point de vue de l’agriculture. Nous n’aurons donc pas à nous occuper de la rapidité avec laquelle cette industrie s’est concentrée dans les grandes usines (en partie à cause du système fiscal), ni des progrès qui ont été accomplis par la technique industrielle permettant une diminution du coût de la production, ni des impôts dont l’augmentation a été supérieure à la baisse du prix de revient et dont le caractère démesuré a entravé le développement de la consommation et de la production. Voici les chiffres relatifs à la distillation «agricole» dans l’ensemble de l’Empire de Russie((Selon la loi du 4 juin 1890, la distillation agricole doit répondre aux critères suivants: 1) elle doit se faire du 1er septembre au 1er juin, c’est-à-dire quand il n’y a pas de travail dans les champs; 2) la quantité d’alcool distillé doit être proportionnelle au nombre de déciatines de terre arable existant dans le domaine. Les usines faisant la distillation mi-agricole, mi- industrielle, portent le nom d’usines mixtes (cf. Messager des Finances, 1896, n° 25, et 1898, n° 10).)):
On voit que plus des 9/10 des distilleries (soit plus des 4/5 de la production) sont directement rattachées à l’agriculture. Comme ces usines sont de grosses entreprises capitalistes, il en est de même pour tous les grands domaines où elles sont installées (les distilleries appartiennent presque exclusivement aux propriétaires terriens et principalement à la noblesse . La région où cette variété d’agriculture commerciale connaît le plus grand développement est la zone centrale des Terres Noires où sont concentrés plus de 10% des distilleries de l’Empire russe (239 usines en 1896/97 dont 225 agricoles et mixtes) et qui fournit plus d’un quart de la production totale d’alcool (7785000 seaux en 1896/97, dont 6828000 fournis par les usines agricoles et mixtes). On voit par conséquent que dans la région où prédomine le système des prestations le caractère commercial de l’agriculture se manifeste le plus souvent (comparativement aux autres régions) dans la fabrication des eaux-de-vie à partir du grain et de la pomme de terre. Les chiffres suivants. qui portent sur l’ensemble de l’Empire russe, montrent que la distillation de la pomme de terre a connu un développement particulièrement rapide après l’abolition du servage((Sources: Recueil de la statistique militaire, p. 427; Les forces Productives, t. IX, p. 49 et Messager des Finances, 1898, n° 14.)).
Si la quantité de céréales traitées a doublé, la quantité de pommes de terre, elle, a été multipliée par 15. Cela vient confirmer de façon éclatante la thèse exposée plus haut (paragraphe I de ce chapitre) et selon laquelle un accroissement considérable de la culture et des récoltes de pommes de terre dénote un progrès de l’agriculture commerciale et capitaliste, en même temps qu’une amélioration des techniques, l’abandon de l’assolement triennal au profit des assolements multiples. etc.((Cf. Raspopine, l.c. Revue historico-statistique, l.c., p. 14, Les résidus de la distillation sont souvent utilisés (non seulement par les usines agricoles, mais aussi par les usines commerciales) pour l’élevage commercial du bétail à viande. Cf. Renseignements agricoles et statistiques, fasc. VII, pp. 122 et passim.)) La région où la distillation est la plus développée est également celle (parmi les provinces russes, c’est-à-dire à l’exclusion des provinces de la Baltique et de l’Ouest) où la récolte nette de pommes de terre par habitant atteint le chiffre le plus élevé. C’est ainsi que dans les provinces septentrionales à tchernoziom on a récolté 0,44 tchetvert par habitant entre 1864 et 1866, 0,62 tchetvert entre 1870 et 1879 et 0,60 tchetvert entre 1883 et 1887 alors que dans l’ensemble de la Russie d’Europe (50 provinces)on n’en récoltait aux mêmes époques que 0,27, 0,43 et 0,44 tchetvert. La Revue historico-statistique notait d’ailleurs dès le début des années 80 que «la région où la culture de la pomme de terre était le plus répandue comprenait toutes les provinces centrales et septentrionales de la zone des Terres Noires, les provinces de la Volga et de la Trans-Volga, ainsi que les provinces centrales sans tchernoziom» (l. c., 44)((Les données suivantes montrent avec quelle rapidité prodigieuse l’utilisation des pommes de terre pour la distillation a progressé dans les provinces agricoles centrales. Dans les 6 provinces de Koursk, Orel, Toula. Riazan, Tambov, Voronèje, on a traité en moyenne chaque année 407000 pouds de pommes de terre, entre 1864-1865 et 1873-1874; 7482000 pouds entre 1874-1875 et 1883-1881 et 20077000 pouds entre 1884-1885 et 1893-1894. Pour l’ensemble de la Russie d’Europe les chiffres correspondants sont 10633000, 30599000 et 696620000. Le nombre d’usines employant la pomme de terre pour la distillation était en moyenne, dans les mêmes provinces, de 29 par an entre 1867-1868 et 1875-1876; 139 entre 1876-1877 et 1884-1885; 163 entre 1885-1886 et 1893-1894. Pour toute la Russie d’Europe, on avait respectivement 739-979-1195 (v. Renseignements agricoles et statistiques, fasc. VII).)).
