3e Congrès
IIIe Internationale
L’Internationale Communiste et l’Internationale Syndicale Rouge
La lutte contre l’Internationale Jaune d’Amsterdam
I
La bourgeoisie tient dans l’esclavage la classe ouvrière, non seulement par la force brutale, mais aussi par des tromperies raffinées. L’école, l’église, le parlement, les arts, la littérature, la presse quotidienne, sont autant de puissants instruments dont se sert la bourgeoisie pour abrutir les masses ouvrières et faire pénétrer les idées bourgeoises parmi le prolétariat.
Au nombre de ces idées bourgeoises que la classe dominante a réussi a insinuer aux masses laborieuses, se trouve l’idée de la neutralité des Syndicats, de leur caractère apolitique, étranger à tout parti.
Depuis les dernières décades de l’histoire contemporaine et en particulier depuis la fin de la guerre impérialiste, dans toute l’Europe et en Amérique, les Syndicats sont les organisations les plus nombreuses du prolétariat : dans certains Etats ils embrassent même toute la classe ouvrière sans exception. La bourgeoisie comprend parfaitement que le sort du régime capitaliste dépend aujourd’hui de l’attitude de ces syndicats à l’égard de l’influence bourgeoise universelle et de ses valets social-démocrates pour maintenir coûte que coûte les syndicats captifs des idées bourgeoises.
La bourgeoise ne peut pas inviter ouvertement les syndicats ouvriers à soutenir les partis bourgeois. C’est pourquoi elle les invite à ne soutenir aucun parti, sans excepter le parti du communisme révolutionnaire.
La devise de la « neutralité » ou de « l’apolitisme » des syndicats a déjà derrière elle un long passé. Au cours d’une dizaine d’années, cette idée bourgeoise a été inoculée aux syndicats d’Angleterre, d’Allemagne d’Amérique et des autres pays, tant aux chefs des syndicats bourgeois à la Hirsch-Dunker qu’aux dirigeants des syndicats cléricaux et chrétiens, tant aux représentants des soi-disant syndicats libres d’Allemagne qu’aux leaders des vieilles et pacifiques trade-unions anglaises, et à beaucoup d’autres partisans du syndicalisme. Legien, Gompers, Jouhaux, Sidney Webb, pendant des années et des dizaines d’années, ont prêché aux syndicats la neutralité.
En réalité, les syndicats n’ont jamais été neutres et n’auraient jamais pu l’être, même s’ils l’avaient voulu. La neutralité des syndicats ne pourrait être que nuisible à la classe ouvrière, mais elle est même irréalisable. Dans le duel entre le travail et le capital, aucune grande organisation ouvrière ne peut demeurer neutre. Par conséquent les syndicats ne peuvent pas être neutres entre les partis bourgeois et le parti du prolétariat. Les partis bourgeois s’en rendent parfaitement compte. Mais de même que la bourgeoisie a besoin que les masses croient à la vie éternelle, elle a besoin qu’on croie également que les syndicats peuvent être apolitiques et peuvent conserver la neutralité à l’égard du parti communiste ouvrier. Pour que la bourgeoisie puisse continuer à dominer et à pressurer les ouvriers pour en tirer sa plus-value, elle n’a pas besoin seulement du prêtre, du policier, du général, il lui faut encore le bureaucrate syndical, le « leader ouvrier » qui prêche aux syndicats ouvriers la neutralité et l’indifférence dans la lutte politique.
Même avant la guerre impérialiste, la fausseté de cette idée de neutralité devenait de plus en plus évidente pour les prolétaires conscients d’Europe et d’Amérique. A mesure que les antagonismes sociaux s’exaspèrent, le mensonge devient encore plus frappant. Lorsque commença la boucherie impérialiste, les anciens chefs syndicaux se trouvèrent contraints de jeter le masque de la neutralité et de marcher franchement chacun avec « sa » bourgeoisie.
Pendant la guerre impérialiste, tous les social-démocrates et les syndicalistes, qui avaient passé des années à prêcher aux syndicats l’indifférence politique, lancèrent en réalité ces mêmes syndicats au service de la plus sanglante et de la plus vile politique des partis bourgeois. Eux, champions hier de la neutralité, on les voit agir maintenant comme les agents déclarés de tel parti politique, sauf un seul, le parti de la classe ouvrière.
Après la fin de la guerre impérialiste, ces mêmes chefs social-démocrates et syndicalistes essayent de nouveau d’imposer aux syndicats le masque de la neutralité et de l’apolitisme. Le danger militaire étant passé, ces agents de la bourgeoisie s’adaptent aux circonstances nouvelles et, de plus, essayent de faire dévier les ouvriers de la voie révolutionnaire dans celle qui est avantageuse à la bourgeoisie.
