Thèses pour le rapport à la conférence du 8 octobre de l’organisation de Pétersbourg, ainsi que pour la résolution et le mandat à donner aux délégués au congrès du parti
Lénine
Ecrit entre le 29 septembre et le 4 octobre (12 et 17 octobre) 1917. Paru pour la première fois en 1921, dans les Œuvres de N. Lénine (V. Oulianov), t. XIV, 2e Partie((Ces thèses furent écrites par Lénine, qui se trouvait dans la clandestinité, pour le congrès extraordinaire du Parti, fixé au 17 (30) octobre 1917, et pour la IIIe conférence des bolcheviks de Pétrograd-ville. Par décision du Comité central du Parti, en date du 5 (18) octobre, le congrès fut ajourné. Les thèses furent discutées à la IIIe Conférence des bolchéviks de Pétrograd-ville.
La IIIe Conférence de Pétrograd-ville eut lieu du 7 au 11 (20-24) octobre 1917. 92 délégués avec voix délibérative et 40 délégués avec voix consultative y assistaient.. La conférence élut Lénine président d’honneur. Les thèses écrites par Lénine déterminèrent les résolutions adoptées par la conférence. La résolution adoptée sur la situation présente formula la nécessité de remplacer le gouvernement Kérenski par un gouvernement révolutionnaire ouvrier et paysan, car seul un tel gouvernement était capable de remettre la terre aux paysans et de faire sortir le pays du marasme et de la guerre. La résolution disait que : « nous sommes à la veille de l’insurrection prolétarienne générale» et exprimait l’espoir du succès d’une telle insurrection. La conférence discuta la question relative aux élections à l’Assemblée constituante et désigna les candidats de Pétrograd à l’Assemblée constituante, dont Lénine. A la séance du 11 (24) octobre, il fut donnée lecture de la « Lettre à la Conférence de la ville de Pétrograd » écrite par Lénine. La conférence eut une importance exceptionnelle pour la préparation de la Grande Révolution socialiste d’Octobre.))
Sur la participation du parti au préparlement
1° La participation de notre parti au « préparlement », – au « Conseil démocratique » ou au « Conseil de la République» – est une erreur manifeste et une déviation de la voie de la révolution prolétarienne.
2° La situation objective est telle que dans le pays grandit sans aucun doute une révolution contre le gouvernement bonapartiste de Kérenski (soulèvement paysan, aggravation du mécontentement et des conflits avec le gouvernement dans l’armée et parmi les groupements nationaux, conflit avec les cheminots et les postiers, faillite complète aux élections des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires partisans de la conciliation, etc.).
Devant cette montée de la révolution, entrer dans un parlement truqué, falsifié pour tromper le peuple, c’est nous prêter à ce mensonge, entraver la préparation de la révolution, détourner l’attention du peuple et les forces du parti de la tâche essentielle : la lutte pour le pouvoir et pour le renversement du gouvernement.
3° Le congrès doit donc rappeler du préparlement les membres de notre parti, décider le boycott du préparlement, appeler le peuple à préparer ses forces pour chasser cette «Douma Boulyguine » de Tsérétéli.
Sur le mot d’ordre :
« Tout le pouvoir aux Soviets »
1. Tout le travail des bolchéviks en six mois de révolution, toutes les critiques qu’ils ont formulées contre les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, contre leur «politique de conciliation » et contre la transformation – par ces partis – des Soviets en parlotes, exigent des bolchéviks qu’ils observent ce mot d’ordre en toute conscience, avec une fermeté marxiste ; malheureusement, dans les instances les plus élevées du parti, on constate des hésitations, une sorte de «crainte» devant la lutte pour le pouvoir, une propension à substituer à cette lutte des résolutions, des protestations et des congrès.
2. Toute l’expérience des deux révolutions, celle de 1905 comme celle de 1917, de même que toutes les décisions du Parti bolchévik, toutes ses déclarations politiques depuis de longues années aboutissent au fait que le Soviet de députés ouvriers et soldats ne peut être qu’un organisme insurrectionnel, qu’un organe du pouvoir révolutionnaire. Sinon les Soviets ne sont que de vains hochets qui conduisent infailliblement à l’apathie, à l’indifférence, au découragement des masses légitimement écœurées par la répétition perpétuelle de résolutions et de protestations.
3. C’est aujourd’hui surtout, alors que se déroule partout dans le pays le soulèvement paysan réprimé par Kérenski à l’aide de troupes choisies, alors que même les mesures de guerre à la campagne menacent de fausser, de falsifier les élections à l’Assemblée constituante, alors qu’en Allemagne on en est arrivé à une mutinerie dans la flotte, c’est aujourd’hui que le refus des bolchéviks de transformer les Soviets en organisme insurrectionnel serait une trahison envers les paysans et envers la révolution socialiste internationale.
4. La prise du pouvoir par les Soviets se ramène au problème de l’insurrection victorieuse. Les meilleurs éléments du parti doivent donc être dirigés sur les usines et les casernes, pour expliquer leur tâche aux masses et pour choisir, en tenant compte exactement de l’état d’esprit des masses, le moment opportun pour renverser le gouvernement Kérenski.
Rattacher d’une manière rigide cette tâche au Congrès des Soviets, la subordonner à ce congrès, c’est jouer à l’insurrection, en fixant sa date à l’avance, en permettant au gouvernement de préparer ses troupes, en égarant les masses par l’illusion que grâce à une « résolution » du congrès des Soviets on peut trancher la question, alors qu’en réalité seul le prolétariat insurgé peut la trancher.
5. Il faut lutter contre les illusions et les espérances constitutionnelles fondées sur le Congrès des Soviets, il faut renoncer à l’idée préconçue qu’on doit l’« attendre », il faut bander toutes nos forces pour expliquer aux masses que l’insurrection est inévitable et pour préparer celle-ci. Alors qu’ils ont en mains les Soviets des deux capitales, s’ils renonçaient à cette tâche, s’ils se résignaient à la convocation de l’Assemblée constituante (c’est-à-dire à la falsification de l’Assemblée constituante) par le gouvernement Kérenski, les bolchéviks réduiraient à une phrase creuse leur mot d’ordre : «le pouvoir aux Soviets» et se déshonoreraient politiquement, en tant que parti du prolétariat révolutionnaire.
6. Cela est particulièrement vrai maintenant que les élections ont donné à Moscou 49,5% des voix aux bolchéviks et que derrière les bolchéviks, grâce à l’appui des socialistes-révolutionnaires de gauche, appui qui est en fait réalisé depuis longtemps, il s’est formé dans le pays une majorité incontestable.
Note ajoutée à la résolution sur «le pouvoir aux Soviets»
On peut ne pas publier le texte complet des thèses sur « le pouvoir aux Soviets » ; mais renoncer à les discuter au sein du parti, renoncer à éclairer les masses sur ces questions vitales et extrêmement importantes, alors qu’il n’existe pas de complète liberté de la presse pour les discuter, ou qu’il est impossible de les aborder en présence des ennemis, cela reviendrait pour le parti à perdre toute liaison avec l’avant-garde du prolétariat.