L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat
Friedrich Engels
2.3. La famille appariée
Une certaine forme d’unions par couple, pour un temps plus ou moins prolongé, existait déjà sous le régime du mariage par groupe, ou plus anciennement encore; l’homme avait, parmi les nombreuses femmes, une femme principale (on ne peut guère parler encore d’une favorite), et il était pour elle le mari principal, parmi les autres. Cette circonstance a largement contribué aux erreurs des missionnaires qui voient dans le mariage par groupe, tantôt une communauté des femmes sans règle aucune, tantôt l’adultère à discrétion. Mais ces unions coutumières devaient s’affermir de plus en plus, au fur et à mesure que la gens se développait et que devenaient plus nombreuses les classes de « frères » et de « sœurs » entre lesquelles le mariage était désormais impossible. L’impulsion donnée par la gens à l’empêchement du mariage entre consanguins alla plus loin encore. Ainsi, nous trouvons que chez les Iroquois et chez la plupart des autres Indiens au stade inférieur de la barbarie, le mariage est interdit entre tous les parents que compte leur système, et il y en a plusieurs centaines de sortes différentes. Dans cette complication croissante des interdictions de mariage, les mariages par groupe devenaient de plus en plus irréalisables; ils furent supplantés par la famille appariée. A ce stade, un homme vit avec une femme, mais cependant la polygamie et l’infidélité occasionnelle restent le droit des hommes, bien que la première se présente rarement, pour des raisons d’ordre économique; cependant, la plupart du temps, la plus stricte fidélité est exigée des femmes pour la durée de la vie commune, et leur adultère est cruellement puni. Mais le lien conjugal peut être facilement dénoué de part et d’autre et, comme par le passé, les enfants appartiennent à la mère seule.
Dans cette exclusion toujours plus poussée, qui écarte du lien conjugal les consanguins, la sélection naturelle continue d’agir. Pour citer Morgan:
« Les mariages entre gentes non consanguines engendrèrent une race plus vigoureuse, tant au point de vue physique qu’au point de vue mental; deux tribus en voie de progrès s’unissaient, et les nouveaux crânes et les nouveaux cerveaux s’élargissaient naturellement, jusqu’à pouvoir contenir les facultés des deux tribus((MORGAN: Ancient Society, p. 459.)). »
Les tribus à organisation gentilice devaient ainsi prévaloir sur les tribus arriérées, ou les entraîner par leur exemple.
Le développement de la famille dans l’histoire primitive consiste donc dans le rétrécissement incessant du cercle qui, à l’origine, comprenait la tribu tout entière, et au sein duquel règne la communauté conjugale entre les deux sexes. Par l’exclusion progressive des parents, d’abord les plus proches, puis des parents de plus en plus éloignés, et finalement même des parents par alliance, toute espèce de mariage par groupe devient pratiquement impossible, et il ne reste enfin que le seul couple, uni provisoirement par des liens encore fort lâches; c’est la molécule dont la désagrégation met fin à tout mariage. Il ressort déjà de ce qui précède combien l’amour sexuel individuel, au sens actuel du terme, a peu de chose à voir avec l’établissement du mariage conjugal. Ceci est encore plus fortement prouvé par la pratique de tous les peuples qui se trouvent à ce stade. Tandis que, dans les formes antérieures de la famille, les hommes ne risquaient jamais de manquer de femmes et qu’au contraire ils en avaient plus que suffisamment, les femmes devinrent alors rares et recherchées. C’est pourquoi, à partir du mariage apparié, commencent le rapt et l’achat des femmes – symptômes largement répandus, mais rien de plus que les symptômes d’un changement survenu et beaucoup plus profond; de ces symptômes, simples méthodes pour se procurer des femmes, Mac Lennan, le pédant Écossais, créa la fiction de classes de famille particulières: le « mariage par rapt » et le «mariage par achat». D’autre part, chez les Indiens d’Amérique et autres tribus (au même degré de développement), la conclusion du mariage n’est pas l’affaire des intéressés, qui souvent ne sont pas consultés du tout, mais l’affaire de leurs mères. Souvent, deux êtres complètement inconnus l’un à l’autre sont ainsi fiancés et n’ont connaissance du marché conclu que lorsque le temps du mariage approche. Avant les noces, le fiancé fait aux parents gentilices de la fiancée (c’est-à-dire à ses parents du côté maternel, et non à son père ou aux parents de celui-ci) des cadeaux qui sont considérés comme le prix d’achat pour la jeune fille qu’on lui a cédée. Le mariage peut être dissous au gré de chacun des deux conjoints: mais peu à peu, dans de nombreuses tribus, par exemple chez les Iroquois, s’est formée une opinion publique hostile à ces séparations; en cas de désaccords, les parents gentilices des deux parties s’entremettent, et c’est seulement au cas où cette intervention échoue que s’effectue la séparation, dans laquelle les enfants restent à la femme et après laquelle chacun des conjoints est libre de se remarier.