L’extension de la culture de la pomme de terre dans les gros domaines et chez les paysans aisés provoque un accroissement de la demande de travail salarié. La culture d’une déciatine de pommes de terre nécessite en effet beaucoup plus de travail((Ainsi. le Recueil statistique des zemstvos pour le district de Balakhna, province de Nijni-Novgorod, estime que la culture d’une déciatine de pommes de terre nécessite 77,2 journées de travail, dont 59,2 journées d’ouvrière pour planter, butter, sarcler et arracher. C’est donc le travail à la journée des paysannes de l’endroit qui est le plus demandé.)) que celle d’une déciatine de blé. Or, dans la zone centrale des Terres Noires, par exemple, les machines sont toujours très peu employées. Par conséquent, si le nombre des ouvriers employés directement à la distillation a diminué((En 1867, on comptait dans les distilleries de la Russie d’Europe 52660 ouvriers (Recueil de la statistique militaire. Nous montrerons au chapitre VII que cette source grossit de beaucoup le nombre des ouvriers d’usine), et, en 1890, 26102 (d’après l’Index d’Orlov). Les ouvriers occupés spécialement à la distillation ne sont pas nombreux et se distinguent fort peu des ouvriers ruraux. Les ouvriers des usines rurales, dit le Dr Jbankov (ces usines ne tournent d’ailleurs pas de façon continue, car pendant l’été les ouvriers s’en vont travailler aux champs) sont très différents des ouvriers permanents de fabrique; ils portent l’habit paysan, conservent les habitudes villageoises et n’acquièrent pas l’allure propre aux ouvriers de fabrique» (l. c., II, p. 121).)), le remplacement des prestations de travail par le système capitaliste avec culture des plantes à rhizome a provoqué un accroissement de la demande en ouvriers journaliers.
2. La fabrication du sucre de betterave
Le traitement de la betterave à sucre, plus encore que la distillation, est concentré dans de grandes entreprises capitalistes et constitue comme elle une annexe des domaines privés (et principalement des domaines nobles). Cette industrie est surtout concentrée dans les provinces du Sud-Ouest, puis dans les provinces à tchernoziom du Sud et du Centre. La superficie des cultures betteravières était d’environ 100000 déciatines au cours des années 60((Annuaire du Ministère des Finances, fasc. I, Recueil de la statistique militaire. Revue historico-statistique, t. II. )), d’environ 160000 décaties au cours des années 70((Revue historico-statistique, t. I)), de 239000 déciatines entre 1886 et 18955((Les forces productives, 1, 41.)), de 369000 déciatines entre 1896 et 1898((Messager des Finances, 1897, n° 27, et 1898, n° 36, La Russie d’Europe sans le Royaume de Pologne comptait en 1896-1898, 327000 déciatines de betteraves.)), de 478778 déciatines en 1900, de 528076 en 1901 (Torgovopromychlennaïa Gazéta, 1901, n° 123) et de 483272 déciatines en 1905-1906 (Messager des Finances, 1906, n° 2) : elle a donc plus que quintuplé depuis l’abolition du servage. Quant à la quantité de betteraves récoltées et traitées, elle a augmenté encore plus rapidement: entre 1860 et 1864, on traitait en moyenne 4100000 berkosetz((Un berkovetz = 10 pouds.)) par an; entre 1870 et 1874, on en traitait 9300000: entre 1875 et 1879, 12800000; entre 1890 et 1894, 29300000 et entre 1895-96 et 1897-98, 35 millions((Outre les sources précédentes, voir aussi le Messager des Finances, 1898, n° 32. )). On voit par conséquent que depuis les années 60, la quantité de betterave traitée a été multipliée par plus de huit fois. Cela veut dire que le rendement, c’est-à-dire la productivité du travail dans les grands domaines de type capitaliste s’est élevée dans des proportions considérables((En moyenne, sur 285000 déciatines de betteraves dans l’Empire, en 1890-1894, 118000 appartenaient aux usines et 167000 aux planteurs. (Les forces productives, 1X, 44).)). Le fait d’introduire dans l’assolement une plante comme la betterave suppose nécessairement qu’on adopte un système agricole plus perfectionné, qu’on améliore la culture, que le bétail est mieux nourri, etc. «La préparation du sol pour la culture de la betterave, écrit la Revue historico-statistique (t. I), nécessite un certain nombre d’opérations relativement complexes et difficiles; dans de nombreuses exploitations, surtout dans les provinces du Sud-Ouest et dans le bassin de la Vistule, ces opérations ont atteint un haut degré de perfection. On emploie, selon les localités, des instruments et des charrues plus ou moins perfectionnés; dans certains cas, on laboure même à la vapeur» (page 109).
