Sur le projet de constitution de l’URSS
Staline
4. La critique bourgeoise du projet de constitution
Quelques mots sur la critique bourgeoise du projet de Constitution. L’attitude observée par la presse bourgeoise de l’étranger à l’égard du projet de Constitution offre sans contredit un certain intérêt. Pour autant que la presse étrangère reflète l’opinion des différentes catégories de la population dans les pays bourgeois, nous ne pouvons passer outre à la critique que cette presse a développée contre le projet de Constitution. Les premières réactions de la presse étrangère au projet de Constitution se sont manifestées dans une tendance bien nette : passer sous silence le projet de Constitution.
Je veux parler ici de la presse la plus réactionnaire, de la presse fasciste. Ce groupe de critiques a jugé que le mieux était simplement de passer sous silence le projet de Constitution, de présenter les choses comme si le projet n’existait pas et n’avait jamais existé. On peut dire que la tactique du silence n’est pas de la critique. Mais c’est faux. La méthode du silence comme moyen particulier de méconnaître les faits, est aussi une forme de critique, sotte et ridicule, il est vrai, mais une forme de critique tout de même. (Rire général. Applaudissements.)
Mais la méthode du silence ne leur a pas réussi. Finalement ils ont été obligés d’ouvrir la soupape et d’informer le monde que, si triste que cela soit, le projet de Constitution de l’U.R.S.S. existe pourtant ; que non seulement il existe, mais commence à exercer une action pernicieuse sur les esprits.
D’ailleurs il ne pouvait en être autrement, car il existe tout de même dans le monde une opinion publique, des lecteurs, des hommes vivants, qui veulent savoir la vérité sur les faits, et il est absolument impossible de les maintenir longtemps dans l’étau de la tromperie. Avec la tromperie on n’ira pas loin… Le deuxième groupe de critiques reconnaît que le projet de Constitution existe réellement, mais estime qu’il n’est pas d’un grand intérêt, puisque, au fond, ce n’est pas un projet de Constitution, mais un chiffon de papier, une vaine promesse, visant à opérer une certaine manœuvre et à duper les gens. A cela ils ajoutent que l’U.R.S.S. ne pouvait d’ailleurs pas donner un meilleur projet, puisque l’U.R.S.S. elle-même n’est pas un Etat, mais une simple notion géographique (rire général) ; dès lors, sa Constitution ne saurait être une vraie constitution.
Le représentant typique de ce groupe de critiques est, si étrange que cela paraisse, l’officieux allemand, la Deutsche Diplomatisch Politische Korrespondenz. Cette revue « déclare expressément que le projet de Constitution de l’U.R.S.S. est une vaine promesse, une tromperie, un « village à la Potemkine ». Elle déclare sans hésiter que l’U.R.S.S. n’est pas un Etat ; que l’U.R.S.S. « n’est autre chose qu’une notion géographique exactement définie » (rire général) ; que la Constitution de l’U.R.S.S. ne peut donc, pour cette raison, être considérée comme une vraie constitution.
Que peut-on dire de semblables critiques, s’il est permis de les appeler ainsi ? Dans un de ses contes et nouvelles, le grand écrivain russe Chtchédrine dépeint le type du bureaucrate et yranneau, très borné et obtus, mais suffisant et zélé à l’extrême. Après avoir établi « l’ordre et le calme » dans la région à lui « confiée », en exterminant des milliers d’habitants et en brûlant des dizaines de villes, ce bureaucrate jette un regard autour de lui et aperçoit à l’horizon l’Amérique, pays évidemment peu connu, où il existe, paraît-il, des libertés qui troublent le peuple, et où l’Etat est gouverné par d’autres méthodes. Le bureaucrate aperçoit l’Amérique et s’indigne : Qu’est-ce que ce pays ? D’où sort-il ?
De quel droit existe-t-il, voyons ?
(Rire général, applaudissements.) Evidemment, on l’a découvert par hasard quelques siècles plus tôt, mais est-ce qu’on ne peut pas le recouvrir, pour qu’on n’en entende plus jamais parler ?
(Rire général.) Et ceci dit, il décrète : « Recouvrir l’Amérique ! » (Rire général.)
