A propos de la stratégie et de la tactique des communistes Russes
Staline
1. Notions préliminaires
1. Deux aspects du mouvement ouvrier
La stratégie politique s’occupe du mouvement ouvrier, de même que la tactique.
Mais le mouvement ouvrier se compose lui-même de deux éléments : l’élément objectif ou spontané, et l’élément subjectif ou conscient. L’élément objectif, spontané, c’est cette catégorie de processus qui a lieu indépendamment de la volonté consciente et régulatrice du prolétariat.
Le développement économique du pays, le développement du capitalisme, la désagrégation du pouvoir ancien, les mouvements spontanés du prolétariat et des classes qui l’entourent, les conflits entre classes, etc. : autant de faits dont l’évolution ne dépend pas de la volonté du prolétariat ; c’est le côté objectif du mouvement.
La stratégie n’a que faire de ces processus, puisqu’elle ne saurait ni les supprimer ni les modifier ; elle ne peut qu’en tenir compte et les prendre pour point de départ. C’est un domaine dont l’étude incombe à la théorie du marxisme et au programme du marxisme.
Mais le mouvement a en outre un côté subjectif, conscient. Ce côté subjectif est le reflet des processus spontanés dans le cerveau des ouvriers ; c’est le mouvement conscient et méthodique du prolétariat vers un but précis. L’intérêt que ce côté présente pour nous, c’est qu’à la différence du côté objectif, il se prête entièrement à l’action directrice de la stratégie et de la tactique.
Si la stratégie est impuissante à modifier quoi que ce soit dans les processus objectifs du mouvement, elle trouve ici, dans son côté subjectif, conscient, un champ d’application étendu et varié, puisqu’elle peut, selon ses qualités ou ses défauts, accélérer ou ralentir le mouvement, l’engager dans la voie la plus courte ou l’entraîner dans une voie plus pénible et plus douloureuse.
Accélérer ou ralentir le mouvement, le faciliter ou l’entraver : tels sont le domaine et les limites d’application de la stratégie et de la tactique politiques.
2. La théorie et le programme du marxisme.
La stratégie n’étudie pas les processus objectifs. Force lui est néanmoins de les connaître et d’en tenir compte à bon escient si elle ne veut pas commettre des erreurs grossières et funestes dans la direction du mouvement. Ce sont la théorie du marxisme d’abord, le programme du marxisme ensuite, qui étudient les processus objectifs.
Aussi la stratégie doit-elle s’appuyer entièrement sur les données de la théorie et du programme du marxisme.
En étudiant les processus objectifs du capitalisme dans leur développement et leur dépérissement, la théorie du marxisme aboutit à la conclusion que la chute de la bourgeoisie et la prise du pouvoir par le prolétariat sont inévitables, de même que le remplacement du capitalisme par le socialisme.
La stratégie du prolétariat ne peut être qualifiée de réellement marxiste que si elle a pris cette conclusion fondamentale de la théorie du marxisme pour base de son activité.
En partant des données de la théorie, le programme du marxisme définit scientifiquement, dans ses différents points, les buts du mouvement prolétarien.
Le programme peut embrasser tonte la période du développement du capitalisme, en y comprenant le renversement de ce régime et l’organisation de la production socialiste, ou bien envisager une phase déterminée du développement du capitalisme : par exemple, le renversement de ce qui reste du régime féodal et absolutiste et la création des conditions propres à assurer le libre développement du capitalisme.
Par suite, le programme peut se composer de deux parties : un programme maximum et un programme minimum.
Il va sans dire que la stratégie conçue en fonction du programme minimum différera nécessairement de celle qui est conçue en fonction du programme maximum, et qu’une stratégie ne peut être qualifiée de réellement marxiste que si elle s’inspire des objectifs du mouvement formulés dans le programme du marxisme.
3. La stratégie
La mission essentielle de la stratégie est de déterminer la direction principale que doit prendre le mouvement de la classe ouvrière et dans laquelle le prolétariat pourra porter à l’adversaire le coup principal avec le plus d’efficacité, afin d’atteindre les objectifs fixés par le programme. Le plan stratégique est un plan qui organise le coup décisif dans la direction où il est susceptible de donner, dans les moindres délais, le maximum de résultats.
