Un pas en avant, deux pas en arrière
Lénine
m. Les élections. La clôture du congrès
Après l’adoption des statuts. le congrès a pris une résolution sur les organisations régionales, plusieurs résolutions concernant différentes organisations du Parti et, après des débats extrêmement édifiants dont j’ai donné l’analyse plus haut sur le groupe Ioujny Rabotchi, le congrès en est venu aux élections aux organismes centraux du Parti.
Nous savons déjà que l’organisation de l’Iskra, dont tout le congrès attendait une recommandation autorisée, s’était divisée sur ce point, la minorité de l’organisation ayant voulu essayer au congrès, à travers une lutte libre et ouverte, de conquérir la majorité. Nous savons aussi que longtemps avant et pendant le congrès, tous les délégués avaient eu connaissance du plan de renouvellement de la rédaction par l’élection de deux groupes de trois à l’organe central et au Comité Central. Arrêtons‑nous à ce plan avec plus de détail pour éclaircir les débats au congrès.
Voici textuellement mon commentaire pour le projet de Tagesordnung du congrès, où ce plan a été exposé : « Le congrès élit trois personnes à la rédaction de l’organe central et trois autres au Comité Central. Ces six personnes prises ensemble, à la majorité des 2/3, complètent, si cela est nécessaire, l’effectif de la rédaction de l’organe central et du Comité Central, par cooptation, et présentent un rapport approprié au congrès. Après approbation de ce rapport par le congrès, la cooptation ultérieure se fera séparément la rédaction de l’organe central et au Comité Central. »
De ce texte le plan apparaît avec une précision parfaite et sans la moindre équivoque : il revient à renouveler la rédaction avec le concours des dirigeants les plus influent du travail pratique. Les deux traits signalés par moi de ce plan apparaissent d’emblée pour quiconque se donnera la peine de lire avec plus ou moins d’attention le texte cité. Mais par les temps qui courent il faut s’attarder à expliquer les choses même les plus élémentaires. Le plan revient justement à renouveler la rédaction, il ne s’agit pas d’élargir obligatoirement ni de réduire obligatoirement son effectif, mais précisément de le renouveler, la question d’un élargissement ou d’une réduction possibles restant ouverte; la cooptation n’est prévue que pour le cas où la chose est nécessaire. Parmi les hypothèses émises par diverses personnes sur la question de ce renouvellement, il y avait aussi des projets de réduction ou d’augmentation possible de l’effectif de la rédaction jusqu’à sept membres (j’ai toujours considéré pour ma part le groupe de sept comme infiniment plus rationnel que celui de six) et même d’augmentation de ce nombre jusqu’à onze (j’ai estimé cela possible en cas d’une union pacifique avec toutes les organisations social‑démocrates en général, avec Bund et la social-démocratie polonaise en particulier). Mais la chose essentielle que perdent ordinairement de vue ceux qui parlent d’un « groupe de trois », c’est qu’on exige que les membres du Comité Central participent à la solution de la question concernant la cooptation ultérieure pour l’organe central. Pas un camarade parmi tous les membres de l’organisation et les délégués de la « minorité » qui connaissaient ce plan et qui l’approuvaient (soit en exprimant spécialement leur accord, ou en gardant le silence), ne s’est donné la peine d’expliquer la signification de cette exigence. Premièrement, pourquoi avait‑on adopté pour point de départ du renouvellement de la rédaction précisément un groupe de trois et seulement de trois ? Cela aurait été, sans doute, absolument insensé si l’on visait exclusivement, ou du moins, principalement, à l’extension du collège, si ce collège était considéré comme vraiment « harmonieux ». Il eût été étrange de prendre pour point de départ, en vue d’élargir un collège « harmonieux », non point l’ensemble de ce collège, mais seulement une de ses parties. Sans doute tous les membres du collège n’étaient-ils pas considérés comme tout à fait aptes à discuter et à résoudre le problème du renouvellement de son effectif, de la transformation de l’ancien cercle rédactionnel en une institution du Parti. Sans doute celui‑là même qui désirait pour sa part le renouvellement sous forme d’extension, reconnaissait‑il l’ancien effectif comme inharmonieux, comme peu conforme à l’idéal d’un organisme du Parti, car autrement il eût été inutile, si l’on voulait élargir le groupe de six, de le réduire d’abord à trois. Je le répète : cela tombe sous le sens, et seul un encrassement momentané de la question par des « considérations personnelles » avait pu le faire oublier.
En second lieu, du texte précité il ressort que même l’accord des trois membres de l’organe central n’eût pas encore suffi à élargir le groupe de trois. Cela aussi, on le perd constamment de vue. Pour assurer la cooptation, il faut les 2/3 de six, c’est‑à‑dire quatre voix; donc, il aurait suffi que les trois membres élus du Comité Central opposent le « veto », pour rendre impossible tout élargissement du groupe de trois. Au contraire, si même deux membres sur les trois de la rédaction de l’organe central étaient contre la cooptation ultérieure, celle-ci aurait néanmoins pu avoir lieu, si les trois membres du Comité Central y avaient donné leur accord. Sans doute se proposait‑on, lors de la transformation de l’ancien cercle en organisme du Parti, de donner voix délibérative aux dirigeants du travail pratique, élus par le congrès. Quels sont à peu près les camarades que nous pensions présenter, c’est ce que montre le fait que la rédaction avait, à la veille du congrès, élu à l’unanimité comme septième membre le camarade Pavlovitch, pour le cas où la nécessité se présenterait de parler au congrès au nom du collège; outre le camarade Pavlovitch, on proposait à la place du septième un vieux membre de l’organisation de l’Iskra et un membre du Comité d’organisation, élu plus tard comme membre du Comité Central.
Ainsi, le plan d’élection de deux groupes de trois visait manifestement à : 1° renouveler la rédaction; 2° éliminer de son sein certains traits du vieil esprit de cercle, inopportun dans un organisme du parti (s’il n’y avait rien à éliminer, on n’aurait pas ou à imaginer le premier groupe de trois !); enfin, 3° éliminer les traits « théocratiques » du collège littéraire (élimination à réaliser en faisant appel aux éminents praticiens pour régler la question de l’élargissement du groupe de trois). Ce plan auquel tous les rédacteurs avaient été initiés, reposait sans doute sur trois années d’expérience dans le travail et répondait parfaitement aux principes appliqués par nous avec esprit de suite en matière d’organisation révolutionnaire : à l’époque de la dispersion où l’Iskra était apparue, des groupes se constituaient souvent de façon fortuite et spontanée; ils souffraient inévitablement de certaines manifestations néfastes de l’esprit de cercle. La création du Parti impliquait et exigeait l’élimination de ces traits; la participation de praticiens éminents à cette élimination était nécessaire, car certains membres de la rédaction s’étaient toujours occupés des questions d’organisation, et ce n’est point seulement un collège littéraire qui devait entrer dans le système des organismes du Parti, mais un collège de dirigeants politiques. Le fait d’avoir laissé au congrès le soin d’élire le premier groupe de trois était naturel aussi du point de vue de la politique de toujours, pratiquée par l’Iskra : nous avons préparé le congrès avec une extrême prudence en attendant que soient pleinement éclaircies les questions de principe controversées du programme, de la tactique et de l’organisation; nous ne doutions pas que le congrès ne fût iskriste dans le sens de la solidarité de l’immense majorité dans ces questions fondamentales (c’est ce qu’attestaient en partie les résolutions sur la reconnaissance de l’Iskra comme organe de direction); nous devions donc laisser aux camarades qui avaient assumé tout l’effort pour diffuser les idées de l’Iskra et préparer sa transformation en Parti, le soin de décider eux-mêmes la question relative aux candidats les plus compétents pour ce nouvel organisme du Parti. C’est uniquement par le caractère naturel que revêtait le plan des « deux groupes de trois », uniquement par sa pleine conformité avec toute la politique de l’Iskra et avec tout ce que savaient d’elle les personnes qui l’approchaient de près que l’on peut expliquer l’approbation générale de ce plan, l’absence de tout autre plan concurrent.