Il me semble que ces messieurs de Deutsche Diplomatisch Politische Korrespondenz ressemblent comme deux gouttes d’eau au bureaucrate de Chtchédrine. (Rire général, applaudissements.) Il y a longtemps que l’U.R.S.S. blesse la vue de ces messieurs. Voilà dix-neuf ans que l’U.R.S.S. se dresse comme un phare, infusant l’esprit de libération à la classe ouvrière du monde entier et provoquant la fureur des ennemis de la classe ouvrière. Et voilà que cette U.R.S.S., non contente simplement d’exister, grandit même, et non seulement grandit, mais prospère, et non seulement prospère, mais rédige même un projet de nouvelle Constitution, projet qui exalte les esprits, qui inspire de nouveaux espoirs aux classes opprimées. (Applaudissements.) Comment ces messieurs de l’organe officieux allemand ne s’indigneraient ils pas après cela ?
Qu’est-ce que c’est que ce pays ? clament-ils ; de quel droit existe-t-il, voyons ?
(Rire général.) Et si on l’a découvert en octobre 1917, pourquoi ne pourrait-on pas le recouvrir, pour qu’on n’en entende plus jamais parler ? Et ceci dit, ils décident : Recouvrir l’U.R.S.S. ; proclamer haut et clair que l’U.R.S.S. n’existe pas en tant qu’Etat, que l’U.R.S.S. n’est autre chose qu’une simple notion géographique ! (Rire général.)Après avoir décrété de recouvrir l’Amérique, le bureaucrate de Chtchédrine, en dépit de toute son étroitesse d’esprit, avait cependant trouvé en lui des éléments de compréhension de la réalité, car il se dit aussitôt : « Mais je crois que ladite chose n’est pas en mon pouvoir ». (Explosion de franche gaieté, applaudissements en rafale.) J’ignore si ces messieurs de l’organe officieux allemand auront assez d’esprit pour se douter qu’ils peuvent bien, évidement, « recouvrir » sur le papier tel ou tel Etat, mais à parler sérieusement, « ladite chose n’est pas en leur pouvoir ». (Explosion de franche gaieté, applaudissements en rafale.)
Quant à l’affirmation que la Constitution de l’U.R.S.S. est soi-disant une vaine promesse, un « village à la Potemkine », etc., je tiens à invoquer une série de faits établis, qui parlent d’eux-mêmes. En 1917, les peuples de l’U.R.S.S. ont renversé la bourgeoisie et instauré la dictature du prolétariat, instauré le pouvoir soviétique. C’est un fait, et non une promesse.
Ensuite, le pouvoir soviétique a liquidé la classe des grands propriétaires fonciers et remis aux paysans plus de 150 millions d’hectares de terres ayant appartenu aux grands propriétaires fonciers, à l’Etat et aux couvents ; cela, en plus des terres qui se trouvaient auparavant déjà entre les mains des paysans. C’est un fait, et non une promesse.
Ensuite, le pouvoir soviétique a exproprié la classe des capitalistes ; il lui a enlevé les banques, les usines, les chemins de fer et autres instruments et moyens de production, proclamés propriété socialiste, et il a placé à la tête de ces entreprises l’élite de la classe ouvrière. C’est un fait, et non une promesse. (Applaudissements prolongés.)
Ensuite, ayant organisé l’industrie et l’agriculture selon des principes nouveaux, socialistes, avec une nouvelle base technique, le pouvoir des Soviets est arrivé à ceci qu’aujourd’hui l’agriculture de l’U.R.S.S. fournit une production une fois et demie supérieur à celle d’avant-guerre ; l’industrie produit sept fois plus qu’avant-guerre et le revenu national a quadruplé par rapport à la période d’avant-guerre.
Tout cela, ce sont des faits, et non des promesses. (Applaudissements prolongés.)
Ensuite, le pouvoir soviétique a supprimé le chômage, réalisé le droit au travail, le droit au repos, le droit à l’instruction, assuré les meilleures conditions matérielles et culturelles aux ouvriers, aux paysans et aux intellectuels ; assuré aux citoyens l’application du suffrage universel, direct et égal, au scrutin secret. Tout cela, ce sont des faits, et non des promesses. (Applaudissements prolongés.) Enfin l’U.R.S.S. a donné le projet d’une nouvelle Constitution qui n’est pas une promesse, mais l’enregistrement et la consécration législative de ces faits connus de tous, l’enregistrement et la consécration législative de ce qui a déjà été obtenu et conquis.
