Le développement du capitalisme en Russie
Lénine
Chapitre V : LES PREMIÈRES PHASES DU CAPITALISME DANS L’INDUSTRIE
IV. LA DÉCOMPOSITION DES PETITS PRODUCTEURS DE MARCHANDISES.
LES DONNÉES DES RECENSEMENTS PAR FOYER DES «KOUSTARIS» DE LA PROVINCE DE MOSCOU
Voyons maintenant quels sont les rapports économiques et sociaux qui s’établissent dans l’industrie entre les petits producteurs de marchandises. Pour déterminer le caractère de ces rapports, nous nous heurtons à un problème analogue à celui que nous avons eu à résoudre au chapitre II pour les petits agriculteurs. Nous devons prendre pour base non plus l’étendue de l’exploitation agricole mais celle des métiers auxiliaires: classer les petits producteurs d’après le volume de leur production et examiner quel est le rôle du travail salarié, le niveau de la technique, etc., dans chacun des groupes((M. Varzer, en décrivant l’industrie artisanale de la province de Tchernigov, constate la «variété des unités économiques» (d’un côté, des familles gagnant de 500 à 800 roubles; de l’autre, des familles réduites «presque à la mendicité») et fait remarquer ceci: «Dans ces conditions, le recensement des exploitations par foyer et leur regroupement en un certain nombre de types moyens d’exploitations, avec tout leur matériel est la seule façon de faire le tableau de l’état économique des «koustaris» dans toute son ampleur. Tout le reste ne sera que fantaisie fondée sur des impressions fortuites ou qu’arithmétique de cabinet, basée sur des moyennes de toutes sortes …» (Travaux de la commission artisanale, fasc. V, p. 354).)). Pour procéder à cette analyse, nous disposons des recensements par foyer des «koustaris» de la province de Moscou((Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI et VIl. Les petites industries de la province de Moscou et A. Issaïev: Les petites industries de la province de Moscou, Moscou 1876-1877, en deux volumes. Des renseignements identiques sont fournis pour un petit nombre de métiers, dans les Petites industries de la province de Vladimir. Il va de soi que nous nous bornons dans ce chapitre au seul examen des métiers dans lesquels les petits producteurs de marchandises travaillent, au moins dans la grande majorité des cas, pour le marché et non pour les revendeurs. Le travail pour ces derniers est un phénomène plus complexe, que nous étudierons par la suite. Les recensements par foyer des «koustaris» travaillant pour les revendeurs ne permettent pas de juger des rapports entre les petits producteurs de marchandises.)). Les enquêteurs nous fournissent pour toute une série de métiers des données extrêmement précises portant sur la production et parfois même sur l’exploitation agricole de chaque «koustar» pris isolément (date de la fondation de l’établissement, nombre des ouvriers familiaux ou salariés, montant de la production annuelle, nombre des chevaux, mode de culture du sol, etc.). Mais ils ne donnent pas de tableaux par groupes. Il nous a donc fallu établir ces tableaux nous-mêmes et pour ce faire, nous avons réparti les «koustaris» en trois groupes (I – inférieur, Il – moyen, III – supérieur) selon le nombre des ouvriers (familiaux ou salariés) employés dans l’entreprise, parfois selon le volume de la production, l’équipement technique, etc. En général, nous avons établi notre classification à partir d’une base qui tient compte de toutes les données fournies par la description du métier. Mais cette base ne pouvait pas être la même pour tous les métiers. Quand nous avions affaire à de très petites industries, par exemple, il a fallu que nous fassions entrer dans le groupe inférieur les entreprises qui avaient un ouvrier, dans le groupe moyen, celles qui en avaient deux et dans le groupe supérieur, celles qui en avaient trois. Par contre. quand il s’agissait d’industries plus importantes, nous avons dû classer dans le groupe inférieur les entreprises qui avaient de 1 à 5 ouvriers, dans le groupe moyen, celles qui en avaient de 6 à 10, etc. Si nous n’avions pas employé ces différents procédés, il nous aurait été impossible de fournir des données sur les entreprises de différentes grandeurs existant dans chacune des industries. Nous donnons en annexe le tableau ainsi obtenu (voir annexe I). On y verra d’après quels indices les «koustaris» exerçant différents métiers sont répartis en catégories; nous indiquons également quel est le nombre absolu d’entreprises, d’ouvriers (familiaux et salariés), le volume de la production et le nombre d’entreprises employant des ouvriers salariés, ainsi que le nombre de ces ouvriers, pour chacune des catégories de chaque industrie. Les indices dont nous nous sommes servis pour caractériser l’exploitation agricole des «koustaris» de chacun des groupes sont la moyenne des chevaux par exploitant et le pourcentage de ceux qui emploient des ouvriers agricoles. Au total, le tableau porte sur 37 industries, 22278 entreprises, 11833 ouvriers et une production brute dépassant 5 millions de roubles. Déduction faite de 4 métiers, que nous avons exclus du relevé à cause de l’insuffisance des données ou en raison de leur caractère exceptionnel((Pour cette raison, nous avons exclu du relevé la «porcelainerie», qui compte 20 entreprises et 1817 ouvriers salariés. Le fait que les statisticiens de Moscou aient mis ce métier au nombre des petites industries (voir les tableaux récapitulatifs du tome VII, fasc. 3, l.c.) est caractéristique de la confusion des idées qui règnent chez nous.)), il reste 33 industries, 2085 entreprises, 9427 ouvriers et une production brute de 3466000 roubles ou, après rectification (pour deux métiers) 3750 000 roubles environ.