L’économique et la politique ont toujours été indissolublement liées l’une et l’autre. Ce lien est particulièrement indissoluble à des époques comme celle que nous traversons. Il n’est pas une seule question importante de la vie politique qui ne doive intéresser à la fois le parti ouvrier et le syndicat ouvrier. Inversement, il n’est pas une question économique importante qui puisse intéresser le syndicat sans intéresser à la fois le parti ouvrier.
Lorsqu’en France le gouvernement impérialiste décrète la mobilisation de certaines classes pour occuper le bassin de la Ruhr ou pour opprimer l’Allemagne en général, un syndicat français réellement prolétarien peut-il dire que c’est là une question strictement politique qui ne doit pas intéresser les syndicats ? Un syndicat français véritablement révolutionnaire peut-il se déclarer « neutre » ou « apolitique » dans cette question ?
Ou bien, si inversement, en Angleterre, il se produit un mouvement purement économique comme la dernière grève des mineurs, le parti communiste a-t-il le droit de dire que cette question ne le concerne pas et intéresse uniquement les syndicats ? Lorsque la lutte est engagée contre la misère et la pauvreté endurées par des millions de sans-travail, lorsqu’on est obligé de poser pratiquement la question de la réquisition des logements bourgeois pour soulager les besoins du prolétariat, lorsque des masses de plus en plus nombreuses d’ouvriers sont contraintes par la vie même de mettre à l’ordre du jour l’armement du prolétariat, lorsque dans un pays ou un autre, les ouvriers organisent l’occupation des fabriques et des usines, dire que les syndicats ne doivent pas se mêler de la lutte politique ou doivent être « neutres » entre tous les partis, c’est en réalité se mettre au service de la bourgeoisie.
Malgré toute la diversité de leurs dénominations, les partis politiques d’Europe et d’Amérique peuvent être divisés en trois grands groupes :
1. les partis de la bourgeoisie,
2. les partis de la petite-bourgeoisie (surtout les social-démocrates),
3. le parti du prolétariat (les communistes).
Les syndicats qui se proclament « apolitiques » et « neutres » à l’égard de ces trois groupes ne font en réalité qu’aider les partis de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie.
II
L’association syndicale d’Amsterdam est une organisation où se rencontrent et se donnent la main les Internationales 2 et 2 1/2. Cette organisation est considérée avec espoir et sollicitude par toute la bourgeoisie mondiale. La grande idée de l’Internationale Syndicale d’Amsterdam pour le moment, c’est la neutralité des syndicats. Ce n’est pas par hasard que cette devise sert à la bourgeoisie et à ses valets social-démocrates ou syndicalistes de droite de moyen pour essayer de rassembler de nouveau les masses ouvrières d’Occident et d’Amérique. Tandis que la Seconde Internationale politique, en passant ouvertement du côté de la bourgeoisie, a fait lamentablement faillite, l’Internationale d’Amsterdam, en essayant à nouveau de se couvrir de l’idée de la neutralité, a encore quelque succès.
Sous le pavillon de la « neutralité », l’Internationale Syndicale d’Amsterdam prend sur elle les commissions les plus difficiles et les plus sales de la bourgeoisie : étrangler la grève des mineurs en Angleterre (comme a accepté de le faire le fameux J. H. Thomas qui est en même temps le président de II° Internationale et un des leaders les plus en vue de l’Internationale Syndicale Jaune d’Amsterdam), abaisser les salaires, organiser le pillage systématique des ouvriers allemands pour les péchés de Guillaume et de la bourgeoisie impérialiste allemande. Leipart et Grassmann, Wissel et Bauer, Robert Schmidt et J. H. Thomas, Albert Thomas et Jouhaux, Daszynski et Zulavski – tous, ils se sont partagé les rôles : les uns, anciens chefs syndicaux, participent aujourd’hui aux gouvernements bourgeois en qualité de ministres, de commissaires gouvernementaux ou de fonctionnaires quelconques, tandis que les autres, entièrement solidaires des premiers, restent à la tête de l’Internationale Syndicale d’Amsterdam pour prêcher aux ouvriers syndiqués la neutralité politique.
L’Internationale Syndicale d’Amsterdam est actuellement le principal appui du capital mondial. Il est impossible de combattre victorieusement cette forteresse du capitalisme, si on n’a pas compris auparavant la nécessité de combattre l’idée mensongère de l’apolitisme et de la neutralité des syndicats. Afin d’avoir une arme convenable pour combattre l’Internationale Jaune d’Amsterdam, il faut avant tout établir des relations mutuelles claires et précises entre le parti et les syndicats dans chaque pays.
