Critique du programme de Gotha
Karl Marx
Avant-propos, Friedrich Engels
Le manuscrit imprimé ici, – la lettre d’envoi à Bracke aussi bien que la critique du projet de programme, – fût adressé à Bracke en 1875, peu de temps avant le congrès d’unité de Gotha, pour être communiqué à Geib, Auer, Bebel, et Liebknecht et être retourné ensuite à Marx. Le congrès de Halle((Le congrès social-démocrate de Halle (1890), le premier qui suivit l’abrogation de la « loi contre les socialistes », avait décidé, après un rapport de Wilhelm Liebknecht, d’élaborer un nouveau programme du Parti. Au congrès suivant (Erfurt, 1891), l’ancien programme (de Gotha) fut remplacé par celui d’Erfurt.)) ayant mis à l’ordre du jour du Parti la discussion du programme de Gotha, je croirais commettre un détournement si je dérobais plus longtemps à la publicité ce document considérable, le plus considérable peut-être de ceux qui concernent cette discussion.
Mais le manuscrit a encore une autre portée, et de beaucoup plus grande. Pour la première fois, on trouve ici, clairement et solidement établie, la position prise par Marx en face des tendances inaugurées par Lassalle dès son entrée dans le mouvement, et cela en ce qui concerne à la fois les principes économiques et la tactique.
L’impitoyable sévérité avec laquelle le projet de programme est analysé, l’inflexibilité avec laquelle les résultats obtenus sont énoncés et les points faibles du projet mis à nu, tout cela ne peut plus blesser aujourd’hui, après plus de quinze ans. De lassalliens spécifiques, il n’en existe plus qu’à l’étranger, ruines solitaires, et à Halle le programme de Gotha a été abandonné même par ses auteurs, comme absolument insuffisant.
Malgré cela, j’ai retranché, là où la chose était indifférente, et remplacé par des points quelques expressions ou appréciations âprement personnelles. Marx le ferait lui-même, s’il publiait aujourd’hui son manuscrit. La vivacité de langage qu’on y rencontre parfois s’expliquait par deux circonstances. D’abord nous étions, Marx et moi, mêlés au mouvement allemand plus intimement qu’à tout autre; la régression manifeste dont témoignait le projet de programme devait nous émouvoir tout particulièrement. En second lieu, nous étions à ce moment, deux ans à peine après le congrès de La Haye de l’internationale((C’est lors de ce Congrès que seront exclus de l’Internationale Bakounine et ses partisans.)), en pleine bataille avec Bakounine et ses anarchistes qui nous rendaient responsables de tout ce qui se passait en Allemagne dans le mouvement ouvrier; nous devions donc nous attendre également à ce qu’on nous attribue la paternité inavouée du programme. Ces considérations sont aujourd’hui caduques, et, en même temps, la raison d’être des passages en question.
Il y a, en outre, quelques phrases qui, pour des raisons légitimées par la loi sur la presse, sont remplacées par des points. Là où je devais choisir une expression atténuée, je l’ai mise entre crochets. A cela près, la reproduction est textuelle.
Londres, 6 janvier 1891.