Aux ouvriers, aux paysans, aux soldats
Lénine
Ecrit les 1-2 (14-15) octobre 1917. Paru pour la première fois le 23 avril 1924, dans le n° 93 de la « Pravda »
Camarades, le parti «socialiste-révolutionnaire», auquel appartient Kérenski, vous invite dans son journal le Diélo Naroda (du 30 septembre) à «prendre patience».
«Il faut prendre patience», écrit-il. Et il vous conseille de laisser le pouvoir au gouvernement Kérenski. Il vous conseille de ne pas remettre le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers et soldats. Que Kérenski s’appuie sur les propriétaires fonciers, sur les capitalistes et sur les koulaks, que les Soviets qui ont fait la révolution et qui ont vaincu les généraux de Kornilov « prennent patience », nous dit-on. Qu’ils « prennent patience » jusqu’à la convocation rapide de l’Assemblée constituante.
Camarades, regardez autour de vous ce qui se passe dans les campagnes, ce qui se passe dans l’armée ; vous verrez que les paysans et les soldats ne peuvent pas patienter plus longtemps. Sur la Russie déferle; comme un large fleuve, le soulèvement des paysans que l’on a jusqu’ici trompés en leur refusant la terre. Les paysans ne peuvent pas patienter. Kérenski envoie des troupes pour écraser les paysans et pour défendre les propriétaires fonciers, Kérenski s’est de nouveau abouché avec les généraux et les officiers de Kornilov, qui sont pour les propriétaires fonciers.
Ni les ouvriers des villes, ni les soldats du front ne peuvent tolérer cette répression armée du juste combat des paysans pour la terre.
Ce qui se passe dans l’armée, au front, l’officier sans-parti Doubassov l’a proclamé face à toute la Russie : «Les soldate ne se battront plus». Les soldats sont à bout de forces, les soldats vont nu-pieds, les soldats ont faim, les soldats ne veulent pas se battre pour les intérêts des capitalistes, ils ne veulent pas « tolérer » qu’on les régale de belles paroles sur la paix, alors qu’en fait on ajourne depuis des mois (comme le fait Kérenski) la proposition de paix, d’une paix juste, sans conquêtes, avec tous les peuples en guerre.
Camarades, sachez que Kérenski négocie de nouveau avec les généraux et les officiers de Kornilov pour lancer des troupes contre les Soviets de députés ouvriers et soldats, pour ne pas donner le pouvoir aux Soviets ! Kérenski «ne se soumettra en aucun cas» aux Soviets, – c’est ce qu’avoue ouvertement le Diélo Naroda.
Allez donc tous dans les casernes, allez dans les unités cosaques, allez trouver les travailleurs et expliquez au peuple la vérité:
Si le pouvoir appartient aux Soviets, alors le 25 octobre au plus tard (si le Congrès des Soviets se tient le 20 octobre) une paix équitable sera proposée à tous les peuples belligérants. Il y aura en Russie un gouvernement ouvrier et paysan ; ce gouvernement proposera immédiatement, sans perdre un seul jour, une paix équitable à tous les peuples belligérants. Le peuple saura alors qui veut une guerre injuste. Alors, à l’Assemblée constituante, le peuple décidera.
Si le pouvoir appartient aux Soviets, les terres des propriétaires fonciers seront immédiatement déclarées propriété et patrimoine du peuple tout entier.
Voilà ce que combattent Kérenski et son gouvernement qui s’appuie sur les koulaks, sur les capitalistes et sur les propriétaires fonciers !
Voilà pour qui et dans l’intérêt de qui on vous invite à « prendre patience » !
Consentez-vous à «prendre patience» et à laisser Kérenski réprimer par la force des armes les paysans soulevés pour prendre la terre ?
Consentez-vous à «patienter» pour qu’on fasse encore traîner la guerre, pour qu’on ajourne les propositions de paix, pour qu’on ajourne la rupture des traités secrets conclus par l’ex-tsar avec les capitalistes russes et anglo-français ?
Camarades, rappelez-vous que Kérenski a déjà une fois trompé le peuple en lui promettant de convoquer l’Assemblée constituante ! Le 8 juillet, il promettait solennellement de la convoquer pour le 17 septembre et il a trompé le peuple. Camarades, qui fera confiance au gouvernement Kérenski trahira ses frères, les paysans et les soldats !
Non, le peuple ne peut tolérer un seul jour de nouveaux atermoiements. On ne peut pas tolérer un seul jour qu’on réprime par la force des armes les paysans, qu’on laisse périr à la guerre des milliers et des milliers, alors qu’on peut et qu’on doit proposer immédiatement une paix équitable.
A bas le gouvernement Kérenski qui s’abouche avec les généraux-seigneurs terriens de Kornilov pour organiser la répression contre les paysans, pour tirer sur les paysans, pour faire durer la guerre !
Tout le pouvoir aux Soviets de députés ouvriers et paysans !