Conférences à l’université Sverdlov sur la libération des femmes
Alexandra Kollontaï
VI° conférence
Le travail féminin dans la période d’expansion de la grande industrie capitaliste
Dans la dernière conférence, nous décrivions la première période de l’accumulation du capital. Ce fut une époque de luttes interminables et sanglantes entre la bourgeoisie montante et le monde féodal déclinant.
Nous analysions la situation de la femme dans cette période de transition de l’économie naturelle fermée à l’économie monétaire, l’industrie à domicile et la manufacture. Et nous constations alors, comme vous vous en souvenez certainement, que la plupart des femmes, pauvres et travailleuses, après l’introduction du travail non qualifié, émigrèrent vers l’industrie. Néanmoins, nous ne devons pas perdre de vue que, pendant la période de la manufacture et de l’industrie à domicile, la grande majorité des femmes ne cherchaient pas particulièrement à s’assurer un revenu propre par le travail. Ces femmes n’exerçaient pas un métier socialement productif. Naturellement, le travail domestique conservait à l’époque une valeur importante et complétait l’économie nationale, dans la mesure où l’industrie n’était encore que faiblement développée. Mais, en fait, le travail ménager ne comptait pas pour l’économie nationale. Malgré cette tâche relativement lourde, la femme n’était utile ni à la société ni à l’État. Son travail ne servait que sa propre famille. Et le revenu national ne se calculait pas en fonction du travail de chaque membre de la famille, mais seulement en fonction du résultat de ce travail, c’est-à-dire en fonction du revenu global de la famille, ce qui faisait de cette dernière l’unité de base de l’économie.
A la campagne, il en va toujours ainsi ; on évalue le travail du « maître de maison », tandis qu’on omet totalement de mentionner celui des autres membres de la famille. Ce qui signifie en clair que l’on considère celle-ci comme une unité économique indivisible. Et comme le travail féminin n’était absolument d’aucune signification pour l’ensemble de la richesse nationale, la femme demeura, comme par le passé, une servante soumise et sans droits.
L’avènement de la manufacture et du grand capital ne conduisit pas à la libération de la femme, mais, bien au contraire, à de nouvelles formes d’oppression sous l’apparence du travail salarié au service du capital. Rappelons que la manufacture fut issue du travail artisanal à domicile. Pourquoi le développement des forces productives connut-il, grâce à l’exploitation sous la forme du travail à domicile, une nette accélération, comparé au rythme de développement lent de la période de production artisanale ? L’explication en est relativement simple : les ouvriers à domicile furent davantage obligés d’augmenter leur productivité que les artisans, ne serait-ce que pour s’assurer le minimum vital, et cela parce qu’ils devaient céder une partie du revenu de leur travail à leur entrepreneur. Les artisans livraient directement leurs produits à leurs clients et touchaient de ce fait la totalité de la plus-value. Un intermédiaire, l’entrepreneur-acheteur, assurait la liaison entre l’ouvrier à domicile et la clientèle. Avec l’épanouissement du commerce, l’écart entre le producteur et le débouché se creusa de plus en plus, ne serait-ce que pour des raisons géographiques, et l’importance de l’intermédiaire, du négociant ou du marchand s’accrut en conséquence. La plus-value se partagea donc entre le producteur et le marchand, mais toujours à l’avantage de ce dernier, puisque celui-ci était en mesure d’exploiter la pauvreté et la mauvaise position de l’ouvrier à domicile. Le marchand ramassait de cette manière une belle somme d’argent et s’enrichissait à vue d’œil, tandis que le peuple travaillait de plus en plus et s’appauvrissait de même. Or, l’aggravation de l’exploitation alla de pair avec l’accélération de ce processus de paupérisation. A la fin, la totalité des membres des familles de paysans ou d’artisans ruinés – homme, femme et enfants – furent obligés de vendre leurs forces de travail sur le marché.
Ce fut une époque en or pour les profiteurs, c’est-à-dire les premiers fabricants et entrepreneurs des manufactures.
