La question du logement
Friedrich Engels
Troisième partie
REMARQUES COMPLÉMENTAIRES SUR PROUDHON ET LA QUESTION DU LOGEMENT
Dans le numéro 86 du Volksstaat, A. Mülberger se fait connaître comme étant l’auteur des articles que j’ai critiqués dans le numéro 51 et les suivants. Dans sa réponse, il m’accable de tant de reproches et il brouille si bien les points de vue que bon gré, mal gré, il me faut lui répondre. Cette réplique, à mon grand regret, devra se placer en majeure partie sur le terrain de la polémique personnelle qui m’est imposée par Mülberger; j’essaierai cependant de lui donner un intérêt général en développant à nouveau et, si possible, plus clairement que précédemment les points principaux; même si je cours le risque de m’entendre signifier une fois de plus par mon contradicteur que tout ceci » ne renferme rien d’essentiellement nouveau, ni pour lui, ni pour les autres lecteurs du Volksstaat « .
Mülberger se plaint aussi bien de la forme que du contenu de ma critique. En ce qui concerne la forme, il me suffira de rétorquer qu’à cette époque j’ignorais totalement de qui étaient les articles en question. Impossible donc de parler d’une » prévention » personnelle contre leur auteur; quant à la solution de la question du logement développée dans ces articles, j’étais en effet d’autant plus » prévenu » que, grâce à Proudhon, je la connaissais depuis longtemps et que mon opinion était solidement établie.
Pour ce qui est du » ton » de ma critique, je ne veux pas polémiquer avec l’ami Mülberger. Quand on a comme moi participé depuis aussi longtemps au mouvement ouvrier, on y acquiert une peau passablement endurcie aux attaques et l’on a tendance à en supposer une semblable chez les autres. Pour réparer le mal fait à Mülberger, je vais essayer cette fois-ci d’employer un » ton » en rapport avec la sensibilité de son épiderme.
Mülberger se plaint avec une particulière amertume que je l’aie traité de proudhonien et il affirme qu’il n’en est pas un. Je suis naturellement obligé de le croire, mais je vais apporter la preuve que les articles en question – et je n’avais affaire qu’à eux – ne renferment que du pur proudhonisme.
Mais d’après Mülberger, j’ai critiqué Proudhon lui même » à la légère » et je suis gravement injuste envers lui :
« La thèse qui fait de Proudhon un petit-bourgeois est devenue chez nous en Allemagne un dogme bien établi et même beaucoup la propagent qui n’en ont pas lu une seule ligne. »
Lorsque je déplore que les travailleurs de langue latine n’aient pas d’autre nourriture intellectuelle depuis vingt ans que les oeuvres de Proudhon, Mülberger me répond que, chez ces travailleurs,
«les principes, tels qu’ils sont formulés par Proudhon, sont presque partout l’âme motrice du mouvement. »
Cela, je suis obligé de le nier. Primo : » l’âme motrice » du mouvement ouvrier ne réside nulle part dans les » principes « , mais partout dans le développement de la grande industrie avec ses conséquences : l’accumulation et la concentration du capital d’une part, celle du prolétariat de l’autre. Secundo : il n’est pas exact que les prétendus » principes » proudhoniens jouent chez les Latins le rôle décisif que leur attribue Mülberger et que
« les principes de l’anarchie, de l’organisation des forces économiques, de la liquidation sociale, etc. y soient devenus les véritables supports du mouvement révolutionnaire. »
Sans parler de l’Espagne et de l’Italie, où les panacées de Proudhon n’ont acquis quelque influence que sous une forme encore défigurée par Bakounine, il est notoire pour tous ceux qui connaissent le mouvement ouvrier international qu’en France, les proudhoniens forment une secte peu nombreuse et que la masse des travailleurs ne veut rien savoir du plan de réforme sociale élaboré par Proudhon sous le titre de Liquidation sociale et Organisation des forces économiques . On l’a bien vu sous la Commune. Bien que les proudhoniens y fussent fortement représentés, il n’y eut pas la moindre tentative pour liquider la vieille société ou organiser les forces économiques selon les projets de Proudhon. Tout au contraire. C’est là un titre de gloire de la Commune : dans les mesures économiques prises par elle, ce ne furent pas des principes quelconques qui jouèrent le rôle de » l’âme motrice « , mais tout simplement la nécessité pratique. Et c’est pourquoi ces mesures : la suppression du travail de nuit dans la boulangerie, l’interdiction des amendes dans les fabriques, la confiscation des fabriques et des ateliers fermés et leur remise à des associations ouvrières – n’étaient pas du tout dans l’esprit de Proudhon, mais bien dans celui du socialisme scientifique allemand. La seule mesure sociale que les proudhoniens aient fait appliquer fut de ne pas confisquer la Banque de France et c’est en partie pour cette raison que la Commune a échoué. Même remarque pour ceux qu’on appelle blanquistes : dès qu’ils tentèrent de se transformer de simples révolutionnaires politiques en une fraction ouvrière socialiste avec un programme défini – ce que firent les blanquistes émigrés à Londres dans leur manifeste » Internationale et Révolution » – ce ne sont pas les » principes » du plan proudhonien pour le sauvetage de la société qu’ils proclamèrent, mais au contraire, et presque mot pour mot, les conceptions du socialisme scientifique allemand : nécessité de l’action politique du prolétariat et de sa dictature comme transition â l’abolition des classes et, avec elles, de l’État – telles qu’elles ont déjà été exprimées dans le Manifeste du Parti communiste et d’innombrables fois depuis. Et quand Mülberger va jusqu’à faire découler du manque d’estime pour Proudhon une incompréhension chez les Allemands du mouvement latin » jusque et y compris la Commune de Paris « , qu’il nous en donne une preuve et nous cite l’ouvrage de langue latine qui, même de loin, ait analysé et relaté la Commune d’une manière aussi exacte que l’ » Adresse du Conseil général de l’Internationale sur la Guerre civile en France « , de l’Allemand Marx.
Le seul pays où le mouvement ouvrier se trouve directement influencé par les » principes » de Proudhon, est la Belgique et c’est pourquoi ce mouvement, comme dit Hegel, va « de rien à rien par rien ».
Si je regarde comme un malheur que Proudhon ait été, depuis vingt ans, directement ou indirectement, la seule nourriture intellectuelle des travailleurs latins, je puise ma conviction non dans la prédominance tout 1 fait mythique de ses recettes réformistes – ce que Mulberger appelle les » principes » -, mais dans le fait que sur le plan économique la critique que les travailleurs font de la société a été contaminée par sa phraséologie radicalement fausse et leur action politique gâchée par son influence. A la question de savoir après cela„ qui des » travailleurs latins proudhonisés » ou des allemands – lesquels, en tout cas, comprennent infiniment mieux le socialisme scientifique allemand que les latins leur Proudhon – » est davantage dans la révolution « , nous pourrons répondre quand on aura dit ce que signifie : » être dans la révolution « . On a entendu parler de gens qui » sont dans le christianisme, dans la vraie foi, dans la grâce de Dieu « , etc. Mais » être » dans la révolution, dans ce mouvement le plus puissant qui soit ? Est-ce que » la révolution » est une religion dogmatique à laquelle il faille croire ?