Ce progrès de la grande culture capitaliste a entraîné un accroissement considérable de la demande en ouvriers agricoles, surtout en journaliers; on utilise tout particulièrement le travail des femmes et des enfants (cf. Revue historico-statistique, t. II, page 32). On a même vu apparaître parmi les paysans des provinces environnantes une forme particulière d’exode: l’exode «pour le sucre» (ibid.,page 42). Selon les estimations, il faut en effet 40 journées de travail pour cultiver de bout en bout un «morg» (2/3 de déciatine) de betteraves (Le travail salarié libre, p. 72). Le Recueil de matériaux sur la situation de la population rurale (édition de la Chancellerie du Comité des ministres) estime, quant à lui, que la culture d’une déciatine de betterave nécessite 12 journées de travail si on emploie des machines et 25 journées d’hommes, sans compter les femmes et les enfants si on n’a pas de machines (pp. X-XI). Cela veut dire que l’ensemble des cultures betteravières de Russie doit occuper au moins 300000 ouvriers et ouvrières agricoles à la journée. Mais pour avoir une idée juste de la demande en travail salarié, il ne suffit pas de tenir compte de l’accroissement de la surface cultivée car dans de nombreux cas, le travail est payé au berkovetz. Voici d’ailleurs ce que nous pouvons lire à ce sujet dans les Comptes rendus et recherches sur l’industrie artisanale en Russie (édition du ministère des Biens de l’Etat, t. II, Saint-Pétersbourg 1894, p. 82):
«La population féminine du district et de la ville (il s’agit de la ville de Krolévetz, province de Tchernigov) tient beaucoup au travail dans les champs de betterave; l’épluchage est payé en automne 10 kopecks le berkovetz; 2 femmes épluchent de 6 à 10 berkovetz par jour: il en est qui se louent pour soigner la plante pendant sa croissance, pour le sarclage et le buttage; elles touchent, dans ce cas, pour l’ensemble du travail, arrachage et épluchage compris, 25 kop. le berkovetz de betterave nettoyée.» La situation des ouvriers qui travaillent dans les plantations de betteraves est extrêmement pénible. A ce sujet, la Chronique médicale de la province de Kharkov (septembre 1899, cité d’après les Rousskié Viédomosti, 1899, n° 254) nous rapporte «toute une série de faits extrêmement regrettables sur la situation des ouvriers des plantations de betteraves». «L’automne est la saison, écrit M. Podolski, médecin du bourg de Kotelva, district d’Akhtyrka, où habituellement, le typhus commence à se déclarer parmi les jeunes gens que travaillent dans les plantations de betteraves des paysans aisés. Les hangars où les ouvriers se reposent et dorment sont très mal entretenus, la paille sur laquelle ils couchent n’est jamais changée et vers la fin de la saison elle se transforme littéralement en fumier: c’est là que se ferme le foyer d’infection. Il nous est arrivé de soigner 4 ou 5 cas de typhus à l’intérieur d’une seule et même plantation». D’autre part, poursuit notre docteur, «ce sont les ouvriers betteraviers qui fournissent le plus gros contingent de syphilitiques». M. Feinberg observe avec raison que «tout en ayant sur les ouvriers et sur la population des environs une influence aussi néfaste que le travail en usine, le travail dans les plantations est encore plus funeste car il occupe une masse de femmes et d’enfants et que les ouvriers y sont privés de la protection la plus élémentaire de la part de la société et de l’État.» En conséquence, M. Feinberg se rallie sans réserve à l’opinion du docteur Romanenko qui a déclaré, au VIIe Congrès des médecins de la province de Kharkov, que «lorsqu’on publie des règlements obligatoires, il ne faut pas oublier les ouvriers des plantations de betteraves qui sont dépourvus du strict nécessaire, vivent pendant des mois à la belle étoile et mangent tous à la même gamelle».