On pourrait esquisser sans trop de peine les traits fondamentaux de la stratégie politique en se référant par analogie à la stratégie militaire, par exemple pendant la guerre civile, lors de la lutte contre Denikine.
Chacun se rappelle la fin de 1919, quand Denikine était devant Toula. Des discussions très intéressantes se sont déroulées à l’époque entre militaires : il s’agissait de déterminer d’où le coup décisif devait être porté aux armées de Denikine.
Certains militaires proposaient pour axe d’effort principal la direction de Tsaritsyne-Novorossiisk ; d’autres, au contraire, voulaient porter le coup décisif dans la direction de Voronèje-Rostov, pour couper en deux, cette étape une fois franchie, les armées de Denikine et les écraser ensuite séparément.
Certes, le plan n° 1 offrait des avantages, puisque la prise de Novorossiisk aurait coupé toute retraite aux armées de Denikine. Mais, d’une part, il avait cet inconvénient que notre avance se serait opérée à travers des régions (province du Don) hostiles au pouvoir des Soviets et aurait exigé par suite de gros sacrifices ; d’autre part, il était dangereux, puisqu’il laissait la route de Moscou, par Toula et Serpoukhov, ouverte aux armées de Denikine.
L’autre plan était le seul juste : d’une part, en effet, il envisageait l’avance du gros de nos forces à travers des régions (province de Voronèje, bassin du Donetz) qui sympathisaient avec le pouvoir des Soviets et, par suite, il n’exigeait pas de sacrifices importants ; d’autre part, il désorganisait les opérations des forces principales de Dénikine en direction de Moscou.
La majorité des militaires s’est ralliée au plan n° 2, ce qui a décidé de l’issue de la guerre contre Denikine.
Autrement dit, déterminer l’axe de l’effort principal, c’est décider d’avance du caractère des opérations pour toute la durée de la guerre, déterminer par conséquent pour les neuf-dixièmes l’issue de toute la guerre. Telle est la mission de la stratégie.
Il faut en dire autant de la stratégie politique.
Le premier conflit sérieux entre les dirigeants politiques du prolétariat russe au sujet de l’orientation générale du mouvement prolétarien a éclaté au début du XX° siècle, lors de la guerre russo-japonaise.
On sait qu’une fraction de notre Parti (les menchéviks) estimait alors que dans sa lutte contre le tsarisme, le mouvement prolétarien devait s’orienter essentiellement vers la constitution d’un bloc du prolétariat et de la bourgeoisie libérale, la paysannerie n’étant pas prise en considération dans ce plan, ou presque pas, comme facteur révolutionnaire important, et la direction de l’ensemble du mouvement révolutionnaire étant laissée à la bourgeoisie libérale.
L’autre fraction du Parti (les bolchéviks) affirmait au contraire que l’effort principal devait porter sur la formation d’un bloc du prolétariat et de la paysannerie, la direction de l’ensemble du mouvement révolutionnaire devant revenir au prolétariat et la bourgeoisie libérale devant être neutralisée.
Si, par analogie avec la guerre contre Dénikine, on se représente l’ensemble de notre mouvement révolutionnaire, du début du XX° siècle à la révolution de février 1917, comme une guerre des ouvriers et des paysans contre le tsarisme et les grands propriétaires fonciers, il est bien évident que le sort du tsarisme et des grands propriétaires dépendait pour beaucoup de l’adoption de l’un ou de l’autre de ces plans stratégiques (menchévik et bolchévik), de l’adoption de l’une ou de l’autre de ces orientations fondamentales par le mouvement révolutionnaire.
Si, lors de la guerre contre Denikine, la stratégie militaire, en déterminant l’axe d’effort principal, a décidé pour les neuf-dixièmes du caractère de toutes les opérations ultérieures jusque et y compris la liquidation de Denikine, dans la lutte révolutionnaire contre le tsarisme, notre stratégie politique, en assignant au mouvement révolutionnaire une orientation générale conforme au plan bolchévik, a déterminé le caractère de l’activité de notre Parti pour toute la période de la lutte ouverte contre le tsarisme, de l’époque de la guerre russo-japonaise à la révolution de février 1917.
La stratégie politique a pour mission, avant tout, de déterminer correctement, en s’inspirant de la théorie et du programme du marxisme, et compte tenu de l’expérience de la lutte révolutionnaire des ouvriers de tous les pays, l’orientation générale à donner au mouvement prolétarien de tel ou tel pays pour la période historique envisagée.
