Cours de base sur le marxisme-léninisme-maoïsme
Parti Communiste d’Inde (maoïste)
Chapitre 14 : La Révolution bourgeoise russe de 1905 : le développement des tactiques prolétariennes
La période de scission dans le POSDR est survenue au début d’une période de changements majeurs dans la situation mondiale. La longue période de paix de plus de 35 ans entre les principaux pays capitalistes a été rompue par une série de guerres. L’âge de l’impérialisme était annoncé, et les nouvelles puissances impérialistes ont commencé à se battre pour conquérir et étendre leurs marchés. Ils ont entraîné un certain nombre de conflits régionaux. Parmi ceux-ci, on peut citer la guerre russo-japonaise de 1904-05. Ces guerres régionales n’étaient qu’un moyen par lequel les puissances impérialistes se préparaient à la terrible Première Guerre Mondiale de 1914-1918 pour la répartition du monde.
Cette même période a également été marquée par une recrudescence de révolutions. La principale source de ces révolutions n’était cependant pas l’Europe mais l’Asie. La première de ces révolutions fut la révolution bourgeoise russe de 1905, suivie par les révolutions bourgeoises turque, persane et chinoise. La plus importante de ces révolutions, du point de vue du rôle du prolétariat et du développement de la tactique révolutionnaire marxiste, était la révolution russe de 1905. Son point de départ était la guerre russo-japonaise.
La guerre russo-japonaise, qui a commencé le 8 février 1904, a fini par la défaite du tsar avec un traité de paix humiliant le 23 août 1905. Les bolcheviks ont adopté un point de vue révolutionnaire clair face à la guerre, opposés à leur propre gouvernement et opposés à de fausses notions de nationalisme ou de patriotisme. Leur approche était que la défaite du tsar serait utile car elle affaiblirait le tsarisme et renforcerait la révolution. Et c’est ce qui s’est passé. La crise économique de 1900-1903 avait déjà aggravé les épreuves des masses laborieuses. La guerre a encore intensifié cette souffrance. Au fur et à mesure que la guerre se poursuivait et que les forces armées russes étaient confrontées aux défaites, la haine du peuple contre le tsar a augmenté. Il s’est révolté lors de la grande révolution de 1905.
Le mouvement a débuté avec une grande grève, dirigée par les bolcheviks, des ouvriers pétroliers de Bakou en décembre 1904. Ce fut le « signal » pour déclencher une vague de grèves et d’actions révolutionnaires dans toute la Russie. En particulier, la tempête révolutionnaire a éclaté avec les tirs sur la foule et le massacre d’une manifestation de travailleurs non armés le 22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg. La tentative du Tsar d’écraser les ouvriers dans le sang n’a fait qu’entraîner une réponse encore plus féroce des masses. Toute l’année 1905 a été marquée par les grèves politiques menées par les travailleurs, la saisie des terres et du grain des propriétaires par les paysans, et même d’une révolte des marins du cuirassé Potemkine. Par deux fois, le tsar, afin de détourner la lutte, a offert d’abord de rendre la Douma (le Parlement Russe) « consultative », puis « législative ». Les bolcheviks ont rejeté les deux Doumas alors que les mencheviks ont décidé d’y participer. L’apogée de la révolution s’est passé entre octobre et décembre 1905. Au cours de cette période, le prolétariat, pour la première fois dans l’histoire mondiale, a mis en place les Soviets des ouvriers – c’est-à-dire des conseils de délégués travailleurs de toutes les fermes et les usines. C’était l’embryon du pouvoir révolutionnaire qui deviendrait le modèle du pouvoir soviétique établi après la Révolution socialiste en 1917. À partir d’une grève générale en Russie en octobre, les luttes révolutionnaires ont continué à augmenter jusqu’à ce que les insurrections armées dirigées par les bolcheviks, en décembre, à Moscou et dans diverses autres villes et nationalités à travers le pays, soient brutalement écrasées. Après cela, la révolution commença à reculer. La révolution n’était cependant pas encore morte et les ouvriers et les paysans révolutionnaires battirent lentement en retraite, ils n’abandonnaient pas. Plus d’un million de travailleurs ont participé à des grèves en 1906 et plus de 740 000 en 1907. Le mouvement paysan a pris dans environ la moitié des districts de la Russie tsariste au premier semestre de 1906 et environ un cinquième dans la seconde moitié de l’année. La révolution n’était cependant déjà plus à son apogée. Le 3 juin 1907, le Tsar réalise un coup d’Etat, dissout la Douma qu’il a créée et retire les droits limités qu’il avait été forcé d’accorder pendant la révolution. Sous le Premier Ministre Tsariste Stolypin, une période d’intense répression, appelée la réaction Stolypin, fut mise en place. Elle dura jusqu’à la vague de grèves et de luttes politiques suivante, en 1912.
Bien que la révolution de 1905 ait été vaincue, elle a secoué les fondements mêmes du gouvernement tsariste. De plus, dans un court espace de trois ans, elle a donné à la classe ouvrière et aux paysans une éducation politique riche. C’est aussi la période où les bolcheviks ont prouvé dans la pratique l’exactitude fondamentale de leur compréhension révolutionnaire concernant la stratégie et la tactique du prolétariat. C’est au cours de cette révolution que la compréhension bolchevique concernant les amis et les ennemis de la révolution ainsi que les formes de lutte et d’organisation s’est solidement établie.