On voit que le développement considérable de la production betteravière a provoqué un accroissement de la demande en ouvriers salariés et transformé la paysannerie des environs en prolétariat agricole. Il est vrai que le nombre des ouvriers travaillant directement à la fabrication du sucre a un peu diminuée((Alors qu’en 1867. les sucreries et les raffineries de la Russie d’Europe employaient 80919 ouvriers (Annuaire du ministère des Finances, t. I. Selon le Recueil de la statistique militaire, il y en avait 92000, mais là encore il s’agit d’un chiffre exagéré, et il est probable que certains ouvriers ont été comptés deux fois), elles n’en employaient plus que 77875 en 1890 («Index d’Orlov.))). Mais cela n’a eu que de faibles répercussions sur cet accroissement.
3. La féculerie
Des productions industrielles réservées exclusivement aux grands domaines, passons à celles qui sont plus ou moins accessibles au paysan. Cette catégorie comporte tout d’abord le traitement de la pomme de terre (et en partie du froment et des autres céréales pour obtenir l’amidon et la mélasse. L’énorme développement qu’a connu après l’abolition du servage l’industrie textile, consommatrice d’amidon, a entraîné une progression particulièrement rapide de la féculerie, surtout dans les provinces sans tchernoziom, la zone industrielle et, en partie, dans les provinces à tchernoziom du Nord. Alors que vers 1865, il existait, selon la Revue historico- statistique (tome II) environ 60 féculeries produisant pour environ 270000 roubles de marchandises, en 1880, 224 féculeries produisaient pour 1317000 roubles de marchandises. En 1890, l’Index des usines et des fabriques en dénombrait 192 occupant 3418 ouvriers et produisant pour 1760000 roubles((Nous prenons les chiffres de la Revue historico-statistique, parce qu’ils sont plus homogènes et se prêtent à la comparaison. Le Recueil de renseignements et matériaux du ministère des Finances (1856, n° 4, avril) estimait, d’après les données officielles du Département du commerce et des manufactures, qu’en 1864, il existait en Russie 55 féculeries, dont la production atteignait 231000 roubles. D’après le Recueil de la statistique militaire, il y en avait 198 en 1866, avec une production de 563000 roubles; mais ce chiffre comprenait sans doute les petites entreprises qui désormais ne sont plus classées parmi les usines. En général. les statistiques concernant cette branche d’industrie sont très insuffisantes; tantôt on tient compte des petites usines, tantôt (bien plus souvent), on les néglige. Ainsi l’Index d’Orlov comptait, en 1890, dans la province de Iaroslavl 25 usine (Liste pour 1894-1895-20), tandis que la Revue de la province d’Iaroslavl (1896. fasc. II) en comptait 810 dans le seul district de Rostov. Les chiffres indiqués dans le texte ne peuvent donc caractériser que le côté dynamique des choses, et non l’étendue réelle de la production.)). «Au cours des 25 dernières années, écrit la Revue historico-statistique, le nombre des féculeries a augmenté de 4 fois et demie et la valeur du produit fabriqué de 10 fois 3/4. Néanmoins, cette productivité ne couvre pas la demande en amidon, tant s’en faut» (page 116). Le développement des importations nous en fournit d’ailleurs la preuve. Analysant les données qui portent sur les provinces, la Revue en arrive à la conclusion suivante: contrairement à la fabrication de l’amidon à partir du froment, la féculerie a chez nous un caractère agricole, car elle est concentrée entre les mains des paysans et des gros propriétaires fonciers. «Elle est promise à une large expansion et notre population rurale en retire d’ores et déjà des profits appréciables» (126).
Voyons maintenant à qui vont ces profits. Mais auparavant notons que dans le développement de la production de l’amidon, il faut distinguer deux processus: d’une part il y a l’apparition de petites usines nouvelles et le progrès de la production paysanne, et d’autre part, il y a la concentration de la production dans les grandes usines fonctionnant à la vapeur. En 1890, on en comptait 77 qui employaient 52% des ouvriers et fournissaient 60% de la production. Sur ces 77 usines, 11 seulement avaient été fondées avant 1870, 17 l’avaient été entre 1870 et 1880, 45 entre 1880 et 1890 et 2 en 1890 (Index de M. Orlov).
