Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets
Lénine
VII. L’« organisation harmonieuse » et la dictature
La résolution du dernier congrès des Soviets (tenu à Moscou) indique comme toute première tâche du moment la création d’une « organisation harmonieuse » et le renforcement de la discipline.
Maintenant, tout le monde « vote » et « signe » volontiers des résolutions de ce genre ; mais habituellement on ne réfléchit pas assez au fait que leur application impose la contrainte, et plus précisément sous la forme de la dictature. Or, s’imaginer que la transition du capitalisme au socialisme puisse se faire sans contrainte et sans dictature, ce serait commettre la plus grande sottise et faire preuve du plus absurde utopisme. La théorie de Marx s’est élevée il y a très longtemps et avec la plus grande netteté contre ce fatras teinté de démocratisme petit-bourgeois et d’anarchisme. Et la Russie de 1917-1918 confirme à cet égard la théorie de Marx avec tant d’évidence, d’une façon si tangible et si saisissante, que seuls des gens absolument obtus ou obstinément résolus à tourner le dos à la vérité, peuvent encore se fourvoyer sur ce point. Ou bien la dictature de Kornilov (si on le considère comme le type russe d’un Cavaignac bourgeois), ou bien la dictature du prolétariat : pour un pays engagé dans une évolution extrêmement rapide aux tournants extrêmement brusques, dans les conditions d’une terrible ruine économique engendrée par la plus douloureuse des guerres, il ne saurait être question d’une autre issue. Toutes les solutions intermédiaires sont, soit une mystification du peuple par la bourgeoisie qui ne peut pas dire la vérité, qui ne peut pas dire qu’elle a besoin de Kornilov, soit un effet de la stupidité des démocrates petits-bourgeois, des Tchernov, des Tsérétéli et des Martov, avec leurs bavardages sur l’unité de la démocratie, de la dictature de la démocratie, le front commun de la démocratie et autres fadaises. Il n’y a rien à tirer d’un homme que même la marche de la révolution russe de 1917-1918 n’a pu éclairer sur l’impossibilité des solutions intermédiaires.
D’autre part, il n’est pas difficile de se convaincre que, lors de toute transition du capitalisme au socialisme, la dictature est nécessaire pour deux raisons essentielles ou dans deux directions principales. D’abord, on ne peut vaincre et extirper le capitalisme sans réprimer impitoyablement la résistance des exploiteurs, qui ne peuvent être dépouillés d’emblée de leurs richesses, des avantages de leur organisation et de leur savoir, et qui, en conséquence, ne manqueront pas de multiplier, pendant une période assez longue, les tentatives en vue de renverser le pouvoir exécré des pauvres. Ensuite, même s’il n’y avait pas de guerre extérieure, toute grande révolution en général, et toute révolution socialiste en particulier, est impensable sans une guerre intérieure, c’est-à-dire sans une guerre civile, qui entraîne une ruine économique encore plus grande que la guerre extérieure, qui implique des milliers et des millions d’exemples d’hésitation et de passage d’un camp à l’autre, un état extrême d’incertitude, de déséquilibre et de chaos. Et il est évident que tous les éléments de décomposition de la vieille société, fatalement très nombreux et liés pour la plupart à la petite bourgeoisie (car c’est elle que chaque guerre ou crise ruine et frappe avant tout), ne peuvent manquer de « se manifester » dans une révolution aussi profonde. Et ils ne peuvent « se manifester » autrement que multipliant les crimes, les actes de banditisme, de corruption et de spéculation, les infamies de toute sorte. Pour en venir à bout, il faut du temps et il faut une main de fer.
L’histoire ne connaît pas une seule grande révolution où le peuple n’ait senti cela d’instinct et n’ait fait preuve d’une fermeté salutaire en fusillant sur place les voleurs. Le malheur des révolutions du passé était que l’enthousiasme révolutionnaire des masses, qui entretenait leur état de tension et leur donnait la force de châtier impitoyablement les éléments de décomposition, ne durait pas longtemps. La cause sociale, c’est-à-dire la cause de classe de cette instabilité de l’enthousiasme révolutionnaire des masses, était la faiblesse du prolétariat, seul capable (s’il est suffisamment nombreux, conscient et discipliné) de se rallier la majorité des travailleurs et des exploités (la majorité des pauvres, pour employer un langage plus simple et plus populaire) et de garder le pouvoir assez longtemps pour écraser définitivement tous les exploiteurs et tous les éléments de décomposition.