III
Le Parti communiste est l’avant-garde du prolétariat, l’avant-garde qui a reconnu parfaitement les voies et moyens pour libérer le prolétariat du joug capitaliste et qui pour cette raison a accepté consciemment le programme communiste.
Les syndicats sont une organisation plus massive du prolétariat, tendant de plus en plus à embrasser sans exception tous les ouvriers de chaque branche d’industrie et à faire entrer dans leurs rangs non seulement des communistes conscients, niais aussi des catégories intermédiaires et même tout à fait retardataires de travailleurs, qui apprennent seulement peu à peu, et par l’expérience de la vie, le communisme.
Le rôle des syndicats, dans la période qui précède le combat du prolétariat pour la mainmise sur le pouvoir, dans la période de ce combat et, ensuite, après la conquête, diffère sous bien des rapports, mais toujours avant, pendant, et après, les syndicats demeurent une organisation plus vaste, plus massive, plus générale que le parti, et par rapport à ce dernier ils jouent jusqu’à un certain point le rôle de la circonférence par rapport au centre.
Avant la conquête du pouvoir, les syndicats véritablement prolétariens organisent les ouvriers principalement sur le terrain économique, pour la conquête des améliorations qui sont possibles, pour le renversement du capitalisme, mais mettent au premier plan de toute leur activité l’organisation de la lutte des masses prolétariennes contre le capitalisme en vue de la révolution prolétarienne.
Pendant la révolution prolétarienne, les syndicats véritablement révolutionnaires, la main dans la main avec le parti, organisent les masses pour faire l’assaut des forteresses du capital et se chargent du premier travail d’organisation de la production socialiste.
Après la conquête et l’affermissement du pouvoir prolétarien, l’action des syndicats se transporte surtout dans le domaine de l’organisation économique et ils consacrent presque toutes leurs forces à la construction de l’édifice économique sur les bases socialistes, devenant ainsi une véritable école pratique du communisme.
Pendant ces trois stades de la lutte du prolétariat, les syndicats doivent soutenir leur avant-garde, le parti communiste, qui dirige la lutte prolétarienne dans toutes ses étapes. A cet effet les communistes et les éléments sympathisants doivent constituer à l’intérieur des syndicats des groupements communistes entièrement subordonnés au parti communiste dans son ensemble.
La tactique consistant à former des groupements communistes dans chaque syndicat, formulée par le 2° Congrès Mondial de l’Internationale Communiste, s’est vérifiée entièrement pendant l’année écoulée et a donné des résultats considérables en Allemagne, en Angleterre, en France, en Italie et dans beaucoup d’autres pays. Si par exemple des groupes importants d’ouvriers, peu endurcis et insuffisamment expérimentés en politique, sortent des syndicats social-démocrates libres d’Allemagne, parce que ils ont perdu tout espoir d’obtenir un avantage immédiat de leur participation à ces syndicats libres, cela ne doit en aucun cas changer l’attitude de principe de l’Internationale Communiste à l’égard de la participation communiste au mouvement professionnel. Le devoir des communistes est d’expliquer à tous les prolétaires que le salut ne consiste pas à sortir des anciens syndicats pour en créer de nouveaux ou pour se disperser en une poussière d’hommes inorganisés, mais à révolutionner les syndicats, à en chasser l’esprit réformiste et la trahison des leaders opportunistes, pour en faire une arme active du prolétariat révolutionnaire.
IV
Pendant la prochaine période, la tâche capitale de tous les communistes est de travailler avec énergie, avec persévérance, avec acharnement à conquérir la majorité des syndiqués ; les communistes ne doivent en aucun cas se laisser décourager par les tendances réactionnaires qui se manifestent en ce moment dans le mouvement syndical, mais s’appliquer par la participation la plus active à tous les combats journaliers, à conquérir les syndicats au communisme malgré tous les obstacles et toutes les oppositions.
La meilleure mesure de la force d’un parti communiste, c’est l’influence réelle qu’il exerce sur les masses des ouvriers syndiqués. Le parti doit savoir exercer l’influence la plus décisive sur les syndicats sans les soumettre à la moindre tutelle. Le parti a des noyaux communistes dans tel et tel syndicats, mais le syndicat lui-même ne lui est pas soumis. Ce n’est que par un travail continuel, soutenu et dévoué, des noyaux communistes au sein des syndicats que le Parti peut arriver à créer un état de choses où tous les syndicats suivront volontiers avec joie les conseils du parti.
Un excellent processus de fermentation se remarque en ce moment dans les syndicats français. Les ouvriers se remettent enfin de la crise du mouvement ouvrier et apprennent aujourd’hui à condamner la trahison des socialistes et des syndicalistes réformistes.