Mülberger me reproche ensuite d’avoir soutenu, contre les termes exprès de son ouvrage, qu’il tenait la question du logement pour une question exclusivement ouvrière.
Cette fois, Mülberger a effectivement raison. Je n’avais pas fait attention au passage en question, et je suis sans excuses, car c’est un des plus caractéristiques de la tendance de tout son exposé. Mülberger dit en effet sans périphrases :
« Comme on nous fait si souvent le reproche ridicule que nous menons une politique de classe, que nous aspirons à une domination de classe et autres choses analogues, nous affirmons tout d’abord et expressément, que la question du logement ne concerne pas du tout exclusivement le prolétariat; bien au contraire : elle intéresse éminemment les classes moyennes proprement dites, les artisans, la petite bourgeoisie, tous les employés de bureau… La question du logement est précisément celle des réformes sociales qui paraît le plus apte à révéler l’absolue et profonde identité des intérêts du prolétariat d’une part et des classes moyennes proprement dites d’autre part. Ces classes moyennes souffrent tout autant, et peut-être davantage encore, que le prolétariat de cette pesante entrave qu’est le logement locatif… Ces classes moyennes sont placées aujourd’hui devant la question de savoir si… en alliance avec le jeune, vigoureux et énergique parti des travailleurs, elles trouveront la force d’intervenir activement dans le processus de la transformation sociale, dont elles seront justement les premiers bénéficiaires. »
L’ami Mülberger fait donc ici les constatations suivantes :
- » Nous » ne menons pas une » politique de classe » et nous n’aspirons à aucune » domination de classe « . Cependant le parti ouvrier social-démocrate allemand, précisément parce qu’il est un parti ouvrier, mène nécessairement une » politique de classe « , la politique de la classe ouvrière. Comme tout parti politique s’efforce de conquérir le pouvoir dans l’État, le parti social-démocrate allemand aspire nécessairement à établir son pouvoir, la domination da la classe ouvrière, donc une » domination da classe « . D’ailleurs, tout parti véritablement prolétarien, à commencer par les chartistes anglais((Le chartisme est un mouvement ouvrier qui s’est développé en Angleterre autour da 1836; il réclamait l’égalité des droits électoraux, une réforme des impôts…)), a toujours posé comme première condition la politique de classe, l’organisation du prolétariat en un parti politique indépendant et, comma but premier de la lutte, la dictature du prolétariat. En déclarant cela. » ridicule « , Mülberger se place en dehors du mouvement prolétarien et à l’intérieur du socialisme petit-bourgeois.
- La question du logement a cet avantage de n’être pas une question exclusivement ouvrière, mais d’ » intéresser éminemment » la petite bourgeoisie, » les classes moyennes proprement dites » en souffrant » tout autant, peut-être davantage encore » que le prolétariat. Si quelqu’un déclara que la petite bourgeoisie souffre, même si c’est sous un seul rapport, » peut-être davantage que le prolétariat « , il ne pourra certainement pas se plaindre si on le compte parmi les socialistes petits-bourgeois. Mülberger a-t-il par conséquent motif de se plaindre si on le range parmi les socialistes petits-bourgeois ? Peut-il être mécontent quand je dis.
« Ce sont ces maux-là, communs à la classe ouvrière et à d’autres classes, par exemple à la petite bourgeoisie, auxquels s’intéressa de préférence le socialisme petit-bourgeois, dont fait partie Proudhon lui aussi. Et ce n’est ainsi nullement un hasard, si notre disciple allemand de Proudhon s’empare avant tout de la question du logement qui, nous l’avons w, n’intéresse pas du tout la seule classe ouvrière à l’exclusion de toutes les autres. »
- Entre les intérêts des » classes moyennes proprement dites » et ceux du prolétariat il exista une » absolue et profonde identité » et ce n’est pas le prolétariat, mais ces classes moyennes qui » justement seront les premiers bénéficiaires » de la transformation sociale qui se prépare.
Donc : les travailleurs feront la révolution sociale qui sa prépare » justement » dans l’intérêt des petits-bourgeois, » premiers bénéficiaires « . En outre, il existe une absolue et profonde identité entre les intérêts des petits-bourgeois et ceux du prolétariat. Or, si les intérêts des petits-bourgeois sont profondément identiques à ceux des ouvriers, la réciproque est également vraie. Le point de vue petit-bourgeois est donc tout aussi justifié dans le mouvement ouvrier que celui des prolétaires. Et l’affirmation da cette égalité des droits est justement ce que l’on appelle le socialisme petit-bourgeois.
Mülberger est donc parfaitement logique quand, page 25 de l’édition en brochure, il célèbre l’ » artisanat » comme le » véritable pilier de la société « ,
« parce qu’il réunit en lui, par sa nature même, ces trois facteurs : travail – gain – propriété, et que, grâce à leur union, la capacité de développement qu’il confère à l’individu ne connaît aucune borne. »
Il l’est également quand il reproche notamment à l’industrie moderne de détruire cette pépinière d’hommes nouveaux et d’avoir fait » d’une classe vigoureuse, se renouvelant sans cesse, une masse inconsciente d’individus qui ne savent où tourner leur regard angoissé « . Le petit-bourgeois est par conséquent l’homme-type de Mülberger et l’artisanat son mode de production modèle. L’ai-je calomnié, quand je l’ai rangé parmi les socialistes petits-bourgeois ?
Comme Mülberger décline toute responsabilité au sujet de Proudhon, il serait superflu de continuer à expliquer comment les plans réformistes de ce dernier tendent à transformer tous les membres de la société en petits-bourgeois et petits paysans. Il est tout aussi inutile de nous occuper en détail de la prétendue identité d’intérêts entre petits-bourgeois et ouvriers. L’essentiel se trouve déjà dans le Manifeste du Parti communiste (Édition de Leipzig, 1872).
Il résulte donc de notre examen qu’au » mythe du petitbourgeois Proudhon » s’ajoute la réalité du petit-bourgeois Mülberger.