Voilà donc qu’au congrès le camarade Roussov propose avant tout d’élire deux groupes de trois. Les partisans de Martov, qui nous avait informés par écrit de la relation de ce plan avec la fausse accusation d’opportunisme, n’avaient même pas songé, toutefois, à ramener la discussion sur le groupe de six et le groupe de trois à la question de savoir si cette accusation était fondée ou non. Aucun d’eux n’en a même soufflé mot ! Aucun d’eux n’a osé dire un seul mot sur la différence de principe des nuances rattachées au groupe de six et à celui de trois. Ils ont préféré un moyen plus courant et moins dispendieux: en appeler à la pitié, invoquer une offense possible, faire semblant que le problème de la rédaction était déjà réglé par la désignation de l’Iskra comme organe central. Ce dernier argument, formulé par le camarade Koltsov contre le camarade Roussov, est simplement faux. A l’ordre du jour du congrès figuraient pas accidentellement, bien sûr ‑ deux points spéciaux (voir p. 10 des procès-verbaux) : point 4 ‑ « L’organe central du parti » et point 18 ‑ « L’élection du Comité Central et de la rédaction de l’organe central ». Voilà pour commencer. En second lieu, en désignant l’organe central, tous les délégués déclaraient catégoriquement que la rédaction n’était pas pour autant confirmée, mais seulement l’orientation, aucune protestation ne s’est élevée contre ces déclarations.
Ainsi, la déclaration selon laquelle, après avoir confirmé tel organe, le congrès confirme par là, en substance, la rédaction, ‑ déclaration reprise maintes fois par les partisans de la minorité (Koltsov, p. 321, Possadovski, ibid., Popov, p. 322, et beaucoup d’autres), ‑ était de fait simplement fausse. C’était une manœuvre évidente pour tous, qui masquait l’abandon de la position prise alors que tous pouvaient encore envisager de façon vraiment impartiale le problème de l’effectif des organismes centraux. On ne pouvait justifier l’abandon ni par des motifs de principe (car soulever au congrès la question concernant la « fausse accusation d’opportunisme » eût été trop désavantageux pour la minorité, laquelle d’ailleurs n’en souffla mot), ni par une référence à des faits concrets concernant la véritable aptitude au travail du groupe de six ou du groupe de trois (car le seul rappel de ces faits eût fourni des monceaux d’indications contre la minorité). Force fut donc de s’en tirer par des phrases sur « un tout cohérent », « une collectivité harmonieuse », « un tout harmonieux et cohérent comme un cristal », etc. Faut‑il s’étonner que de tels arguments aient été appelés aussitôt par leur vrai nom : « paroles pitoyables » (p. 328). Le plan même du groupe de trois témoignait nettement du défaut « d’harmonie », et les impressions recueillies par les délégués au cours des travaux, ‑ qui se poursuivirent en commun pendant plus d’un mois, ont sans doute fourni aux délégués une vaste documentation qui leur permit de juger en toute indépendance. Lorsque le camarade Possadovski fit allusion (de façon imprudente et irréfléchie à son point de vue : voir pp. 321 et 325 sur l’emploi « conventionnel » qu’il fit du mot « aspérités ») à ces faits, le camarade Mouraviev déclara tout net : « A mon avis, il apparaît très clairement à l’heure actuelle, pour la majorité du congrès, que de telles aspérités((A quelles « aspérités» précisément faisait allusion le camarade Possadovski, nous n’avons pas pu le savoir au congrès. Mais le camarade Mouraviev, à la même séance (p. 322), a contesté que sa pensée ait été fidèlement rendue, et, lors de l’approbation des procès-verbaux, il a déclaré nettement qu’il « avait parlé des aspérités qui s’étaient manifestées dans les débats du congrès sur différents points, aspérités portant un caractère de principe, et dont l’existence à l’heure actuelle constitue déjà, malheureusement, un fait que personne ne s’aviserait de nier »)) existent indubitablement » (p. 321). La minorité voulut comprendre le mot « aspérités » (lancé par Possadovski, et non par Mouraviev), exclusivement dans le sens de quelque chose de personnel, n’osant pas relever le gant jeté par le camarade Mouraviev, n’osant pas formuler un seul argument quant au fond, pour la défense du groupe de six. Il se produisit une controverse archicomique par sa stérilité : la majorité (par la bouche du camarade Mouraviev) déclare qu’elle voit très nettement le rôle véritable du groupe de six et du groupe de trois, tandis que la minorité persiste à ne pas l’entendre et affirme que « nous n’avons pas la possibilité de nous livrer à cet examen ». La majorité non seulement estime possible de se livrer à cet examen, mais déjà « elle s’y livre » et parle des résultats parfaitement clairs pour elle de cet examen; tandis que la minorité, visiblement, redoute cet examen, se retranchant uniquement derrière des « paroles pitoyables ». La majorité recommande de « ne pas perdre de vue que notre organe central n’est pas seulement un groupe littéraire »; la majorité « veut qu’à la tête de l’organe central se trouvent des personnes parfaitement déterminées, connues du congrès, qui satisfont aux exigences dont j’ai parlé » (c’est-à‑dire aux exigences non seulement littéraires, p. 327, discours du camarade Lange). La minorité cette fois encore n’ose relever le gant et ne dit pas qui, à son avis, peut faire partie du collège non seulement littéraire, ni qui est une grandeur « parfaitement déterminée et connue du congrès ». La minorité se retranche comme avant derrière la fameuse « harmonie ». Bien plus. La minorité apporte même des arguments qui sont absolument faux au point de vue de principe et, par suite, provoquent très justement une riposte violente. « Le congrès, voyez‑vous, n’a le droit ni moral ni politique de remanier la rédaction » (Trotsky, p. 326), « c’est une question trop épineuse » (sic !) (ibid), « comment les membres non élus de la rédaction doivent-ils se comporter à l’égard du fait que le congrès ne veut plus les voir faire partie de la rédaction ? » (Tsarev,p. 324).
De tels arguments reportaient déjà entièrement la question sur le terrain de la pitié et de l’offense, étant une reconnaissance manifeste de la faillite dans le domaine des arguments véritablement de principe, véritablement politiques. Et la majorité a défini aussitôt cette façon de poser la question par son vrai nom : attitude petite‑bourgeoise (camarade Roussov). « Dans la bouche des révolutionnaires, a dit très justement le camarade Roussov, on entend des discours singuliers qui se trouvent en désaccord bien net avec la notion du travail du Parti, de l’éthique du Parti. L’argument essentiel, que formulent les adversaires de l’élection des groupes de trois, se ramène à un point de vue purement petit‑bourgeois sur les affaires du Parti » (c’est moi qui souligne partout)… « En nous plaçant à ce point de vue étranger au Parti, à ce point de vue petit‑bourgeois, nous nous trouverons à chaque élection devant la question de savoir si Pétrov ne se formaliserait pas de voir qu’à sa place a été élu Ivanov, si tel membre du Comité d’organisation ne se formaliserait pas de voir qu’à sa place un autre a été élu au Comité Central. Où donc, camarades, cela va‑t‑il nous mener ? Si nous nous sommes réunis là, non pas pour nous adresser mutuellement d’agréables discours, ou échanger d’affables politesses mais créer un parti, nous ne pouvons aucunement accepter ce point de vue. Nous avons à élire des responsables et il ne peut être question ici de manque de confiance en tel ou tel non-élu; la question est de savoir seulement si c’est l’intérêt de la cause et si la personne élue convient au poste pour lequel elle est désignée » (p. 325).
Nous recommanderions à tous ceux qui veulent voir clair eux-mêmes dans les causes qui ont déterminé la scission du Parti et en élucider les origines au congrès, de lire et relire le discours du camarade Roussov dont la minorité, loin de réfuter les arguments, ne les a même pas contestés. Il est impossible d’ailleurs de contester des vérités élémentaires, des vérités premières, dont l’oubli a été très justement expliqué par le camarade Roussov lui-même simplement par une « exaltation nerveuse ».Et c’est là pour la minorité l’explication la moins désagréable de la question savoir comment elle avait pu abandonner le point de vue de parti pour un point de vue petit‑bourgeois et l’esprit de cercle((Le camarade Martov, dans son Etat de siège, s’est comporté à l’égard de cette question comme à l’égard de tous les autres problèmes traités par lui. Il ne s’est pas donné la peine de tracer de la controverse un tableau d’ensemble. Très discrètement, il a tourné la seule, la véritable question de principe qui est remontée à la surface de ce débat : les politesses affables ou le choix des responsables ? Le point de vue de parti ou l’atteinte portée aux Ivan Ivanovitch ? Cette fois encore le camarade Martov s’est contenté d’arracher des passages isolés et décousus de cet incident, en y ajoutant toute sorte d’invectives à mon adresse. C’est bien peu, camarade Martov !