Il est inutile (et beaucoup trop compliqué) d’étudier ces 33 industries dans leur totalité. Nous les avons donc divisées en 4 catégories, ce qui nous donne: 1) 9 métiers avec un chiffre moyen de 1,6 à 2,5 ouvriers (familiaux ou salariés) par entreprise; 2) 9 métiers avec un chiffre moyen de 2,7 à 4,4 ouvriers; 3) 10 métiers avec un chiffre moyen de 5,1 à 8,4, et 4) 5 métiers, avec un chiffre moyen de 11,5 à 17,8 ouvriers. On voit que dans chacune de ces catégories sont groupées des industries assez voisines les unes des autres pour ce qui est du nombre des ouvriers employés par entreprise. Dans la suite de notre exposé, nous nous limiterons aux données qui portent sur ces quatre catégories. Ces données, nous allons maintenant les reproduire in extenso.
Ce tableau nous donne sur les rapports existant entre les groupes supérieurs et les groupes inférieurs des «koustaris» toutes les données essentielles dont nous aurons besoin pour nos conclusions ultérieures. Pour illustrer les chiffres globaux des quatre catégories, nous pouvons établir un diagramme semblable à celui que nous avons utilisé au chapitre II pour illustrer la décomposition de la paysannerie agricole. Nous déterminerons quelle est la part du nombre total des entreprises, des ouvriers familiaux, des entreprises employant des ouvriers salariés, des ouvriers (familiaux et salariés), du volume total de la production et du nombre total des salariés, qui revient à chaque groupe et nous porterons ces pourcentages sur le diagramme selon la méthode que nous avons décrite au chapitre II.
Voyons maintenant quelles conclusions nous pouvons tirer de ces données. Commençons par le travail salarié: dans les 33 métiers, il l’emporte sur le travail familial: 51% des ouvriers sont des salariés. Pour les «koustaris» de la province de Moscou, ce pourcentage est même inférieur à la réalité. Pour cette province, en effet, nous avons des données précises sur les ouvriers de 54 métiers. On obtient les chiffres suivants: sur 29446 ouvriers, 17566 soit 59,65% du total sont des salariés. Dans la province de Perm, la proportion des salariés par rapport à l’ensemble des «koustaris» et des petits artisans est de 24,5% et de 29,4 à 31,2% par rapport aux seuls producteurs de marchandises. Mais nous verrons par la suite que ces chiffres d’ensemble englobent non seulement les petits producteurs de marchandises mais également les manufactures capitalistes. C’est pourquoi la conclusion suivante est beaucoup plus intéressante: le rôle du travail salarié est de plus en plus important au fur et à mesure que les entreprises s’agrandissent. C’est là un phénomène que l’on peut observer quand on compare les différentes catégories et les différents groupes d’une catégorie. Le pourcentage des entreprises employant des ouvriers salariés et celui de ces derniers sont d’autant plus élevés que les entreprises sont plus importantes. En règle générale, les économistes populistes se bornent à déclarer que parmi les «koustaris», c’est la petite entreprise à main-d’œuvre exclusivement familiale qui domine et, pour appuyer leurs dires, ils citent souvent des chiffres «moyens». Les données que nous venons de citer montrent que de telles «moyennes» ne peuvent en aucun cas servir à caractériser le phénomène qui nous occupe; d’autre part, la prédominance des petites entreprises à main-d’œuvre familiale n’élimine en rien ce fait capital, à savoir que la petite production marchande tend à l’emploi toujours plus fréquent du travail salarié, à la création d’ateliers capitalistes. En outre, une thèse assez largement répandue des populistes affirme que dans la petite production artisanale le travail salarié est utilisé non pas dans un but lucratif mais pour «compléter» le travail familial((Voir, par exemple, le Recueil de renseignements statistiques pour la province de Moscou, t. VI, fasc. 1, p. 21.)). C’est ce que réfutent également les données que nous avons citées. La vérité, c’est que chez les petits artisans, tout comme chez les petits agriculteurs, le travail salarié est d’autant plus employé que la main-d’œuvre familiale est plus nombreuse. Dans la plupart des métiers, en effet, nous pouvons constater que le