4. La tactique
La tactique, partie de la stratégie, lui est subordonnée et s’applique à la servir. La tactique s’occupe non de la guerre dans son ensemble, mais de ses différents épisodes, des combats, des batailles.
Si la stratégie s’attache à gagner la guerre, ou à mener à bonne fin, disons, la lutte contre le tsarisme, la tactique, elle, s’efforce de gagner telle ou telle bataille, tel ou tel combat, d’assurer le succès de telle ou telle campagne, de telle ou telle action plus ou moins conforme aux conditions concrètes de la lutte à un moment donné.
La tactique a essentiellement pour mission de déterminer les voies et moyens, les formes et méthodes de lutte qui répondent le mieux à la situation concrète du moment donné et préparent le mieux le succès stratégique. Aussi faut-il apprécier les actions tactiques et leurs résultats non en eux-mêmes, non au point de vue de leur effet immédiat, mais au point de vue des objectifs et des possibilités de la stratégie.
Il est des moments où le succès tactique facilite l’exécution des missions stratégiques.
Ce fut le cas, par exemple, sur le front Denikine à la fin de 1919, lors de la libération d’Orel et de Voronèje par nos troupes, quand les succès remportés par notre cavalerie devant Voronèje et par notre infanterie devant Orel assurèrent des conditions favorables à une offensive sur Rostov.
Ce fut le cas en août 1917 en Russie, quand le passage des Soviets de Pétrograd et de Moscou aux bolchéviks créa une situation politique nouvelle, qui plus tard facilita le grand coup frappé en octobre par notre Parti.
Il y a aussi des moments où des succès tactiques dont l’effet immédiat est brillant, mais qui ne sont pas proportionnés aux possibilités stratégiques, créent une situation « inopinée », funeste pour l’ensemble de la campagne.
Ce fut le cas pour Dénikine à la fin de 1919 quand, grisé par la réussite aisée de son avance rapide et spectaculaire sur Moscou, il étira son front de la Volga au Dniepr et prépara ainsi la perte de ses armées.
Ce fut le cas en 1920, lors de la guerre contre les Polonais, quand, sous-estimant l’importance du facteur national en Pologne et grisés par la réussite aisée d’une avance spectaculaire, nous entreprîmes, — objectif alors au-dessus de nos forces, — de percer vers l’Europe par Varsovie, dressâmes contre les troupes soviétiques l’immense majorité de la population polonaise et créâmes de la sorte une situation qui réduisit à néant les succès remportés par les armées soviétiques devant Minsk et Jitomir et compromit le prestige du pouvoir des Soviets en Occident.
Enfin, il est des moments où il faut négliger le succès tactique, se résigner à bon escient à des échecs et à des pertes d’ordre tactique pour s’assurer des avantages stratégiques dans l’avenir.
Cela arrive assez souvent à la guerre, quand l’une des parties, pour sauver les cadres de ses troupes et les soustraire aux coups d’un adversaire supérieur en forces, bat méthodiquement en retraite et abandonne sans coup férir des villes et des régions entières, afin de gagner du temps et de regrouper ses forces en vue des combats nouveaux, des combats décisifs de l’avenir.
Ce fut le cas en Russie en 1918, au moment de l’offensive allemande, quand notre Parti dut accepter la paix de Brest-Litovsk, qui présentait de très gros inconvénients quant à l’effet politique immédiat, afin de conserver l’alliance de la paysannerie assoiffée de paix, d’obtenir une trêve, de créer une armée nouvelle et de s’assurer ainsi des avantages stratégiques pour l’avenir.
Autrement dit, la tactique ne saurait être subordonnée à des préoccupations éphémères, elle ne doit pas se laisser guider par la considération de l’effet politique immédiat ; encore moins doit-elle perdre le contact des réalités et bâtir des châteaux en Espagne : il faut qu’elle soit fixée en fonction des objectifs et des possibilités de la stratégie.
La tactique a surtout pour mission de déterminer, en suivant les indications de la stratégie et en tenant compte de l’expérience de la lutte révolutionnaire des ouvriers de tous les pays, les formes et les méthodes les mieux appropriées aux conditions concrètes de la lutte à un moment donné.