Le camarade Martov s’accroche surtout à moi, en me demandant pourquoi l’on n’avait pas élu au congrès les camarades Axelrod, Zassoulitch et Starover. Le point de vue petit-bourgeois, adopté par lui, l’empêche de voir l’incongruité de ces questions (pourquoi ne le demanderait‑il pas à son collègue de rédaction, le camarade Plékhanov ?). Si j’estime comme « manquant de tact » la conduite de la minorité au congrès en ce qui concerne les six, et insiste en même temps pour que la chose soit connue dans le Parti, il y aurait d’après Martov, une contradiction. Il n’y a point là de contradiction, comme pourrait bien s’en rendre compte aisément Martov s’il voulait se donner la peine de faire un exposé suivi de toutes les péripéties du débat, et non de ses fragments. C’était manquer de tact que de poser la question d’un point de vue petit-bourgeois, en en appelant à la pitié et à l’offense; la publicité du débat au sein du Parti exigerait une appréciation, quant au fond, des avantages attachés au groupe de six sur le groupe de trois, l’appréciation des candidats à un poste, l’appréciation des nuances : or, la minorité n’en a même soufflé mot au congrès.
En étudiant de près les procès-verbaux, le camarade Martov aurait pu relever dans les discours des délégués tout un ensemble d’arguments contre les six. Voici des extraits de ces discours : premièrement, l’ancien groupe de six laisse apercevoir nettement des aspérités sous le rapport des nuances de principe; deuxièmement, une simplification technique du travail rédactionnel serait désirable, troisièmement, les intérêts de la cause passent avant les manières petites-bourgeoises; seule l’élection permettra de placer à chaque poste des personnes qui conviennent; quatrièmement, on ne saurait limiter la liberté d’élection par le congrès; cinquièmement, le Parti n’a pas seulement besoin à présent d’un groupe littéraire dans l’organe central; l’organe central n’a pas seulement besoin de littérateurs, mais aussi d’administrateurs; sixièmement, l’organe central doit disposer de personnes parfaitement déterminées, connues du congrès; septièmement, un collège de six est souvent inapte au travail, et son travail ne se fait pas grâce à des statuts irréguliers, mais en dépit de cela; huitièmement, diriger un journal est l’affaire duParti (et non d’un cercle), etc. Que le camarade Martov essaie s’il s’intéresse tellement aux causes de la non‑élection de comprendre, chacune de ces considérations et d’en réfuter ne fût‑ce qu’une seule.)).
Mais la minorité avait si peu la possibilité de trouver des arguments raisonnables et sérieux contre les élections que, outre l’introduction de l’élément petit-bourgeois dans les affaires du Parti, elle en est venue à des procédés de caractère simplement scandaleux. En effet, comment ne appeler de ce nom le procédé du camarade Popov, qui arecommandé au camarade Mouraviev « de ne pas se charger de commissions délicates » (p. 322) ? Qu’est‑ce donc sinon vouloir « se glisser dans l’âme d’autrui », selon la juste expression du camarade Sorokine (p. 328) ? Qu’est‑ce donc sinon vouloir spéculer sur les « considérations personnelles » en l’absence d’arguments politiques ? En affirmant que « nous avons toujours protesté contre de tels procédés », le camarade Sorokine a‑t‑il dit la vérité ou non ? « La conduite du camarade Deutsch, qui a essayé démonstrativement de clouer au poteau d’infamie les camarades qui n’étaient pas d’accord avec lui est‑elle admissible ? »((C’est ainsi que le camarade Sorokine, à la même séance, avait compris les paroles du camarade Deutsch (cf p. 324 : « dialogue violent avec Orlov »). Le camarade Deutsch explique (p. 351) qu’il n’a rien dit d’analogue ». mais il reconnaît sur‑le‑champ qu’il a dit quelque chose de très, très « analogue ». Je n’ai pas dit : qui se décidera, explique le camarade Deutsch, j’ai dit : je suis curieux de voir qui se décidera (sic ! le camarade Deutsch se corrige, tombant de fièvre en chaud mal !) à soutenir une proposition aussi criminelle (sic !) que l’élection d’un groupe de trois » (p. 351). Le camarade Deutsch n’a pas réfuté, il a confirmé les paroles du camarade Sorokine. Il a confirmé le reproche de ce dernier disant que « toutes les notions se sont brouillées ici » (dans les arguments de la minorité en faveur des six). Le camarade Deutsch a confirmé l’opportunité du rappel fait par le camarade Sorokine de cette vérité première, que « nous sommes membres du Parti et devons agir en nous laissant guider exclusivement par des considérations politiques ». Crier au caractère criminel des élections, c’est s’abaisser non seulement à une attitude petite‑bourgeoise, mais simplement jusqu’au scandale !)) (p. 328).
Faisons le bilan des débats sur la question concernant la rédaction. La minorité n’a pas réfuté (ni essayé de réfuter) les nombreuses indications de la majorité, selon lesquelles le projet du groupe de trois était connu des délégués dès l’ouverture et à la veille du congrès; que, par conséquent, ce projet était dû à des considérations et des données indépendantes des événements et des discussions au congrès. La minorité occupait, en assumant la défense des six, une position inadmissible et erronée quant aux principes, partant de considérations petites-bourgeoises. La minorité a complètement oublié le point de vue de parti quant au choix des responsables; elle n’a pas même tenté d’émettre un jugement sur chaque candidat à tel ou tel poste, et ne s’est pas demandé s’il convenait ou non aux fonctions du poste en question. La minorité s’est dérobée à l’examen de la question quant au fond, en invoquant la fameuse harmonie, « en versant des pleurs », « en tombant dans le pathétique » (p. 327, discours de Lange), comme si on « voulait tuer » quelqu’un. La minorité en est venue même à « se glisser dans l’âme d’autrui », à se lamenter du « caractère criminel » de l’élection, à user d’autres procédés inqualifiables, elle en est venue là sous l’influence d’une « exaltation nerveuse » (p. 325).
La lutte de l’esprit petit-bourgeois contre l’esprit de parti, des pires « considérations personnelles » contre des vues politiques, des paroles pitoyables contre les notions élémentaires du devoir révolutionnaire, voilà ce que fut la lutte autour des six et des trois à la trentième séance de notre congrès.
De même à la 31° séance, lorsqu’à la majorité de 19 voix contre 17 et 3 abstentions, le congrès repoussa la proposition tendant à confirmer l’ensemble de l’ancienne rédaction (voir p. 330 et les errata),et que les anciens rédacteurs étaient revenus dans la salle des séances, le camarade Martov, dans sa « déclaration au nom de la majorité de l’ancienne rédaction » (pp. 330-331), fit preuve, dans des proportions encore plus grandes, des mêmes flottements et de la même instabilité quant à la position politique et aux conceptions politiques. Examinons en détail chacun des points de la déclaration collective et de ma réponse (pp. 332‑333) à cette déclaration.
« Désormais, dit le camarade Martov après la non‑confirmation de l’ancienne rédaction, la vieille Iskra n’existe pas et il serait plus logique d’on changer le nom. En tout cas, nous voyons dans la nouvelle décision du congrès une restriction substantielle de la motion de confiance à l’Iskra, motion adoptée à une des premières séances du congrès. »
Le camarade Martov soulève avec ses collègues une question vraiment intéressante et instructive à maints égards : la question de l’esprit de continuité politique. J’yai déjà répondu en invoquant ce dont tous ont parlé lors de la confirmation de l’Iskra (p. 349 des procès-verbaux, cf. plus haut, p. 82). Il est certain que nous sommes en présence d’un exemple des plus criants de manque de continuité politique. De la part de qui ? De la part de la majorité du congrès ou de la majorité de l’ancienne rédaction, nous laissons au lecteur le soin de juger. C’est encore au lecteur que nous laisserons le soin de décider des deux autres questions posées fort à propos par le camarade Martov et ses collègues : 1° est‑ce un point de vue petit-bourgeois ou le point de vue de parti que révèle le désir de voir « une restriction de la motion de confiance à l’Iskra » dans la décision du congrès de procéder à l’élection des responsables à la rédaction de l’organe central ? 2° à partir de quel moment la vieille « Iskra » n’existe pas en réalité ? A partir du n° 46, quand Plékhanov et moi nous avons commencé à la diriger à nous deux, ou à partir du n° 53, lorsque la majorité de l’ancienne rédaction s’est placée à sa tête ? Si la première question est une question de principe des plus intéressantes, par contre la seconde est une question de fait des plus intéressantes.