C’est cette expérience historique de toutes les révolutions, c’est cette leçon économique et politique de l’histoire mondiale que Marx a résumée dans une formule brève, nette, précise et frappante : dictature du prolétariat. Et que la révolution russe ait abordé de la bonne manière l’accomplissement de cette tâche de portée universelle, c’est ce qu’a prouvé la marche triomphale de l’organisation soviétique chez tous les peuples et nationalités de la Russie. Car le pouvoir des Soviets n’est pas autre chose que la forme d’organisation de la dictature du prolétariat, de la dictature de la classe d’avant-garde qui élève à une démocratie nouvelle, à la participation autonome à la gestion de l’Etat des dizaines et des dizaines de millions de travailleurs et d’exploités qui apprennent par leur propre expérience à considérer l’avant-garde disciplinée et consciente du prolétariat comme leur guide le plus sûr.
Mais la dictature est un mot significatif. Et ces mots-là, on ne doit pas les jeter au vent. La dictature est un pouvoir d’airain, d’une hardiesse révolutionnaire et expéditif, impitoyable quand il s’agit de mater les exploiteurs, aussi bien que les fauteurs de désordres. Alors que notre pouvoir est beaucoup trop doux : bien souvent il rappelle de la mélasse plutôt que de l’airain. Pas un instant il ne faut oublier que l’élément bourgeois et petit-bourgeois lutte contre le pouvoir des Soviets de deux façons : d’une part, en agissant du dehors, par les méthodes des Savinkov, des Gotz, des Guéguetchkori, des Kornilov, par les complots et les soulèvements, par leur sordide reflet « idéologique » que sont les flots de mensonges et de calomnies déversés dans la presse des cadets, des socialistes-révolutionnaires de droite et des menchéviks ; d’autre part, cet élément agit du dedans, en tirant parti de chaque facteur de décomposition, de chaque faiblesse pour soudoyer, pour aggraver l’indiscipline, le laisser-aller, l’anarchie. Plus nous sommes près d’avoir achevé l’écrasement militaire de la bourgeoisie, et plus dangereux devient pour nous cet élément anarchique petit-bourgeois. La lutte contre cet élément ne peut être menée uniquement par la propagande et l’agitation, rien qu’en organisant l’émulation et en choisissant des organisateurs ; cette lutte doit être menée aussi par la contrainte.
A mesure que la tâche essentielle du pouvoir devient non plus la répression militaire mais l’administration, ce n’est plus l’exécution sur place, mais le tribunal qui doit devenir la manifestation typique de la répression et de la contrainte. Et, sous ce rapport, les masses révolutionnaires se sont engagées dans la bonne voie au lendemain du 25 octobre 1917 et ont prouvé la vitalité de la révolution en procédant à l’organisation de leurs propres tribunaux ouvriers et paysans avant même qu’aucun décret n’ait été promulgué sur la dissolution de l’appareil judiciaire bureaucratique bourgeois. Mais nos tribunaux révolutionnaires et populaires sont excessivement, incroyablement faibles. On sent qu’il n’est pas encore définitivement surmonté le point de vue légué au peuple par le joug des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie, et selon lequel le tribunal est une institution bureaucratique, étrangère aux masses populaires. On ne se rend pas suffisamment compte que le tribunal est un organe appelé justement à faire participer tous les pauvres sans exception à la gestion de l’Etat (car l’activité des tribunaux est un des aspects de la gestion de l’Etat), que le tribunal est un organisme du pouvoir du prolétariat et des paysans pauvres, que le tribunal est un instrument pour enseigner la discipline. On ne se rend pas suffisamment compte de ce fait simple et évident que si la famine et le chômage sont les pires fléaux de la Russie, aucun élan ne saurait en venir à bout, mais seulement une organisation et une discipline généralisées, très larges, englobant le peuple tout entier, en vue d’augmenter la production du pain pour les hommes et du pain pour l’industrie (combustible), d’en assurer en temps voulu l’acheminement et la bonne répartition. Par conséquent, quiconque enfreint la discipline du travail dans quelque entreprise, quelque domaine que soit, est responsable des souffrances causées par la famine et le chômage ; et il faut savoir dépister ces coupables, les déférer en justice et les châtier sans merci. L’esprit petit-bourgeois, contre lequel nous aurons maintenant à soutenir la lutte la plus opiniâtre, se manifeste justement dans la faible conscience que l’on a du lien économique et politique existant entre la famine et le chômage, d’une part, et le laisser-aller de tous et de chacun en matière d’organisation et de discipline, d’autre part, et dans le fait que reste encore profondément ancrée la mentalité du petit propriétaire : empoche le plus possible, et après toi le déluge.
