Projet de décret sur la dissolution de l’Assemblée constituante

Projet de décret sur la dissolution de l’Assemblée constituante

Lénine

   Ecrit le 6 (19) janvier 1918. Paru le 7 janvier 1918 dans les « Izvestia du Comité exécutif central » n°5((La question de la dissolution de l’Assemblée constituante fut discutée à la séance du Conseil des Commissaires du peuple du 6 (19) janvier 1918. Les grandes lignes du décret sur la dissolution de l’Assemblée constituante furent esquissées par Lénine dans le projet initial des thèses de ce décret.
Dans la nuit du 6 au 7 (19-20) janvier fut convoquée une séance du Conseil exécutif central de Russie qui approuva à la majorité des voix contre deux et cinq abstentions le décret sur la dissolution de l’Assemblée constituante. Lénine y fit un discours (voir Discours sur la dissolution de la Assemblée constituante prononcé à la séance du Comité exécutif central du 6 (19) janvier 1918). Le projet de Lénine fut mis à la base du décret voté par le Comité exécutif central de Russie.
Le décret sur la dissolution de l’Assemblée constituante fut publié dans la Pravda et les Izvestia du C.E.C. du 7 (20) janvier 1918.))

   La révolution russe a, dès son origine, placé au premier plan les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, en tant qu’organisation de masse de toutes les classes laborieuses et exploitées, seule capable de diriger la lutte de ces classes en vue de leur complet affranchissement politique et économique.

   Au cours de la première période de la révolution russe, les Soviets se sont multipliés, ont grandi et se sont renforcés ; leur propre expérience les a débarrassés des illusions de la politique d’entente avec la bourgeoisie et des formes mensongères du parlementarisme démocratique bourgeois ; ils sont arrivés dans la pratique à la conclusion que l’affranchissement des classes opprimées n’est pas possible sans avoir rompu avec ces formes et avec toute politique de conciliation. Cette rupture fut la Révolution d’Octobre, qui remit tout le pouvoir aux Soviets.

   L’Assemblée constituante, élue sur des listes dressées avant la Révolution d’Octobre, était l’expression de l’ancien rapport des forces politiques, datant de l’époque où les conciliateurs et les cadets étaient au pouvoir. En votant alors pour les candidats du parti socialiste-révolutionnaire, le peuple ne pouvait pas choisir entre les socialistes-révolutionnaires de droite, partisans de la bourgeoisie, et les socialistes-révolutionnaires de gauche, partisans du socialisme. Ainsi, cette Assemblée constituante qui devait être le couronnement de la république parlementaire bourgeoise, ne pouvait que se mettre en travers de la voie de la Révolution d’Octobre et du pouvoir des Soviets.

   En donnant le pouvoir aux Soviets et, par leur intermédiaire, aux classes laborieuses et exploitées, la Révolution d’Octobre a provoqué la résistance désespérée des exploiteurs ; et, dans l’écrasement de cette résistance, elle s’est pleinement affirmée comme le début de la révolution socialiste. Les classes laborieuses ont pu se convaincre par leur expérience que le vieux parlementarisme bourgeois avait fait son temps, qu’il était absolument incompatible avec les tâches posées par la réalisation du socialisme, que seules des institutions de classe (telles que les Soviets) et non des institutions nationales sont capables de vaincre la résistance des classes possédantes et de jeter les fondements de la société socialiste. Tout refus de reconnaître la plénitude du pouvoir des Soviets et la république des Soviets conquise par le peuple, toute attitude favorable au parlementarisme bourgeois et à l’Assemblée constituante, serait aujourd’hui un pas en arrière et signifierait la faillite de toute la Révolution ouvrière et paysanne d’Octobre.

   L’Assemblée constituante qui s’est réunie le 5 janvier a, grâce à ces circonstances, donné la majorité au parti socialiste-révolutionnaire de droite, au parti de Kérenski, d’Avksentiev et de Tchernov. Bien entendu, ce parti a refusé de mettre en discussion la proposition parfaitement précise, claire, qui n’admettait aucune équivoque, de l’organe suprême du pouvoir soviétique, le Comité exécutif central des Soviets : reconnaître le programme du pouvoir des Soviets, reconnaître la « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité », reconnaître la Révolution d’Octobre et le pouvoir des Soviets. Par là même, l’Assemblée constituante a rompu tout lien entre elle et la République des Soviets de Russie. Cette Assemblée constituante devait être inévitablement abandonnée par les groupes bolchévik et socialiste-révolutionnaire de gauche, qui constituent aujourd’hui, notoirement, l’immense majorité dans les Soviets et jouissent de la confiance des ouvriers et de la majorité des paysans.

   En réalité, les partis socialiste-révolutionnaire de droite et menchévik mènent, hors de l’enceinte de l’Assemblée constituante, une lutte des plus acharnées contre le pouvoir des Soviets ; ils appellent ouvertement dans leurs organes au renversement de ce pouvoir ; ils qualifient d’arbitraire et d’illégale la répression par la force des classes laborieuses, de la résistance des exploiteurs, répression nécessaire pour s’affranchir de l’exploitation ; ils défendent les saboteurs qui servent le capital ; ils vont jusqu’à lancer des appels non déguisés à la terreur que des « groupes inconnus » ont déjà commencé à pratiquer. Il est clair que le reste de l’Assemblée constituante ne pourrait, de ce fait, que jouer le rôle de paravent destiné à masquer la lutte des contre-révolutionnaires pour le renversement du pouvoir des Soviets.
C’est pourquoi le Comité exécutif central décrète : l’Assemblée constituante est dissoute.

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