travail salarié est de plus en plus utilisé au fur et à mesure que l’on s’élève vers les catégories supérieures bien que ce soit précisément dans ces catégories que le nombre des ouvriers familiaux s’accroît par entreprise. Loin d’atténuer les différences dues au fait que l’effectif familial des «Koustaris» n’est pas partout le même, l’emploi du travail salarié les renforce. Alors que la catégorie supérieure est celle qui est la mieux pourvue en main-d’œuvre familiale, c’est elle qui emploie la grande majorité des salariés: sur le diagramme, cette caractéristique générale des petites industries apparaît avec beaucoup de netteté. «La coopération familiale» est donc la base de la coopération capitaliste((La même conclusion découle des données relatives aux « Koustaris » de Perm: voir nos Etudes, pp. 126-128.)). Il va sans dire que cette «loi» n’est valable que pour les plus petits producteurs de marchandises, que pour la phase embryonnaire du capitalisme; elle prouve que la tendance des paysans est de se transformer en petits bourgeois. Dès qu’il a été créé des ateliers occupant un nombre assez important d’ouvriers salariés, le rôle de la «coopération familiale» doit inévitablement diminuer. Et de fait, nos données montrent que cette loi ne s’applique pas aux groupes les plus importants des catégories supérieures. Quand un «koustar» devient un véritable capitaliste occupant de 15 à 30 ouvriers, le travail familial ne joue plus qu’un rôle infime dans ses ateliers (dans le groupe supérieur de la plus haute catégorie, par exemple, les ouvriers familiaux ne représentent que 7% du nombre total des ouvriers). En d’autres terme, on peut dire que lorsqu’une industrie artisanale est assez petite pour que la coopération familiale y joue le rôle essentiel, cette coopération est le gage le plus sûr d’un développement de la coopération capitaliste. On voit que la dialectique de la production marchande, qui transforme «la vie reposant sur son propre travail» en une vie basée sur l’exploitation du travail d’autrui, se manifeste ici avec une très grande netteté.
Voyons maintenant les données relatives à la productivité du travail. Si on examine les chiffres concernant le volume de la production par ouvrier dans chacun des groupes, on s’aperçoit que plus les entreprises sont grandes, plus la productivité est élevée. On retrouve ce phénomène dans l’immense majorité des métiers et dans toutes les catégories, sans exception. En montrant que la part de la production totale fournie par le groupe supérieur est plus grande que la part des ouvriers qui lui revient, le diagramme donne de cette loi une confirmation éclatante; dans le groupe inférieur, en revanche, nous avons le rapport inverse. Le volume de production d’un ouvrier travaillant dans une entreprise de catégorie supérieure, est de 20 à 40% plus élevé que celui fourni par un ouvrier dans une entreprise de la catégorie inférieure. Il est vrai qu’au cours de l’année, les grandes entreprises ont une période de travail plus longue que les petites et que parfois elles ont affaires à des matériaux plus précieux. Il n’en reste pas moins que la productivité du travail y est beaucoup plus élevée((Pour l’amidonnerie, qui entre dans notre tableau, nous disposons de données sur la durée de la période de travail dans les entreprises de grandeur différente. Comme nous l’avons vu plus haut, un ouvrier d’une grande entreprise fournit, pendant une période égale, une plus grande quantité de produits qu’un ouvrier de petite entreprise.)). D’ailleurs, il ne pourrait en être autrement. Les grosses entreprises ont de trois à cinq fois plus d’ouvriers (familiaux et salariés) que les petites et le fait que la coopération soit appliquée sur une plus large échelle ne peut pas ne pas influer sur l’élévation de la productivité. Au point de vue technique les grands ateliers sont toujours mieux équipés et emploient toujours des outils, des machines, des dispositifs d’une qualité supérieure, etc. Dans la brosserie, par exemple, un «atelier bien organisé» doit avoir jusqu’à 15 ouvriers et dans la crocheterie il doit en avoir jusqu’à 9-10. Dans l’industrie du jouet, les riches «koustaris» disposent de fours spéciaux