Les tâches du prolétariat dans notre révolution
Lénine
Programmes agraire et national
13. A l’heure actuelle nous ne pouvons savoir exactement si une puissante révolution agraire va se développer d’ici peu dans les campagnes russes. Nous ne pouvons savoir quelle est exactement la profondeur de la différenciation de classe qui s’opère dans la paysannerie, — et qui s’est à coup sûr accentuée ces derniers temps, — et la divise en ouvriers agricoles, saisonniers ou permanents, et paysans pauvres (« semi-prolétaires »), d’une part, et paysans aisés et moyens (capitalistes grands et petits), de l’autre. L’expérience seule peut résoudre et résoudra ces questions.
Mais notre devoir absolu, en tant que parti du prolétariat, est non seulement de présenter dès aujourd’hui un programme agraire, mais aussi de préconiser des mesures pratiques immédiatement réalisables, et commandées par l’intérêt de la révolution agraire paysanne en Russie.
Nous devons exiger la nationalisation de toutes les terres dans le pays, c’est-à-dire leur remise en toute propriété au pouvoir central. Ce dernier déterminera l’importance, etc. du fonds de migration, promulguera des lois pour la protection des forêts et l’amendement des terres, etc. ; il interdira expressément toute médiation entre le possesseur des terres — l’Etat, et leur locataire — le cultivateur (interdiction de toute sous-location de la terre). Par contre, ce sont les Soviets régionaux et locaux des députés paysans — et nullement la bureaucratie, les fonctionnaires — qui disposeront, entièrement et exclusivement, de la terre et fixeront les conditions locales de possession et de jouissance.
Afin d’améliorer la technique de la production de blé et d’augmenter celle-ci ; afin de développer la grande exploitation rationnelle et d’en assurer le contrôle public, nous devons travailler, au sein des comités paysans, à faire de tout grand domaine exproprié une grande exploitation modèle, placée sous le contrôle des Soviets des députés salariés agricoles.
Contrairement à la phrase et à la politique petites-bourgeoises qui règnent chez les socialistes-révolutionnaires et surtout dans leurs bavardages sur la norme « de consommation » ou « de travail », sur la « socialisation de la terre », etc., le parti du prolétariat doit s’attacher à prouver que le système de la petite exploitation, en régime de production marchande, ne peut pas affranchir l’humanité de la misère des masses, de leur oppression.
Le parti du prolétariat doit démontrer, sans opérer immédiatement et obligatoirement la scission dans les Soviets des députés paysans, la nécessité de Soviets distincts de députés des salariés agricoles et de Soviets distincts de députés des paysans pauvres (semi-prolétaires), ou tout au moins de conférences permanentes des députés appartenant à ces catégories sociales, conférences qui seraient organisées sous la forme de fractions ou de partis distincts au sein des Soviets communs des députés paysans. Faute de quoi, la doucereuse phraséologie petitebourgeoise des populistes sur la paysannerie en général ne fera que voiler la duperie de la masse non possédante par la paysannerie aisée, simple variété de capitalistes.
Contrairement à la prédication libérale bourgeoise ou purement bureaucratique à laquelle se livrent nombre de socialistes-révolutionnaires et de Soviets des députés ouvriers et soldats, qui recommandent aux paysans de ne pas s’emparer des terres des grands propriétaires fonciers et de ne pas entreprendre la réforme agraire avant la convocation de l’Assemblée constituante, le parti du prolétariat doit appeler les paysans à réaliser immédiatement, et de leur propre autorité, la réforme agraire et à procéder, sur décision des Soviets locaux des députés paysans, à la confiscation immédiate des terres appartenant aux grands propriétaires fonciers.
Ce faisant, il importe tout particulièrement d’insister sur la nécessité d’augmenter la production de denrées alimentaires pour les soldats du front et pour les villes, de souligner que tout préjudice, toute détérioration du bétail, des outils, machines, bâtiments, etc., etc. est absolument inadmissible.
14. Dans la question nationale, le parti prolétarien préconisera avant tout la proclamation et l’application immédiate de la liberté absolue de se séparer de la Russie, pour toutes les nations et nationalités opprimées par le tsarisme et rattachées par la force ou maintenues par la force dans le cadre de l’Etat russe, c’est-à-dire annexées.
Toutes les déclarations, proclamations et manifestes sur la renonciation aux annexions, non accompagnés de l’application effective de la liberté de séparation, ne sont que mensonges bourgeois destinés à tromper le peuple, ou souhaits innocents de petits bourgeois.
Le parti prolétarien aspire à la création d’un Etat aussi vaste que possible, car tel est l’intérêt des travailleurs ; il aspire au rapprochement, à la fusion des nations, mais il veut atteindre ce but non par la violence, mais uniquement par l’union libre et fraternelle des masses d’ouvriers et de travailleurs de toutes les nations.
Plus la République de Russie sera démocratique, mieux elle s’organisera en République des Soviets des députés ouvriers et paysans, et plus puissante sera la force d’attraction qui portera librement vers elle les masses laborieuses de toutes les nations.
Entière liberté de séparation, autonomie locale (et nationale) aussi large que possible, garanties minutieusement élaborées des droits des minorités nationales, tel est le programme du prolétariat révolutionnaire.