On se demande à quoi se réduit, après tout cela, le verbiage de ces messieurs de l’organe officieux allemand sur les « villages à la Potemkine », sinon à ceci qu’ils se proposent de cacher au peuple la vérité sur l’U.R.S.S., d’induire le peuple en erreur, de le tromper. Tels sont les faits. Or les faits, comme on dit, sont têtus. Ces messieurs de l’organe officieux allemand peuvent dire que c’est tant pis pour les faits. (Rire général.) Mais alors on peut leur répondre par ce proverbe russe que l’on connaît : « Pour les imbéciles, il n’y a pas de loi qui tienne ». (Rires joyeux, applaudissements prolongés.)
Le troisième groupe de critiques est prêt à reconnaître certains mérites au projet de Constitution ; il le considère comme un événement positif, mais, voyez-vous, il doute fort que certaines de ses dispositions puissent être mises en pratique, convaincu qu’il est que ces dispositions en général sont irréalisables et doivent rester sur le papier. Ce sont, pour parler délicatement, des sceptiques. Ces sceptiques-là existent dans tous les pays.
Il faut dire que ce n’est pas la première fois que nous les rencontrons. Lorsque les bolcheviks prirent le pouvoir en 1917, les sceptiques disaient : Les bolcheviks ne sont peut- être pas de mauvaises gens, mais pour ce qui est du pouvoir, ils ne s’en tireront pas, ils se casseront le nez. Il s’est avéré que ce ne sont pas les bolcheviks, mais les sceptiques qui se sont cassé le nez. Pendant la guerre civile et l’intervention étrangère, ce groupe de sceptiques disait : Évidemment, le pouvoir des Soviets n’est pas une mauvaise chose, mais il y a des chances pour que Dénikine avec Koltchak, plus les étrangers, en viennent à bout.
Cependant les sceptiques, cette fois encore, se sont trompés dans leurs calculs. Lorsque le pouvoir soviétique a publié le premier plan quinquennal, les sceptiques ont réapparu sur la scène, disant : Le plan quinquennal est, certes, une bonne chose, mais il n’est guère réalisable ; il faut croire que les bolcheviks s’enferreront sur leur plan quinquennal. Les faits ont cependant montré que les sceptiques, cette fois encore, n’ont pas eu de chance : le plan quinquennal fut réalisé en quatre ans.
Il faut en dire autant du projet de la nouvelle Constitution et de la critique qu’en ont fait les sceptiques. Il a suffi de publier le projet pour que ce groupe de critiques réapparaisse sur la scène, avec leur morne scepticisme, leurs doutes sur la possibilité de réaliser certaines dispositions de la Constitution. Il n’y a aucune raison de douter que les sceptiques échoueront cette fois encore, qu’ils échoueront aujourd’hui comme ils ont échoué mainte fois dans le passé.
Le quatrième groupe de critiques, en attaquant le projet de la nouvelle Constitution, le caractérise comme une « évolution à droite », comme un « abandon de la dictature du prolétariat », comme la « liquidation du régime bolchevik ». « Les bolcheviks ont obliqué à droite, c’est un fait », déclarent-ils sur divers tons. Certains journaux polonais et, en partie, les journaux américains, se montrent particulièrement zélés à cet égard.
Que peut-on dire de ces critiques, s’il est permis de les appeler ainsi ? Si l’élargissement de la base de la dictature de la classe ouvrière et la transformation de la dictature en un système plus souple, et par conséquent plus puissant, de direction politique de la société, sont interprétés par eux, non comme un renforcement de la dictature de la classe ouvrière, mais comme son affaiblissement ou même comme son abandon, il est permis de demander : ces messieurs savent-ils en général ce que c’est que la dictature de la classe ouvrière ? Si la consécration législative de la victoire du socialisme, la consécration législative des succès de l’industrialisation, de la collectivisation et de la démocratisation, ils l’appellent « évolution à droite », il est permis de demander : ces messieurs savent-ils en général ce qui distingue la gauche de la droite ?