Comme on a décidé maintenant, poursuit le camarade Martov, d’élire une rédaction composée de trois personnes, je déclare en mon nom et en celui de mes trois autres camarades, qu’aucun de nous ne fera partie de cette nouvelle rédaction. J’ajouterai pour ma part que s’il est exact que certains camarades ont voulu inscrire mon nom, comme un des candidats à ce « groupe de trois », je dois y voir une offense que je n’ai pas méritée (sic !). Je le dis en raison des circonstances dans lesquelles on a décidé de changer la rédaction. On a décidé cela à cause de certaines « frictions((Le camarade Martov fait sans doute allusion à l’expression du camarade Possadovski « aspérités ». Je le répète : le camarade Possadovski n’a cependant pas expliqué au congrès où il voulait en venir, et le camarade Mouraviev, qui s’est servi de la même expression, a expliqué qu’il avait parlé des aspérités de principe qui s’étaient fait jour dans les débats du congrès. Les lecteurs se rappelleront que le seul exemple de véritables débats de principe, auxquels avaient pris part quatre rédacteurs (Plékhanov, Martov, Axelrod et moi) concernait le concernait le § 1 des statuts, et que les camarades Martov et Starover se sont plaints par écrit contre la « fausse accusation d’opportunisme », un des arguments en faveur du « changement » de la rédaction. Dans cette lettre, le camarade Martov apercevait une liaison claire de l’ « opportunisme » avec le plan de changement de la rédaction, mais il s’est contenté au congrès de faire une allusion nébuleuse à « certaines frictions ». La « fausse accusation d’opportunisme » est déjà oubliée !)) », de l’inaptitude au travail de l’ancienne rédaction. Et le congrès trancha cette question dans un sens déterminé, sans rien demander à la rédaction au sujet de ces frictions et sans nommer au moins une commission pour poser la question de son inaptitude au travail »… (Chose étrange, c’est qu’aucun membre de la minorité n’avait l’idée du proposer au congrès de « demander à la rédaction » ou de nommer une commission ! Cela n’est‑il pas dû au fait qu’après la scission de l’organisation de l’Iskra et l’échec des pourparlers, dont faisaient état les camarades Martov et Starover, cela eût été inutile ?)… « Etant donné ces conditions, l’hypothèse de certains camarades que j’accepterai de travailler dans une rédaction réformée de cette manière, je dois la considérer comme une tache d’infamie sur ma réputation politique » …((Le camarade Martov ajoute encore : « Ce rôle, il n’y a que Riazanov qui puisse l’accepter, mais non le Martov que vous connaissez, je pense, d’après son travail. » Comme il s’agissait d’une attaque personnelle contre Riazanov, le camarade Martov y a renoncé. Mais Riazanov a figuré au congrès en qualité de nom commun, non point pour telles ou telles de ses qualités personnelles (il serait déplacé d’en parler), mais pour la physionomie politique du groupe « Borba », pour ses erreurs politiques. Le camarade Martov a parfaitement raison de retirer ses attaques personnelles présumées ou réellement infligées, mais il ne faut pas oublier pour autant les erreurs politiques qui doivent servir de leçon au Parti. Le groupe « Borba » a été accusé à notre congrès d’avoir apporté le « chaos organique » et « le fractionnement qu’aucune considération de principe ne provoquait » (p. 38, discours du camarade Martov). Pareille conduite politique mérite assurément d’être blâmée non seulement lorsque nous la voyons se manifester au sein d’un petit groupe avant le congrès du Parti en période de chaos général mais aussi après le congrès, alors que le chaos a été dissipé, cela de la part même de la majorité de la rédaction de l’Iskra et de la majorité du groupe « Libération du Travail ».))
C’est à dessein que j’ai reproduit ce raisonnement en entier, pour montrer au lecteur un échantillon et le point de départ de ce qui a fleuri avec tant de luxuriance après le congrès et que l’on ne peut qualifier autrement que de chicane. J’ai déjà employé ce vocable dans ma « Lettre à la rédaction de l’Iskra » et, malgré le mécontentement de la rédaction, je suis obligé de le répéter, car sa justesse est incontestable. On a tort de croire que la chicane implique des « motifs bas » (comme la rédaction de la nouvelle Iskra l’a conclu) : tout révolutionnaire tant soit peu familiarisé avec nos milieux d’exilés et d’émigrés a pu voir certainement des dizaines d’exemples de ces querelles, où les plus absurdes accusations, soupçons, auto‑accusations, questions de « personnes », etc., étaient formulés et ressassés par suite d’une « exaltation nerveuse » et de conditions de vie anormales, étouffantes. Il n’est pas un seul homme sensé qui se mette à chercher absolument des motifs bas dans ces querelles, si basses qu’en soient les manifestations. Etc’est uniquement par une « exaltation nerveuse » que l’on peut expliquer cet écheveau emmêlé d’absurdités, de questions de personnes, d’horreurs fantastiques, de glissements dans l’âme d’autrui, la recherche laborieuse d’offenses et de dénigrements qu’offre l’alinéa reproduit par moi du discours du camarade Martov. Les conditions de vie étouffantes engendrent chez nous par centaines des querelles de ce genre, et un parti politique ne mériterait pas la considération, s’il n’osait donner son vrai nom à la maladie dont il souffre, prononcer un diagnostic implacable et rechercher les moyens de la guérir.
Pour autant que l’on puisse dégager de cet écheveau une quelconque donnée de principe, on arrive inévitablement à cette conclusion que « les élections n’ont rien de commun avec l’atteinte portée à la réputation politique »; que « contester le droit du congrès à de nouvelles élections, à tout changement de responsables, à la refonte des collèges qu’il investit de sa confiance », c’est apporter la confusion dans la question, et que « quand le camarade Martov soulève la question de la légitimité de l’élection d’une partie de l’ancienne équipe il manifeste la plus grande confusion des notions politiques »(commeje l’ai dit au congrès, p. 332).
J’omets la remarque « personnelle » du camarade Martov relative à la question de savoir de qui émane le plan du groupe de trois, et j’en viens à l’interprétation « politique » qu’il donne de la non-confirmation de l’ancienne rédaction… « Ce qui s’est passé maintenant est le dernier acte de la lutte qui s’est déroulée au cours de la seconde moitié du congrès »… (Très bien ! et cette seconde moitié part du moment où Martov, au sujet du § 1 des statuts, est tombé dans la solide étreinte du camarade Akimov)… « Ce n’est un secret pour personne qu’en ce qui concerne cette réforme, il ne s’agit pas de « l’aptitude au travail », mais de la lutte pour l’influence à exercer sur le Comité Central »… (Tout d’abord, ce n’est un secret pour personne qu’il s’agissait là tout à la fois de l’aptitude au travail et du désaccord au sujet de la composition du Comité Central, puisque le plan de « réforme » a été mis en avant alors qu’il ne pouvait encore être question du second désaccord et que, de concert avec le camarade Martov, nous avons choisi comme septième membre du collège rédactionnel le camarade Pavlovitch. En second lieu, nous avons déjà montré, documents à l’appui, qu’il s’agissait de l’effectif du Comité Central, que les choses se sont réduites à la fin des fins à distinguer entre les listes : Glébov‑Travinski‑Popov et Glébov‑Trotsky‑Popov… « La majorité de la rédaction a montré qu’elle nevoulait pas voir transformer le Comité Central en un instrument de la rédaction »… (C’est la chanson akimoviste qui commence : la question de l’influence pour laquelle lutte toute majorité à tout congrès de parti, toujours et partout, afin de consolider cette influence par une majorité dans les organismes centraux, se reporte dans le domaine des commérages opportunistes sur « l’instrument » de la rédaction,sur « un simple appendice » dela rédaction, comme le dira ce même Martov un peu plus tard, p. 334)… « C’est pourquoi il a fallu réduire le nombre des membres de la rédaction (!!) Et voilà pourquoi je ne puis faire partie d’une telle rédaction »… (Regardez‑y de près ce « voilà pourquoi » : comment la rédaction aurait‑elle pu transformer le Comité Central en appendice ou en instrument ? Uniquement dans le cas où elle aurait eu trois voix au Conseil et aurait abusé de cet avantage ? N’est‑ce pas clair ? Et n’est‑il pas clair aussi que le camarade Martov, élu troisième, aurait toujours pu empêcher tout abus et éliminer de sa seule voix toute prédominance de la rédaction dans le Conseil ? Les choses se ramènent donc, précisément, à l’effectif du Comité Central, tandis que les propos concernant l’instrument et l’appendice s’avèrent tout d’un coup des commérages)… «Avecla majorité de l’ancienne rédaction je pensais que le congrès mettrait fin à « l’état de siège » au sein du Parti et y installerait un état de choses normal. En réalité, l’état de siège avec ses lois d’exception contre certains groupes est maintenu et même aggravé. C’est seulement avec la composition de l’ancienne rédaction que nous pouvons garantir que les droits conférés par les statuts à la rédaction ne seront pas préjudiciables au Parti »…