La famille appariée, trop faible par elle-même et trop instable pour rendre nécessaire ou seulement désirable une économie domestique particulière, ne dissout nullement l’économie domestique communiste, héritée des temps antérieurs. Mais l’économie domestique communiste signifie la prédominance des femmes dans la maison, tout comme la reconnaissance exclusive de la mère en personne, étant donné qu’il est impossible de connaître avec certitude le véritable père, elle signifie une très haute estime des femmes, c’est-à-dire des mères. C’est une des idées les plus absurdes qui nous aient été transmises par le siècle des lumières que l’idée selon laquelle la femme, à l’origine de la société, a été l’esclave de l’homme. Chez tous les sauvages et tous les barbares du stade inférieur et du stade moyen, et même en partie chez ceux du stade supérieur, la femme a une situation non seulement libre, mais fort considérée. Ce qu’elle est encore au stade du mariage apparié, Arthur Wright peut nous l’apprendre, lui qui fut pendant de longues années missionnaire chez les Iroquois Senecas:
« En ce qui concerne leurs familles, à l’époque où elles habitaient encore les anciennes longues maisons (économies domestiques communistes de plusieurs familles), … il y régnait toujours un clan (une gens), si bien que les femmes prenaient leurs maris dans les autres clans (gentes) … Ordinairement, la partie féminine gouvernait la maison; les provisions étaient communes; mais malheur au pauvre mari ou au pauvre amant, trop paresseux ou trop maladroit pour apporter sa part à l’approvisionnement commun. Quel que fût le nombre de ses enfants ou quelle que fût sa propriété personnelle dans la maison, il pouvait à chaque instant s’attendre à recevoir l’ordre de faire son paquet et de décamper. Et il ne fallait pas qu’il tentât de résister à cet ordre; la maison lui était rendue intenable, il ne lui restait plus qu’à retourner dans son propre clan (gens), ou encore, ce qui arrivait le plus souvent, à rechercher un nouveau mariage dans un autre clan. Les femmes étaient la grande puissance dans les clans (gentes) aussi bien que partout ailleurs. A l’occasion, elles n’hésitaient pas à destituer un chef et à le dégrader au rang de simple guerrier((Cette citation est faite d’après MORGAN: Ancient Society, p. 455. La lettre complète d’Arthur Wright (datée du 19 mai 1874 – et non 1873 comme chez Morgan) a été publiée dans la revue American Anthropologist, New Series, Menasha, Wisconsin, 1933, no 1, pp. 138-140.)). »
L’économie domestique communiste, où les femmes appartiennent pour la plupart, sinon toutes, à une seule et même gens, tandis que les hommes se divisent en gentes différentes, est la base concrète de cette prédominance des femmes universellement répandue dans les temps primitifs, et dont c’est le troisième mérite de Bachofen que d’en avoir fait la découverte. J’ajoute encore que les récits des voyageurs et des missionnaires sur le travail excessif qui incombe aux femmes chez les sauvages et les barbares ne contredisent nullement ce qui précède. La division du travail entre les deux sexes est conditionnée par des raisons tout autres que la position de la femme dans la société. Des peuples chez lesquels les femmes doivent travailler beaucoup plus qu’il ne conviendrait selon nos idées ont souvent pour les femmes beaucoup plus de considération véritable que nos Européens. La « dame » de la civilisation, entourée d’hommages simulés et devenue étrangère à tout travail véritable, a une position sociale de beaucoup inférieure à celle de la femme barbare, qui travaillait dur, qui comptait dans son peuple pour une véritable dame (lady, frowa, Frau: domina), et qui d’ailleurs en était une, de par son caractère.