Dans les chemins de fer, qui incarnent peut-être le mieux les liens économiques d’un organisme créé par le grand capitalisme, cette lutte entre le laisser-aller de l’élément petit-bourgeois et l’esprit d’organisation du prolétariat apparaît avec un relief saisissant. L’élément « administratif » fournit des saboteurs et des concussionnaires à profusion ; la meilleure partie de l’élément prolétarien lutte pour la discipline. Mais, de part et d’autre, il y a naturellement beaucoup d’hésitants, de « faibles » incapables de résister à la « tentation » de la spéculation, des pots-de-vin, des avantages personnels achetés au prix de la désagrégation de l’appareil tout entier, dont le bon fonctionnement conditionne la victoire sur la famine et le chômage.
Une lutte caractéristique s’est déroulée sur ce terrain autour du dernier décret sur la gestion des chemins de fer, conférant des pouvoirs dictatoriaux (ou pouvoirs « illimités ») à certains dirigeants. Les représentants conscients (ou, pour la plupart, sans doute inconscients) du laisser-aller petit-bourgeois ont voulu voir dans l’attribution de pouvoirs « illimités » (c’est-à-dire dictatoriaux) à des individus un abandon du principe de la collégialité, de la démocratie et des principes du pouvoir des Soviets. Çà et là, on a vu les socialistes-révolutionnaires de gauche développer contre le décret sur les pouvoirs dictatoriaux une propagande qui était tout bonnement infâme, car elle en appelait aux mauvais instincts et à l’esprit petit-propriétaire, qui porte toujours ses tenants à « empocher ».
La question a en effet une portée immense. D’abord, la question de principe : la nomination de telles ou telles personnes investies de pouvoirs dictatoriaux illimités est-elle compatible en général avec les principes fondamentaux du pouvoir des Soviets ?
Ensuite, quel est le rapport entre ce cas précis — ce précédent, si vous voulez, — et les tâches particulières du pouvoir à l’étape concrète donnée ? Ces deux problèmes, nous nous devons de les étudier avec la plus grande attention.
Que la dictature personnelle ait très souvent été, dans l’histoire des mouvements révolutionnaires, l’expression, le véhicule, l’agent de la dictature des classes révolutionnaires, c’est ce qu’atteste l’expérience irréfutable de l’histoire. Il est certain que la dictature personnelle a été compatible avec la démocratie bourgeoise. Mais, sur ce point, les contempteurs bourgeois du pouvoir des Soviets, de même que leurs sous-ordres petits-bourgeois, montrent toujours une grande dextérité : d’une part, ils déclarent que le pouvoir des Soviets est tout simplement une chose absurde, anarchique, saugrenue, en ayant bien soin de passer sous silence tous nos parallèles historiques et démonstrations théoriques à l’appui du fait que les Soviets sont la forme supérieure de la démocratie, et même plus : le principe de la forme socialiste de la démocratie ; mais d’autre part, ils exigent de nous une démocratie supérieure à la démocratie bourgeoise et nous disent : avec votre démocratie soviétique, bolchevique (c’est-à-dire non pas bourgeoise, mais socialiste), la dictature personnelle est absolument incompatible.
Ces raisonnements ne tiennent pas debout. Si nous ne sommes pas des anarchistes, nous devons accepter la nécessité de l’Etat, c’est-à-dire de la contrainte, pour passer du capitalisme au socialisme. La forme de cette contrainte est déterminée par le degré de développement de la classe révolutionnaire en question ; ensuite, par des circonstances particulières comme les séquelles d’une longue guerre réactionnaire ; enfin, par les formes que revêt la résistance de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. Aussi n’existe-t-il absolument aucune contradiction de principe entre la démocratie soviétique (c’est-à-dire socialiste) et le recours au pouvoir dictatorial personnel. La différence entre la dictature du prolétariat et celle de la bourgeoisie, c’est que la première dirige ses coups contre la minorité d’exploiteurs dans l’intérêt de la majorité d’exploités, et ensuite que la première est réalisée, et ce par le truchement d’individus, non seulement par les masses laborieuses et exploitées, mais encore par des organisations conçues justement de façon à stimuler ces masses, à les hausser jusqu’à une œuvre créatrice historique (les organisations soviétiques sont de ce nombre).