Les enquêtes locales nous montrent quelle est l’économie de la fabrication paysanne de l’amidon. En 1880/81, il y avait dans la province de Moscou 43 villages de 4 districts((Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VII, fasc. 1, Moscou 1882. )) où cette industrie était implantée. On dénombrait 130 entreprises employant 780 ouvriers et produisant pour au moins 137000 roubles de marchandise. C’est surtout après l’abolition du servage que cette industrie s’est répandue et sa technique n’a cessé de progresser: on a vu apparaître de plus gros établissements qui demandaient davantage de capital fixe et dont la productivité était plus élevée. Les râpes à bras ont été remplacées par des râpes perfectionnées, puis on a introduit des machines actionnées par des chevaux et, pour finir, on a installé des tambours cylindriques qui ont permis d’améliorer considérablement la production et d’en réduire les frais. Voici les chiffres que nous avons établis d’après le recensement par foyer des «koustaris», selon l’importance de leur entreprise.
Insérée dans le tableau, Voir appendice au chapitre V, petite industrie n° 24.
Nous avons donc de petites industries capitalistes où l’emploi du travail salarié et la productivité augmentent à mesure que la production se développe. Ces entreprises procurent de gros bénéfices à la bourgeoisie paysanne tout en entraînant une amélioration de la technique agricole. Mais la situation des ouvriers est loin d’être satisfaisante: les conditions de travail sont extrêmement antihygiéniques et les journées excessivement longues((L. c., p, 32. La journée de travail dans les petites usines paysannes est de 13 à 14 heures, tandis que dans les grandes usines de la même branche d’industrie (d’après Démentiev), elle est généralement de 12 heures.)).
Quand les paysans possèdent une «râperie», leur exploitation agricole se trouve dans des conditions très favorables. Les plantations de pommes de terre (sur les lots concédés et surtout sur les terrains loués) donnent des revenus bien plus élevés que les emblavures de seigle et d’avoine. Afin d’étendre leurs exploitations, les propriétaires d’usines afferment les lots de terre des paysans pauvres. Dans le village de Tsybino (district de Bronnitzy), par exemple, sur 105 exploitants on trouve 18 fabricants de fécule qui prennent en location les lots des paysans qui partent chercher du travail ailleurs, ou qui n’ont pas de chevaux. De la sorte, ils en arrivent à ajouter à leurs 61 lots, 133 lots supplémentaires, soit en tout 194 lots, 44,5% du total de ce village. «On trouve une situation analogue dans les autres villages où la fabrication de la fécule est plus ou moins répandue» (l.c., page 42)((Rapprocher de ce qui vient d’être dit la remarque de V. Orlov sur toute la province de Moscou (t. IV du Recueil, fascicule I, p. 14) ; les paysans aisés louent souvent les lots des pauvres, concentrant parfois entre leurs mains de 5 à 10 lots ainsi affermés.)). Les fabricants de fécule élèvent deux fois plus de bétail que les autres paysans: ils ont en moyenne 3,5 chevaux et 3,4 vaches par foyer au lieu de 1,5 cheval et 1,7 vache pour l’ensemble des habitants. Sur 68 fabricants recensés, 10 possèdent des terrains achetés, 23 louent des lots paysans et 22 d’autres terres. En un mot, ce sont des représentants typiques de la bourgeoisie paysanne.
Dans le district de Iouriev; province de Vladimir, la situation est absolument identique. (Voir Prougavine, l.c., pages 104 et suivantes.) Comme dans le district que nous venons d’examiner, les usines ont pour l’essentiel recours au travail salarié (sur 128 ouvriers employés dans 30 féculeries, 86 sont des salariés) et les propriétaires, qui utilisent la drêche pour nourrir leur bétail, se trouvent dans une situation infiniment supérieure à celle de la masse des paysans pour ce qui est de l’agriculture et de l’élevage. On voit même apparaître de véritables fermiers. M. Prougavine nous parle par exemple d’un paysan qui possède une féculerie estimée à 1500 roubles et employant 12 ouvriers. Dans son exploitation qu’il a agrandie en louant des terres, ce paysan produit de la pomme de terre. Il pratique l’assolement septennal avec culture de trèfle. Rien que pour les travaux agricoles, il emploie 7 ou 8 ouvriers, embauchés du printemps à l’automne (à terme). Pour nourrir le bétail, il utilise les déchets de pomme de terre et il compte se servir des eaux résiduaires pour arroser ses champs.