pour faire sécher leurs marchandises, les plus grandes entreprises ont même des séchoirs, installés dans des bâtiments particuliers, alors que la majorité des «koustaris» doivent se contenter de fours ordinaires. Dans l’industrie des jouets métalliques, 8 patrons sur 16 possèdent des ateliers spéciaux. Ils sont répartis de la façon suivante: 0 parmi les 6 du groupe I, 3 parmi les 5 du groupe II et 5 sur les 5 du groupe III. Pour les miroitiers, la proportion est la suivante: 18 ateliers spéciaux pour 142 artisans, soit 3 pour les 99 du groupe I. 4 pour les 27 du groupe II et 11 pour les 16 du groupe III. Dans la fabrication des cribles, dans le groupe I le tressage se fait à la main, mais à la machine dans les groupes II et III. Chez les tailleurs, alors que dans le groupe I, chaque tailleur possède en moyenne 1,3 machine à coudre, dans le groupe II, il en possède 2,1 et dans le groupe III, 3,4. Dans une enquête sur l’industrie du meuble, M. Issaïev est amené à constater que les exploitations individuelles présentent un certain nombre d’inconvénients: 1) il leur est impossible d’avoir un outillage complet; 2) elles ne peuvent avoir une production variée car les objets encombrants ne peuvent pas être entreposés dans une isba; 3) les matières premières, quand elles sont achetées au détail, reviennent de 30 à 33% plus cher; 4) le petit artisan n’inspire pas confiance et d’autre part, il a souvent de pressants besoins d’argent, il est donc obligé de vendre sa marchandise à plus bas prix((Le petit producteur lutte contre ces inconvénients en allongeant sa journée et en intensifiant le travail (l.c., p. 38). En économie marchande le petit producteur ne se maintient, dans l’agriculture comme dans l’industrie, qu’en restreignant ses besoins.)). De tels phénomènes ne sont pas spécifiques de l’industrie du meuble, on les retrouve également dans l’écrasante majorité des petites industries paysannes. Pour terminer, il faut ajouter qu’on observe une augmentation des prix de revient des objets fabriqués par ouvrier non seulement quand on s’élève du groupe inférieur au groupe supérieur, mais également quand on passe des petites industries aux grandes. Alors que dans les métiers de première catégorie, un ouvrier produit en moyenne pour 202 roubles, dans les métiers de deuxième et de troisième catégorie, il produit pour 400 roubles et dans ceux de quatrième catégorie, pour plus de 500 roubles (nous avons vu que le chiffre de 381 devait être multiplié par 1,5). C’est là un point qui montre bien la liaison existant entre le renchérissement des matières premières et le processus d’éviction des petites entreprises par les grosses. Chaque fois que le développement de la société capitaliste fait un pas en avant, cela entraîne inévitablement une augmentation du prix de produits comme le bois, etc., et du même coup, cela provoque une accélération de la ruine des petites entreprises.
On voit par conséquent que même dans la petite industrie paysanne, ce sont les entreprises capitalistes relativement importantes qui jouent le rôle essentiel. Tout en étant très minoritaires, elles emploient une part extrêmement importante des ouvriers et fournissent une part de la production plus importante encore. Dans 33 industries de la province de Moscou, par exemple, les entreprises du groupe supérieur qui ne représentent que 15% du nombre total fournissent 45% de la production. Par contre, les entreprises du groupe inférieur n’en fournissent que 21%, alors qu’elles représentent 53% du nombre total des entreprises. Ceci étant, il va de soi que la répartition des revenus nets doit être encore beaucoup plus inégale. Le recensement des industries artisanales de la province de Perm vient d’ailleurs nous le confirmer de façon éclatante. En groupant à part les plus grosses entreprises de 7 métiers, on obtient le tableau suivant des rapports entre petites et grandes entreprises((Voir nos Études, pp. 153 et suivantes (voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 2. pp. 414 et suivantes. – N. R.) , où nous fournissons les chiffres relatifs à chaque métier. Notons que tous ces chiffres concernent les «koustaris» agriculteurs travaillant pour le marché.)).