Quant à la seconde question, l’importance d’un pouvoir dictatorial personnel du point de vue des tâches spécifiques de l’heure, il faut dire que toute grande industrie mécanique, qui constitue justement la source et la base matérielle de production du socialisme, exige une unité de volonté rigoureuse, absolue, réglant le travail commun de centaines, de milliers et de dizaines de milliers d’hommes. Sur le plan technique, économique et historique, cette nécessité est évidente, et tous ceux qui ont médité sur le socialisme l’ont toujours reconnue comme une de ses conditions. Mais comment une rigoureuse unité de volonté peut-elle être assurée ? Par la soumission de la volonté de milliers de gens à celle d’une seule personne.
Cette soumission rappellera plutôt la direction délicate d’un chef d’orchestre, si ceux qui participent au travail commun sont parfaitement conscients et disciplinés. Elle peut revêtir des formes tranchées, dictatoriales, si la parfaite discipline et la conscience font défaut. Mais, de toute façon, la soumission sans réserve à une volonté unique est absolument indispensable pour le succès d’un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique. Elle est deux fois et même trois fois plus indispensable dans les chemins de fer. Et c’est ce passage d’une tâche politique à une autre, en apparence totalement différente de la première, qui constitue toute l’originalité du moment actuel. La révolution vient de briser les plus anciennes, les plus solides et les plus lourdes chaînes imposées aux masses par le régime de la trique. C’était hier. Mais aujourd’hui, la même révolution exige, justement pour assurer son développement et sa consolidation, justement dans l’intérêt du socialisme, que les masses obéissent sans réserve à la volonté unique des dirigeants du travail. Il est clair qu’une pareille transition ne se fait pas d’emblée. Elle ne peut s’accomplir qu’au prix de très violentes secousses, de perturbations, de retours au passé, d’une formidable tension d’énergie chez l’avant-garde prolétarienne qui conduit le peuple vers un nouvel ordre de choses. Ce à quoi ne réfléchissent guère ceux qui sont en proie à la crise d’hystérie philistine des Novala Jizn, Vpériod, Diélo Naroda et Nach Viek.
Prenez la mentalité d’un représentant moyen, sorti des rangs de la masse laborieuse et exploitée ; confrontez sa psychologie avec les conditions objectives, matérielles, de sa vie sociale. Avant la Révolution d’Octobre, il n’avait jamais eu l’occasion de constater pratiquement, que les classes possédantes, exploiteuses, lui aient vraiment sacrifié, cédé quelque chose de véritablement sérieux. Il n’avait jamais eu l’occasion de constater qu’elles lui aient donné la terre et la liberté tant de fois promises, ou la paix, qu’elles lui aient rien sacrifié de leurs intérêts « de grandes puissances » ou de leurs traités secrets impérialistes, de leur capital ou de leurs profits.
Il ne l’a vu qu’après le 25 octobre 1917, quand il a pris tout cela lui-même par la force, et qu’il a dû le défendre également par la force contre les Kérenski, les Gotz, les Guéguetchkori, les Doutov, les Kornilov. On conçoit que, pendant un temps, toute son attention, toutes ses pensées, toutes les forces de son âme, n’aient visé qu’à une chose : souffler, se redresser, prendre son élan, se saisir des biens les plus immédiats que la vie pouvait lui offrir et que lui refusaient les exploiteurs, aujourd’hui déchus. On conçoit qu’il faille un certain temps pour qu’un simple représentant de la masse puisse non seulement voir et se convaincre, mais encore sentir par lui-même qu’on ne saurait tout bonnement « saisir », rafler, faire main basse, que cela aggrave la ruine et mène le pays au désastre, à un retour des Kornilov. Ce revirement-là ne fait que commencer dans les conditions d’existence (et par conséquent aussi dans la mentalité) de la grande masse laborieuse. Et toute notre tâche, la tâche du Parti communiste (bolchevik), interprète conscient des aspirations des exploités à leur libération, est de nous rendre compte de ce revirement, d’en comprendre la nécessité, de nous mettre à la tête de la masse exténuée et qui s’épuise en efforts pour trouver une issue, de l’orienter dans la bonne voie, la voie de la discipline du travail, la voie propre à concilier les tâches des meetings sur les conditions de travail avec celles de la soumission sans réserve à la volonté du dirigeant soviétique, du dictateur, pendant le travail.