M. Prougavine affirme que cette entreprise est placée dans «des conditions tout à fait exceptionnelles». Il va de soi que dans toute société capitaliste, la bourgeoisie rurale représente toujours une infime minorité de la population des campagnes et dans ce sens on peut dire qu’elle constitue une «exception». Mais cette appellation ne change rien au fait que dans la région de production amidonnière ainsi que dans toutes les provinces de Russie où il existe une agriculture commerciale, il est en train de se former une classe d’entrepreneurs ruraux qui organisent l’agriculture sur le mode capitalistes((Notons, à titre de curiosité, que M. Prougavine (1. c., p. 107) , aussi bien que l’auteur de la description des petites industries de la province de Moscou (I.c., p. 45) et M. V. V. (Esquisses de l’industrie artisanale, p. 127) ont vu dans le fait que certaines râperies appartiennent à plusieurs propriétaires, un «principe de coopération» (ou d’artel). Nos clairvoyants populistes ont saisi un «principe» particulier dans une association d’entrepreneurs ruraux et n’ont remarqué aucun «principe» économique ou social nouveau dans l’existence même et le développement d’une classe d’entrepreneurs ruraux.))
4. L’huilerie
La fabrication de l’huile de lin, de chanvre, de tournesol, etc., fait assez souvent, elle aussi, figure d’industrie agricole. Depuis l’abolition du servage, elle s’est beaucoup développée: alors qu’en 1864, sa production était de 1619000 roubles, en 1879, elle était de 6486000 roubles et, en 1890, elle atteignait 12232000 roubles((Recueil de renseignements et matériaux du ministère des Finances, 1866, n° 4. Index d’Orlov, 1er et 3e éditions. Nous ne citons pas les données relatives au nombre des usines, car notre statistique des fabriques et usines confond les petites huileries agricoles et les grandes huileries industrielles: tantôt elle compte les petites huileries agricoles, tantôt elle les omet. Cela dépend des périodes et des régions. Pour les années 60, par exemple, elle classe parmi les «usines» une multitude de petites huileries.)). Ici encore ou observe un double processus: d’une part, on voit apparaître dans les campagnes de petites huileries appartenant aux paysans (parfois aussi aux gros propriétaires fonciers) et travaillant pour le marché. D’autre part, on voit se développer de grosses usines qui fonctionnent à la vapeur, concentrent la production et refoulent les petites entreprises((Ainsi, en 1890, sur 383 usines avec une production de 12232000 roubles, on en relevait 11 qui produisaient pour 7170000 roubles de marchandise. Cette victoire des entrepreneurs industriels sur les entrepreneurs ruraux suscite le plus vif mécontentement de nos agrariens (comme M. S. Korolenko. l. c.) et de nos populistes (comme M. N.-on, pp. 241-242 des Essais). Nous ne partageons pas leur opinion. Les grandes usines relèveront la productivité du travail et socialiseront la production. De plus, la situation des ouvriers sera sans doute meilleure dans les grandes usines que dans les petites huileries agricoles, et cela non seulement au point de vue matériel.)). Pour l’instant, seul nous intéresse le traitement agricole des plantes oléagineuses. «Les propriétaires des huileries de chanvre, lisons-nous dans la Revue historico-statistique (t.II), appartiennent à la «paysannerie aisée» qui apprécie particulièrement cette production car elle fournit une excellente nourriture pour le bétail (tourteaux). M. Prougavine (l.c.) note que dans le district de Iouriev, province de Vladimir, «la production de l’huile de lin connaît un grand développement» et rapporte des «bénéfices appréciables» aux paysans (pp. 63-66). Il constate d’autre part que chez les paysans qui possèdent une huilerie, le niveau de l’agriculture et de l’élevage est très supérieur à la moyenne et que de nombreux fabricants d’huile emploient des ouvriers salariés (l.c., tableaux, pp. 26-27, 146-147). Le recensement d’artisans effectué en 1894-1895 dans la province de Perm a également montré que chez les paysans qui fabriquent de l’huile, l’agriculture est bien supérieure à ce qu’elle est dans la masse (les surfaces ensemencées sont plus étendues, il y a beaucoup plus de bétail, les récoltes sont meilleures, etc.) et que cette amélioration va de pair avec l’emploi des ouvriers salariés((V. Iline; Etudes et articles économiques, St-Pétersbourg 1899. pp. 139-140. (Lénine, Œuvres. Paris-Moscou, t. 2. pp. 360-361.)). Dans la province de Voronèje, la culture commerciale du tournesol qui est traité dans les huileries locales a connu une expansion toute particulière après l’abolition du servage. Alors que dans les années 70 on ne trouvait en Russie que 80000 déciatines de tournesol (Revue historico-statistique, tome I), dans les années 80, on en trouvait 136000 déciatines dont les 2/3 appartenaient à des paysans. «Mais, à en juger par un certain nombre de données, cette superficie s’est considérablement accrue depuis cette époque. Dans certains endroits, l’accroissement a été de 100% et même davantage.» (Les forces productives, tome I, page 37.) «Le bourg d’Alexéevka (district de Birioutch, province de Voronèje) compte à lui seul plus de 40 huileries», lisons-nous dans la Revue historico-statistique, IIe partie. «Alors qu’autrefois, il n’était qu’un petit village misérable, il s’est enrichi et il est devenu un riche bourg aux maisons et aux boutiques recouvertes de tôle. Ce progrès, il le doit uniquement à la culture du tournesol» (page 41). Pour voir quelles sont les répercussions de cet enrichissement de la bourgeoisie paysanne sur la masse de la paysannerie, il suffit de citer les chiffres suivants: sur 2273 familles (soit 13386 habitants, hommes et femmes) enregistrées en 1890 à Alexéevka, 1761 n’avaient pas de bête de travail, 1699 n’avaient pas de matériel, 1480 ne travaillaient pas la terre et 33 seulement n’exerçaient pas d’industrie auxiliaire((Recueil de renseignements statistiques pour le district de Birioutch, province de Voronèje. On comptait dans le bourg 153 entreprises industrielles, D’après l’Index de M. Orlov pour 1890, il y avait 6 huileries, employant 34 ouvriers et produisant pour 17000 roubles de marchandises, et d’après la Liste des fabriques et des usines pour 1894-1895, 8 huileries avec 60 ouvrier, et une production de 151000 roubles.)).