5. Les formes de lutte
Les méthodes de conduite de la guerre, les formes de guerre ne sont pas toujours identiques. Elles changent avec les conditions du développement, surtout avec le développement de la production. Sous Gengis Khan, on faisait la guerre autrement que sous Napoléon III ; au XX° siècle, on la fait autrement qu’au XIX°.
L’art militaire, dans les conditions actuelles, consiste à bien connaître toutes les formes de la guerre et toutes les réalisations de la science dans ce domaine pour les utiliser rationnellement, les combiner à bon escient ou appliquer au moment voulu telle ou telle de ces formes, selon les circonstances.
Il faut en dire autant des formes de la lutte dans le domaine politique. Elles sont plus variées encore que les formes de la guerre.
Elles changent avec le développement de l’économie, de la vie sociale, de la culture, avec l’état des classes, le rapport des forces qui s’affrontent, le caractère du pouvoir, enfin avec les relations internationales, etc.
Lutte clandestine sous l’absolutisme, avec grèves partielles et manifestations ouvrières ; lutte ouverte lorsqu’il existe des « possibilités légales », et grèves politiques de masse des ouvriers ; lutte parlementaire, par exemple à la Douma, et action extraparlementaire des masses allant parfois jusqu’à l’insurrection armée ; enfin, formes étatiques de lutte après la prise du pouvoir par le prolétariat, quand celui-ci a la possibilité de s’assurer toutes les ressources et toutes les forces de l’Etat, y compris l’armée : telles sont, dans l’essentiel, les formes de combat que présente la pratique de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
Le Parti a pour devoir de connaître à fond toutes les formes de lutte, de les combiner rationnellement sur le champ de bataille et de concentrer de façon judicieuse son effort sur celles qui conviennent le mieux à la situation.
6. Les formes d’organisation
Les formes d’organisation des armées, les armes et catégories de troupes sont d’ordinaire adaptées aux formes et méthodes de conduite de la guerre.
Elles changent avec ces dernières. Dans une guerre de mouvement, c’est souvent la cavalerie, opérant par grandes unités, qui décide.
En revanche, dans une guerre de positions, la cavalerie ne joue aucun rôle, ou ne joue qu’un rôle secondaire : ce sont l’aviation et l’artillerie lourde, les gaz et les chars qui entraînent la décision.
L’art militaire a pour devoir de s’assurer le concours de toutes les armes, de les porter à leur perfection et d’en combiner judicieusement l’emploi.
On peut en dire autant des formes d’organisation en politique. Ici comme dans le domaine militaire, elles s’adaptent aux formes de la lutte.
Organisations clandestines de révolutionnaires professionnels à l’époque de l’absolutisme ; organisations éducatives, syndicales, coopératives et parlementaires (groupe à la Douma, etc.) à l’époque de la Douma ; comités d’usine, comités paysans, comités de grèves, Soviets des députés ouvriers et soldats, comités militaires révolutionnaires et large parti prolétarien reliant entre elles toutes ces formes d’organisation, dans la période des actions de masse et des insurrections ; enfin, forme étatique d’organisation du prolétariat, quand le pouvoir est concentré entre les mains de la classe ouvrière : telles sont, pour l’essentiel, les formes d’organisation sur lesquelles le prolétariat en lutte contre la bourgeoisie peut et doit s’appuyer dans des conditions données.
Le Parti a pour devoir de s’assimiler toutes ces formes d’organisation, de les porter à leur perfection et de combiner judicieusement leur activité à tout moment.
7. Le mot d’ordre. La directive
Des décisions bien formulées, qui traduisent les buts de la guerre ou de la bataille et sont populaires parmi les troupes, ont parfois au front une importance décisive pour galvaniser l’armée, maintenir le moral, etc.
S’ils sont bien adaptés, les ordres du jour, les mots d’ordre ou les proclamations à l’adresse des armées sont aussi importants pour toute la marche de la guerre qu’une excellente artillerie lourde ou d’excellents chars rapides.
Les mots d’ordre ont plus d’importance encore dans le domaine politique, où l’on a affaire à des dizaines, à des centaines de millions d’hommes, avec leurs revendications et leurs besoins différents.
Un mot d’ordre est l’énoncé clair et concis des buts de la lutte, immédiats ou lointains, donné par un groupement dirigeant, par exemple celui du prolétariat, c’est-à-dire son parti. Les mots d’ordre diffèrent selon que les objectifs de la lutte embrassent soit toute une période historique, soit certaines phases ou certains épisodes de cette période.
