1. Naissance de la manufacture et ses traits essentiels

Le développement du capitalisme en Russie

Lénine

Chapitre VI : LA MANUFACTURE CAPITALISTE ET LE TRAVAIL A DOMICILE POUR LE CAPITALISTE

I. NAISSANCE DE LA MANUFACTURE ET SES TRAITS ESSENTIELS

   Nous savons que par manufacture on entend la coopération basée sur la division du travail. Par son origine la manufacture touche de près aux «premières phases du capitalisme dans l’industrie», que nous venons d’étudier. D’une part, les ateliers employant un nombre plus ou moins important d’ouvriers introduisent peu à peu la division du travail, et, de ce fait, la coopération capitaliste simple évolue vers la manufacture capitaliste. Les statistiques concernant les petites industries de la province de Moscou, reproduites au chapitre précédent, mettent ce processus bien en évidence: elles montrent que dans tous les métiers de quatrième catégorie, ainsi que dans un certain nombre de métiers de troisième catégorie et dans quelques métiers de deuxième catégorie, les plus gros ateliers appliquent la division du travail de façon systématique et sur une grande échelle et doivent, par conséquent, être considérés comme des manufactures capitalistes. Nous citerons par la suite des chiffres plus détaillés sur la technique et l’économie de quelques-unes de ces petites industries.

   Nous avons vu d’autre part que lorsque le capital commercial atteint, dans les petites industries, un niveau supérieur de développement, il réduit les petits producteurs à l’état d’ouvriers salariés transformant pour un salaire déterminé une matière première qui ne leur appartient pas. Si le développement ultérieur aboutit à une application systématique de la division du travail et, par là même, à une transformation de la technique utilisée par le petit producteur; si le «revendeur» charge des ouvriers salariés d’effectuer un certain nombre d’opérations de détail dans son propre atelier; si, à côté de la distribution du travail à domicile et indissolublement liés à elle, on voit apparaître de grands ateliers (qui souvent appartiennent à ces mêmes revendeurs), dont l’organisation interne repose sur la division du travail, on est alors en présence du processus d’apparition de la manufacture capitaliste de nature différente.((Pour ce processus d’apparition de la manufacture capitaliste, voir K. Marx, Das Kapital, III, pp. 318-320, trad. russe, pp. 267-270. «Ce n’est pas même dans le sein des anciennes corporations que la manufacture a pris naissance. Ce fut le marchand qui devint chef de l’atelier moderne en non pas l’ancien maître de corporations (Misère de la philosophie, p. 190). Nous avons eu l’occasion d’énumérer ailleurs les indices essentiels de la notion de la manufacture, d’après Marx.)).

   Dans le développement des formes capitalistes de l’industrie, la manufacture a une très grande importance car elle constitue le maillon intermédiaire entre le métier, la petite production marchande aux formes primitives de capital et la grande industrie mécanique (la fabrique). Comme la manufacture continue à être basée sur la technique manuelle et que, de ce fait, les grosses entreprises sont dans l’impossibilité d’évincer radicalement les petites et de détacher complètement les artisans de l’agriculture, elle se rapproche des petites industries. «La manufacture ne pouvait ni s’emparer de la production sociale dans toute son étendue, ni la bouleverser dans sa profondeur (in ihrer Tiefe). Comme œuvre d’art économique, elle s’élevait sur la large base des corps de métiers de villes et de leur corollaire, l’industrie domestique des campagnes((Das Kapital, I2, p. 383. )).» Mais, par la formation d’un marché important, de grosses entreprises employant des ouvriers salariés et d’un capital considérable auquel la masse des ouvriers non possédants se trouve entièrement soumise, elle se rapproche de la fabrique.

   Le préjugé selon lequel la production «en usine» est séparée par un abîme de la production «artisanale» et selon lequel la première a un caractère «artificiel» opposé au caractère «populaire» de la seconde, ce préjugé est si répandu dans la littérature russe que nous estimons indispensable d’examiner en détail les données concernant toutes les branches essentielles de l’industrie de transformation et de montrer quelle a été leur organisation économique entre le moment où elles ont dépassé le stade de la petite industrie paysanne et celui où elles ont été transformées par la grande industrie mécanique.

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