Les syndicalistes révolutionnaires sont encore imbus dans une certaine mesure de préjugés contre l’action politique et contre l’idée du parti politique prolétarien. Ils professent la neutralité politique telle qu’elle a été exprimée en 1906 dans la Charte d’Amiens. La position confuse et fausse de ces éléments syndicalistes-révolutionnaires implique le plus grand danger pour le mouvement. Si elle obtenait la majorité, cette tendance ne saurait qu’en faire et resterait impuissante en face des agents du capital, des Jouhaux et des Dumoulin.
Les syndicalistes-révolutionnaires français n’auront pas de ligne de conduite ferme tant que le parti communiste n’en aura pas non plus. Le Parti communiste français doit s’appliquer à amener une collaboration amicale avec les meilleurs éléments du syndicalisme-révolutionnaire. Il ne doit cependant compter en premier lieu que sur ses propres militants, il doit former des noyaux partout où il y a trois communistes. Le parti doit entreprendre une campagne contre la neutralité. De la façon la plus amicale, mais aussi la plus résolue, le parti doit souligner les défauts de l’attitude du syndicalisme-révolutionnaire. Ce n’est que de cette façon qu’on peut révolutionnariser le mouvement syndical en France et établir sa collaboration étroite avec le parti.
En Italie, nous avons une situation semblable : la masse des ouvriers syndiqués y est animée d’un esprit révolutionnaire, mais la direction de la Confédération du Travail est entre les mains de réformistes et de centristes déclarés, qui sont de tout cœur avec Amsterdam. La première tâche des communistes italiens est d’organiser une action quotidienne acharnée et persévérante au sein des syndicats et de s’appliquer systématiquement et patiemment à dévoiler le caractère équivoque et irrésolu des dirigeants, afin de leur arracher les syndicats.
Les tâches qui incombent aux communistes italiens à l’endroit des éléments révolutionnaires syndicalistes d’Italie sont, en général, les mêmes que celles des communistes français.
En Espagne, nous avons un mouvement syndical puissant, révolutionnaire, mais pas encore tout à fait conscient de ses buts et nous y avons en même temps un parti communiste encore jeune et relativement faible. Etant donné cette situation, le Parti doit tendre à s’affermir dans les syndicats, le Parti doit leur venir en aide par ses conseils et par son action, il doit éclairer le mouvement syndical et s’attacher à lui par des liens amicaux, en vue de l’organisation commune de tous les combats.
Des événements de la plus grande importance se développent dans le mouvement syndical anglais qui se révolutionnarise très rapidement. Le mouvement de masses s’y développe. Les anciens chefs des syndicats perdent très rapidement leurs positions. Le parti doit faire les plus grands efforts pour s’affermir dans les grands syndicats, tels que la Fédération des Mineurs, etc. Tout membre du parti doit militer dans quelque syndicat et doit, par un travail organique, persévérant et actif, l’orienter vers le communisme. Rien ne doit être négligé en vue d’établir la liaison la plus étroite avec les masses.
En Amérique, nous remarquons les même développement, mais un peu plus lent. En aucun cas les communistes ne doivent se borner à quitter la Fédération du Travail, organisme réactionnaire : ils doivent au contraire mettre tout en œuvre pour pénétrer dans les anciennes unions et les révolutionnariser. Il importe nécessairement de collaborer avec les meilleurs éléments des I.W.W., mais cette collaboration n’exclut pas la lutte contre leurs préjugés.
Un puissant mouvement syndical se développe spontanément au Japon, mais il manque encore de direction claire. La tâche principale des éléments communistes du Japon est de soutenir ce mouvement et d’exercer sur lui une influence marxiste.
En Tchécoslovaquie, notre parti a pour lui la majorité de la classe ouvrière, tandis que le mouvement syndical demeure encore en grande partie entre les mains des social-patriotes et des centristes et, en outre, est scindé par nationalités. C’est là le résultat du manque d’organisation et de clarté de la part des syndiqués, même animés de l’esprit révolutionnaire. Le parti doit tout faire pour mettre fin à cet état de choses et conquérir le mouvement syndical au communisme. Pour atteindre ce but, il est absolument indispensable de créer des noyaux communistes, de même qu’un organe syndical communiste central et commun pour tous les pays. Il faut pour cela travailler énergiquement à fusionner en un tout unique les différentes unions scindées par nations.
En Autriche et en Belgique, les social-patriotes ont su prendre avec habileté et fermeté la direction du mouvement syndical, qui dans ce pays est le principal enjeu de combat. C’est dans cette direction que les communistes doivent donc porter leur attention.
En Norvège, le parti, qui a pour lui la majorité des ouvriers, doit prendre plus sûrement entre ses mains le mouvement syndical et écarter les éléments dirigeants centristes.