On voit que les 2/5 environ du revenu total (salaire des ouvriers et revenu des patrons) sont concentrés par moins de 10% des entreprises qui emploient environ 1/5 des ouvriers et qui fournissent près de la moitié de la production. Le revenu net des petits patrons est bien inférieur au salaire des ouvriers travaillant dans les grosses entreprises. Comme nous l’avons montré ailleurs, il ne s’agit pas là d’une exception mais d’une règle générale pour toutes les petites industries paysannes((Les chiffres que nous avons cités montrent que dans les petites industries paysannes les entreprises dont la production dépasse mille roubles jouent un rôle énorme et même prédominant. Rappelons que notre statistique officielle a toujours classé ces entreprises et continue de les classer dans la catégorie des «fabriques et usines». [Cf. Etudes, pp. 267, 270 (voir Lénine, Œuvres, Paris-Moscou, t. 4, pp. 14, 18. – N. R.). et le chapitre VII, § Il]. Si donc nous croyions permis à un économiste d’user de la terminologie traditionnelle courante, au-delà de laquelle nos populistes ne sont pas allés, nous serions en droit d’établir la «loi» suivante: les «fabriques et usines», qui ne figurent pas dans la statistique officielle à cause de son insuffisance, jouent un rôle prédominant parmi les entreprises artisanales paysannes.)).
En résumé, nous pouvons dire que le régime économique des petites industries paysannes est un régime petit-bourgeois typique semblable à celui que nous avons déjà rencontré quand nous nous sommes occupés des petits agriculteurs. Dans ce climat économique et social, les petites industries paysannes ne peuvent s’agrandir, se développer, s’améliorer qu’en donnant naissance, d’une part, à une minorité de petits capitaliste; et, d’autre part, à une majorité d’ouvriers salariés ou de «koustaris indépendants» vivant encore plus mal que les salariés. Nous pouvons donc observer dans les plus petits métiers paysans les germes les plus évidents du capitalisme, de ce capitalisme dont les économistes à la Manilov((Manilov, personnage des Ames Mortes de Gogol. C’est le type même du rêveur sans volonté qui arrive à faire de belles phrases vides sans jamais agir. )) voudraient nous faire croire qu’il n’a rien de commun avec la «production populaire». Les faits que nous venons d’analyser ont également une grande importance pour la théorie du marché intérieur. Par suite du développement des petits métiers paysans, on assiste à un accroissement de la demande des artisans les plus aisés en force productive et en main-d’œuvre qu’ils vont puiser dans le prolétariat rural. Etant donné que dans la seule province de Perm, on compte près de 6500 ouvriers salariés qui travaillent pour des artisans ruraux ou des petits industriels, il doit y en avoir un nombre assez considérable dans l’ensemble de la Russie((Ajoutons que les différentes données signalent des rapports absolument analogues parmi les petits producteurs de marchandises dans d’autres provinces que dans celles de Moscou et de Perm. Voir, par exemple, Les petites industries de la province de Vladimir, fasc. II, recensements par foyer des cordonniers et des fouleurs; Travaux de la commission artisanale, fasc. Il, sur les charrons du district de Médyne; fasc. II, sur les pelletiers du même district; fasc. III, sur les fourreurs du district d’Arzamas; fasc. VI, sur les fouleurs du district de Sémionov et les corroyeurs du district de Vassilsoursk, etc. Cf. Recueil de Nijni-Novgorod, t. IV, p. 137, où A. Gatsiski, dans un jugement général sur les petits métiers, constate qu’il y a formation de grands ateliers. Cf. le Compte rendu d’Annenski sur les « koustaris » de Pavlovo (mentionné plus haut), sur le groupement des familles d’après leur gain hebdomadaire, etc., etc., etc. Toutes ces indications ne se distinguent des chiffres des recensements par foyer que nous avons analysés, que par leur caractère fragmentaire et leur insuffisance. Mais le fond des choses est partout le même. )).