Il faut noter qu’en règle générale, les recensements par foyer effectués par les zemstvos classent les huileries paysanne, parmi les «entreprises commerciales et industrielles» dont nous avons montré le rôle et la répartition au chapitre II.
5. La culture du tabac
Pour terminer, nous donnerons de brèves indications sur le développement de la culture du tabac. En 1863-1867, on récoltait en moyenne 1923 000 pouds de tabac sur 32161 déc.; en 1872-1878, 2783000 pouds sur 46425 déc.; et dans les années 80, 4000000 de pouds sur 50000 déc.((Annuaire du ministère des Finances, t. 1. Revue historico-statistique, t. 1. Les forces productives, IX, p. 62. La superficie des plantations de tabac varie notablement suivant les années: 47813 déciatines en moyenne en 1889-1894 (récolte de 4180000 pouds) ; en 1892-1894, 52516 déciatines avec une récolte de 48780001 pouds (Voir Recueil de renseignements sur la Russie, 1896, pp. 208-209.))). Pendant ces mêmes périodes, le nombre des plantations passait de 75000 à 95000 et à 650000, ce qui semble indiquer que le nombre des petits cultivateurs qui ont accédé à cette branche d’agriculture commerciale s’est considérablement accru. La culture du tabac demande une main-d’œuvre abondante. De ce fait, l’exode vers les plantations de tabac (surtout dans les provinces du Sud où le développement des cultures de tabac a été particulièrement rapide au cours de la dernière période) constitue une des variétés de l’exode rural. Pour ce qui est des ouvriers travaillant dans ces plantations, la presse a déjà signalé qu’ils se trouvaient dans une situation extrêmement pénible((Biéloborodov, article cité du Séverny Vestnik, 1896, n° 2. Rousskié Viédomosti, 1897, n° 127 (du 10 mai): procès intenté par 20 ouvriers à un planteur de Crimée «a révélé au tribunal une multitude de faits qui dépeignent la situation intenable des ouvriers de ces plantations». )).
Les données les plus détaillées et les plus intéressantes sur la culture du tabac en tant que branche de l’agriculture commerciale nous sont fournies par la Revue de la culture du tabac en Russie (fasc. II et III. St-Pétersbourg 1894, publiée par décision du Département de l’Agriculture). Dans l’ouvrage de M. Chtcherbatchev consacré au tabac dans la province de Poltava, on trouve d’autre part des renseignements extrêmement précis sur les trois districts suivants: Prilouki, Lokhvitsa et Romny. Ces renseignements recueillis par l’auteur et analysés par le bureau des statistiques du zemstvo de la province de Poltava portent sur 25089 exploitations paysannes cultivant 6844 déciatines de tabac et 146774 déciatines de céréales. La répartition de ces exploitations est la suivante:
Qu’il s’agisse du tabac ou des céréales, on voit qu’il y a une énorme concentration de la production dans les exploitations capitalistes. Avec en moyenne près de 25 déciatines chacune, moins de 118 des exploitations (3000 sur 25000) détient en effet plus de la moitié de la superficie ensemencée en céréales (74000 déciatines sur 147000) et près de la moitié des plantations de tabac (3200 déciatines sur 6800). Et chacune de ces exploitations cultive en moyenne plus d’une déciatine de tabac, alors que dans les autres groupes, la superficie ensemencée en tabac ne dépasse pas 1 ou 2 dixièmes de déciatine par foyer.