Voilà le passage intégral du discours du camarade Martov, dans lequel il a pour la première fois lancé le fameux mot d’ordre d’ordre « d’état de siège ». Et maintenant voyez ma réponse : … « Si je conteste la déclaration de Martov selon laquelle le plan des deux groupes de trois émanait d’une seule personne, je ne m’en prends pas pour autant aux affirmations de Martov sur la « signification politique » de l’initiative nous avons prise en ne reconduisant pas l’ancienne rédaction. Au contraire, je suis totalement et sans restrictions d’accord avec le camarade Martov que cette décision a une portée politique considérable, mais pas celle que lui attribue Martov. C’est là, a‑t‑il dit, un épisode de la lutte pour l’influence sur le Comité Central à installer en Russie. Je vais plus loin que Martov. Toute l’activité de l’Iskra en tant que groupe particulier a été jusqu’à présent une lutte pour l’influence, mais maintenant, il s’agit de bien plus : il s’agit de faire passer cette influence dans les structures et non plus seulement de lutter pour elle. La profondeur du fossé politique qui nous sépare, le camarade Martov moi, se manifeste clairement dans le fait que Martov m’accuse de vouloir exercer une influence sur le Comité Central, alors que moi, je me félicite d’avoir voulu et de vouloir consacrer cette influence au moyen de l’organisation. Il s’avère donc que nous parlons même des langages différents. A quoi bon tout le travail que nous avons fait, à quoi bon tous nos efforts, si tout cela doit avoir pour couronnement la même vieille lutte pour l’influence, et non l’acquisition et la stabilisation définitives de cette influence ? Oui, le camarade Martov a parfaitement raison : le pas accompli est incontestablement un grand pas politique, qui témoigne qu’entre les directions qui s’offraient à nous actuellement pour le travail futur de notre Parti, nous avons choisi. Et je ne suis nullement effrayé par les discoursterribles sur l’« état de siège dans le Parti», sur « les lois d’exception contre certaines personnes ou certains groupes », etc. Al’égard des éléments instables et hésitants, non seulement nous pouvons, mais nous devons créer un « état de siège », et tous nos statuts, tout notre centralisme désormais approuvé par le congrès, tout cela n’est rien d’autre qu’un « état de siège » contre les sources si nombreuses de flottements politiques. C’est contre ces flottements que nous avons besoin de lois adéquates, fussent‑elles d’exception, et le pas accompli par le congrès a indiqué la direction politique juste, en assignant une base solide à de telles lois et à de telles mesures. »
J’ai souligné dans ce résumé de mon discours au congrès la phrase que le camarade Martov a préféré omettre dans son « Etat de siège » (p. 16). Iln’est pas étonnant que cette phrase lui ait déplu, et qu’il n’ait pas voulu en comprendre le sens bien clair.
Que signifie l’expression : « paroles terribles », camarade Martov ?
C’est se moquer,semoquer de ceux qui appellent les petites choses par de grands mots, qui embrouillent une simple question par une phraséologie prétentieuse.
Un petit et simple fait, à lui seul, a pu donner et a donné prétexte à « l’exaltation nerveuse » du camarade Martov : c’est uniquement que le camarade Martov a essuyé une défaite au congrès dans la question relative à l’effectif des organismes centraux. La portée politique de ce simple fait était que la majorité du congrès du Parti, après avoir triomphé, a consacré son influence en introduisant aussi la majorité dans la direction du Parti, en assignant une base d’organisation à la lutte, au moyen des statuts, contre ce que la majorité considérait comme de l’hésitation, de l’instabilité et du flottement(En quoi se sont manifestés au congrès l’hésitation, l’instabilité et le flottement de la minorité iskriste ? Tout d’abord dans les phrases opportunistes sur le § 1 des statuts; en second lieu, dans la coalition avec les camarades Akimovet Liber, laquelle s’est vite développée dans la seconde moitié du congrès; en troisième lieu, dans l’aptitude à ravaler le problème de l’élection des responsables à l’organe central au niveau de l’esprit petit-bourgeois, à des mots pitoyables et même à des intrusions dans l’âme d’autrui. Et après le congrès toutes ces qualités charmantes ont fleuri, et les boutons de rose ont donné des piquants.)). Parler à ce propos de « lutte pour l’influence » avec une sorte d’horreur dans les yeux et se plaindre de « l’état de siège », n’était pas autre chose qu’une phraséologie prétentieuse, que des paroles terribles.
Le camarade Martov n’est‑il pas d’accord sur ce point ? N’essaierait‑il pas de nous montrer qu’il y a eu de par la monde un congrès de parti ‑ et qu’en général un tel congrès de parti est concevable ‑ où la majorité ne consacre pas l’influence conquise 1° par l’introduction de la majorité dans les organismes centraux; 2° par la remise du pouvoir cette majorité, afin de paralyser le flottement, l’instabilité et l’hésitation ?
Avant les élections notre congrès avait à résoudre la question de savoir s’il fallait qu’un tiers des voix à l’organe central et au Comité Central appartienne à la majorité ou à la minorité du Parti. Le groupe de six et la liste du camarade Martov signifiaient un tiers des voix pour nous et les deux tiers à ses partisans. Le groupe de trois à l’organe central et notre liste signifiaient que les deux tiers étaient pour nous et un tiers pour les partisans du camarade Martov. Le camarade Martov a refusé de transiger avec nous ou de céder, et il nous a provoqués par écrit au combat, devant le congrès; mais après avoir subi la défaite devant le congrès, il a fondu en larmes et a commencé à se plaindre de « l’état de siège » ! Eh bien, n’est‑ce point là une chicane ? N’est‑ce point là une nouvelle manifestation de veulerie intellectuelle ?
On ne peut s’empêcher de rappeler à ce propos la brillante définition socialo‑psychologique qu’a donnée récemment de cette dernière qualité K. Kautsky. Les partis social‑démocrates de différents pays sont actuellement sujets bien souvent à des maladies du même genre, et il nous serait éminemment utile d’apprendre auprès des camarades plus avertis le diagnostic et le traitement convenables. La définition donnée de certains intellectuels par K. Kautsky ne sera par conséquent qu’une digression apparente au sujet traité par nous.
… « A l’heure actuelle de nouveau nous nous intéressons vivement à la question de l’antagonisme entre intellectuels((Je traduis par les mots intellectuel, intelligentsia, les termes allemands Literat, Literatentum, qui englobent non seulement les littérateurs, mais tous les hommes instruits, les représentants des professions libérales en général, du travail intellectuel (brain worker, comme disent les Anglais), à la différence des représentants du travail manuel.))et prolétariat. Mes collègues [Kautsky est lui-même un intellectuel, littérateur et rédacteur] s’indigneront bien souvent du fait que je reconnais cet antagonisme. C’est qu’il existe de fait, et ce serait une tactique des plus irrationnelles (ici comme dans les autres cas) que d’essayer des’en débarrasser par la négation du fait. Cet antagonisme est un antagonisme social qui tient aux classes, et non aux individus. Un capitaliste, comme un intellectuel, peut pleinement prendre part à la lutte de classe du prolétariat. Dans ce cas, l’intellectuel change aussi de caractère. Dans la suite de mon exposé, il sera question surtout, non pas des intellectuels de ce type qui aujourd’hui encore font exception au sein de leur classe. Dans la suite de mon exposé, à moins que je ne fasse de réserves, je n’entends par intellectuel qu’un intellectuel ordinaire qui se place sur le terrain de la société bourgeoise, et qui est un représentant caractérisé de la classe des intellectuels. Cette classe se trouve dans un certain antagonisme à l’égard du prolétariat.
Cet antagonisme est d’un autre genre que l’antagonisme entre le travail et le capital. L’intellectuel n’est pas un capitaliste. II est vrai que son niveau de vie est celui du bourgeois, et qu’il est obligé de se maintenir à ce niveau aussi longtemps qu’il n’est pas devenu un gueux, mais il est obligé en même temps de vendre le produit de son travail, et souvent même sa force de travail; il est souvent exploité par le capitaliste et subit une certaine humiliation sociale. Ainsi aucun antagonisme économique n’oppose l’intellectuel au prolétariat. Mais sa situation dans la vie, ses conditions de travail ne sont pas celles du prolétariat; de là un certain antagonisme dans l’état d’esprit et le mode de penser.