Quant à savoir si le mariage apparié a complètement supplanté de nos jours, en Amérique, le mariage par groupe, seules pourront en décider des recherches plus approfondies sur les peuples du nord-ouest et surtout sur les peuples du sud de l’Amérique qui se trouvent encore au stade supérieur de l’état sauvage. [On relate, sur les peuples du sud de l’Amérique, des exemples si variés de licence sexuelle, qu’une disparition complète de l’ancien mariage par groupe ne paraît guère vraisemblable.] En tout cas, toutes les traces n’en sont pas encore effacées. Au moins dans quarante tribus nord-américaines, l’homme qui épouse une sœur aînée a le droit de prendre également pour femmes toutes les sœurs de celle-ci, dès qu’elles atteignent l’âge voulu: vestige de la communauté des hommes pour toute la série des sœurs. Et Bancroft relate que, dans la presqu’île de Californie (stade supérieur de l’état sauvage), il y a certaines solennités où plusieurs « tribus » se réunissent pour pratiquer le commerce sexuel sans entraves((BANCROFT: The native Races of the Pacific States of North America. Vol. I, Leipzig, 1875, pp. 352-353.)). Ce sont de toute évidence, des gentes qui gardent dans ces fêtes l’obscur souvenir des temps où les femmes d’une gens avaient pour époux communs tous les hommes de l’autre gens. et réciproquement((Dans la première édition venait ensuite ce Passage: Des vestiges semblables dans le monde antique sont suffisamment connus, ainsi le fait que les jeunes filles phéniciennes s’abandonnaient dans le temple aux fêtes d’Astaroth; même le droit médiéval de la première nuit, qui, bien que des néo-romantiques allemands aient essayé de le blanchir, a eu une existence très tangible, est un élément de famille punaluenne transmis sans doute par la gens celtique (le clan).)). [Cette même coutume règne encore en Australie. Chez quelques peuples, il arrive que les anciens, les chefs et les prêtres sorciers profitent pour leur compte de la communauté des femmes et monopolisent la plupart de celles-ci; mais en échange ils doivent, lors de certaines fêtes et grandes assemblées populaires, rétablir véritablement l’ancienne communauté et laisser leurs femmes s’ébattre avec les jeunes hommes. Westermarck (p. 28 et 29) apporte toute une série d’exemples de ces saturnales périodiques, où l’antique liberté de commerce sexuel est remise en vigueur pour un bref laps de temps: chez les Hos, les Santals, les Pandjas et les Kotars de l’Inde, chez quelques peuples africains, etc. … Chose curieuse, Westermarck en conclut que ce seraient là des survivances non du mariage par groupe, qu’il nie, mais … de la période de rut, commune à l’homme primitif et aux autres animaux.
Nous abordons maintenant la quatrième grande découverte de Bachofen, la découverte d’une forme largement répandue qui marque la transition du mariage par groupe au mariage apparié. Ce que Bachofen présente comme une pénitence pour la violation des antiques commandements des dieux: la pénitence par laquelle la femme achète son droit à la chasteté n’est en fait que l’expression mystique de la pénitence par laquelle la femme se rachète de l’antique communauté des hommes et conquiert le droit de ne se donner qu’à un seul. Cette pénitence consiste en une prostitution limitée: les femmes babyloniennes devaient, une fois l’an, s’abandonner dans le temple de Mylitta; d’autres peuples d’Asie mineure envoyaient, pendant des années entières, leurs fines au temple d’Anaïtis, où elles devaient pratiquer l’amour libre avec des favoris de leur choix avant de pouvoir se marier; des coutumes analogues, parées de semblants religieux, sont communes à presque tous les peuples asiatiques entre la Méditerranée et le Gange. Le sacrifice expiatoire qui permet le rachat devient de plus en plus léger au cours des temps, comme le remarque déjà Bachofen:
« L’offrande renouvelée chaque année cède la place à l’offrande unique; à l’hétaïrisme des matrones succède celui des jeunes filles; à sa pratique durant le mariage succède sa pratique avant le mariage; au don fait indistinctement à tous succède le don à des personnes déterminées. » (Droit maternel, p. XIX.)
Chez d’autres peuples, point de camouflage religieux; chez quelques-uns – dans l’Antiquité, les Thraces, les Celtes, etc. …. et encore de nos jours, chez beaucoup d’aborigènes de l’Inde, chez des peuples malais, chez des insulaires de l’Océanie et chez beaucoup d’Indiens américains, – les filles jouissent jusqu’à leur mariage de la plus grande liberté sexuelle. En particulier, c’est le cas presque partout en Amérique du Sud, ce dont peut témoigner tout voyageur qui a pénétré quelque peu à l’intérieur des terres. C’est ainsi qu’Agassiz (A journey in Brazil, Boston and New York, 1868, p. 266) nous relate ce qui suit: ayant fait la connaissance de la fille de la maison, dans une riche famille d’origine indienne, il s’enquit du père, convaincu que ce devait être le mari de la mère, lequel, en sa qualité d’officier, prenait part à la guerre contre le Paraguay; mais la mère répondit en souriant: Nad tem pai, he filha da fortuna; elle n’a pas de père, c’est une enfant du hasard.
« Des femmes indiennes ou de sang mêlé parlent constamment de cette façon, sans honte ni reproche, de leurs enfants illégitimes; et ceci est fort loin d’être extraordinaire, c’est plutôt le contraire qui serait l’exception. Les enfants … ne connaissent souvent que leur mère, car c’est à elle qu’incombent tout le souci et toute là responsabilité; ils ne savent rien de leur père; il semble d’ailleurs que jamais la femme ne s’avise qu’elle ou ses enfants puissent avoir quelque droit sur lui. »
Ce qui paraît étrange, au civilisé, c’est ici, tout simplement, la règle selon le droit maternel et dans le mariage par groupe.