(Rire général, applaudissements)
Il ne peut faire de doute que ces messieurs se sont définitivement embrouillés dans leur critique du projet de Constitution, et s’étant embrouillés, ils ont confondu la droite avec la gauche. On ne peut s’empêcher de songer à Pélagie, cette « gamine » servante des Ames mortes de Gogol.
L’auteur raconte qu’an jour elle s’était chargée de montrer le chemin à Sélifane, cocher de Tchitchikov, mais n’ayant pas su distinguer le côté droit du côté gauche de la route, elle s’était embrouillée et mise en fâcheuse posture. Il faut avouer que les critiques des journaux polonais, malgré toute leur présomption, ne dépassent pas de beaucoup le niveau de compréhension de Pélagie, la « gamine » servante des Ames mortes. (Applaudissements.)
Si vous vous rappelez bien, le cocher Sélifane trouva bon de tancer Pélagie pour avoir confondu le côté droit et le côté gauche, en lui disant : « Hé, va donc, pieds sales… tu ne sais même pas distinguer ta droite de ta gauche. » Il me semble qu’on ferait bien de tancer de même nos critiques à la manque, en leur disant : « Hé, allez donc, critiques de malheur…. vous ne savez même pas distinguer votre droite de votre gauche. » (Applaudissements prolongés.)
Enfin, encore un groupe de critiques. Si le groupe précédent accuse le projet de Constitution de renoncer à la dictature de la classe ouvrière, ce groupa ci l’accuse, au contraire, de ne rien changer à l’état de choses existant en U.R.S.S., de laisser intacte la dictature de la classe ouvrière, de ne pas admettre la liberté des partis politiques et de maintenir la position dirigeante du Parti communiste en U.R.S.S. Au surplus, ce groupe de critiques estime que l’absence de libertés pour les partis en U.R.S.S. est une violation des principes du démocratisme.
Je dois avouer qu’en effet le projet de la nouvelle Constitution maintient le régime de la dictature de la classe ouvrière, de même qu’il conserve sans changement la position dirigeante du Parti communiste de l’U.R.S.S. (Vifs applaudissements.) Si les honorables critiques considèrent ceci comme un défaut du projet de Constitution, on ne peut que le regretter. Nous, bolcheviks, considérons cela comme un mérite du projet de Constitution. (Vifs applaudissements.)
En ce qui concerne la liberté pour les différents partis politiques, nous sommes ici d’un avis quelque peu différent. Un parti est une portion d’une classe, sa portion d’avant-garde. Plusieurs partis et, par conséquent, la liberté des partis, ne peuvent exister que dans une société où existent des classes antagonistes, dont les intérêts sont hostiles, inconciliables ; où il y a, par exemple, capitalistes et ouvriers, grands propriétaires fonciers et paysans, koulaks et paysans pauvres, etc.
Mais en U.R.S.S., il n’y a plus de classes telles que les capitalistes, les grands propriétaires fonciers, les koulaks, etc. Il n’existe en U.R.S.S. que deux classes, les ouvriers et les paysans, dont les intérêts, loin d’être hostiles, sont au contraire basés sur l’amitié. Par conséquent, il n’y a pas en U.R.S.S. de terrain pour plusieurs partis, ni par conséquent pour la liberté de ces partis.
En U.R.S.S. il n’existe de terrain que pour un seul parti, le Parti communiste. En U.R.S.S. il ne peut y avoir qu’un seul parti, le Parti communiste, qui défend hardiment et jusqu’au bout les intérêts des ouvriers et des paysans. Et qu’il ne défende pas mal les intérêts de ces classes, on ne saurait guère en douter. (Vifs applaudissements.) On parle de démocratie. Mais qu’est-ce que la démocratie ?
La démocratie dans les pays capitalistes, où il y a des classes antagonistes, c’est en dernière analyse la démocratie pour les forts, une démocratie pour la minorité possédante. La démocratie en U.R.S.S. est, au contraire, une démocratie pour les travailleurs, c’est à dire la démocratie pour tous. Il s’ensuit donc que les principes du démocratisme sont violés, non par le projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S., mais par les constitutions bourgeoises. Voilà pourquoi je pense que la
Constitution de l’U.R.S.S. est la seule au monde qui soit démocratique jusqu’au bout. Voilà ce qu’il en est de la critique bourgeoise du projet de la nouvelle Constitution de l’U.R.S.S.