Le prolétaire n’est rien aussi longtemps qu’il reste un individu isolé. Toute sa force, toutes ses capacités de progrès, toutes ses espérances et ses aspirations, il les puise dans l’organisation, dans l’activité commune et méthodique aux côtés de ses camarades. Il se sent grand et fort lorsqu’il fait partie d’un grand et fort organisme. Cet organisme est tout pour lui; comparé à lui, l’individu isolé n’est que très peu de chose. Le prolétaire soutient sa lutte avec le plus grand esprit de sacrifice comme une parcelle de la masse anonyme, sans espoir de bénéfice personnel, de gloire personnelle; il remplit son devoir dans chaque poste, où il est placé, se soumettant librement à la discipline qui pénètre tous ses sentiments, toute sa pensée.
Il en va tout autrement pour l’intellectuel. Il lutte non point par tel ou tel emploi de la force, mais au moyen d’arguments. Son arme, c’est son savoir personnel, ses capacités personnelles, ses convictions personnelles. Il ne peut jouer un certain rôle que par ses qualités personnelles. La pleine liberté de manifester sa personnalité lui apparaît donc comme la condition première d’un travail efficace. Il ne se soumet que difficilement à un tout, comme partie auxiliaire de ce tout, il s’y soumet par nécessité, et non pas par son propre mouvement. La nécessité d’une discipline, il ne la reconnaît que pour la masse, et non pour les âmes d’élite. Lui-même, bien entendu, se range parmi les âmes d’élite…
… La philosophie de Nietzsche, avec son culte du surhomme pour tout est d’assurer le plein épanouissement de sa propre personnalité, pour qui toute soumission de sa personne à quelque grand but social apparaît banale et méprisable, cette philosophie est pour l’intellectuel sa véritable conception du monde; elle le rend tout à fait inapte à participer à la lutte de classe du prolétariat.
À côté de Nietzsche, c’est Ibsen qui est un représentant marquant de la conception du monde des intellectuels, conception qui répond à leur état d’esprit. Son docteur Stockmann (dans le drame Un ennemi du peuple) n’est pas un socialiste, comme se l’imaginaient beaucoup, mais le type de l’intellectuel qui doit nécessairement entrer en conflit avec le mouvement prolétarien, en général avec tout mouvement populaire, dès qu’il essaiera d’agir dans son sein. C’est parce que la base du mouvement prolétarien, comme aussi de mouvement démocratique((Ce qui caractérise éminemment la confusion qu’ont apportée dans toutes les questions d’organisation nos partisans de Martov, c’est que, tout en opérant un tournant vers Akimov et un démocratisme incongru, ils fulminent en même temps contre l’élection démocratique de la rédaction, l’élection au congrès, arrêtée d’avance par tout le monde ! Et c’est là, peut-être, votre principe, messieurs ?)), est le respect de la majorité des camarades. L’intellectuel typique à la Stockmann voit dans une « majorité compacte » une chose monstrueuse qui doit être jetée à terre.
… Le modèle idéal de l’intellectuel qui s’est entièrement pénétré de l’esprit prolétarien, qui, tout en étant un brillant écrivain, a perdu les traits spécifiques propres à la gent intellectuelle, qui sans murmurer marchait dans le rang, travaillait à chaque poste à lui confié, se consacrait entièrement à notre grande cause et méprisait les pleurnicheries débilitantes (weichliches Gewinsel) au sujet de l’écrasement de sa personnalité, que nous entendons souvent de la part des intellectuels formés dans l’esprit d’Ibsen et de Nietzsche, quand il leur arrive de rester en minorité, le modèle idéal de cet intellectuel, comme le mouvement socialiste en a besoin, était Liebknecht. On pourrait également nommer ici Marx, qui ne s’est jamais poussé en avant et se soumettait de façon exemplaire à la discipline du Parti ausein de l’Internationale, où il était plus d’une fois resté minorité. »
Des pleurnicheries débilitantes d’intellectuel demeuré en minorité, et rien de plus, voilà ce que furent l’abandon par Martov et ses collègues de leur poste à la suite d’une seule non‑confirmation de l’ancien cercle, les plaintes contre l’état de siège et les lois d’exception « visant certains groupes » qui n’étaient pas chers à Martov lors de la dissolution du Ioujny Rabotchi et du Rabotchéïé Diélo, mais le sont devenus lors de la dissolution de son collège.
Des pleurnicheries débilitantes d’intellectuels restés en minorité, ‑ voilà ce que furent toutes ces interminables plaintes, reproches, allusions, doléances, commérages et insinuations à propos de la « majorité compacte », qui ont coulé tel un fleuve à notre congrès du Parti (et encore plus après le congrès), sous les auspices de Martov.
La minorité se plaignait amèrement de ce que la majorité compacte tenait des réunions privées : il fallait bien, en effet, que la minorité ait de quoi couvrir le fait désagréable pour elle que les délégués qu’elle invitait à ses réunions privées se refusaient à y aller et que ceux qui l’auraient fait volontiers (les Egorov, les Makhov, les Brucker) ne pouvaient être invités par la minorité après toute la lutte soutenue entre les uns et les autres au congrès.
Ils se plaignirent amèrement de la « fausse accusation d’opportunisme » : il fallait bien, en effet, avoir de quoi couvrir le fait désagréable que précisément les opportunistes, qui suivaient beaucoup plus souvent les anti‑iskristes, et en partie les anti‑iskristes eux-mêmes, formaient la minorité compacte, se cramponnant des deux mains à l’esprit de cercle dans les institutions, à l’opportunisme dans les raisonnements, au philistinisme dans le travail du Parti, à l’instabilité et à la veulerie intellectuelle.
Nous montrerons au paragraphe suivant en quoi consiste l’explication du fait politique éminemment intéressant qu’à la fin du congrès s’est formée une « majorité compacte », et pourquoi la minorité, malgré toutes les sollicitations, tourne avec le plus grand soin la question des causes et de l’histoire de sa formation. Mais finissons d’abord l’analyse des débats au congrès.
Lors des élections au Comité Central, le camarade Martov déposa une résolution extrêmement caractéristique (p. 336) dont les trois traits principaux sont ce qu’il m’arrivait de qualifier de « mat en trois coups ». Voici ces traits : 1° on vote les listes des candidats au Comité Central, et non les candidatures isolées; 2° après lecture des listes on laisse passer deux séances (pour les débats, assurément); 3° en l’absence d’une majorité absolue, le deuxième scrutin est reconnu définitif. Cette résolution est une stratégie ingénieusement conçue (il faut rendre cette justice même à l’adversaire !), sur laquelle le camarade Egorov n’est pas d’accord (p. 337), mais qui aurait à coup sûr garanti la victoire complète à Martov, si les sept bundistes et membres du « Rabotchéié Diélo » n’avaient pas quitté le congrès. La stratégie s’explique justement par le fait que la minorité iskriste n’avait ni ne pouvait avoir un « accord direct » (lequel existait dans la majorité iskriste), non seulement le Bund et Brucker, mais pas davantage avec les camarades Egorov et Makhov.
Rappelez‑vous que le camarade Martov s’est lamenté au congrès de la Ligue, en prétendant que la « fausse accusation d’opportunisme » impliquait son accord direct avec le Bund. Je le répète, c’est la peur qui a fait croire cela à Martov, et justement le désaccord du camarade Egorov touchant la mise aux voix des listes (le camarade Egorov « n’avait pas encore perdu ses principes », les principes sans doute qui l’ont fait s’associer à Goldblatt dans l’appréciation de la portée absolue des garanties démocratiques) montre nettement l’importance énorme qui s’attache au fait que, même avec Egorov il ne pouvait être question d’un « accord direct ». Mais la coalition pouvait se faire et s’est faite avec Egorov comme avec Brucker, en ce sens qu’un soutien était assuré aux martoviens toutes les fois qu’ils entraient en sérieux conflit avec nous, et que Akimov et ses amis avaient à opter pour le moindre mal. Ilne faisait ni ne fait l’ombre d’un doute qu’à titre de moindre mal, afin de nuire le plus aux objectifs iskristes (voir le discours Akimov sur le § 1 et ses « espoirs » mis en Martov), les camarades Akimov et Liber auraient nécessairement opté pour les six à l’organe central et la liste de Martov au Comité Central. Le vote des listes, l’omission de deux séances et le nouveau vote visaient à obtenir ce résultat avec une régularité quasi mécanique sans aucun accord direct.