M. Chtcherbatchev nous fournit également un classement des exploitations d’après l’étendue de leur plantation de tabac:
On voit donc que la concentration est beaucoup plus poussée pour les plantations de tabac que pour les céréales. Cela veut dire que, dans cette contrée, la concentration capitaliste est plus grande pour la branche agricole spécialement commerciale, que pour l’agriculture en général: 2773 exploitations sur 25000 détiennent à elles seules 4145 déciatines de tabac sur 6844, c’est-à-dire plus des trois cinquièmes. Les 324 plus gros planteurs (soit un peu plus d’un dixième du nombre total) en possèdent 2360 déciatines, soit plus d’un tiers de l’ensemble des plantations. Cela fait en moyenne plus de 7 déciatines de tabac par foyer. Pour avoir une idée du type auquel appartient ce genre l’exploitation, le lecteur doit se rappeler que la culture du tabac demande une main-d’œuvre abondante. Notre auteur estime que pour une déciatine, il faut employer, selon la qualité du tabac, au moins 2 ouvriers pendant une période de 4 à 8 mois d’été.
Un agriculteur qui possède 7 déciatines de tabac doit donc avoir au moins 14 ouvriers, c’est-à-dire qu’il doit obligatoirement fonder son exploitation sur le travail salarié. Certaines sortes de tabac demandent non pas 2 mais 3 ouvriers par déciatine, et de plus un certain nombre de journaliers. Il est donc absolument clair que plus l’agriculture devient commerciale, plus son organisation capitaliste est développée.
Qu’il y ait prédominance des petites et des très petites plantations de tabac (sur 25089 planteurs, on en compte 11997 qui sèment moins d’un dixième de déciatine) ne dément nullement que cette branche d’agriculture commerciale soit organisée selon le mode capitaliste, car ces petits exploitants ne détiennent qu’une infime partie de la production (les 11997 exploitations en question ne cultivent en effet que 552 déciatines sur 6844, c’est-à-dire moins d’un dixième de la superficie totale). De même, les «moyennes» auxquelles on se borne si souvent ne permettent pas de se faire une idée exacte de la situation (en moyenne, chaque exploitation cultive en effet un peu plus d’un quart de déciatine de tabac).
Il y a certains districts où le développement de l’agriculture capitaliste et de la concentration est encore plus accentué. C’est ainsi, par exemple, que sur les 5957 exploitations du district de Lokhvitsa, il y en a 229 qui possèdent chacune au moins 20 déciatines de céréales. Ces exploitations détiennent plus de la moitié de la surface ensemencée en céréales dans le district, soit 22799 déciatines sur 44751. Chaque exploitant a près de 100 déciatines d’emblavures et il leur revient 1126 déciatines de tabac sur les 2003 existantes. Si nous prenons la classification des exploitations d’après la superficie de leur plantation de tabac, nous obtenons le tableau suivant: sur 5957 agriculteurs installés dans ce district, il n’y en a que 132 qui cultivent 2 déciatines de tabac et plus. A eux seuls, ces 132 propriétaires détiennent 1441 déciatines sur les 2003 plantées en tabac dans le district, soit 72% du total et plus de dix déciatines chacun. Par contre, dans le même district nous trouvons au pôle opposé 4360 exploitations (sur 5957) qui ont moins d’une dizaine de déciatines chacune, et qui, au total, ne cultivent que 133 déciatines de tabac sur 2003, soit 6% du total.
Il va de soi que cette organisation capitaliste de la production s’accompagne d’un développement extrêmement poussé du capital commercial et de l’exploitation sous toutes ses formes hors de la sphère de la production. Les petits planteurs n’ont pas de hangar où faire sécher leur tabac: de ce fait, ils n’ont pas la possibilité de le laisser fermenter et de le vendre tout prêt (au bout de 3 à 6 semaines de préparation). Ils sont donc contraints de céder le produit brut à des revendeurs qui le leur achètent à moitié prix et qui souvent possèdent eux-mêmes des plantations sur des terres affermées. Ces revendeurs, peut-on lire dans l’ouvrage que nous avons cité (page 31), «exploitent tant qu’ils peuvent les petits planteurs». Il est donc parfaitement clair que c’est bien le rapport: agriculture commerciale – production capitaliste commerciale que l’on retrouve dans cette branche de l’agriculture (à condition, bien sûr, de suivre une méthode juste).