Grâce à la division du travail, la manufacture ouvrit ses portes à des travailleurs non qualifiés, et, lorsque l’entrepreneur engageait des producteurs inexpérimentés, il choisissait bien évidemment la « force de travail » qui lui revenait le moins cher et qui lui convenait le mieux. Et cette force de travail, ce furent les femmes et les enfants. Entre le XVI° et le XVIII° siècle, nous pouvons de ce fait enregistrer, parallèlement au développement des entreprises de manufacture, une croissance rapide du travail féminin. Pour l’entrepreneur, ce n’était pas tant la qualité du travailleur individuel qui était rentable (ce qui fut le cas dans la forme de production artisanale) que le nombre des travailleurs qu’il employait, c’est-à-dire la quantité. Il tirait son profit de la somme globale des heures de travail non payées fournies par ses ouvriers et ses ouvrières. Or, la quantité des heures de travail non payées augmentait en fonction du nombre des ouvriers et de la longueur des journées de travail, ce qui était tout bénéfice pour l’entrepreneur, qui s’enrichissait sans vergogne.
L’époque de la première accumulation du capital était définitivement révolue, et l’humanité entrait à une allure folle dans le système de production du grand capital. Le monde changea d’aspect. Depuis fort longtemps déjà, les villes avaient pris la place des châteaux féodaux et étaient devenues les nouveaux centres d’artisanat et de production. Les princes et les comtes cessèrent de guerroyer entre eux pour se soumettre au pouvoir absolu d’un roi, tandis que les tribus isolées se regroupèrent pour former des nations. Comme par le passé, l’agriculture demeurait essentielle pour l’économie, mais avec le temps le centre de gravité se déplaça en faveur de l’entreprise industrielle, devenue la source la plus importante de toute richesse. A la fin du XIX° siècle, des pays comme la Hollande, l’Angleterre et la France – plus tard l’Allemagne, l’Autriche et enfin la Russie – accédèrent, l’un après l’autre, à la grande production capitaliste.
Nous, les enfants de ce siècle du capital, nous sommes tellement habitués à voir la production s’édifier sur la grande entreprise capitaliste que nous avons de la peine à imaginer que tous ces gigantesques ateliers, fabriques, usines, occupant des milliers et des milliers d’ouvriers, n’apparurent finalement qu’à une époque très tardive. En effet, le type d’ateliers et d’usines due nous connaissons n’existe que depuis cent cinquante ans à peine et, en Russie, depuis moins longtemps encore. Au XVI° siècle, les usines n’y étaient toujours pas entrées en concurrence avec l’industrie à domicile et la manufacture. Même en Amérique, où le capitalisme était pourtant extrêmement développé, on discutait encore au milieu du XIX° siècle pour savoir si les États-Unis dépendaient pour leur économie de la grande industrie ou de l’agriculture.
Il y a moins d’une centaine d’années, l’humanité ne connaissait toujours pas les règles et les lois présidant au développement économique, et beaucoup de pays arriérés conservaient, de ce fait, l’illusion de pouvoir poursuivre leur propre chemin. Or, il nous suffit de jeter un coup d’œil sur la progression extrêmement rapide du capitalisme dans des pays comme le Japon, la Chine et l’Inde, pour pouvoir prédire avec assurance que là aussi la grande industrie évincera bientôt l’industrie à domicile et que les villes annexeront l’arrière-pays pour satisfaire leurs besoins.
Les grandes inventions scientifiques et techniques des XIX° et XX° siècles contribuèrent pour une large part à la réussite du système capitaliste. Et s’il nous paraît difficile à présent d’imaginer un monde sans chemin de fer, sans cheminées d’usine, sans électricité et sans téléphone, nos ancêtres, pour leur part, auraient été bien surpris par ces inventions, non sans faire preuve d’un certain scepticisme à leur égard.