Chez d’autres peuples encore, les amis et les parents du fiancé, ou les convives de la noce, exercent pendant la noce même leur droit traditionnel sur la fiancée et le tour du fiancé ne vient qu’en dernier lieu; il en était ainsi aux Baléares et chez les Augiles africains dans l’antiquité, et c’est encore le cas, de nos jours, chez les Bareas d’Abyssinie. Ailleurs encore, un personnage officiel, chef de la tribu ou de la gens, cacique, chaman, prêtre, prince, ou quel que soit son titre, représente la collectivité et exerce sur la fiancée le droit de première nuit. Malgré toutes les tentatives des néo-romantiques pour le blanchir, ce jus primae noctis subsiste encore de nos jours, comme vestige du mariage par groupe, chez la plupart des habitants de l’Alaska (BANCROFT: Native Races, I, p. 81), chez les Tahus du nord du Mexique (ibid., p. 584) et chez d’autres peuples; il a existé durant tout le Moyen Age au moins dans les pays d’origine celtique, en Aragon par exemple, où il est directement sorti du mariage par groupe. Tandis qu’en Castille le paysan n’a jamais été serf, le plus honteux des servages régna en Aragon jusqu’à l’arbitrage, de Ferdinand le Catholique, en 1486. On lit dans ce document((Il s’agit de la sentence de Guadalupe, arbitrage rendu le 21 avril 1486 par Ferdinand le Catholique à la suite d’une révolte paysanne qui obligea le roi à des concessions.)) :
« Nous jugeons et déclarons que lesdits seigneurs (senyors, barons) … ne peuvent pas non plus passer la première nuit avec la femme qu’épouse un paysan, qu’ils ne peuvent, en signe de suzeraineté, enjamber pendant la nuit de noces la femme ou le lit, après que la femme se sera couchée; lesdits seigneurs ne peuvent pas davantage, avec ou sans paiement, se servir de la fille ou du fils du paysan contre le gré de ceux-ci. » (Cité dans le texte catalan original par SUGENHEIM, Le Servage, Pétersbourg, 1861, p. 35.)
Bachofen a incontestablement raison, une fois de plus, lorsqu’il affirme de façon péremptoire que le passage de ce qu’il appelle « hétaïrisme » ou « accouplement dévergondé » au mariage conjugal fut essentiellement l’œuvre des femmes. A mesure que les conditions de vie économiques se développaient, sapant du même coup l’antique communisme, et que la densité de la population allait croissant, les relations sexuelles traditionnelles perdaient leur naïveté primitive et devaient sembler de plus en plus humiliantes et oppressives aux femmes qui en venaient à souhaiter, toujours plus ardemment, comme une délivrance, le droit à la chasteté, le droit au mariage temporaire ou durable avec un seul homme. Ce progrès ne pouvait pas émaner des hommes, ne serait-ce que parce que jamais les hommes n’ont eu jusqu’à nos jours l’idée de renoncer aux agréments du mariage par groupe de fait. C’est seulement après que les femmes eurent provoqué le passage au mariage apparié que les hommes purent introduire la stricte monogamie – mais à la vérité … pour les femmes seulement.
La famille appariée se constitua aux limites de l’état sauvage et de la barbarie, le plus souvent au stade supérieur de l’état sauvage, ça et là seulement au stade inférieur de la barbarie. Elle est, pour la barbarie, la forme de famille caractéristique, comme le mariage par groupe pour l’état sauvage, et la monogamie pour la civilisation. Pour qu’elle continuât son développement jusqu’à la monogamie définitive, il fallut d’autres causes que celles que nous avons vu agir jusqu’ici. Dans la famille appariée, le groupe était déjà réduit à son unité dernière, sa molécule là deux atomes]: un homme et une femme. La sélection naturelle avait accompli son oeuvre dans l’exclusion toujours plus rigoureuse de la communauté des mariages; il ne lui restait plus rien à faire dans ce sens. Donc, si des forces motrices nouvelles, des forces sociales n’entraient point en jeu, il -n’y avait aucune raison pour qu’une nouvelle forme de famille sortît de la famille appariée. Mais ces forces motrices entrèrent en jeu.
Nous quittons maintenant l’Amérique, terre classique de la famille appariée. Aucun indice ne permet de conclure qu’une forme de famille plus élevée s’y soit développée; que jamais, avant la découverte et la conquête, la monogamie y ait existé nulle part solidement. Il en va tout autrement dans le Vieux Monde.
Ici, la domestication des animaux et l’élevage des troupeaux avaient développé une source de richesse insoupçonnée jusque-là et créé des rapports sociaux tout à fait nouveaux. jusqu’au stade inférieur de la barbarie, la richesse fixe avait consisté presque uniquement dans la maison, les vêtements, de grossiers bijoux et les instruments nécessaires à l’acquisition et à la préparation de la nourriture: barque, armes, ustensiles de ménage des plus rudimentaires. Quant à la nourriture, il fallait chaque jour la conquérir à nouveau. Désormais, les peuples pasteurs gagnaient du terrain: les Aryens, dans le Pendjab et la vallée du Gange aux Indes, aussi bien que dans les steppes encore plus abondamment arrosées de l’Oxus et de l’Iaxarte, les Sémites, sur les rives de l’Euphrate et du Tigre; avec leurs troupeaux de chevaux, de chameaux, d’ânes, de bœufs, de moutons, de chèvres et de porcs, ils avaient acquis une propriété qui ne demandait qu’une surveillance et les soins les plus élémentaires pour se reproduire en nombre toujours croissant et pour fournir la nourriture la plus abondante en lait et en viande. Tous les moyens antérieurs pour se procurer des aliments passèrent à l’arrière-plan; la chasse, cessant d’être une nécessité, devint alors un luxe.