En Suède, le parti a à combattre non seulement le réformisme, mais encore le courant petit-bourgeois qui existe dans le socialisme, et doit appliquer à cette action toute son énergie.
En Allemagne, le parti est en excellente voie pour conquérir graduellement les syndicats. Aucune concession ne peut être faite à ceux qui préconisent la sortie des syndicats. Elle ferait le jeu des social-patriotes. Aux tentatives pour exclure les communistes il importe d’opposer une résistance vigoureuse et opiniâtre ; les plus grands efforts doivent être faits pour conquérir la majorité dans les syndicats.
V
Toutes ces considérations déterminent les rapports qui doivent exister entre l’Internationale Communiste d’une part et l’Internationale Syndicale Rouge d’autre part.
L’Internationale Communiste ne doit pas diriger seulement la lutte politique du prolétariat au sens étroit du mot, mais encore toute sa campagne libératrice, quelque forme qu’elle prenne. L’Internationale Communiste ne peut pas être seulement la somme arithmétique des Comités Centraux des partis communistes des différents pays. L’Internationale Communiste doit inspirer et coordonner l’action et les combats de toutes les organisations prolétariennes, aussi bien professionnelles, coopératives, soviétiques, éducatives, etc., que strictement politiques.
L’Internationale Syndicale Rouge, différant en cela de l’Internationale Jaune d’Amsterdam, ne peut en aucun cas accepter le point de vue de la neutralité. Une organisation qui voudrait être neutre, en face des Internationales II, 2 1/2, et III, serait inévitablement un jouet entre les mains de la bourgeoisie. Le programme d’action de l’Internationale Syndicale Rouge, qui est exposé ci-dessous et que le troisième Congrès Mondial de l’internationale Communiste propose à l’attention du premier Congrès Mondial des Syndicats Rouges, sera défendu en réalité uniquement par les partis communistes, uniquement par l’Internationale Communiste. Pour cette seule raison pour insuffler l’esprit révolutionnaire dans le mouvement professionnel de chaque pays, pour exécuter loyalement leur nouvelle tâche révolutionnaire, les syndicats rouges de chaque pays seront obligés de travailler la main dans la main, en contact étroit, avec le parti communiste de ce même pays, et l’Internationale Syndicale Rouge devra dans chaque pays, cordonner son action avec celle de l’Internationale Communiste.
Les préjugés de neutralité, d’indépendance, d’apolitisme, d’indifférence aux partis, qui sont le péché de bien des syndicalistes révolutionnaires loyaux de France, d’Espagne, d’Italie et de quelques autres pays, ne sont objectivement rien d’autre qu’un tribut payé aux idées bourgeoises. Les syndicats rouges ne peuvent pas triompher d’Amsterdam, ne peuvent pas par conséquent triompher du capitalisme, sans rompre une fois pour toutes avec cette idée bourgeoise d’indépendance et de neutralité.
Du point de vue de l’économie des forces et de la concentration plus parfaite des coups, la situation idéale serait la constitution d’une Internationale prolétarienne unique, groupant à la fois les partis politiques et toutes les autres formes d’organisation ouvrière. Il ne fait pas de doute que l’avenir appartient à ce type d’organisation. Mais au moment actuel de transition, avec la variété et la diversité des syndicats dans les différents pays, il faut constituer une union autonome des syndicats rouges acceptant dans l’ensemble le programme de l’Internationale Communiste, mais d’une façon plus libre que les partis politiques appartenant à cette Internationale.
L’Internationale Syndicale Rouge qui sera organisée sur ces bases aura droit à tout le soutien du 3° Congrès Mondial de l’Internationale Communiste. Pour établir une liaison plus étroite entre l’Internationale Communiste et l’Internationale Rouge des Syndicats, le troisième Congrès Mondial de l’internationale Communiste propose une représentation mutuelle permanente de 3 membres de l’internationale Communiste dans le Comité Exécutif de l’Internationale Syndicale Rouge et inversement.
Le programme d’action des Syndicats Rouges, d’après l’avis de l’internationale Communiste, est approximativement le suivant :
PROGRAMME D’ACTION
1. La crise aiguë qui sévit dans l’économie du monde entier, la chute catastrophique des prix de gros et la surproduction coïncident de fait avec la disette des marchandises, la politique agressive de la bourgeoisie à l’égard de la classe ouvrière, une tendance obstinée à abaisser les salaires et à ramener la classe ouvrière à plusieurs dizaines d’années en arrière. L’irritation des masses qui se développe sur ce terrain, d’une part, et l’impuissance des vieux syndicats ouvriers et de leurs méthodes, d’autre part – tous ces faits imposent aux syndicats révolutionnaires de tous les pays des tâches nouvelles. De nouvelles méthodes de lutte économique en rapport avec la période de désagrégation capitaliste sont nécessaires : il faut que les syndicats adoptent une politique économique agressive, pour rejeter l’offensive du capital, fortifier les anciennes positions et passer à l’offensive.