En raison d’un certain nombre d’inventions améliorant le rendement du travail, la production capitaliste prit au XVIII° siècle un essor prodigieux. La machine à vapeur de Watt fut, par exemple, une invention vraiment géniale. Elle permit de jeter les bases de la mécanisation de la production dans la manufacture, et les travaux qui avaient été jusque-là exécutés par des hommes furent dorénavant réalisés par des machines. En même temps, toutes les opérations de travail purent être simplifiées à l’extrême et réduites à quelques mouvements manuels élémentaires. C’est ainsi que le métier à tisser mécanique, la machine à tricoter les bas, à carder la laine et autres innombrables inventions se succédèrent coup sur coup et, depuis la fin du XVIII° siècle, encouragèrent considérablement le développement de la production industrielle. Le perfectionnement de la technique fut un facteur essentiel pour atteindre un profit maximal.
Au cours des stades antérieurs de développement, le maximum de la productivité fut atteint par le travail manuel, organisé de la façon la plus rationnelle. Pour augmenter ses profits, l’entrepreneur tenta de modifier les principes qui étaient à la base de la manufacture. Le profit maximal ne dépendait plus exclusivement du nombre des ouvriers qui travaillaient dans une usine, mais aussi des machines. La technique augmentait la productivité dans des proportions qui auraient été impensables auparavant : au lieu d’une bobine, l’ouvrière pouvait en dévider et en enrouler jusqu’à 1 200 à la machine. Une bobineuse qui, jusque-là, n’avait réussi qu’à monter quelques bobines par jour, était capable d’en réaliser près d’une centaine. Une seule ouvrière, qui confectionnait 600 000 aiguilles par jour à la machine, remplaçait 135 ouvrières. Grâce à la machine à tricoter les bas, le rendement d’une ouvrière passait de 20 à 1200 paires. Les machines remplaçaient une forme de travail manuel après l’autre. La productivité augmentait d’une façon absolument prodigieuse, et le marché ne tarda pas à être submergé de produits fabriqués de façon mécanique et destinés à la consommation en masse. Le rythme de production, le stockage et la fortune des entrepreneurs, fabricants et barons d’industrie s’accrurent de façon démesurée.
Cependant, l’augmentation de la productivité du travail par les machines n’améliora pas le niveau de vie des travailleurs. Bien au contraire, leur asservissement et leur exploitation par le capital n’en furent que plus grands. Naturellement la mécanisation de la production aurait pu améliorer la situation de l’ensemble de la population, si par exemple une ouvrière, qui avait réalisé auparavant 20 bas par jour et qui en réalisait maintenant, avec l’aide de la machine, soixante fois plus, avait été réellement payée pour 1200 paires de bas. Nous ne devons pas oublier que l’humanité vivait alors dans un monde où la propriété privée était fortement enracinée. Le capitaliste considérait la machine qu’il avait achetée comme un élément de son entreprise, une partie de son inventaire. Lorsqu’il engageait un ouvrier, celui-ci était obligé d’utiliser les outils de travail qu’il mettait à sa disposition. L’entrepreneur avait fait une bonne affaire s’il avait pu se procurer un appareil qui réussissait à sextupler et davantage la productivité de son ouvrier. Le fabricant ne payait pas son ouvrier en fonction de son rendement, mais en fonction de sa force de travail. II était donc de son intérêt de tirer un maximum de profit de la force de travail qu’il s’était achetée. C’est pourquoi la mécanisation de la production qui augmenta de façon spectaculaire la productivité des esclaves salariés, tant hommes que femmes, ne conduisit pas à une amélioration de leurs conditions de vie, mais bien plutôt à leur aggravation. La mécanisation inspira économistes et entrepreneurs de la bourgeoisie et les amena à la « brillante » idée selon laquelle la force de travail vivante de l’homme n’était nullement indispensable à la production et à la création de toute richesse, alors que la force morte et mécanique de la machine l’était éminemment. Si un entrepreneur possédait des machines, il savait parfaitement qu’il lui serait facile de se procurer de la main-d’œuvre. Mais si, en revanche, il lui manquait les machines nécessaires, il n’avait aucune chance de pouvoir soutenir la concurrence sur le marché avec pour seul atout le rendement obtenu grâce à la force vivante de travail dont il disposait. C’est pourquoi le capitaliste s’habitua à considérer la main-d’œuvre comme accessoire et complémentaire des machines.