Les bourgeois, les menchéviks, les gens de la Novaïa Jizn, qui ne voient que l’anarchie, la confusion, les explosions d’égoïsme petit-propriétaire, ironisent et plus souvent encore ricanent haineusement, à propos de notre « manie des meetings ». Mais, sans ces meetings, les masses opprimées ne pourraient jamais passer de la discipline imposée par les exploiteurs à une discipline consciente et librement consentie. Les meetings sont la véritable démocratie des travailleurs, c’est là qu’ils se redressent, qu’ils s’éveillent à une existence nouvelle, qu’ils font leurs premiers pas dans le champ d’action qu’ils ont eux-mêmes nettoyé de la vermine (exploiteurs, impérialistes, grands propriétaires fonciers, capitalistes) et qu’ils veulent apprendre à organiser eux-mêmes à leur façon, pour leur propre compte, conformément aux principes de leur propre pouvoir soviétique, et non d’un pouvoir qui leur est étranger, celui des seigneurs et des bourgeois. Il a fallu justement que les travailleurs remportent la victoire d’Octobre sur les exploiteurs, il a fallu toute cette période historique où les travailleurs commencèrent a discuter eux-mêmes des nouvelles conditions de vie et des nouvelles tâches, pour qu’il fût possible de passer définitivement à des formes supérieures de discipline du travail, à une prise de conscience de la nécessité de la dictature du prolétariat, à une obéissance absolue aux ordres donnés pendant le travail par telle ou telle personne représentant le pouvoir des Soviets. Ce passage a maintenant commencé.
Nous nous sommes acquittés avec succès de la première tâche de la révolution, nous avons vu les masses travailleuses élaborer en elles-mêmes la principale condition de ce succès : l’union de tous les efforts en vue de renverser les exploiteurs. Des étapes, comme celles d’octobre 1905, de février et d’octobre 1917, ont une portée universelle.
Nous nous sommes acquittés avec succès de la deuxième tâche de la révolution : éveiller et appeler à l’action justement les couches sociales « inférieures » que les exploiteurs avaient rejetées au plus bas, et qui n’ont reçu qu’après le 25 octobre 1917 l’entière liberté de secouer le joug des exploiteurs, de s’orienter et de s’organiser pour la première fois comme elles l’entendent. La participation aux meetings des masses laborieuses les plus opprimées, les plus accablées et les moins averties, le passage de ces masses du côté de bolcheviks, la mise sur pied par ces dernières, à l’échelle de tout le pays, de leur propre organisation soviétique, telle est la deuxième grande étape de la révolution.
Et voici la troisième étape. Il nous faut consolider ce que nous-mêmes avons conquis, ce que nous avons nous-mêmes décrété, légalisé, arrêté, préconisé ; nous avons à consolider tout cela sous les formes durables d’une discipline de travail quotidienne. C’est la tâche la plus ardue, mais aussi la plus féconde car seul son accomplissement nous donnera le régime socialiste. Il nous faut apprendre à conjuguer l’esprit démocratique des masses laborieuses, tel qu’il se manifeste dans les meetings, impétueux, débordant, pareil à une crue printanière, avec une discipline de fer pendant le travail, avec la soumission absolue pendant le travail à la volonté d’un seul, du dirigeant soviétique.
Nous ne savons pas encore le faire.
Nous l’apprendrons.
La restauration de l’exploitation bourgeoise nous menaçait hier en la personne des Kornilov, des Gotz, des Doutov, des Guéguetchkori, des Bogaïevski. Nous les avons vaincus. Cette restauration, la même restauration, nous menace aujourd’hui sous une autre forme, sous l’aspect du laisser-aller petit-bourgeois et de l’anarchie, de la morale de petit propriétaire : « Moi d’abord, le reste ne me regarde pas », sous la forme d’attaques quotidiennes, infimes mais nombreuses, que cet élément entreprend contre l’esprit de discipline prolétarien. Nous devons vaincre cet élément anarchique petit-bourgeois, et nous le vaincrons.