2. L’action directe des masses révolutionnaires et leurs organisations contre le capital constitue la base de la tactique syndicale. Toutes les conquêtes des ouvriers sont en rapport direct avec l’action directe et la pression révolutionnaire des masses. Par l’expression « d’action directe », il faut comprendre toutes sortes de pressions directes exercées par les ouvriers sur les patrons et sur l’Etat ; à savoir : boycottage, action dans les rues, démonstrations, occupation des usines, opposition violente à la sortie des produits de ces entreprises, soulèvement armé et autres actions révolutionnaires propres à unir la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. La tâche des syndicats révolutionnaires consiste donc à faire de l’action directe un moyen d’éduquer et de préparer les masses ouvrières pour la lutte pour la révolution sociale et pour la dictature du prolétariat.
3. Ces dernières années de lutte ont montré avec une particulière évidence toute la faiblesse des unions étroitement professionnelles. L’adhésion simultanée des ouvriers d’une entreprise à plusieurs syndicats les affaiblit pendant la lutte. Il faut passer, et ce doit être là le point initial d’une lutte incessante, de l’organisation purement professionnelle à l’organisation par industries : « Une entreprise – un syndicat », tel est le mot d’ordre dans le domaine de la structure syndicale. Il faut tendre à la fusion des syndicats similaires par la voie révolutionnaire en posant la question directement devant les syndiqués des fabriques et des entreprises, en élevant plus tard le débat jusqu’aux conférences locales et régionales et aux congrès nationaux.
4. Chaque fabrique, chaque usine doit devenir un bastion, une forteresse de la révolution. L’ancienne forme de liaison entre les syndiqués et leur syndicat (délégués d’ateliers recevant les cotisations, représentants, personnes de confiance etc.) doit être remplacée par la création de comités de fabriques et d’usines. Ceux-ci doivent être élus par tous les ouvriers de l’entreprise, à quelque syndicat qu’ils appartiennent, quelles que soient les convictions politiques qu’ils professent. La tâche des partisans de l’Internationale Syndicale Rouge est d’entraîner tous les ouvriers de l’entreprise à prendre part à l’élection de leur organe représentatif. Les tentatives pour faire élire les comités de fabriques et d’usines par les seuls communistes ont pour résultat d’éloigner les masses « sans parti » ; c’est pourquoi ces tentatives doivent être catégoriquement condamnées. Ce serait là un noyau et non un comité de fabrique. La partie révolutionnaire doit réagir et influer, par l’intermédiaire des noyaux, des comités d’action et de ses simples membres, sur l’assemblée générale et sur le comité de fabrique élu.
5. La première tâche qu’il faut proposer aux ouvriers et aux comités de fabriques et d’usines, est d’exiger l’entretien aux frais de l’établissement des ouvriers congédiés par suite du manque de travail. On ne doit tolérer dans aucun cas que les ouvriers soient jetés à la rue sans que l’établissement s’occupe d’eux. Le patron doit verser à ses chômeurs leur salaire complet Voilà l’exigence autour de laquelle il faut organiser non seulement les chômeurs mais surtout les ouvriers travaillant dans l’entreprise, en leur expliquant en même temps que la question du chômage ne peut être résolue dans le cadre capitaliste et que le meilleur remède contre le chômage, c’est la révolution sociale et la dictature du prolétariat.
6. La fermeture des entreprises est actuellement, dans la plupart des cas, un moyen de les épurer de leurs éléments suspects, aussi la lutte doit-elle se faire contre la fermeture des entreprises et les ouvriers doivent se livrer à une enquête sur les causes de cette fermeture. Il faut créer à cet effet des Commissions spéciales de contrôle sur les matières premières, le combustible, les commandes, obtenir une vérification effective de la quantité disponible de matières premières, de matériaux nécessaires à la production et de ressources financières déposées dans les banques. Les Commissions de contrôle spécialement élues doivent étudier de la façon la plus attentive les rapports financiers entre l’entreprise en question et les autres entreprises, et la suppression du secret commercial doit être proposée aux ouvriers comme une tâche pratique.
7. L’un des moyens d’empêcher la fermeture en masse des entreprises dans un but de diminution des salaires et d’aggravation des conditions du travail peut être l’occupation de la fabrique ou de l’usine et la continuation de la production en dépit du patron.