Vous vous souvenez sans doute que nous avions déjà constaté que le travail de la femme n’avait pas de valeur chez les tribus d’éleveurs nomades ? On considérait le troupeau comme source principale de richesse pour la tribu, et la femme qui le gardait comme accessoire et sans valeur. Il se passa la même chose avec la mécanisation des usines : le travail se dévalorisa. Malgré l’introduction des machines, les ouvriers et les ouvrières n’améliorèrent d’aucune façon leur revenu. Au contraire, le niveau de vie de la classe ouvrière régressa encore et l’entrepreneur propriétaire des machines fut le seul à bénéficier de l’extraordinaire croissance des profits.
Le développement de la grande industrie conduisit, d’une part, à une plus grande accumulation du capital et, d’autre part, à une concurrence plus forte entre les entrepreneurs eux-mêmes. En définitive, chaque industriel cherchait à atteindre un profit maximal. C’est pourquoi il augmentait son chiffre d’affaires, submergeait le marché de ses produits et les vendait moins cher que les concurrents qui n’avaient pas encore réussi à s’équiper des machines les plus modernes. Les petits entrepreneurs et tout particulièrement les artisans firent faillite et furent obligés de mendier un emploi auprès des grands industriels, responsables pourtant de leur ruine. La concentration du capital, c’est-à-dire l’accumulation des moyens de production entre les mains des grands industriels, qui s’enrichirent très rapidement, et la paupérisation des ouvriers sont les deux processus les plus importants caractérisant le développement des grandes entreprises capitalistes vers la fin du XIX° siècle. Au XX° siècle, les capitalistes, pour lutter efficacement contre la concurrence aveugle, ont mis sur pied une nouvelle puissance : l’association de plusieurs entrepreneurs. c’est-à-dire les trusts. Le combat entre travail et capital s’intensifia.
La paupérisation et la banqueroute des petits entrepreneurs engorgèrent le marché du travail d’une main-d’œuvre à bas prix. La voracité du grand propriétaire terrien, les impôts trop lourds et le sous-développement de l’agriculture chassèrent les paysans de leurs terres. Cet exode rural contribua encore à augmenter le nombre des sans-travail. Le chômage prit des proportions tellement inquiétantes au XIX° siècle qu’il donna naissance à une école théorique d’un type spécial, le malthusianisme. Malthus prêchait le contrôle des naissances à la classe ouvrière pour tenter d’endiguer ainsi l’afflux de nouveaux travailleurs sur le marché du travail. Ce qui devait entraîner un affaiblissement de la concurrence et conduire à améliorer la situation de la classe ouvrière. Mais cette théorie n’a bien entendu trouvé aucun écho. Elle est cependant exemplaire dans la mesure où elle nous montre à quel point les conceptions des hommes sont dépendantes de leur situation économique. A la période de l’économie naturelle et de la manufacture, alors que la réussite économique dépendait au plus haut point du nombre de travailleurs disponibles, une grande famille était considérée comme un « cadeau du ciel ». Plus il y avait de bras, plus grande était la richesse. La production mécanique fut à l’origine de la conception selon laquelle les machines étaient créatrices de toute richesse. Par conséquent, on voulait éliminer le travail manuel en réduisant la progéniture du travailleur. Cette théorie est profondément réactionnaire et, par ailleurs, totalement erronée et depuis longtemps réfutée par l’histoire elle-même. C’est justement le danger contraire qui nous guette aujourd’hui : le manque de travailleurs est actuellement une menace pour la poursuite du développement des forces de travail, c’est pourquoi la limitation des naissances ne peut en aucun cas être la préoccupation des hommes. II s’agit actuellement au contraire de stimuler celles-ci.
Nous allons passer maintenant à une analyse plus approfondie du travail dans la production industrielle. Le marché du travail fut donc, comme nous l’avons déjà dit, submergé en permanence par des ouvriers disponibles. Depuis le XVIII° siècle, nous rencontrons aussi. parmi les chômeurs, un nombre croissant de femmes. Celles-ci cherchaient à vendre la seule chose qu’elles possédaient – leur force de travail – à l’entrepreneur. Si celui-ci refusait de les engager, i ? ne leur restait plus qu’une solution : la prostitution. C’est pourquoi la prostitution de la femme suivait comme une ombre le travail salarié. La progression de la courbe de ce type de commerce basé sur le corps de la femme alla de pair avec la normalisation du travail salarié pour les femmes.
