Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets
Lénine
IX. Conclusion
Une situation extraordinairement pénible, difficile et périlleuse au point de vue international ; la nécessité de louvoyer et de reculer ; une période d’attente des nouvelles explosions de la révolution qui mûrit laborieusement en Occident ; à l’intérieur du pays, une période de lente édification et d’énergiques « stimulations » ; une longue lutte acharnée livrée par le rigoureux esprit de discipline prolétarien à l’élément menaçant de l’anarchie et du laisser-aller petit-bourgeois : tels sont, en bref, les traits distinctifs de l’étape particulière de la révolution socialiste que nous traversons. Tel est, dans la chaîne historique des événements, le maillon dont nous devons actuellement nous saisir de toutes nos forces pour être à la hauteur de notre tâche jusqu’au jour où nous pourrons passer au maillon suivant, qui nous attire par son éclat particulier, l’éclat des victoires de la révolution prolétarienne internationale.
Essayez de confronter avec l’idée habituelle, courante, qu’on se fait du « révolutionnaire », les mots d’ordre qui découlent des particularités de l’étape présente : louvoyer, reculer, attendre, édifier lentement, stimuler avec énergie, discipliner rigoureusement, foudroyer le laisser-aller… Quoi d’étonnant si, à entendre cela, certains « révolutionnaires », pris d’un noble courroux, se mettent à nous «foudroyer» en nous accusant d’oublier les traditions de la Révolution d’Octobre, de faire une politique d’entente avec les spécialistes bourgeois, de passer des compromis avec la bourgeoisie, d’avoir un esprit petit-bourgeois, de verser dans le réformisme, etc., etc. ?
Le malheur de ces tristes révolutionnaires, c’est que même ceux d’entre eux qui ont les meilleures intentions du monde et se signalent par leur dévouement absolu à la cause du socialisme, ne comprennent pas assez l’état particulier et particulièrement « désagréable» par lequel devait fatalement passer un pays arriéré, déchiré par une guerre réactionnaire et malheureuse, et qui a commencé la révolution socialiste longtemps avant les pays plus évolués ; ils manquent de fermeté dans les moments difficiles d’une difficile transition. Naturellement, c’est le parti des « socialistes-révolutionnaires de gauche » qui joue à l’égard de notre parti ce rôle d’opposition « officielle ». Certes, il y a et il y aura toujours des exceptions individuelles, s’écartant des types de groupe et de classe. Mais les types sociaux demeurent. Dans un pays où les petits propriétaires sont l’immense majorité par rapport à la population purement prolétarienne, la différence entre le révolutionnaire prolétarien et le révolutionnaire petit-bourgeois ne pourra manquer de se manifester, et par moments avec une violence extrême.
Le révolutionnaire petit-bourgeois hésite et chancelle à chaque tournant des événements ; il passe du fougueux élan révolutionnaire de mars 1917 à la glorification de la « coalition » en mai, à la haine à l’égard des bolcheviks (à moins qu’il ne déplore leur « esprit d’aventure ») en juillet, ces mêmes bolcheviks dont il s’écartera peureusement à la fin d’octobre, pour les soutenir en décembre ; enfin, en mars et en avril 1918, les hommes de ce type, le plus souvent, froncent le nez avec dédain en disant : « Je ne suis pas de ceux qui chantent des hymnes au travail « organique », au praticisme et à l’action faite par degrés. »
L’origine sociale de ce type d’hommes, c’est le petit patron exaspéré par les horreurs de la guerre, la ruine subite, les souffrances inouïes de la famine et de la désorganisation économique ; cherchant une issue, une voie de salut, il s’agite hystériquement, balançant entre la confiance envers le prolétariat et le soutien de ce dernier et, d’autre part, les accès de désespoir. Il faut bien comprendre que, sur cette base sociale, il est impossible de construire le socialisme. Seule peut diriger les masses laborieuses et exploitées une classe qui suit son chemin sans hésiter, sans se décourager, sans tomber dans le désespoir aux tournants les plus difficiles, les plus durs et les plus dangereux. Nous n’avons pas besoin des élans hystériques. Ce qu’il nous faut, c’est la marche cadencée des bataillons de fer du prolétariat.