Nous arrivons maintenant à un point essentiel. J’ai reproché aux articles de Mülberger qu’à la manière de Proudhon, ils falsifiaient des rapports économiques en les traduisant en langage juridique. A titre d’exemple j’ai détaché le passage suivant:
« La maison une fois bâtie représente un titre juridique éternel sur une fraction déterminée du travail social, même si la valeur réelle de la maison est, depuis longtemps et d’une façon plus que suffisante, payée au propriétaire sous forme de loyers. C’est ainsi qu’une maison construite, il y a mettons cinquante ans, a couvert pendant cette période avec ses loyers, 2, 3, 5, 10 fois, etc. le coût initial. »
Alors Mülberger se plaint que :
« Cette simple et objective constatation d’un fait est l’occasion pour Engels de me faire sentir que j’aurais dû expliquer comment la maison devient un » titre juridique » – question tout à fait en dehors de la tâche que je m’étais assignée… – Décrire est une chose, expliquer en est une autre. Si je dis, après Proudhon, que la vie économique doit être pénétrée d’une idée de justice, je décris ainsi la société actuelle comme une société à laquelle manque non toute idée de justice, mais l’idée de justice de la révolution, un fait dont Engels lui-même conviendra. »
Restons-en pour commencer à la maison une fois bâtie. Quand elle est louée, elle rapporte à celui qui l’a fait construire une rente foncière, les frais de réparations et l’intérêt (lu capital investi, y compris le profit réalisé, sous forme de loyers; ceux-ci, suivant les circonstances, peuvent représenter 2, 3, 5, 10 fois le prix de revient initial. Ceci, ami Mülberger, est la » constatation simple et objective » d’un » fait » qui est économique; et si nous voulons savoir pourquoi » il en est ainsi « , c’est sur ce terrain qu’il nous faut diriger nos recherches. Regardons ce fait d’un peu plus près, afin qu’un enfant lui-même ne puisse s’y tromper. On sait qu’à la vente d’une marchandise, le possesseur en abandonne la va leur d’usage et empoche sa valeur d’échange. Si les valeurs d’usage des marchandises diffèrent c’est entre autres, également, parce que leur consommation exige des durées différentes. Une miche de pain disparaît en un jour, un pantalon sera usé en un an, une maison, mettons en cent ans. Avec les marchandises dont l’usure est lente se présente la possibilité d’en vendre la valeur d’usage par fractions, chaque fois pour une période déterminée, en d’autres termes de la louer. La vente fractionnée ne réalise par conséquent la valeur d’échange que peu à peu; pour avoir renoncé au remboursement immédiat du capital avancé et du profit qui en est tiré, le vendeur est dédommagé par une augmentation du prix, par un intérêt dont le taux est fixé par les lois de l’économie politique et pas du tout arbitrairement. Au bout de cent ans, la maison a fait son temps, elle est délabrée, inhabitable. Si alors nous déduisons du total des loyers encaissés :
1) la rente foncière, avec la majoration éventuelle qu’elle a subie pendant cette période ;
2) les dépenses courantes pour les réparations,
nous trouverons que le reste se compose, en moyenne : 1) du capital primitif employé à la construction de la maison, 2) du profit qu’il a rapporté et 3) des intérêts du capital et du profit, venus progressivement à échéance.
A la fin de ce laps de temps, il est vrai, le locataire n’a pas de maison, mais le propriétaire n’en a pas davantage. Ce dernier ne possède plus que le terrain – s’il lui appartient – et les matériaux de construction qui s’y trouvent et qui ne sont plus une maison. Et si la maison entre-temps a couvert » 5 ou 10 fois le coût initial « , nous verrons que ceci est dû uniquement à une augmentation de la rente foncière; ce qui n’est un secret pour personne en des lieux comme Londres où le propriétaire foncier et celui de la maison sont le plus souvent deux personnes différentes. Des augmentations de loyers aussi considérables se produisent dans les villes à croissance rapide, mais non dans un village agricole, où la rente foncière pour les emplacements bâtis reste à peu près constante. Aussi bien il est notoire que, abstraction faite des augmentations de la rente foncière, le loyer ne rapporte pas en moyenne annuellement plus de 7% du capital investi – le profit inclus -, avec lesquels il faut encore payer les frais de réparations, etc. Bref, le contrat de location est une affaire commerciale tout à fait courante; pour l’ouvrier, elle n’a théoriquement ni plus ni moins d’intérêt qu’une autre – celle mise à part où il s’agit de l’achat et de la vente de sa force de travail -, tandis que pratiquement elle se présente comme l’une des mille et une formes de l’escroquerie bourgeoise, dont je parle à la page 4 de l’édition en brochure; mais elles aussi, comme je l’ai montré, sont soumises à des lois économiques.
Mülberger, lui, ne voit dans le contrat de location que pur » arbitraire » (p. 19 de l’édit. spéciale). Et quand je lui démontre le contraire, il se plaint que je lui raconte » uniquement des choses que malheureusement il savait déjà « .
Mais avec toutes ces études économiques sur les loyers, nous ne parvenons pas à transformer l’abolition de la location en » une des entreprises les plus fécondes et les plus grandioses qu’ait enfantées l’idée révolutionnaire « . Pour mener à bien cette transformation, il nous faut transposer un simple fait de l’économie objective sur le plan juridique, déjà bien plus idéologique. » La maison constitue un titre juridique éternel » sur un loyer – » c’est ainsi » que la valeur de la maison peut être, sous forme de loyers, payée 2, 3, 5, 10 fois. Pour savoir comment il se fait qu' » il en est ainsi « , le » titre juridique » ne nous fait pas avancer d’un pas; c’est pourquoi j’ai dit que c’est seulement en recherchant comment la maison devient un titre juridique que Mülberger aurait pu apprendre, comment il se fait qu' » il en est ainsi « . Nous l’apprenons en examinant, comme je l’ai fait, la nature économique de la location, au lieu de nous irriter du terme juridique par lequel la classe dominante la ratifie. Celui qui propose des mesures économiques pour abolir la location est, semble-t-il tenu d’en savoir un peu plus sur cette question que la définition suivant laquelle elle » représente le tribut payé par le locataire au droit éternel du capital « . Là-dessus Mülberger me répond : » Décrire est une chose, expliquer en est une autre. «
Ainsi, nous avons transformé la maison, bien qu’elle ne soit nullement éternelle, en un titre de location, juridique et éternel. Nous trouvons – peu importe la raison pour laquelle » il en est ainsi » – que grâce à ce titre la maison rapporte plusieurs fois sa valeur sous forme de loyers. Par la transposition sur le plan juridique, nous nous sommes heureusement assez éloignés de l’économique pour ne plus voir que le phénomène selon lequel une maison peut, en loyers bruts, se faire petit à petit payer plusieurs fois. Comme nous pensons et parlons en juristes, nous appliquons à ce phénomène la mesure du droit, de la justice, et nous trouvons qu’il est injuste, qu’il ne correspond pas à » l’idée de justice de la révolution « , (que peut-on bien entendre par là ?), et que, par suite, le titre juridique est sans valeur. Nous trouvons en outre qu’il en est de même pour le capital porteur d’intérêts et pour le terrain agricole affermé et nous avons maintenant un prétexte pour mettre à part ces catégories de propriétés et pour leur appliquer un traitement d’exception. Il consiste à demander :
1) que soit retiré au propriétaire le droit de donner congé et celui de réclamer la restitution de sa propriété ;
2) que soit laissée gratuitement au locataire, à l’emprunteur ou au fermier la jouissance de ce qui lui est transmis et ne lui appartient pas ;
3) que le propriétaire soit remboursé à longues échéances sans intérêts.
Ainsi se trouvent épuisés sur ce chapitre les » principes » de Proudhon. C’est là sa » liquidation sociale « .
Soit dit en passant : il est clair que tout ce plan de réformes doit profiter presque exclusivement aux petits-bourgeois et aux petits paysans, en les affermissant dans leur situation sociale. Le » petit-bourgeois Proudhon « , ce mythe d’après Mülberger, acquiert ici, brusquement, une existence historique tout à fait tangible.