La vie quotidienne des ouvrières à la période du déclin de l’artisanat et de la manufacture était absolument dépourvue de joie et de droit, et le travail qu’elles effectuaient particulièrement pénible. Elles étaient la proie désignée des escroqueries des puissants. Et les souffrances qu’elles enduraient dans l’enfer de la fabrique dépassaient en intensité celles des siècles précédents. Il vous suffira d’étudier l’ouvrage d’Engels : la situation de la classe laborieuse en Angleterre, pour vous en rendre compte. Même s’il a été écrit vers les années 1840, de nombreuses conditions décrites dans ce livre n’ont pas encore été éliminées dans les pays capitalistes. Nous pouvons résumer la vie de l’ouvrière d’usine dans la première moitié du XIX° siècle comme suit : une interminable journée de travail, dépassant généralement douze heures, bas salaire, logement malsain – les hommes vivaient en étroite promiscuité, parqués comme des bêtes – pas de protection du travail ni d’assurances sociales, augmentation des maladies professionnelles, taux élevé de mortalité et crainte permanente du chômage. Voici donc quelles étaient les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière avant qu’elle ne commençât à s’organiser à l’intérieur du parti et des syndicats pour défendre ses propres intérêts de classe.
Les entrepreneurs employèrent de préférence des femmes puisqu’elles étaient moins payées que les hommes. Les fabricants affirmaient tout simplement que le travail féminin n’était qualitativement pas comparable avec le travail masculin. Les idéologues bourgeois leur fournissaient d’ailleurs volontiers les arguments souhaités en affirmant sans vergogne que la femme était par nature inférieure à l’homme, et cela dans tous les domaines. Cependant, les causes de la sous-estimation du travail féminin jusqu’à nos jours ne sont nullement d’ordre biologique et doivent être recherchées plutôt du côté social.
Dans la première moitié du XIX° siècle, la majorité des femmes ne travaillaient pas dans la production pour le marché mondial, mais, comme par le passé, à la maison, occupées à des tâches peu productives Ce qui a permis de tirer la conclusion erronée selon laquelle le travail féminin serait moins productif. Le fait que, pour l’évaluation des revenus de travail, l’on tienne compte des obligations du mari à assurer l’entretien de sa famille contribua également à sous-payer la main-d’œuvre féminine. Dès que le salaire ne garantissait plus le minimum vital de la famille ouvrière, on assistait soit à la désaffection massive des ouvriers de cette branche de la production, soit à la baisse de la qualité de vie pour ces ouvriers et leurs familles. C’est alors que les femmes et les enfants furent forcés au travail salarié. Mais, comme son entretien restait comme par le passé à la charge de son mari – soutien de famille – la femme travaillait « accessoirement » pour améliorer le budget familial. En somme, son travail n’était considéré que comme un travail d’appoint, secondaire. Les entrepreneurs ne firent bien entendu aucune difficulté pour soutenir et encourager cette conception, conception partagée d’ailleurs par les travailleurs eux-mêmes qui n’avaient pas encore compris où se situaient leurs véritables intérêts. Les travailleurs ne réalisèrent pas du jour au lendemain que le travail féminin était dorénavant inséparable de l’économie capitaliste. Ils ne saisirent que très lentement que les femmes qui travaillaient de façon productive dans la grande industrie ne retourneraient plus jamais à leurs fourneaux, qu’elles avaient abandonné définitivement le foyer et les travaux domestiques. Tout au long du XIX° siècle, le travail féminin resta, par rapport au travail masculin, extrêmement sous-estimé, et cela en dépit du fait que le nombre de femmes exerçant une activité professionnelle ne cessait d’augmenter et que leur salaire devait suffire à l’entretien de leurs enfants, de leurs vieux parents et parfois même de leur époux chômeur et malade. De telles anomalies continuent à exister dans les États capitalistes actuels, malgré l’activité des syndicats sur ce sujet réclamant en vain un salaire égal pour un travail égal sans discrimination de sexes.