A qui donc appartenait cette richesse nouvelle ? A l’origine, elle appartenait sans aucun doute à la gens. Mais de bonne heure déjà la propriété privée des troupeaux a dû se développer. Il est difficile de dire si l’auteur de ce qu’on appelle le premier Livre de Moïse considérait le patriarche Abraham comme propriétaire de ses troupeaux en vertu de son droit propre [comme chef d’une communauté familiale], ou en vertu de sa qualité de chef effectivement héréditaire d’une gens. Ce qui est bien certain, c’est que nous ne devons pas nous le représenter comme propriétaire au sens moderne. Et ce qui est aussi certain, c’est qu’au seuil de l’histoire pour laquelle nous possédons des documents, nous trouvons que les troupeaux étaient déjà partout propriété particulière des chefs de famille, au même titre que les produits de l’art barbare: ustensiles de métal, articles de luxe, au même titre enfin que le bétail humain: les esclaves.
Car l’esclavage aussi était inventé, dès ce moment-là. Pour le barbare du stade inférieur, l’esclave était sans valeur. Aussi les Indiens américains procédaient-ils avec leurs ennemis vaincus tout autrement qu’on ne fit à un stade supérieur. On tuait les hommes, ou bien on les adoptait comme frères dans la tribu des vainqueurs; on épousait les femmes, ou bien on les adoptait, elles aussi, avec leurs enfants survivants. A ce stade, la force de travail humaine ne fournit pas encore d’excédent appréciable sur ses frais d’entretien. Il en fut tout autrement avec l’introduction de l’élevage, du travail des métaux, du tissage et, enfin, de l’agriculture. Les femmes, qu’il était si facile autrefois de se procurer, avaient pris une valeur d’échange et étaient achetées; il en fut de même des forces de travail, surtout à partir du moment où les troupeaux devinrent définitivement propriété familiale. La famille ne se multipliait pas aussi vite que le bétail. On avait besoin d’un plus grand nombre de gens pour surveiller les troupeaux;- on pouvait utiliser à cette fin le prisonnier de guerre ennemi qui, de surcroît, pouvait faire souche tout comme le bétail lui-même.
Une fois qu’elles furent passées dans la propriété privée [des familles] et qu’elles s’y furent rapidement accrues, de pareilles richesses portèrent un coup très rude à la société basée sur le mariage apparié et sur la gens [à droit maternel]. Le mariage apparié avait introduit dans la famille un élément nouveau. A côté de la vraie mère, il avait placé le vrai père, le père attesté, et vraisemblablement beaucoup plus authentique que bien des « pères » de nos jours. D’après la division du travail en vigueur dans la famille à cette époque, il incombait à l’homme de procurer la nourriture et les instruments de travail nécessaires à cet effet; par suite, il était donc propriétaire de ces instruments de travail; il les emportait, en cas de séparation, tandis que la femme gardait les objets de ménage. Selon la coutume en vigueur dans cette société, l’homme était donc également propriétaire de la nouvelle source d’alimentation, le bétail, et plus tard du nouveau moyen de travail, les esclaves. Mais, selon la coutume de cette même société, ses enfants ne pouvaient pas hériter de lui. Voici ce qu’il en était:
Selon le droit maternel, c’est-à-dire tant que la filiation ne fut comptée qu’en ligne féminine, et selon la coutume héréditaire primitive de la gens, les parents gentilices héritaient au début de leurs proches gentilices décédés. La fortune devait rester dans la gens. Étant donné l’infime valeur des objets à léguer, il se peut que, dans la pratique, cet héritage soit passé depuis toujours aux plus proches parents gentilices, c’est-à-dire aux consanguins du côté maternel. Or les enfants du défunt n’appartenaient pas à sa gens, mais à celle de leur mère; ils héritaient de leur mère au début avec les autres [consanguins] (1) de celle-ci, et plus tard peut-être en première ligne; mais ils ne pouvaient pas hériter de leur père, parce qu’ils n’appartenaient pas à la gens de celui-ci, dans laquelle devait rester sa fortune. A la mort du propriétaire des troupeaux, ceux-ci seraient donc passés d’abord à ses frères et sœurs et aux enfants de ses sœurs, ou aux descendants des sœurs de sa mère. Mais ses propres enfants étaient déshérités.
