3. Discours de conclusion après la discussion du rapport sur la situation actuelle

La septième conférence de Russie du P.O.S.D.(b) R.
(Conférence d’avril), 24-29 avril (7-12 mai) 1917

Lénine

3. Discours de conclusion après la discussion du rapport sur la situation actuelle, 24 avril

   Le camarade Kamenev a prestement enfourché son dada, l’esprit d’aventure. Il importe de s’arrêter sur ce point. Le camarade Kamenev est convaincu et affirme que nous avons, en nous élevant contre le mot d’ordre : « À bas le gouvernement provisoire », manifesté un flottement. Je suis d’accord avec lui : il y a eu évidemment quelques flottements par rapport à la ligne politique révolutionnaire et ces flottements doivent être évités. Je pense que nos divergences avec le camarade Kamenev ne sont pas très grandes, puisque, s’accordant avec nous, il adopte une nouvelle position. En quoi a consisté notre aventurisme ? Dans une tentative de recourir à la force. Nous ne savions pas si les masses penchaient fortement vers nous à ce moment trouble, et la question se serait posée tout autrement si ç’avait été le cas. Nous avons lancé comme mot d’ordre l’organisation de manifestations pacifiques, mais certains camarades du Comité de Petrograd en donnèrent un autre que nous avons annulé sans toutefois avoir eu le temps d’en empêcher la diffusion, de sorte que la masse suivit le mot d’ordre du Comité de Petrograd. Nous disons que le mot d’ordre : « À bas le gouvernement provisoire » est teinté d’aventurisme, qu’on ne peut pas renverser le gouvernement en ce moment, et c’est pourquoi nous avons lancé comme mot d’ordre l’organisation de manifestations pacifiques. Nous ne voulions que procéder à une reconnaissance pacifique des forces ennemies, sans livrer bataille ; le Comité de Petrograd, lui, a pris un peu plus à gauche, ce qui est naturellement, en l’occurrence, un crime d’une gravité extrême. L’appareil d’organisation s’est révélé débile : il n’y a pas d’unanimité dans l’application de nos décisions. En même temps que le mot d’ordre juste : « Vivent les soviets des députés ouvriers et soldats ! », on a lancé le mot d’ordre erroné : « À bas le gouvernement provisoire ». Prendre un peu plus à gauche au moment de l’action était inopportun. Nous considérons que c’est là un crime des plus graves, que c’est de la désorganisation. Nous ne serions pas demeurés une minute de plus au Comité central si l’on avait sciemment toléré cette initiative. Elle s’est produite par suite de l’imperfection de l’appareil d’organisation. Oui, notre organisation s’est montrée en défaut. La question de son amélioration est posée.

   Mencheviks et consorts tripotent le mot d’ « aventurisme ».Mais chez eux, il n’y a eu en fait ni organisation ni ligne politique d’aucune sorte. Nous avons, quant à nous, une organisation et une ligne politique.

   À ce moment, la bourgeoisie a mobilisé toutes ses forces, le centre s’est caché, et nous avons organisé une manifestation pacifique. Nous étions les seuls à avoir une ligne politique. Des fautes furent-elles commises ? Oui, mais, qui ne fait rien est seul à ne pas se tromper. Et bien s’organiser est chose difficile.

   Maintenant, à propos du contrôle.

   Nous sommes d’accord avec le camarade Kamenev, excepté dans la question du contrôle. Il y voit un acte politique. Mais, subjectivement, il donne à ce mot un sens plus complet Tchkhéidzé et les autres. Nous ne marcherons pas pour le contrôle. On nous dit : « Vous vous êtes isolés. Vous avez dit des mots terribles au sujet du communisme, vous avez effrayé le bourgeois jusqu’à lui donner des convulsions… ». Soit !

   Mais notre isolement ne vient pas de là. C’est la question de l’emprunt qui nous a isolés, voilà à quoi est dû notre isolement. Voilà sur quelle question nous nous sommes trouvés en minorité. Oui, nous sommes en minorité. Et alors ? En ce moment d’exaltation chauvine, être socialiste, c’est être en minorité, être en majorité veut dire être chauvin. En ce moment, le paysan et Milioukov portent atteinte au socialisme avec l’emprunt. Le paysan suit Milioukov et Goutchkov. C’est un fait. La dictature démocratique bourgeoise de la paysannerie est une vieille formule.

   Il faut, pour pousser les paysans à la révolution, en séparer le prolétariat, en dissocier le parti prolétarien, car les paysans sont chauvins. Vouloir attirer le moujik en ce moment, c’est se livrer à la merci de Milioukov.

   Il faut renverser le gouvernement provisoire, mais pas tout de suite et pas par les moyens habituels. Nous sommes d’accord avec le camarade Kamenev. Mais il faut éclairer les gens. C’est à ce mot que s’accroche le camarade Kamenev. C’est pourtant la seule chose que nous puissions faire.

   Le camarade Rykov dit que le socialisme doit venir des autres pays pourvus d’une industrie plus développée. Mais ce n’est pas exact. On ne peut dire qui commencera et qui finira. Ce n’est pas du marxisme, c’est une caricature du marxisme.

   Marx a dit que le Français commencerait et que l’Allemand achèverait. Mais le prolétariat russe a plus de succès que quiconque à son actif.

   Si, par exemple, nous disions : « Pas de tsar, dictature du prolétariat », eh bien, ce serait un bond par-dessus la petite bourgeoisie. Nous disons : « Aide à la révolution par l’organe du Soviet des députés ouvriers et soldats ». Il ne faut pas verser dans le réformisme. Nous ne combattons pas pour être vaincus, mais pour sortir vainqueurs de la lutte, en escomptant, à la rigueur, un succès partiel. Si nous sommes vaincus, nous obtiendrons un succès partiel, des réformes. Les réformes sont un moyen auxiliaire de la lutte de classe.

   Le camarade Rykov dit ensuite qu’il n’y a pas de période de transition entre capitalisme et socialisme. Ce n’est pas exact. Parler ainsi, c’est rompre avec le marxisme.

   La ligne politique que nous avons tracée est juste, et nous prendrons à l’avenir toutes mesures utiles pour avoir une organisation dans laquelle il n’y aura pas de membres du Comité de Petrograd désobéissant au Comité central. Nous nous développons comme doit se développer un vrai parti.

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