Remerciements au prince G.E. Lvov
Lénine
Paru dans le «Prolétarskoïé Diélo» n° 5, 1er août (19 juillet) 1917
Le prince G. E. Lvov, ancien chef du Gouvernement provisoire, a fait des aveux précieux au cours d’un entretien d’adieu avec les représentants du comité des journalistes près le Gouvernement provisoire, des aveux qui lui assurent la reconnaissance des ouvriers.
« Les événements qui se sont déroulés ces derniers jours dans le pays, a déclaré Lvov, renforcent particulièrement mon optimisme. Notre «percée en profondeur» sur le front de Lénine a, à mon avis, une importance incomparablement plus grande pour la Russie que la percée des Allemands sur notre front Sud-Ouest. »
Comment les ouvriers ne seraient-ils pas reconnaissants au prince de la lucidité dont il a fait preuve dans son appréciation de la lutte des classes ? Non seulement ils seront reconnaissants à Lvov, mais ils trouveront à apprendre de lui.
Avec quelle faconde exubérante et quelle hypocrisie sans bornes tous les bourgeois et grands propriétaires fonciers, et à leur suite les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, ont péroré contre la «guerre civile» ! Considérez le précieux aveu du prince Lvov et vous verrez qu’il apprécie le plus tranquillement du monde la situation intérieure de la Russie précisément du point de vue de la guerre civile. A la tête de la contre-révolution, la bourgeoisie a effectué une percée en profondeur sur le front des ouvriers révolutionnaires, voilà à quoi se ramène la vérité toute banale des aveux du prince. Deux ennemis, deux camps adverses, dont l’un a rompu le front de l’autre : voilà à quoi le prince Lvov réduit la situation intérieure de la Russie. Remercions-le sincèrement de sa franchise ! Car il est mille fois plus dans le vrai que les petits bourgeois sentimentaux socialistes-révolutionnaires et mencheviques persuadés que la lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat, qui s’exacerbe inévitablement à l’extrême pendant la révolution, peut disparaître grâce à leurs malédictions et à leurs incantations !
Deux ennemis, deux camps adverses dont l’un a rompu le front de l’autre, telle est la philosophie de l’histoire, parfaitement juste, du prince Lvov. Il a raison d’exclure pratiquement du calcul le troisième camp : la petite bourgeoisie, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks. Ce troisième camp semble important, mais en fait il ne peut rien résoudre par lui-même ; c’est évident pour le prince, qui raisonne sainement, comme c’est évident pour tous les marxistes qui comprennent la situation économique de la petite bourgeoisie, et comme c’est évident, enfin, pour tous ceux qui réfléchissent aux enseignements de l’histoire de la révolution, laquelle a toujours montré l’impuissance des partis petits-bourgeois quand la lutte s’aggrave entre la bourgeoisie et le prolétariat.
Même en temps de guerre, la lutte des classes à l’intérieur a infiniment plus d’importance que la lutte contre l’ennemi extérieur. Quelles injures forcenées les représentants de la grande et de la petite bourgeoisie n’ont-ils pas vomies contre les bolcheviks pour avoir énoncé cette vérité ! Quel désaveu catégorique n’a-t-elle pas suscité chez innombrables amateurs de phrases ronflantes sur l’«unité», la «démocratie révolutionnaire», etc., etc. !
Mais le moment le plus sérieux, le moment décisif étant arrivé, le Prince Lvov a, d’emblée et intégralement, reconnu cette vérité en proclamant sans détours que la «victoire» sur l’ennemi de classe à l’intérieur du pays avait plus d’importance que la situation sur le front de la lutte contre l’ennemi extérieur. Vérité incontestable. Vérité utile. Les ouvriers sauront gré au prince Lvov de l’avoir reconnue, de l’avoir rappelée, de l’avoir propagée. Et, par reconnaissance pour le prince, ils intensifieront l’action poursuivie par le Parti pour mieux faire comprendre cette vérité aux plus larges masses de travailleurs et d’exploités, pour mieux les en pénétrer. Rien n’est plus utile à la classe ouvrière que cette vérité, dans la lutte qu’elle livre pour sa libération.
En quoi consiste cette «percée» sur le front de la guerre civile qui fait jubiler le prince Lvov ? La question mérite d’être examinée avec une attention particulière pour que les ouvriers puissent profiter comme il faut des enseignements de Lvov.
Cette fois, la «percée sur le front» de la guerre intérieure a tout d’abord consisté en ceci que la bourgeoisie avait répandu sur les bolcheviks, ses ennemis de classe, des flots d’ordures et de calomnies, faisant preuve d’un acharnement inouï dans cette besogne ignoble et sordide qu’est la diffamation d’adversaires politiques. Ce fut, si l’on peut dire, la «préparation idéologique» de la «percée sur le front de la lutte des classes».
Ensuite, concrètement et essentiellement, la «percée» ce fut l’arrestation des représentants des courants politiques hostiles, leur mise hors la loi, l’assassinat d’une partie d’entre eux dans la rue, sans jugement (assassinat de Voïnov, le 6 juillet, pour avoir sorti des journaux de l’imprimerie de la Pravda), la fermeture de leurs journaux, le désarmement des ouvriers et des soldais révolutionnaires.
C’est tout cela, la «percée sur le front de la guerre contre l’ennemi de classe». Que les ouvriers y réfléchissent bien pour savoir, le moment venu, l’appliquer à la bourgeoisie.
Jamais le prolétariat n’aura recours aux calomnies. Il fermera les journaux de la bourgeoisie en déclarant ouvertement, par une loi, par un décret du gouvernement, que les capitalistes et leurs défenseurs sont les ennemis du peuple. La bourgeoisie, en la personne du gouvernement, notre ennemi, et la petite bourgeoisie, en la personne des Soviets, n’osent pas dire franchement et ouvertement un seul mot sur l’interdiction de la Pravda et les causes de sa fermeture. Le prolétariat agira non par la calomnie, mais par la parole de vérité. Il dira aux paysans et au peuple tout entier la vérité sur les journaux bourgeois et sur la nécessité de les interdire.
A la différence des bavards de la petite bourgeoisie, des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks, le prolétariat saura avec certitude ce qu’est, pratiquement, la «rupture du front» de la lutte des classes, la mise hors d’état de nuire de l’ennemi, la mise hors d’état de nuire des exploiteurs. Le prince Lvov a aidé le prolétariat à connaître cette vérité. Remercions le prince Lvov.