Les bolcheviks et les mencheviks avaient des positions contraires sur toutes les questions ci-dessus. L’analyse menchevique reprenait les idées réformistes et légalistes qui avaient déjà été communes à de nombreux partis de la Deuxième Internationale. Elle était fondée sur le fait que la révolution russe, en tant que révolution bourgeoise, devait être dirigée par la bourgeoisie libérale, et donc que le prolétariat ne devait pas prendre de mesures qui effrayeraient la bourgeoisie et la conduiraient dans les bras du Tsar. L’analyse bolchevique, d’autre part, était la compréhension révolutionnaire selon laquelle le prolétariat ne pouvait pas compter sur la bourgeoisie pour diriger la révolution et devait même prendre la direction de la révolution. C’est sur cette base révolutionnaire que les bolcheviks ont développé leur raisonnement sur toutes les autres questions stratégiques et tactiques importantes de la révolution.
Ainsi, les bolcheviks ont appelé à l’extension de la révolution et au renversement du tsar par le soulèvement armé. Les mencheviks ont essayé de maintenir la révolution dans un cadre pacifique et ont tenté de réformer et d’améliorer l’Empire du Tsar. Les bolcheviks ont donné à la classe ouvrière le commandement de la révolution, en isolant la bourgeoisie libérale et en nouant une alliance ferme avec la paysannerie ; à l’inverse les mencheviks ont accepté la direction de la bourgeoisie libérale et son alliance et n’ont pas considéré la paysannerie comme une classe révolutionnaire à laquelle s’allier. Les bolcheviks étaient prêts à participer à un gouvernement révolutionnaire provisoire qui devait être formé sur la base d’un soulèvement populaire et appelait au boycott de la Douma offerte par le tsar. Les mencheviks eux étaient prêts à participer à la Douma et ont proposé d’en faire le centre des « forces révolutionnaires » du pays.
L’analyse menchevique n’était pas un exemple isolé d’une tendance réformiste. En fait, elle était pleinement représentative de la compréhension des principaux partis de la Deuxième Internationale à cette époque. Leur position était essentiellement soutenue par les dirigeants de cette Internationale. Ainsi, Lénine et les bolcheviks luttaient non seulement contre le réformisme des mencheviks, mais aussi contre celui qui dominait alors les soi-disant partis marxistes de l’Internationale. Les positions défendues par Lénine étaient cependant une continuation et un développement de l’analyse révolutionnaire de Marx et Engels. C’était un développement supplémentaire de la tactique révolutionnaire marxiste appliquée dans les nouvelles conditions provoquées par la croissance du capitalisme à une nouvelle étape – l’impérialisme. Lénine les a présenté dans ses divers écrits au cours de la révolution et notamment dans son livre Deux Tactiques de la social-démocratie dans la Révolution démocratique. Ce livre, écrit en juillet 1905 après que les bolcheviks et les mencheviks ont tenu des Congrès séparés, mettait en évidence les différences essentielles dans la stratégie et les tactiques proposées par les deux groupes.
Les principes tactiques fondamentaux présentés par Lénine dans cette œuvre et d’autres étaient les suivants :
1) Le principe tactique principal qui couvre tous les écrits de Lénine est que le prolétariat peut et doit être le chef de la révolution démocratique bourgeoise. Pour ce faire, deux conditions étaient nécessaires. Tout d’abord, il fallait que le prolétariat ait un allié qui souhaite une victoire décisive sur le tsarisme et qui soit disposé à accepter la direction du prolétariat. Lénine considérait que la paysannerie était cet allié. Deuxièmement, il fallait que la classe qui luttait contre le prolétariat pour la direction de la révolution et s’efforçant de devenir son seul dirigeant soit combattue et isolée. Lénine considérait que la bourgeoisie libérale était cette classe. Ainsi, l‘essence du principal principe tactique de Lénine de la direction du prolétariat signifiait en même temps la politique d’alliance avec la paysannerie et la politique d’isolement de la bourgeoisie libérale.
2) En ce qui concerne les formes de lutte et les formes d’organisation, Lénine considérait que le moyen le plus efficace de renverser le tsarisme et de réaliser une république démocratique était un soulèvement armé victorieux par le peuple. Pour le mener à bien, Lénine a appelé à des grèves politiques de masse ainsi qu’à l’armement des travailleurs. Il a également soutenu la journée de travail de 8 heures et d’autres demandes immédiates de la classe ouvrière d’une manière révolutionnaire en ignorant les autorités et la loi. De même, il a appelé à la formation de comités paysans révolutionnaires pour apporter des changements comme la saisie de terres d’une manière révolutionnaire. Ces tactiques de mépris des autorités ont paralysé la machinerie étatique du tsar et ont libéré l’initiative des masses. Cela a conduit à la formation de comités de grève révolutionnaires dans les villes et des comités paysans révolutionnaires à la campagne, qui se sont développés plus tard dans les Soviets des députés ouvriers et les Soviets des députés paysans.
3) Lénine a ajouté que la révolution ne devait pas s’arrêter après la victoire de la révolution bourgeoise et la réalisation d’une république démocratique. Il a proposé que le parti révolutionnaire fasse tout ce qui est possible pour passer de la révolution démocratique bourgeoise à la révolution socialiste. Il donne ainsi une forme concrète au concept de révolution ininterrompue de Marx.
Ces principes tactiques sont devenus la base de la pratique bolchevique pendant la période qui suivit. Ils ont finalement conduit à la victoire du prolétariat en 1917 et à la création du premier Etat ouvrier.