Mülberger poursuit :
« Si je dis, après Proudhon, que la vie économique doit être pénétrée d’une idée de justice, je décris ainsi la société actuelle comme une société à laquelle manque non toute idée de justice, mais l’idée de justice de la révolution, un fait dont Engels lui-même conviendra. »
Je ne suis malheureusement pas en état de faire à Mülberger ce plaisir. Il demande que la société soit pénétrée d’une idée de justice et il appelle cela une description. Si un tribunal me somme par huissier de payer une dette, il ne fait, d’après Mülberger, que me décrire comme un homme qui ne paie pas ses dettes ! Décrire est une chose, exiger en est une autre. Et c’est précisément en ceci que résida la différence essentielle entre Proudhon et le socialisme scientifique allemand. Nous décrivons – et toute description véritable est, en dépit de Mülberger, une explication – les rapports économiques tels qu’ils sont, la manière dont ils évoluent, et nous apportons la preuve strictement économique que leur développement est en même temps celui des éléments d’une révolution sociale : d’une part, le développement d’une classe, le prolétariat, que sa situation pousse nécessairement vers la révolution sociale, d’autre part, celui de forces productives qui, le cadre de la société capitaliste leur étant devenu trop étroit, doivent nécessairement le faire éclater et qui, en même temps, offrent les moyens de supprimer une fois pour toutes les différences de classes, dans l’intérêt du progrès social lui-même. Proudhon, au contraire, exige de la société actuelle qu’elle se transforme, non pas selon les lois de son propre développement économique, mais d’après les prescriptions de la justice (l' » idée de justice » n’est pas de lui, mais de Mülberger). Là où nous apportons des preuves, Proudhon prêche et se lamente, et Mülberger avec lui.
Ce qu’est » l’idée de justice de la révolution » reste pour moi une énigme. Proudhon, il est vrai, fait de » la révolution » une sorte de divinité qui incarne et accomplit sa » justice « , mais en même temps il commet l’erreur singulière de confondre la révolution bourgeoise de 1789-1794 avec la future révolution prolétarienne. Cette confusion se retrouve dans presque toutes ses oeuvres, surtout depuis 1848; je ne citerai, à titre d’exemple, que Idée générale de la révolution (éd. de 1868, p. 39-40). Toutefois Mülberger refusant de prendre une responsabilité quelle qu’elle soit quand il s’agit de Proudhon, cela m’interdit d’expliquer en partant de lui l' » idée de justice de la révolution » et je reste dans une totale obscurité.
Mülberger continue :
« Mais ni Proudhon, ni moi-même n’en appelons à une » justice éternelle » pour expliquer les injustices existantes, ou, comme Engels me le prête, pour attendre de cet appel leur redressement. »
Mülberger table certainement sur le fait que » Proudhon est pour ainsi dire inconnu en Allemagne « . Dans tous ses écrits Proudhon mesure tous les principes sociaux, juridiques, politiques, religieux à l’étalon de la » justice » et il les adapte ou les rejette suivant qu’ils concordent ou non avec ce qu’il appelle ainsi. Dans les Contradictions économiques cette justice se nomme encore » justice éternelle « . Plus tard, l’éternité est passée sous silence, mais demeure en fait. Dans par exemple De la justice dans la révolution et dans l’église (éd. de 1858), le passage suivant est le texte que développe tout le prêche en trois volumes (t. I, p. 42) :
« Quel est le principe fondamental, le principe organique, régulateur, souverain des sociétés, le principe qui, se subordonnant tous les autres, régit, protège, refoule, corrige, au besoin même étouffe, les éléments rebelles ? Est-ce la religion, l’idéal, l’intérêt ?… Ce principe est à mon avis la justice. – Qu’est-ce que la justice ? L’essence même de l’humanité. Qu’a-t-elle représenté depuis le commencement du monde ? Rien. – Que devrait-elle être ? Tout. »
Une justice qui est l’essence même de l’humanité qu’est-ce donc, si ce n’est la justice éternelle. Une justice, qui est le principe fondamental, organique, régulateur, souverain des sociétés, qui malgré cela n’a rien représenté jusqu’ici, mais qui doit être tout – qu’est-ce donc, si ce n’est l’étalon auquel mesurer toutes les choses humaines, si ce n’est celle à qui il faut en appeler dans tous les conflits comme à l’arbitre suprême ? Ai-je jamais prétendu autre chose que ceci : Proudhon cache son ignorance et son impuissance économiques quand il juge tous les rapports économiques non d’après les lois de l’économie, mais suivant qu’ils concordent ou non avec l’idée qu’il se fait de la justice éternelle ? Et en quoi Mülberger se distingue-t-il de Proudhon, quand il demande que
« toutes les transformations dans la société moderne… soient pénétrées d’une idée de justice, c’est-à-dire qu’elles soient partout réalisées suivant les strictes exigences de la justice ? »
Ne sais-je pas lire, ou Mülberger ne sait-il pas écrire ? Mülberger poursuit :
« Proudhon sait aussi bien que Marx et Engels que les rapports économiques et non les juridiques, sont le véritable moteur de la société humaine; il sait lui aussi que les idées qu’un peuple se fait de la justice ne sont que l’expression, l’image, le produit des rapports économiques, notamment des rapports de production… La justice en un mot, c’est pour Proudhon – un produit économique, devenu historique. »
(Je n’insisterai pas sur l’obscure terminologie de Mülberger et me contenterai de sa bonne volonté… ) Si Proudhon sait tout cela, » aussi bien que Marx et Engels « , comment pouvons-nous encore nous quereller ? Mais, ,justement, ce que Proudhon sait est un peu différent. Les rapports économiques d’une société donnée se présentent d’abord sous forme d’intérêts. Or, Proudhon nous dit en termes précis, dans le passage précité de son oeuvre principale, que le » principe fondamental, régulateur, organique, souverain des sociétés, qui se subordonne tous les autres « , n’est pas l’intérêt, mais la justice. Et il le répète dans tous ses écrits, à tous les passages importants. Ce qui n’empêche pas Mülberger de continuer en disant :
« … que l’idée de la justice économique, telle que Proudhon l’a développée de la manière la plus approfondie dans « La Guerre et la paix » coïncide entièrement avec les idées fondamentales de Lassalle, si bien exposées dans sa préface au « Système des droits acquis ». »
Parmi les nombreux ouvrages restés scolaires que Proudhon a écrits, La Guerre et la paix est peut-être le plus scolaire de tous; je ne pouvais cependant m’attendre à ce qu’il fût cité comme preuve de sa prétendue compréhension pour la conception matérialiste de l’histoire, qui est la nôtre en Allemagne, et qui explique tous les événements et les notions historiques, la politique, la philosophie, la religion par les conditions de vie matérielles, économiques de la période historique en question. Dans ce livre, il est si peu matérialiste qu’il ne peut venir à bout de sa construction de la guerre, sans appeler le Créateur à la rescousse. » D’ailleurs, le Créateur, qui a choisi pour nous ce mode de vie, a ses motifs » (t. II, p. 100 de l’édition de 1869). Le fait qu’il croit à l’existence historique de l’âge d’or est révélateur de la connaissance de l’histoire sur laquelle il s’appuie :
« Au commencement, lorsque l’humanité était encore clairsemée sur la terre, la nature pourvoyait sans peine à ses besoins. C’était l’âge d’or, l’âge de l’abondance et de la paix. (Même ouvrage, p. 102.)