Le mot d’ordre « A bas l’autocratie ! », lancé pour la première fois par le groupe « Libération du Travail »((Le groupe « Libération du Travail », premier groupe marxiste russe, fut fondée à Genève en 1883 par G. Plékhanov. (Sur son activité et son rôle historique, voir l’Histoire du PC (b) de l’URSS, Moscou, 1953, pp. 13-23).)) dans les années 1880-1890, était un mot d’ordre de propagande, puisqu’il se proposait de gagner au Parti des adhésions individuelles ou celles de groupements composés des lutteurs les plus fermes et les plus conséquents.
A l’époque de la guerre russo-japonaise, quand l’instabilité de l’autocratie devint plus ou moins évidente pour les couches les plus larges de la classe ouvrière, il devint un mot d’ordre d’agitation, puisqu’il visait désormais à gagner des millions de travailleurs.
Dans la période qui précéda la révolution de février 1917, quand le tsarisme eut fait définitivement faillite aux yeux des masses, le mot d’ordre d’agitation « A bas l’autocratie ! » devint un mot d’ordre d’action, puisqu’il visait à entraîner des millions d’hommes à l’assaut du tsarisme.
Pendant la révolution de février, ce mot d’ordre devint une directive du Parti, c’est-à-dire un appel direct à s’emparer de telle et telle administration, de tel et tel point dans le système tsariste en un délai déterminé, puisqu’il s’agissait cette fois de renverser le tsarisme, de le détruire.
La directive est un appel direct du Parti à agir à un moment et sur un point déterminés, un appel qui a force de loi pour tous les membres du Parti et qui, d’ordinaire, est appuyé par les larges masses de travailleurs s’il formule leurs revendications d’une façon juste et précise, s’il vient réellement à son heure.
Il est aussi périlleux de confondre mot d’ordre et directive, ou mot d’ordre d’agitation et mot d’ordre d’action, qu’il peut être dangereux, sinon funeste, d’agir ou trop tôt ou trop tard.
En avril 1917, le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ! » était un mot d’ordre d’agitation. La manifestation qui entoura le Palais d’Hiver à Pétrograd, en avril 1917, en proclamant le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ! », était une tentative – et une tentative prématurée, donc néfaste, – de faire de ce mot d’ordre un mot d’ordre d’action ((Lors de la manifestation politique de masse qui se déroula à Pétrograd les 20 et 21 avril 1917, un groupe de membres du Comité de Pétrograd du Parti bolchevik (Bagdatiev et autres) lança le mot d’ordre de renversement immédiat du Gouvernement provisoire, malgré la directive du Comité central du Parti bolchévik qui recommandait de donner à cette manifestation un caractère pacifique. Le Comité central condamna le geste de ces aventuriers de « gauche » (voir V. Lénine : Œuvres, 4° édition, t. 24, pp. 208-210).)).
C’était l’exemple d’une confusion des plus dangereuses entre un mot d’ordre d’agitation et un mot d’ordre d’action. Le Parti eut raison de blâmer les promoteurs de cette manifestation, puisqu’il savait que les conditions faisaient encore défaut pour transformer un tel mot d’ordre en un mot d’ordre d’action et qu’une intervention prématurée du prolétariat pouvait entraîner l’écrasement de ses forces.
D’autre part, il est des cas où le Parti se trouve dans l’obligation d’annuler ou de modifier « dans les vingt-quatre heures » un mot d’ordre (ou une directive) opportun et déjà adopté, afin d’éviter le piège de l’adversaire, ou de remettre l’exécution d’une directive à un moment plus favorable.
Ce fut le cas à Pétrograd, en juin 1917, quand une manifestation d’ouvriers et de soldats préparée avec soin et fixée au 10 juin fut « inopinément » décommandée par le Comité central de notre Parti en raison des changements intervenus dans la situation.
Le Parti a pour devoir de transformer judicieusement et à point nommé les mots d’ordre d’agitation en mots d’ordre d’action, ou les mots d’ordre d’action en directives concrètes ; ou encore, si la situation l’exige, de faire preuve de la souplesse et de la fermeté requises pour retirer en temps utile tels ou tels mots d’ordre, fassent-ils populaires, fussent-ils pressants.