En présence de la disette de marchandises actuelle, il est particulièrement important d’empêcher tout arrêt dans la production, aussi les ouvriers ne doivent-ils pas tolérer une fermeture préméditée des fabriques et usines. Suivant les conditions locales, les conditions de la production, la situation politique, et l’intensité de la lutte sociale, la mainmise sur les entreprises peut et doit être accompagnée encore d’autres méthodes d’action sur le capital. La gestion de l’entreprise saisie doit être remise entre les mains du comité de fabrique ou d’usine et du représentant spécialement désigné par le syndicat.
8. La lutte économique doit être livrée sous le mot d’ordre de l’augmentation des salaires et de l’amélioration des conditions du travail, qui doivent être portés à un niveau sensiblement supérieur à celui d’avant-guerre. Les tentatives pour ramener les ouvriers aux conditions de travail d’avant-guerre doivent être repoussées de la façon la plus décisive et la plus révolutionnaire. La guerre a eu pour résultat l’épuisement de la classe ouvrière : aussi l’amélioration des conditions de travail est-elle une condition indispensable pour réparer cette perte de forces. Les allégations des capitalistes qui mettent en cause la concurrence étrangère ne doivent aucunement être prises en considération : les syndicats révolutionnaires ne doivent pas aborder les questions de salaires et de conditions de travail du point de vue de la concurrence entre les profiteurs des différentes nations, ils doivent se placer au point de vue de la conservation et de la protection de la force de travail.
9. Si la tactique réductrice des capitalistes coïncide avec une crise économique dans le pays, le devoir des syndicats révolutionnaires est de ne pas se laisser battre par détachements séparés. Dès le début il faut entraîner dans la lutte les ouvriers des établissements d’utilité publique (mineurs, cheminots, électriciens, ouvriers du gaz, etc.) pour que la lutte contre l’offensive du capital touche dès le début les nœuds vitaux de l’organisme économique. Ici, toutes les formes de résistance sont nécessaires et conformes au but, depuis la grève partielle, intermittente, jusqu’à la grève générale s’étendant à quelque grosse industrie sur un plan national.
10. Les syndicats doivent se proposer comme une tâche pratique du jour la préparation et l’organisation d’actions internationales par industries. L’arrêt des transports ou de l’extraction de la houille, réalisé sur un plan international, est un puissant moyen de lutte contre les tentatives réactionnaires de la bourgeoisie de tous les pays.
Les syndicats doivent suivre avec attention la conjoncture mondiale pour choisir le moment le plus propice à leur offensive économique ; ils ne doivent pas oublier un seul instant ce fait, qu’une action internationale ne sera possible que si des syndicats révolutionnaires sont créés, syndicats qui ne doivent rien avoir de commun avec l’Internationale Jaune d’Amsterdam.
11. La foi dans la valeur absolue des contrats collectifs, propagée par les opportunistes de tous les pays, doit rencontrer la résistance âpre et décidée du mouvement syndical révolutionnaire. Le contrat collectif n’est qu’un armistice. Les patrons brisent les contrats collectifs toutes les fois qu’ils en ont la moindre possibilité. Un respect religieux à l’égard des contrats collectifs témoigne de la profonde pénétration de l’idéologie bourgeoise dans les têtes des chefs de la classe ouvrière. Les syndicats révolutionnaires ne doivent pas renoncer aux contrats collectifs, mais ils doivent se rendre compte de leur valeur relative, ils doivent toujours envisager nettement la méthode à suivre pour rompre ces contrats toutes les fois que c’est avantageux à la classe ouvrière.
12. La lutte des organisations ouvrières contre le patron individuel et collectif doit être adaptée aux conditions nationales et locales, elle doit utiliser toute l’expérience de la lutte libératrice de la classe ouvrière. Aussi toute grève importante ne doit pas seulement être bien organisée. Les ouvriers doivent, dès son début, créer des cadres spéciaux pour combattre les briseurs de grève et pour s’opposer à l’offensive provocatrice des organisations blanches de toutes nuances appuyées par les Etats bourgeois. Les fascistes en Italie, l’aide technique en Allemagne, les gardes civiques formées d’anciens officiers et sous-officiers en France et en Angleterre, toutes ces organisations ont pour but la démoralisation, la défaite de toute action ouvrière, une défaite qui se réduirait non pas à un simple remplacement des grévistes, mais à la débâcle matérielle de leur organisation et au massacre des chefs du mouvement. Dans ces conditions l’organisation de bataillons de grèves spéciaux, de détachements spéciaux de défense ouvrière, est une question de vie ou de mort pour la classe ouvrière.