Mais comme notre majorité compacte restait une majorité compacte, la voie détournée que proposait le camarade Martov n’était qu’une manœuvre dilatoire, et nous ne pouvions que la repousser. La minorité dans sa déclaration (p. 341), a épanché par écrit ses doléances à ce sujet, en refusant à l’exemple de Martynov et d’Akimov, de participer au vote et aux élections au Comité Central « par suite des conditions dans lesquelles ils s’effectuaient ». Après le congrès, ces doléances contre les conditions anormales des élections (voir l’Etat de siège, p. 31) se sont épanchées à droite et à gauche en présence de centaines de commères, du Parti. Mais en quoi consistait cette anomalie ? Dans le scrutin secret qui avait été prévu par le règlement du congrès (§ 6, p. 11 des procès-verbaux) et dans lequel il eût été ridicule de voir une « hypocrisie », ou une « injustice » ? Dans la formation d’une majorité compacte, cette « chose monstrueuse » pour la veulerie de la gent intellectuelle ? Ou dans le désir anormal de ces honorables intellectuels dé violer la parole qu’ils avaient donnée, avant le congrès, de reconnaître la validité de toutes ses élections (p. 380, § 18 des statuts du congrès) ?
Le camarade Popov, prenant la parole au congrès le jour des élections, a fait une allusion délicate à ce désir, en posant la question de front : « Le Bureau est‑il sûr que la décision du congrès est valable et légitime, si la moitié des participants ont refusé de voter ?» Le Bureau a naturellement répondu qu’il en était sur, en rappelant l’incident avec les camarades Akimov et Martynov. Le camarade Martov s’est joint au Bureau et a déclaré nettement que le camarade Popov se trompait, que « les décisions du congrès étaient légitimes » (p. 343).Que le lecteur juge lui-même de cet esprit de continuité politique, sans doute normale, au plus haut degré, qui se manifeste quand on compare cette déclaration devant le Parti à la conduite après le congrès et à la phrase de l’Etat de siège sur « l’insurrection déclenchée déjà, au congrès par une moitié du Parti » (p. 20).Les espoirs que le camarade Akimov fondait sur le camarade Martov ont surpassé les bonnes intentions éphémères du camarade Martov lui-même.
« Tu as vaincu », camarade Akimov !
Pour montrer à quel point la fameuse phrase relative à l’ « état de siège » était un « mot terrible », phrase à laquelle on prête aujourd’hui un sens pour toujours tragi-comique, on peut citer certains petits traits, insignifiants d’apparence, mais très importants quant au fond, qui ont marqué la fin du congrès, cette fin qui eut lieu après les élections. Le camarade Martov est obsédé maintenant par cet « état de siège » tragi-comique, se persuadant sérieusement lui-même et en persuadant les lecteurs que l’épouvantail qu’il a imaginé signifiait une sorte de persécution anormale, une campagne d’excitations, de brimades exercées sur la « minorité » par la « majorité». Nous allons montrer tout à l’heure comment les choses se sont passées après le congrès. Mais considérons même la fin du congrès, et vous verrez qu’après les élections, la « majorité compacte », loin de se livrer à des persécutions contre les martoviens, si malheureux, si brimés, si maltraités et conduits au supplice, leur offre elle-même au contraire (par la bouche de Liadov) deux sièges sur trois dans la commission des procès-verbaux (p. 354).Prenez les résolutions concernant les problèmes tactiques et autres (p. 355 et suivantes), et vous verrez que c’ est simplement une discussion réfléchie sur le fond où les signatures des camarades ayant déposé des résolutions montrent souvent, mêlés les uns aux autres, des représentants de la monstrueuse « majorité » compacte et des partisans de la « minorité » « humiliée et offensée » (pp. 355, 357, 363, 365,367 des procès-verbaux). Cela ressemble‑t‑il vraiment à un « évincement » ou toute autre « brimade » ?
La seule discussion intéressante, mais malheureusement trop courte sur le fond, s’engagea à propos de la résolution de Starover sur les libéraux. A en juger par les signatures (pp. 357 et 358), celle-ci fut adoptée par le congrès parce que trois partisans de la « majorité » (Braun, Orlov et Ossipov ) avaient voté à la fois pour elle et pour la résolution de Plékhanov, sans voir de contradiction irréductible entre les deux. De prime abord, il n’y a pas de contradiction irréductible entre elles, puisque celle de Plékhanov établit un principe général, exprime une attitude précise au point de vue des principes et de la tactique envers le libéralisme bourgeois en Russie et que celle de Starover essaie de formuler les conditions concrètes dans lesquelles sont admissibles des « accords temporaires »avecles « tendances libérales ou démocratiques libérales ». Le contenu des deux résolutions est différent. Mais celle de Starover manque justement de précision politique; elle est donc étriquée et superficielle. Elle ne définit pas le contenu de classe du libéralisme russe; elle n’indique pas les tendances politiques déterminées qui le reflètent; elle n’éclaire pas le prolétariat sur les objectifs fondamentaux de sa propagande et de son agitation à l’égard de ces tendances déterminées; elle confond (en raison de son défaut de précision) des choses aussi différentes que le mouvement universitaire et l’Osvobojdénié ; elle se montre trop étroite et casuistique en prescrivant trois conditions concrètes dans lesquelles sont admissibles les « accords temporaires ». Dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, le manque de précision politique conduit à la casuistique. L’absence de principe général et le désir de dénombrer les « conditions » aboutissent à une énumération étriquée et, rigoureusement parlant, fausse de ces conditions. En effet, examinez ces trois conditions de Starover : 1° « les tendances libérales ou démocratiques libérales »doivent « affirmer nettement et sans équivoque que, dans leur lutte contre le gouvernement autocratique, elles se placent résolument du côté de la social‑démocratie russe ». Quelle différence y a‑t‑il entre les tendances libérales et démocratiques libérales ? La résolution ne fournit pas de données pour répondre à cette question. N’est‑ce pas en ceci que les tendances libérales marquent la position des couches politiquement les moins progressistes de la bourgeoisie alors que les tendances démocratiques libérales marquent la position des couches les plus progressistes de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie ? S’il en est ainsi, comment le camarade Starover peut‑il admettre que les couches bourgeoises les moins progressistes (mais progressistes tout de même, sinon on ne pourrait pas parler de libéralisme) « se placeront résolument du côté de la social‑démocratie » ?? Cela est absurde, et si même les représentants de cette tendance « l’affirmaient nettement et sans équivoque » (hypothèse tout à fait impossible), nous, Parti du prolétariat, nous aurions le devoir de ne pas ajouter foi à leurs déclarations. Etre libéral et se placer résolument du côté de la social‑démocratie, voilà deux choses qui s’excluent.
Poursuivons. Admettons le cas suivant : les « tendances libérales ou démocratiques libérales » déclareront nettement et sans équivoque que, dans leur lutte contre l’autocratie, elles se placeront résolument du côté des socialistes‑révolutionnaires. Hypothèse bien moins invraisemblable (étant donné la nature démocratique bourgeoise de la tendance socialiste‑révolutionnaire) que celle du camarade Starover. La résolution de ce dernier, vu son caractère imprécis et casuistique, implique que, dans ce cas, des accords temporaires avec des libéraux de ce genre sont inadmissibles. Pourtant, cette conclusion nécessaire qui se dégage de la résolution du camarade Starover conduit à une thèse nettement fausse. Les accords temporaires sont admissibles aussi avec les socialistes‑révolutionnaires (voyez à ce sujet la résolution du congrès), et, par conséquent, avec les libéraux qui se rangeraient du côté des socialistes‑révolutionnaires.
Deuxième condition : si ces tendances « n’inscrivent pas dans leurs programmes des revendications contraires aux intérêts de la classe ouvrière et de la démocratie en général, ou obscurcissant leur conscience ». Là encore même erreur : il n’a jamais existé et il ne peut exister de tendances démocratiques libérales qui n’inscrivent pas dans leurs programmes des revendications contraires aux intérêts de la classe ouvrière et obscurcissant la conscience du prolétariat. Même une des fractions les plus démocratiques de notre tendance démocratique libérale, celle des socialistes‑révolutionnaires, formule dans son programme, confus comme tous les programmes libéraux, des revendications contraires aux intérêts de la classe ouvrière et obscurcissant sa conscience. De là, la nécessité de « démasquer l’étroitesse et l’insuffisance du mouvement d’émancipation de la bourgeoisie », mais non point l’inadmissibilité des accords temporaires.