Donc, au fur et à mesure que les richesses s’accroissaient, d’une part elles donnaient dans la famille une situation plus importante à l’homme qu’à la femme, et, d’autre part, elles engendraient la tendance à utiliser cette situation affermie pour renverser au profit des enfants l’ordre de succession traditionnel. Mais cela n’était pas possible, tant que restait en vigueur la filiation selon le droit maternel. C’est donc celle-ci qu’il fallait renverser tout d’abord, et elle fut renversée. Ce ne fut pas aussi difficile qu’il nous semblerait aujourd’hui. Car cette révolution – une des plus radicales qu’ait jamais connues l’humanité – n’eut pas besoin de toucher à un seul des membres vivants d’une gens. Tous les membres de la gens purent rester ce qu’ils étaient auparavant. Il suffisait de décider qu’à l’avenir les descendants des membres masculins resteraient dans la gens, et que les descendants des membres féminins en seraient exclus et passeraient dans la gens de leur père. Ainsi, la filiation en ligne féminine et le droit d’héritage maternel étaient abolis, la ligne de filiation masculine et le droit d’héritage paternel étaient instaurés. Nous ne savons ni à quelle époque, ni de quelle façon cette révolution s’est accomplie chez les peuples civilisés. Elle appartient entièrement à la période préhistorique. Quant au fait mime qu’elle a été réalisée, les nombreux vestiges de droit maternel recueillis notamment par Bachofen le prouvent surabondamment ; nous voyons avec quelle facilité elle s’effectue, en l’observant dans toute une série de tribus indiennes où elle ne s’est accomplie que récemment ou s’accomplit encore de nos jours, tant sous l’influence d’une richesse accrue et de changements dans le mode d’existence (migration de la forêt dans la prairie) que par l’action morale de la civilisation et des missionnaires. Six tribus du Missouri sur huit ont une filiation et un ordre de succession en ligne masculine, mais les deux autres ont encore une filiation et un ordre de succession en ligne féminine. Chez les Shawnes, les Miamies et les Delawares s’est implantée la coutume de faire passer les enfants dans la gens paternelle en leur donnant un nom gentilice qui appartient à celle-ci, afin qu’ils puissent hériter de leur père.
« Casuistique innée qui pousse l’homme à changer les choses en changeant leur nom 1 Et à trouver le biais qui permette, en restant dans la tradition, de rompre la tradition, quand un intérêt direct donnait l’impulsion suffisante! » (Marx)((Archiv, p. iii.)).
Il en résulta un brouillamini inextricable, auquel on ne put remédier, et auquel on ne remédia, en partie, que par le passage au droit paternel. « Ceci parait, somme toute, la transition la plus naturelle. » (Marx(( Archiv, p. 112.))) [Quant à ce que peuvent nous dire les spécialistes de droit, comparé sur la façon dont cette transition s’accomplit chez les peuples civilisés du vieux monde, – et à la vérité, cela se réduit à des hypothèses -, voir M. KOVALEVSKI: Tableau des origines et de l’évolution de la famille et de la Propriété, Stockholm, 1890.
Le renversement du droit maternel fut la grande défaite historique du sexe féminin. Même à la maison, ce fut l’homme qui prit en main le gouvernail; la femme fut dégradée, asservie, elle devint esclave du plaisir de l’homme et simple instrument de reproduction. Cette condition avilie de la femme, telle qu’elle apparaît notamment chez les Grecs de l’époque héroïque, et plus encore de l’époque classique, on la farde graduellement, on la pare de faux semblants, on la revêt parfois de formes adoucies; mais elle n’est point du tout supprimée.
Le pouvoir exclusif des hommes une fois établi, son premier effet se fait sentir dans la forme intermédiaire de la famille patriarcale qui apparaît alors. Ce qui la caractérise essentiellement, ce n’est pas la polygamie, sur laquelle nous reviendrons plus tard, mais
« l’organisation d’un certain nombre d’individus, libres ou non, qui constituent une famille sous l’autorité paternelle du chef de celle-ci. Dans la forme sémitique, ce chef de famille vit en polygamie, les esclaves ont une femme et des enfants, et le but de l’organisation tout entière est la garde des troupeaux sur un terrain délimité((MORGAN, Op. cit., pp. 465-466.)). »
L’essentiel, c’est l’incorporation des esclaves et l’autorité paternelle; c’est pourquoi le type accompli de cette forme de famille est la famille romaine. Le mot familia ne signifie pas, à l’origine, cet idéal du philistin contemporain, fait de sentimentalisme et de scènes de ménage; tout d’abord, il ne s’applique même pas, chez les Romains, au couple et aux enfants de celui-ci, mais aux seuls esclaves. Famulus veut dire « esclave domestique » et la familia, c’est l’ensemble des esclaves qui appartiennent à un même homme. Encore au temps de Gaïus la familia « id est patrimonium » (c’est-à-dire la part d’héritage) était léguée par testament. L’expression fut inventée par les Romains afin de désigner un nouvel organisme social dont le chef tenait sous l’autorité paternelle romaine la femme, les enfants et un certain nombre d’esclaves, et avait, sur eux tous, droit de vie et de mort.