Son point de vue économique est celui du malthusianisme le plus grossier :
Si la production est doublée, il en sera bientôt de même pour la population (p. 105).»
En quoi consiste donc le matérialisme de cet ouvrage ? Dans cette affirmation que la cause de la guerre est encore et depuis toujours » le paupérisme » (par exemple p. 143). L’oncle Brâsig((Personnage comique, tiré de l’œuvre de Fritz Reuter (1810-1874) un écrivain humoriste très connu en Allemagne)) était un matérialiste tout aussi réussi, quand, dans son discours de 1848, il prononçait calmement ces fortes paroles : La cause de la grande misère, c’est la grande pauvreté.
Le Système des droits acquis de Lassalle reste prisonnier de la grande et double illusion du juriste et du vieil hégélien. Il déclare expressément (p. VII), que » dans l’économique » également, » l’idée du droit acquis est la source motrice de tout développement ultérieur « ; il veut montrer » le droit comme un organisme rationnel, se développant à partir de lui-même » (donc, sans partir de conditions économiques préalables) (p. IX); il s’agit pour lui de faire découler le droit, non des rapports économiques, mais de la » notion même de volonté, dont la philosophie du droit n’est que le développement et l’exposé » (p. X). Que vient donc faire ici ce livre ? La seule différence entre Proudhon et Lassalle est que ce dernier est un juriste et un hégélien véritables, tandis que Proudhon, en jurisprudence et en philosophie, comme en tout autre domaine, est un pur dilettante.
Je n’ignore pas que Proudhon, dont on sait qu’il se contredit sans cesse, fait par-ci par-là une réflexion donnant l’impression qu’il explique les idées par les faits. De telles réflexions sont sans la moindre importance, w la direction constante de sa pensée; de plus, quand elles surgissent, elles sont extrêmement confuses et illogiques.
A un certain stade très primitif du développement de la société, le besoin se fait sentir de rassembler sous une règle commune les actes se renouvelant quotidiennement de la production, de la répartition et de l’échange des produits, et de veiller à ce que chacun se soumette aux conditions communes de la production et de l’échange. Cette règle, d’abord coutume, devient bientôt une loi. Avec elle surgissent nécessairement des organismes chargés de son maintien : les pouvoirs publics, l’État. Au cours de l’évolution ultérieure de la société, la loi se développe en une législation plus ou moins étendue. Plus elle se complique, plus sa terminologie s’éloigne de celle qui exprime les conditions économiques courantes de la société. Cette législation apparaît alors comme un élément indépendant qui tire la justification de son existence et le fondement de son évolution ultérieure, non des conditions économiques, mais de ses propres motifs profonds ou, si vous voulez, de la » notion de volonté « . Les hommes oublient que leur droit a pour origine leurs conditions de vie économiques, comme ils ont oublié qu’ils descendent du monde animal. Avec le développement de la législation en un ensemble complexe et étendu apparaît la nécessité d’une nouvelle division du travail social; il se forme une caste de juristes professionnels, et avec eux naît la science du droit. Celle-ci, en se développant, compare les systèmes juridiques des différents peuples et des diverses époques, les considérant, non point comme l’image des rapports économiques du moment, mais comme des systèmes qui trouvent en eux-mêmes leur raison d’être. Or, la comparaison suppose un élément commun; les juristes le font apparaître en construisant un droit naturel avec ce qui est plus ou moins commun à tous ces systèmes. Et la mesure à laquelle se référer pour savoir ce qui est ou non du droit naturel est précisément l’expression la plus abstraite du droit lui-même, à savoir la justice.
A partir de ce moment, le développement du droit pour les juristes et pour ceux qui les croient sur parole, n’est plus que l’effort tendant à rapprocher toujours plus la condition humaine, dans son expression juridique, de l’idéal de la justice, de la justice éternelle. Et cette justice n’est toujours que l’expression sur le plan idéologique et métaphysique des conditions économiques existantes, tantôt selon leur aspect conservateur, tantôt selon leur aspect révolutionnaire. La. justice des Grecs et des Romains trouvait juste l’esclavage; la justice des bourgeois de 1789 exigeait la suppression de la féodalité, parce qu’injuste. Pour les hobereaux prussiens, l’organisation des circonscriptions, si mauvaise soit-elle, est une violation de la justice éternelle. La notion de justice éternelle varie ainsi, non seulement avec l’époque et le lien, mais avec les personnes elles-mêmes. Comme le remarque très justement Mülberger, elle fait partie des choses, » que chacun comprend différemment « . Dans la vie courante, étant donné la simplicité des rapports sur lesquels porter un jugement, des expressions comme juste, injuste, justice, sentiment du droit, même lorsqu’elles s’appliquent à des faits sociaux , sont admises sans malentendus; tandis que dans l’étude scientifique des rapports économiques elles causent comme nous l’avons vu, la même désastreuse confusion que celle, par exemple, qui se produirait actuellement en chimie, si l’on voulait conserver la terminologie de la théorie phlogistique. Plus grave encore est la confusion quand on croit, comme Proudhon, à ce phlogiston social, » la justice « , ou quand on affirme, comme Mülberger, que phlogiston et oxygène sont pareillement fondés.
Mülberger se plaint, en outre, que je qualifie de jérémiade réactionnaire sa diatribe » emphatique » où il dit
« qu’il n’y a pas pour toute la civilisation de notre siècle tant vanté plus terrible dérision que le fait que, dans les grandes villes, 90 % de la population, et même plus, n’ont pas un lieu qu’ils puissent considérer comme leur appartenant. »
En effet. Si Mülberger s’était borné, comme il le prétend, à décrire » l’abomination des temps présents « , je n’aurais certainement médit » ni de lui, ni de ses modestes discours « . Mais ce qu’il fait est bien différent. II dépeint cette » abomination » comme un effet résultant de ce que les travailleurs » n’ont pas un lieu qu’ils puissent considérer comme leur appartenant « . Que l’on déplore » l’abomination des temps présents » parce que les ouvriers ne possèdent plus leur maison, ou, comme les hobereaux, parce que la féodalité et les corporations ont été abolies : dans les deux cas, il ne peut en résulter qu’une jérémiade réactionnaire, une lamentation sur l’avènement de ce qui est inévitable, historiquement nécessaire. Ce qui est réactionnaire, c’est de vouloir, comme Mülberger, rétablir pour les ouvriers la possession individuelle de leur maison – une question que l’histoire a depuis longtemps liquidée; c’est de ne pouvoir imaginer la libération des travailleurs autrement qu’en faisant de chacun d’eux à nouveau le propriétaire de sa maison.