Enfin, la troisième « condition » du camarade Starover (exigeant que les libéraux démocrates fassent du suffrage universel, égal, direct et au scrutin secret le mot d’ordre de leur lutte) est fausse, elle aussi, dans la formulation générale qui en est donnée: il ne serait pas raisonnable de déclarer que les accords temporaires et particuliers sont, en tout état de cause, inadmissibles avec des tendances démocratiques libérales qui prendraient comme devise une constitution censitaire, une constitution « étriquée » en général. Au fond, c’est là que l’on pourrait ranger la « tendance » de ces messieurs de l’Osvobojdénié; mais se lier les mains, en interdisant d’avance les « accords temporaires » fût‑ce avec les libéraux les plus timorés, ce serait faire preuve d’une myopie politique incompatible avec les principes du marxisme.
Bilan : la résolution du camarade Starover, signée également par les camarades Martov et Axelrod, est erronée; et le troisième congrès fera bien de l’annuler. Son défaut, c’est l’imprécision politique de la position théorique et tactique, c’est l’esprit casuistique des « conditions » pratiques qu’elle impose. Elle confond deux questions : 1. le devoir que nous avons de démasquer et de combattre les traits « antirévolutionnaires et antiprolétariens » de toute tendance démocratique libérale, 2. les conditions dans lesquelles des accords temporaires et particuliers sont possibles avec n’importe laquelle de ces tendances. Cette résolution n’offre pas ce qu’il faut (l’analyse du contenu de classe du libéralisme); elle offre ce qu’il ne faut pas (la liste des « conditions »). D’une façon générale, il est absurde de vouloir, à un congrès du Parti, élaborer les « conditions » concrètes d’accords temporaires, en l’absence d’un partenaire déterminé, qui doit être le sujet de ces accords éventuels. Et si même ce « sujet » était là, il serait cent fois plus rationnel de laisser le soin de préciser les « conditions » d’un accord temporaire aux organismes centraux du Parti, ainsi d’ailleurs que le congrès l’a fait pour la « tendance » de messieurs les socialistes‑révolutionnaires (voyez les modifications apportées par Plékhanov à la fin de la résolution d’Axelrod, pages 362 et 15 des procès-verbaux).
Quant aux objections présentées par la « minorité » contre la résolution de Plékhanov, voici l’unique argument invoqué par Martov : la résolution de Plékhanov « se termine par. une conclusion pitoyable : il faut démasquer un littérateur. N’est‑ce pas « s’armer d’une massue pour abattre une mouche » ? » (p. 358). Cet argument, où l’absence de pensée est dissimulée sous un mot cinglant ‑ « conclusion pitoyable », ‑ nous fournit un nouvel échantillon de phraséologie prétentieuse. D’abord, la résolution de Plékhanov parle de « démasquer devant le prolétariat l’étroitesse et l’insuffisance du mouvement d’émancipation de la bourgeoisie, partout où cette étroitesse et cette insuffisance pourraient se manifester ». Aussi est‑ce pure fadaise que d’affirmer, comme le fait le camarade Martov (au congrès de la Ligue, page 88 des procès-verbaux), que « toute l’attention doit être portée contre un seul libéral, contre Strouvé ». En second lieu, comparer monsieur Strouvé à une « mouche », quand il s’agit de la possibilité d’accords temporaires avec les libéraux russes, c’est sacrifier à un mot mordant l’évidence politique la plus élémentaire. Non, monsieur Strouvé n’est pas une mouche, c’est une grandeur politique et s’il l’est, ce n’est pas que, personnellement, il soit une très grande figure. Sa qualité de grandeur politique, il la tient de sa position de seul représentant du libéralisme russe, libéralisme tant soit peu apte au travail et organisé dans un monde illégal. Aussi bien, parler des libéraux russes et de l’attitude de notre Parti à leur égard, sans songer à monsieur Strouvé et à l’Osvobojdénié, c’est parler pour ne rien dire. Ou peut-être le camarade Martov essayera‑t‑il de nous indiquer, ne fût‑ce qu’une seule « tendance libérale ou démocratique libérale » en Russie, qui puisse à l’heure actuelle, même de loin, se comparer à la tendance de l’Osvobojdénié ? Ilserait curieux de voir comment le camarade Martov s’y prendrait((Au congrès de la Ligue, le camarade Martov a produit encore cet argument contre la résolution du camarade Plékhanov : « La principale objection contre cette résolution, son principal défaut, est qu’elle méconnait entièrement le fait que notre devoir est de ne pas dérober, dans la lutte contre l’autocratie, à une alliance avec les éléments démocratiques libéraux. Le camarade Lénine aurait appelé une telle tendance une tendance à la Martynov. Dans la nouvelle Iskra cette tendance se manifeste déjà » (p. 88).
Ce passage est une collection de « perles » d’une rare richesse. 1. Les propos sur l’alliance avec les libéraux constituent une extrême confusion. Personne n’a même parlé d’alliance, camarade Martov, seulement d’accords provisoires ou privés. C’est une grande différence. 2. Si Plékhanov dans la résolution méconnaît l’« alliance » incroyable et ne parle, en général, que de « soutien », ce n’est point là un défaut, mais une qualité de sa résolution. 3. Le camarade Martov ne se donnerait‑il pas la peine de nous expliquer par quoi se caractérisent, en général, les « tendances à la Martynov » ? Ne nous dirait‑il pas le rapport de ces tendances à l’égard de l’opportunisme ? N’étudierait‑il pas le rapport tendances avec le § 1 des statuts ? 4. Positivement, je brûle d’impatience d’apprendre du camarade Martov comment se sont manifestées les « tendances à la Martynov » dans la « nouvelle » Iskra. Je vous en prie, camarade Martov, débarrassez‑moi au plus vite des tourments de l’attente !))!
« Le nom de Strouvé ne dit rien aux ouvriers », a déclaré le camarade Kostrov à l’appui du camarade Martov. Cet argument, n’en déplaise aux camarades Kostrov et Martov, est dans l’esprit d’Akimov. C’est quelque chose comme le prolétariat au génitif.
Quels sont les ouvriers auxquels « le nom de Strouvé ne dit rien » (pas plus que celui de l’Osvobojdénié mentionné dans la résolution de Plékhanov à côté du nom de Strouvé) ? Ce sont les ouvriers qui connaissent fort peu ou ne connaissent pas du tout les « tendances libérales ou libérales démocratiques » en Russie. On se demande quelle doit être l’attitude de notre congrès vis-à-vis de ces ouvriers ? Doit-il charger les membres du Parti de faire connaître à ces ouvriers l’unique tendance libérale bien définie existant en Russie, ou bien passer sous silence un nom peu connu de ces ouvriers justement à cause de l’insuffisance de leurs connaissances politiques ? Si le camarade Kostrov, après avoir fait le premier pas à la suite du camarade Akimov, ne veut pas faire le second pas, il tranchera à coup sûr cette question dans la premier sens. Et l’ayant tranchée dans le premier sens, il verra combien son argument était sans consistance. Ce qui est certain, c’est que les mots : Strouvé et Osvobojdénié, dans la résolution de Plékhanov, peuvent éclairer les ouvriers infiniment plus que les mots : « tendance libérale ou démocratique libérale » dans la résolution de Starover.
A l’heure actuelle, l’ouvrier russe ne peut faire pratiquement connaissance avec les tendances politiques quelque peu franches de notre libéralisme autrement que par l’Osvobojdénié. Les publications libérales légales ne valent rien ici, parce que trop nébuleuses. Et c’est contre les gens de l’Osvobojdénié que nous devons diriger avec le plus de zèle possible (et devant les masses ouvrières aussi nombreuses que possible) l’arme de notre critique, afin qu’au moment de la révolution de demain le prolétariat russe puisse, par la véritable critique des armes, paralyser les tentatives inévitables de ces messieurs de rétrécir le caractère démocratique de la révolution.
A part la « perplexité », dont j’ai parlé plus haut, du camarade Egorov à propos de « l’appui » prêté par nous au mouvement d’opposition et révolutionnaire, les débats sur les résolutions n’ont pas fourni de documentation intéressante, et d’ailleurs il n’y a presque pas eu de débats.
Le congrès a clôturé ses travaux par un bref rappel du président sur le caractère impératif des décisions du congrès pour tous les membres du Parti.