« Le mot n’est donc pas plus ancien que le système familial cuirassé des tribus latines qui se constitua après l’introduction de l’agriculture et de l’esclavage légal, et après que se furent séparés les Italiotes aryens et les Grecs((MORGAN, Op. cit., p. 470.)). »
Marx ajoute:
« La famille moderne contient en germe non seulement l’esclavage (servitus), mais aussi le servage, puisqu’elle se rapporte, de prime abord, à des services d’agriculture. Elle contient en miniature tous les antagonismes qui, par la suite, se développeront largement, dans la société et dans Son État((Archiv, p. 31.)). »
Cette forme de famille marque le passage du mariage apparié à la monogamie. Pour assurer la fidélité de la femme, donc la paternité des enfants, la femme est livrée au pouvoir discrétionnaire de l’homme: s’il la tue, il ne fait qu’exercer son droit.
[Avec la famille patriarcale, nous entrons dans le domaine de l’histoire écrite; c’est alors que la science du droit comparé peut nous être d’un grand secours. Et en effet, cette science nous a apporté ici un progrès essentiel. Nous devons à Maxime Kovalevski (Tableau des origines et de l’évolution de la famille et de la Propriété, Stockhohn, 1890, pp. 60-100) la preuve que la communauté domestique patriarcale, telle que nous la trouvons encore de nos jours chez les Serbes et les Bulgares sous le nom de zádruga (qu’on pourrait traduire par « Amicale ») ou bratstvo (« Fraternité »), et sous une forme modifiée, chez des peuples orientaux, a formé le stade transitoire entre la famille de droit maternel, issue du mariage par groupe, et la famille conjugale du monde moderne. Ceci paraît prouvé, tout au moins pour les peuples civilisés du monde antique, pour les Aryens et les Sémites.
La zádruga des Slaves du Sud offre le meilleur exemple encore vivant d’une communauté familiale de ce genre. Elle englobe plusieurs générations des descendants d’un même père qui habitent tous, ainsi que leurs femmes, dans une seule ferme, cultivent ensemble leurs champs, se nourrissent et s’habillent grâce aux provisions communes et possèdent en commun l’excédent de leurs produits. La communauté est placée sous l’administration supérieure du maître de la maison (domacin) qui la représente à l’extérieur, a le droit d’aliéner les objets de peu de valeur, tient la caisse et porte la responsabilité de celle-ci et de la marche régulière des affaires. Il est élu et n’est pas nécessairement le doyen. Les femmes et leurs travaux sont placés sous la direction de la maîtresse de la maison (domacïca), qui est ordinairement la femme du domacin. Elle a aussi voix délibérative, et souvent même prépondérante, dans le choix d’un mari pour les jeunes filles. Mais le pouvoir suprême réside dans le conseil de famille, dans l’assemblée de tous les associés adultes, hommes et femmes. C’est à cette assemblée que le maître de la maison rend des comptes; c’est elle qui prend les résolutions décisives, elle encore qui exerce la juridiction sur tous les membres de la communauté, décide des achats et des ventes d’une certaine importance, notamment de la propriété foncière, etc.
Il n’y a guère plus d’une dizaine d’années que la persistance de ces grandes associations familiales a été prouvée également en Russie((KOVALEVSKI: Pervobytnoïe Pravo. Vipousk I. God, Moscou, 1886. Kovalevski s’appuyait sur les travaux d’Orchanski (1875) et Jefimenko (1876).)). On reconnaît généralement de nos jours qu’elles sont non moins enracinées dans les mœurs russes populaires que l’obscina, ou communauté villageoise. Elles figurent dans le plus ancien code russe, la Pravda de Iaroslav((Pravda de Iaroslav: première partie de la version la plus ancienne de la Rouskaia Pravda, code qui reprend le droit coutumier en vigueur aux XIe et XIIe siècles.)), sous le même nom (vervj) que dans les lois dalmates((Lois dalmates, recueil de lois qui resta en vigueur du XVe au XVIIe siècle sur le territoire de Poljica (Dalmatie).)) et se retrouvent également dans les sources historiques polonaises et tchèques.
Chez les Germains, d’après Heusler (Institutions de droit germanique((HEUSLER: Institutionen des Deutschen Privatrechts, tome 2, Leipzig, 1886, p. 271.))), l’unité économique n’est pas non plus, à l’origine, la famille conjugale au sens moderne, mais l’« association domestique », qui se compose de plusieurs générations, ou encore de plusieurs familles conjugales, et qui, par surcroît, englobe assez souvent des esclaves. La famille romaine, elle aussi, se ramène à ce type et c’est pourquoi le pouvoir absolu du père et l’absence de droits des autres membres de la famille vis-à-vis de lui sont fortement controversés depuis quelque temps. Des associations familiales du même genre auraient également existé chez les Celtes d’Irlande; en France, elles se maintinrent dans le Nivernais, sous le nom de parçonneries, jusqu’à la Révolution, et elles n’ont pas encore complètement disparu de nos jours en Franche-Comté. Dans la région de Louhans (Saône-et-Loire), on voit de grandes maisons paysannes qui ont une salle commune centrale, haute, montant jusqu’au toit; tout autour, il y a les chambres à coucher auxquelles on accède par des escaliers de six à huit marches. Plusieurs générations de la même famille y habitent.