II continue :
« Je le déclare expressément : la véritable lutte est dirigée contre le mode de production capitaliste, et ce n’est que de sa transformation que l’on peut espérer une amélioration des conditions d’habitation. Engels ne voit rien de tout cela… Je suppose résolue toute la question sociale, avant de pouvoir aborder celle du rachat des logements. »
Malheureusement, aujourd’hui encore, je ne vois rien de tout cela. Je ne puis pourtant pas deviner ce que suppose, dans le silence de sa pensée, un inconnu dont j’ignorais jusqu’au nom. Je ne puis que m’en tenir aux articles imprimés de Mülberger. Et aujourd’hui encore je trouve (p.p. 15 et 16 de l’édition en brochure) qu’avant de pouvoir aborder la question du rachat des logements, il ne suppose pas autre chose… que le logement lui-même. Ce n’est qu’à la page 17 qu’il prend le taureau par les cornes et s’attaque » résolument à la productivité du capital » – un sujet sur lequel nous reviendrons. Et même sa réponse nous en apporte confirmation, quand il dit :
« II s’agissait plutôt de montrer, comment, en partant des conditions existantes, on peut transformer complètement la question du logement. »
Partir des conditions existantes ou de la transformation (c’est-à-dire : abolition) du mode de production capitaliste : ce sont là tout de même deux choses entièrement différentes.
Il n’est pas étonnant que Mülberger se plaigne quand je trouve dans les tentatives philanthropiques de MM. Dollfus et autres fabricants pour aider les travailleurs dans l’acquisition de leurs maisons, l’unique possibilité de réaliser ses projets proudhoniens. S’il pouvait se rendre compte que le plan de Proudhon pour le sauvetage de la société est une vue de l’imagination, qui se place uniquement sur le terrain de la société bourgeoise, il ne lui accorderait naturellement aucune créance. Jamais et nulle part, je n’ai mis en doute sa bonne volonté. Mais pourquoi félicite-t-il le docteur Reschauer d’avoir proposé au Conseil municipal de Vienne de reprendre les projets Dollfus ?
Autre déclaration de Mülberger :
« En ce qui concerne spécialement l’opposition entre la ville et la campagne, c’est une utopie de vouloir la supprimer. Cette opposition est naturelle, plus exactement : elle s’est créée au cours de l’histoire… Il ne s’agit pas de la supprimer, mais bien de trouver les formes politiques et sociales, qui lui enlèveront sa nocivité et même la rendront fructueuse. C’est de cette manière que l’on peut attendre une conciliation pacifique, une harmonisation progressive des intérêts. »
Ainsi, la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne est une utopie, parce que cette opposition est naturelle, plus exactement parce qu’elle s’est créée au cours de l’histoire. Appliquons cette logique à d’autres oppositions dans la société moderne et voyons où elle nous mènerait. Par exemple :
« En ce qui concerne spécialement l’antagonisme entre capitalistes et salariés, c’est une utopie de vouloir le supprimer. Cet antagonisme est naturel, plus exactement : il s’est créé au cours de l’histoire. Il ne s’agit pas de le supprimer, mais bien de trouver les formes politiques et sociales, qui lui enlèveront sa nocivité et même le rendront fructueux. C’est de cette manière que l’on peut attendre une conciliation pacifique, une harmonisation progressive des intérêts. »
Nous voilà revenus à Schulze-Delitzsch.
La suppression de l’opposition entre la ville et la campagne n’est pas plus une utopie que la suppression de l’antagonisme entre capitalistes et salariés. Elle devient chaque jour davantage une exigence pratique de la production industrielle comme de la production agricole. Personne ne l’a réclamée avec plus de force que Liebig dans ses ouvrages sur la chimie agricole dans lesquels il demanda en premier et constamment qua l’homme rende à la terre ce qu’il reçoit d’elle et où il démontre que seule l’existence des villes, notamment des grandes villes, y met obstacle. Quand on voit qu’ici, à Londres seulement, on jette journellement à la mer, à énormes frais, une plus grande quantité d’engrais naturels que n’en peut produire tout le royaume de Saxe, et quelles formidables installations sont nécessaires pour empêcher que ces engrais n’empoisonnent tout Londres, alors l’utopie que serait la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne se trouve avoir une base merveilleusement pratique. Berlin lui-même, relativement peu important, étouffe dans ses propres ordures depuis au moins trente ans. D’autre part, c’est une pure utopie de vouloir, comme Proudhon, bouleverser l’actuelle société bourgeoise en conservant le paysan tel qu’il est. L’abolition du mode de production capitaliste étant supposée réalisée, seules une répartition aussi égale que possible de la population dans tout le pays et une étroite association des productions industrielle et agricole, avec l’extension des moyens de communication rendue alors nécessaire, sont en mesure de tirer la population rurale de l’isolement et de l’abrutissement dans lesquels elle végète, presque sans changement depuis des millénaires. L’utopie n’est pas d’affirmer que les hommes ne seront totalement libérés des chaînes forgées par leur passé historique que si l’opposition entre la ville et la campagne est supprimée; l’utopie commence au moment où l’on s’avise de prescrire, » en partant des conditions existantes » la forme sous laquelle doit être résolue telle ou telle opposition dans la société actuelle. Et c’est ce que fait Mülberger en adoptant la formule proudhonienne pour la solution de la question du logement.
Mülberger se plaint ensuite que je le rende en quelque sorte responsable » des monstrueuses conceptions de Proudhon en matière de capital et d’intérêt » et il dit :
« Je suppose acquis le changement des rapports de production; la loi de transition réglant le taux de l’intérêt n’a pas alors pour objet les rapports de production, mais les transformations sociales, les conditions de circulation… Le changement dans les rapports de production, ou comme dit, avec plus d’exactitude, l’école allemande, l’abolition du mode de production capitaliste, ne résulte pas, comme Engels me l’attribue à tort, d’une loi de transition supprimant l’intérêt, mais de la prise de possession effective de tous les instruments de travail, de toute l’industrie par la population laborieuse. Quant à savoir si elle donnera alors ses suffrages (!) au rachat ou à l’expropriation immédiate, ce n’est ni Engels, ni moi, qui pouvons en décider. »
Étonné, je me frotte les yeux. Je relis encore une fois attentivement d’un bout à l’autre l’exposé de Mülberger pour découvrir le passage où il déclare que son rachat des logements suppose achevée » la prise de possession effective de tous les instruments de travail, de toute l’industrie par la population laborieuse « . Je ne le trouve pas. Il n’existe pas. Il n’est nulle part question de » prise de possession effective « , etc. Par contre, il est dit, page 17 :
« Nous supposons donc qu’on prend le taureau par les cornes et qu’on s’attaque résolument, à la question de la productivité du capital, comme cela se produira inévitablement tôt ou tard, par exemple en promulguant une loi de transition qui fixera l’intérêt de tous les capitaux à 1% avec tendance, notons-le bien, à se rapprocher toujours plus de zéro… Comme tous les autres produits, la maison et le logement seront compris dans le cadre de cette loi… Envisagé sous cet angle, nous voyons donc que le rachat du logement suivra nécessairement, comme conséquence de l’abolition de la productivité du capital en général. »
Ici donc, et en complète contradiction avec sa dernière version, Mülberger nous dit en termes précis que la loi abolissant l’intérêt » s’attaquera résolument » en effet à la productivité du capital – terminologie confuse par laquelle, de son propre aveu, il entend le mode de production capitaliste – et que justement par suite de cette loi, » le rachat du logement suivra nécessairement, comme conséquence de l’abolition de la productivité du capital en général « . Pas du tout, affirme maintenant Mülberger. Cette loi de transition n’a » pas pour objet les rapports de production, mais les conditions de circulation « . Devant une si totale contradiction, qui, d’après Goethe, est » aussi mystérieuse pour les sages que pour les fous « , il ne me reste plus qu’à admettre que j’ai affaire à deux Mülberger tout à fait différents, dont l’un se plaint avec raison que je lui ai » attribué à tort » ce que l’autre a fait publier.