13. Les organisations de combat ainsi créées ne doivent pas se borner à combattre les organisations des patrons et des briseurs de grèves, elles doivent se charger d’arrêter tous les colis et marchandises expédiés à destination de l’usine en grève par d’autres entreprises et s’opposer au transfert des commandes à d’autres usines et d’autres entreprises. Les syndicats des ouvriers des transports sont appelés à jouer sous ce rapport un rôle particulièrement important : à eux incombe la tâche d’entraver le transport des marchandises, ce qui ne saurait être réalisé sans l’aide unanime de tous les ouvriers de la région.
14. Toute la lutte économique de la classe ouvrière au cours de la période qui vient, doit se concentrer autour du mot d’ordre du contrôle ouvrier sur la production, ce contrôle devant être réalisé sans attendre que le gouvernement ou les classes dominantes aient inventé quelque succédané de contrôle. Il faut combattre violemment toutes les tentatives des classes dominantes et des réformistes pour créer des associations paritaires, des commissions paritaires et un strict contrôle sur la production doit être réalisé : alors seulement il donnera des résultats déterminés. Les syndicats révolutionnaires doivent combattre résolument le chantage et l’escroquerie exercés au nom de la socialisation par les chefs des vieux syndicats avec le concours des classes dominantes. Tout le verbiage de ces messieurs à propos de la socialisation pacifique poursuit ce but unique de détourner les ouvriers des actes révolutionnaires et de la révolution sociale.
15. Pour distraire l’attention des ouvriers de leurs tâches immédiates et éveiller en eux des velléités petites-bourgeoises, on met en avant l’idée de la participation des ouvriers aux bénéfices, c’est-à-dire de la restitution aux ouvriers d’une faible partie de la plus-value créée par eux ; ce mot d’ordre de perversion ouvrière doit recevoir sa critique sévère et implacable : « Pas de participation aux bénéfices. La destruction des bénéfices capitalistes. », tel est le mot d’ordre des syndicats révolutionnaires.
16. Pour entraver ou briser la force combative de la classe ouvrière, les Etats bourgeois ont profité de la possibilité de militariser provisoirement certaines usines ou des branches entières d’industrie sous prétexte de protéger les industries d’importance vitale. Alléguant la nécessité de se préserver autant que possible contre des perturbations économiques, les Etats bourgeois introduisirent pour protéger le Capital des cours d’arbitrage et des commissions de conciliation obligatoires. C’est aussi dans l’intérêt du Capital et pour faire retomber entièrement sur les ouvriers le poids des charges de la guerre qu’on introduisit un nouveau système de perception des impôts ; ceux-ci sont retenus sur le salaire de l’ouvrier par le patron, qui joue ainsi le rôle de percepteur. Les syndicats doivent mener une lutte des plus opiniâtres contre ces mesures gouvernementales ne servant qu’aux intérêts de la classe capitaliste.
17. Les syndicats révolutionnaires qui luttent pour améliorer les conditions du travail, élever le niveau de subsistance des masses, établir le contrôle ouvrier, doivent constamment se rendre compte que dans le cadre du capitalisme tous ces problèmes ne sauraient être résolus ; aussi doivent-ils, tout en arrachant pas à pas des concessions aux classes dominantes, tout en les obligeant à appliquer la législation sociale, mettre clairement les masses ouvrières en face de ce fait que seul le renversement du capitalisme et l’instauration de la dictature du prolétariat sont capables de résoudre la question sociale. Aussi, pas une action partielle, pas une grève partielle ni le moindre conflit ne doivent passer sans laisser de traces à ce point de vue. Les syndicats révolutionnaires doivent généraliser ces conflits en élevant constamment la mentalité des masses ouvrières jusqu’à la nécessité et à l’inéluctabilité de la révolution sociale et de la dictature du prolétariat.
18. Toute lutte économique est une lutte politique, c’est-à-dire une lutte menée par toute une classe. Dans ces conditions, Si considérables que soient les couches ouvrières embrassées par la lutte, celle-ci ne peut être réellement révolutionnaire, elle ne peut être réalisée avec le maximum d’utilité pour la classe ouvrière dans son ensemble que si les syndicats révolutionnaires marchent la main dans la main, en union et en collaboration étroite, avec le Parti Communiste du pays. La théorie et la pratique de la division de l’action de la classe ouvrière en deux moitiés autonomes est très pernicieuse, surtout dans le moment révolutionnaire actuel. Chaque action demande un maximum de concentration des forces, qui n’est possible qu’à la condition de la plus haute tension de toute l’énergie révolutionnaire de la classe ouvrière, c’est-à-dire de tous ses éléments communistes et révolutionnaires. Des actions isolées du Parti Communiste et des syndicats révolutionnaires de classe sont d’avance vouées à l’insuccès et à la débâcle. C’est pourquoi l’unité d’action, une liaison organique entre les Partis Communistes et les syndicats ouvriers, constituent la condition préalable du succès dans la lutte contre le capitalisme.