Aux Indes, la communauté domestique avec culture en commun du sol est déjà mentionnée par Néarque, au temps d’Alexandre le Grand, et elle subsiste encore de nos jours dans la même région, au Pendjab et dans tout le nord-ouest du pays((La remarque de Néarque est citée dans la Géographie de Strabon au livre XV, chap. I.)). Kovalevski lui-même a pu en prouver l’existence au Caucase. En Algérie, elle subsiste chez les Kabyles. Elle aurait même existé en Amérique; on prétend la reconnaître dans les calpullis((Communauté domestique des Aztèques.)) de l’ancien Mexique, que décrit Zurita((Le rapport de Alonzo de Zurita sur les calpullis a été édité pour la première fois dans: Voyages, relations et mémoires originaux pour servir à l’histoire de la découverte de l’Amérique, publiés pour la première fois en français par H. Ternaux-Compans, Paris, 1840, tome II, pp. 50-64.)) par contre, Cunow (Ausland, 1890, no 42-44) a prouvé assez clairement qu’au Pérou, à l’époque de la conquête, existait une sorte de constitution de la marche (et la marche, fait étrange, s’y appelait marca), avec partage périodique des terres cultivées, donc culture individuelle((CUNOW: « Die altperuanischen Dorf- und Mark genossenschaftens dans la revue das Ausland de 20/X., 27/X. et 3/XL., 1890.)).
En tout cas, la communauté domestique patriarcale avec propriété et culture du sol en commun prend maintenant une tout autre importance que précédemment. Nous ne pouvons pas douter plus longtemps du puissant rôle de transition qu’elle a joué entre la famille de droit maternel et la famille conjugale, chez les peuples civilisés et chez maints autres peuples du monde antique. Nous reparlerons plus loin de l’autre déduction de Kovalevski, selon laquelle la communauté domestique patriarcale constituait également le stade transitoire d’où est issue la commune de village ou de marche, avec culture individuelle et partage d’abord périodique, puis définitif des champs et des pâturages.
En ce qui concerne la vie familiale au sein de ces communautés domestiques, il y a lieu de remarquer qu’à tout le moins en Russie le chef de la maison a la réputation d’abuser fortement de sa situation vis-à-vis des jeunes femmes de la communauté, et plus particulièrement de ses brus, et de s’en constituer bien souvent un harem; point sur lequel les chansons populaires russes sont assez éloquentes.
Avant de passer à la monogamie, qui se développa rapidement avec l’écroulement du droit maternel, quelques mots encore sur la polygamie et la polyandrie. Ces deux formes de mariage ne peuvent être que des exceptions et, pour ainsi dire, des produits de luxe de l’histoire, à moins qu’elles ne se présentent simultanément dans un même pays, ce qui n’est pas le cas, comme on sait. Donc, puisque les hommes exclus de la polygamie ne peuvent se consoler auprès des femmes laissées de côté par la polyandrie et que le nombre des hommes et des femmes, sans égard aux institutions sociales, est resté jusqu’ici sensiblement égal, il est donc impossible que l’une ou l’autre de ces formes de mariage se généralise. En fait, la polygamie d’un homme était de toute évidence le produit de l’esclavage et se limitait à quelques situations exceptionnelles. Dans la famille sémitique patriarcale, seul le patriarche lui-même, et tout au plus quelques-uns de ses fils, vivent en polygamie; les autres doivent se contenter d’une femme. Il en est ainsi de nos jours encore dans tout l’Orient; la polygamie est un privilège des riches et des grands, et s’entretient principalement par l’achat d’esclaves; la masse du peuple vit en monogamie. Non moins exceptionnelle est la polyandrie aux Indes et au Tibet; polyandrie dont on n’a pas encore approfondi l’origine, intéressante à coup sûr, et qui se rattache au mariage par groupe. Elle semble d’ailleurs beaucoup plus tolérante, en pratique, que la jalouse organisation du harem chez les mahométans. Chez les Naïrs des Indes, tout au moins, trois ou quatre hommes, ou plus, ont bien une femme commune; mais chacun d’eux peut, à part cela, avoir en commun avec trois autres hommes ou plus une deuxième femme, et de même une troisième, quatrième, etc. C’est miracle que Mac Lennan n’ait. pas découvert, dans ces clubs conjugaux, qui permettent à leurs membres d’appartenir à plusieurs clubs en même temps et que Mac Lennan décrit lui-même, la nouvelle classe du mariage Par club. [Cette pratique du club conjugal n’est d’ailleurs point du tout une polyandrie véritable; c’est au contraire, comme le remarquait déjà Giraud-Teulon, une forme spécialisée du mariage par groupe; les hommes vivent en polygamie, les femmes, en polyandrie.]