Que la population laborieuse, lors de la prise de possession effective, ne s’adressera ni à moi, ni à Mülberger pour savoir si elle » donnera ses suffrages au rachat ou à l’expropriation immédiate « , est sans aucun doute exact. Vraisemblablement, elle préférera même ne rien « donner » du tout. Seulement il n’était nullement question de la prise de possession effective de tous les instruments de travail par la classe laborieuse, mais uniquement de l’affirmation de Mülberger (p. 17) suivant laquelle » toute la solution de la question du logement tenait dans le seul mot de rachat « . S’il déclare maintenant que ce rachat est extrêmement problématique, alors à quoi bon cette peine inutile pour nous deux, comme pour nos lecteurs ?
D’ailleurs, il faut constater que la » prise de possession effective « , par la population laborieuse, de tous les instruments de travail, de toute l’industrie est exactement le contraire du » rachat » proudhonien. D’après cette dernière solution, chaque ouvrier devient propriétaire de son logis, de sa ferme, de ses instruments de travail. D’après la première, la » population laborieuse » reste le possesseur collectif des maisons, usines et instruments de travail et, du moins pendant une période de transition, elle en abandonnera difficilement la jouissance sans dédommagement de ses frais aux individus ou aux sociétés privées. Exactement comme la suppression de la propriété foncière n’est pas celle de la rente foncière, mais son transfert à la société, encore que sous une forme modifiée. L’appropriation effective de tous les instruments de travail par la population laborieuse n’exclut donc en aucune façon le maintien du louage et de la location.
D’une manière générale, il ne s’agit pas de savoir si le prolétariat, quand il arrivera au pouvoir, s’emparera simplement par la force des instruments de production, des matières premières et des moyens de subsistance, ou s’il paiera immédiatement en échange des redevances, ou s’il en rachètera la propriété par un lent remboursement par annuités. Vouloir répondre d’avance et pour tous les cas à une telle question, serait bâtir des utopies et je laisse ce soin à d’autres.
Tout ce flot d’encre a été nécessaire pour aboutir enfin, à travers les échappatoires et les détours de Mülberger, à la question même, que dans sa réponse il évite soigneusement d’aborder.
Qu’y avait-il de positif dans son exposé ?
Premièrement : » La différence entre le coût initial d’une maison, d’un emplacement de construction, etc, et sa valeur actuelle » revient de droit à la société. Cette différence s’appelle en langage économique, la rente foncière. Proudhon lui aussi veut l’attribuer à la société, comme on peut le lire dans Idée générale de la révolution (édit. de 1868, p. 219).
Deuxièmement : La solution de la question du logement consiste à rendre chaque locataire propriétaire de son logement.
Troisièmement : Cette solution entrera en application grâce à une loi qui transformera les versements à titre de loyers en acomptes sur le prix d’achat du logement. Les points 2 et 3 sont tous deux empruntés à Proudhon, comme chacun peut s’en convaincre dans Idée générale de la révolution (p. 199 et suivantes); on y trouve même (p. 203), la projet de loi en question entièrement rédigé.
Quatrièmement : On s’attaque résolument à la productivité du capital par une loi de transition qui abaisse le taux d’intérêt provisoirement à 1%, sous réserve d’une nouvelle réduction par la suite. Ceci également est emprunté à Proudhon et on peut le lire tout au long dans Idée générale, pages 182-186.
Pour chacun de ces points j’ai cité le passage de Proudhon où se trouve l’original de la copie de Mülberger, et je demande maintenant si j’avais ou non le droit d’appeler proudhonien l’auteur d’un article 100% proudhonien, ne renfermant que des opinions proudhoniennes. Et pourtant Mülberger ne se plaint de rien aussi amèrement que de cette appellation que je lui décernerais pour » être tombé sur quelques tournures de phrases particulières à Proudhon « . Or, c’est le contraire : les » tournures de phrases » sont toutes de Mülberger, tandis que le contenu est de Proudhon. Quand ensuite je complète à l’aide de Proudhon son exposé proudhonien, Mülberger m’accuse de lui attribuer faussement les » opinions monstrueuses » de Proudhon.
Et maintenant, qu’ai-je opposé à ce plan proudhonien ?
Premièrement : que le transfert de la rente foncière à l’État signifie l’abolition de la propriété foncière individuelle.
Deuxièmement: que le rachat du logement en location et le transfert de sa propriété au locataire qui l’occupait jusque-là, ne touche en rien le mode capitaliste de production.
Troisièmement : que ce projet dans le développement actuel de la grande industrie et des villes est aussi absurde que réactionnaire et la rétablissement généralisé de la propriété individuelle du logement serait une régression.
Quatrièmement : qu’abaisser par contrainte le taux d’intérêt ne porte nulle atteinte au mode capitaliste de production; les lois sur l’usure démontrent au contraire que ce projet est aussi ancien qu’impossible à appliquer.
Cinquièmement : que la suppression de l’intérêt du capital n’entraîne nullement celle du loyer pour les maisons.
Mülberger m’a concédé à présent les points 2 et 4. Il ne dit mot sur les autres. Et pourtant c’est justement sur eux que porte le débat. D’ailleurs, la réponse de Mülberger n’est pas une réfutation; elle évite soigneusement les points économiques, qui sont pourtant décisifs; c’est un exposé de ses plaintes, rien de plus. C’est ainsi qu’il me reproche d’anticiper sur la solution d’autres questions qu’il annonce vouloir traiter – telles que la dette publique, les dettes privées, le crédit -, et de dire que ces solutions seront partout les mêmes que pour la question du logement, qu’elles consisteront à supprimer l’intérêt, à transformer le paiement des intérêts en versements sur le montant du capital et à décider la gratuité du crédit. Pourtant je parierais aujourd’hui encore que, si jamais les articles de Mülberger voyaient la lumière du jour, leur contenu essentiel coïnciderait avec l’Idée générale de Proudhon (voir p. 182 pour le crédit; p. 186 pour la dette publique; p. 196 pour les dettes privées), tout comme ceux sur la question du logement correspondaient aux passages cités du même ouvrage.
A cette occasion, Mülberger m’informe que les questions comme celles des impôts, de la dette publique, des dettes privées, du crédit, auxquelles s’ajoute maintenant celle de l’autonomie des communes, sont de la plus haute importance pour le paysan et pour la propagande à la campagne. D’accord en grande partie; mais, primo, il n’avait pas été du tout question des paysans jusqu’alors et, secundo, les » solutions » proudhoniennes à toutes ces questions sont tout aussi absurdes économiquement et bourgeoises essentiellement que celle qu’il apporte à la question du logement. Contre l’allusion de Mülberger, insinuant que je méconnaîtrais la nécessité d’entraîner les paysans dans le mouvement révolutionnaire, je n’ai, quant à moi, nul besoin de me défendre. Mais je tiens, il est vrai, pour folie de recommander aux paysans dans ce dessein les panacées du thaumaturge Proudhon. En Allemagne subsistent encore beaucoup de grandes propriétés terriennes. D’après la théorie de Proudhon, elles devraient toutes être morcelées en petites fermes, ce qui, dans l’état actuel des sciences agricoles, et après les expériences faites en France et en Allemagne occidentale avec les propriétés parcellaires, serait tout simplement réactionnaire. La grande propriété foncière qui subsiste encore nous offrira au contraire une possibilité fort opportune de faire pratiquer la grande culture par des travailleurs associés; elle seule est en mesure d’employer tous les moyens modernes, machines, etc, et de montrer ainsi aux petits paysans les avantages de la grande entreprise grâce à l’association. Les socialistes danois, très en avance sur les autres sous ce rapport, l’ont compris depuis longtemps.
Je n’ai pas non plus à me défendre contre le reproche de considérer l’état déshonorant des habitations ouvrières actuelles » comme un détail sans importance « . J’ai été, autant que je sache, le premier écrivain de langue allemande à décrire cette situation dans son développement typique, tel qu’on le rencontre en Angleterre; non pas, comme le pense Mülberger, parce qu’elle » heurte de front mon sentiment de la justice » – celui qui voudrait écrire des livres sur tout ce qui heurte son sentiment de la justice aurait fort à faire -, mais bien, comme on peut le lire dans la préface de mon livre, pour donner au socialisme allemand alors à ses débuts et qui s’égarait dans une vaine phraséologie, une base concrète, en lui dépeignant la situation sociale créée par la grande industrie moderne. Quant à vouloir résoudre ce qu’on appelle la question du logement, cela me vient aussi peu à l’esprit que de m’occuper en détail de la question encore plus importante de la nourriture. Je m’estimerai satisfait si j’ai pu démontrer que la production dans notre société moderne est suffisante pour que tous ses membres aient assez à manger et qu’il existe assez d’habitations pour offrir provisoirement aux masses travailleuses un abri spacieux et sain. Mais spéculer sur la manière dont la société future réglera la répartition de la nourriture et des logements aboutit directement à l’utopie. Tout au plus pouvons-nous, d’après la connaissance que nous avons des conditions fondamentales de tous les modes de production ayant existé jusqu’ici établir qu’avec la chute de la production capitaliste certaines formes d’appropriation dans la société actuelle deviendront impossibles, Les mesures de transition elles-mêmes devront partout s’adapter aux conditions qui existeront à ce moment-là; elles seront fondamentalement différentes dans les pays de petite propriété et dans ceux de grande propriété foncière, etc. Nul mieux que Mülberger lui-même ne nous montre à quoi l’on aboutit quand on cherche des solutions isolées pour les questions dites pratiques, comme celle du logement; il commence par nous exposer sur 28 pages comment » toute la solution de la question du logement tient dans le seul mot de rachat « ; puis, si on le serre de près, il bredouille, gêné, qu’en fait on ne peut pas du tout savoir si, lors de la prise de possession effective des habitations, » la population laborieuse donnera ses suffrages au rachat « , plutôt qu’à toute autre forme d’expropriation.
Mülberger nous demande de devenir pratiques, de ne pas nous contenter, » face aux situations réelles et pratiques « , d’aligner des formules mortes et abstraites, de » nous dégager du socialisme abstrait pour aborder les rapports concrets et déterminés de la société « . Si Mülberger avait fait ce qu’il réclame, sans doute eût-il bien mérité du mouvement ouvrier. Mais le premier pas pour aborder les rapports concrets et déterminés de la société, n’est-il pas d’apprendre à les connaître et de les analyser dans le contexte économique qui est le leur ? Or, que trouvons-nous à ce sujet chez Mülberger ? Deux phrases en tout :
- » Le salarié est au capitaliste ce que le locataire est au propriétaire. » A la page 6 de l’édition en brochure, j’ai démontré la totale fausseté de cette affirmation et Mülberger n’a rien trouvé à répondre.
- » Mais le taureau qu’il faut saisir par les cornes (dans la réforme sociale), c’est la productivité du capital, suivant le nom donné par l’école libérale de l’économie politique; or, elle n’existe pas en réalité, mais son existence fictive sert à camoufler toutes les inégalités qui pèsent sur la société actuelle. «
Ainsi, le taureau qui doit être saisi par les cornes » en réalité n’existe pas » et, par suite, n’a pas de cornes. Ce n’est pas de lui, mais de son existence fictive que vient le mal. Cependant, la » dite productivité (du capital) est capable de faire surgir du sol, comme par une baguette magique, des maisons et des villes « , dont l’existence est tout ce qu’on veut, sauf » fictive » (p. 12). Et cet homme-là, à qui Le Capital de Marx est » à lui aussi bien connu « , qui bafouille ainsi dans une confusion désespérante sur les rapports entre le capital et le travail, entreprendrait de montrer aux ouvriers allemands une voie nouvelle et meilleure et se donnerait pour » l’architecte » qui » voit clairement l’ensemble et les grandes lignes de la structure architectonique de la société future » ?
Personne n’a » abordé de plus près les rapports concrets et déterminés de la société » que Marx dans Le Capital. Pendant vingt-cinq ans, il les a examinés sous tous les angles et les résultats de son analyse renferment pour tous les cas également les germes de ce qu’on appelle les solutions, dans la mesure d’ailleurs où elles sont possibles aujourd’hui. Mais cela ne suffit pas à l’ami Mülberger; tout cela, c’est du socialisme abstrait, des formules mortes et abstraites. Au lieu d’étudier les » rapports concrets et déterminés de la société « , il se contente de lire quelques tomes de Proudhon; ils ne lui offrent pour ainsi dire rien sur ces rapports, mais ils lui enseignent en revanche des panacées concrètes et déterminées pour tous les maux sociaux; il présente alors ce plan de sauvetage social, ce système proudhonien, tout prêt, aux ouvriers allemands, sous prétexte de » vouloir dire adieu aux systèmes « , tandis que moi, « je choisis la voie opposée » ! Pour comprendre cela, il faut admettre que je suis atteint de cécité et Mülberger de surdité, si bien qu’il nous est radicalement impossible de nous entendre.
Mais en voilà assez sur ce sujet. Si cette polémique n’a pas d’autre utilité, elle aura du moins celle de fournir la preuve de ce que vaut la pratique de ces socialistes qui se veulent » pratiques « . Ces propositions pratiques pour éliminer tous les maux sociaux, ces panacées sociales ont été toujours et partout imaginées de toutes pièces par les fondateurs de sectes qui surgirent à l’époque où le mouvement prolétarien était encore en enfance. Proudhon lui aussi est de ceux-là. Le prolétariat dans son développement a vite fait de se débarrasser de ses langes et il est amené à reconnaître qu’il n’y a rien de moins pratique que ces » solutions pratiques « , échafaudées à l’avance et applicables à tous les cas, et que le socialisme pratique consiste bien plutôt dans la connaissance exacte du mode de production capitaliste sous tous ses aspects. Un prolétariat averti dans ce domaine ne sera jamais embarrassé pour savoir, dans un cas donné, contre quelles institutions sociales et de quelle manière il devra diriger ses principales attaques.