Cependant, le manque de qualification de la femme contribua également à renforcer son exploitation, en particulier avant 1850. Autrefois, les femmes ayant exercé un métier assurant leur entretien n’étaient qu’une infime minorité. Sans transition, la plupart des femmes à la recherche d’un travail durent entrer dans les entreprises de manufacture. Elles n’avaient bien entendu ni formation professionnelle, ni profession de rechange. Et comme elles souffraient de la misère et de la faim, qu’elles n’avaient jamais connu d’existence autonome et que, de surcroît, elles étaient habituées depuis des millénaires à une obéissance aveugle, elles acceptèrent sans broncher les pires conditions de travail. Or, en dépit des théories des entrepreneurs sur l’infériorité naturelle de la femme par rapport à l’homme, ils ne se gênaient nullement dans la pratique pour jeter des travailleurs masculins à la rue et engager à leur place des femmes qu’ils payaient moins. L’accumulation du profit ne souffrait nullement de ce type d’opération. Nous pouvons donc en conclure que le travail féminin, pour ce qui est de la productivité, ne le cédait en rien au travail masculin. Avec le développement de la production mécanique, la qualification du travail perdit de plus en plus de son sens. Dans des secteurs de production déterminés (industries du textile et du tabac, industrie chimique, etc.), le travail féminin non qualifié avait pris de telles proportions qu’il fut ressenti par les ouvriers comme une menace directe. Non seulement les femmes refoulaient les hommes des ateliers en vendant leur force de travail à bon marché, mais elles offraient également aux entrepreneurs la possibilité de réduire globalement les salaires. Et plus il y avait de femmes employées dans une branche de production, plus le salaire des hommes s’amenuisait. Or, à mesure que le salaire des hommes diminuait, les femmes – filles et épouses de prolétaires – furent contraintes à chercher un travail d’appoint et à s’engager dans la production. Le cercle vicieux était né.
Ce n’est que dans la seconde moitié du XIX° siècle que la classe laborieuse tenta de briser ce cercle en s’engageant dans les luttes politiques et syndicales. La conscience de classe des ouvriers fit apparaître clairement aux hommes que les ouvrières n’étaient pas simplement des « concurrentes néfastes », mais qu’elles appartenaient tout comme eux à la classe ouvrière. Et ce n’est qu’en s’organisant ensemble que le prolétariat pouvait repousser les agressions de plus en plus meurtrières du capital envers la classe ouvrière. Dans la première moitié du XIX° siècle, l’ouvrier ne rencontrait qu’avec répugnance et hostilité sa rivale sur le marché de l’emploi. Les organisations, destinées pourtant à défendre les intérêts de l’ensemble du prolétariat, interdirent en général leur accès aux membres féminins.
A la fin du XIX° siècle, le, salaires des ouvrières ne dépassaient pas, le plus souvent, la moitié des salaires de leurs collègues masculins. Ce n’est qu’au début du XX° siècle que l’on vit apparaître dans les États capitalistes les plus développés et sous la forte pression des syndicats les premières tentatives de réajustement et d’égalisation des salaires des ouvriers. Néanmoins, en Russie, la femme ne gagnait encore à la veille de la Révolution que les deux tiers ou même le tiers de ce que touchait l’ouvrier. Et la femme continue actuellement à travailler dans ces conditions en Asie, c’est-à-dire au Japon, en Inde et en Chine.
Les conditions de vie des ouvrières dans la période de développement du capitalisme industriel furent caractérisées, d’une part, par des salaires de misère et, d’autre part, par des conditions de travail particulièrement insalubres, occasionnant de graves détériorations au niveau du corps et de la santé de la femme (fausses-couches, enfants mort-nés et toute une série de maladies féminines). A mesure que les perspectives d’avenir du capitalisme s’annonçaient radieuses, celles du prolétariat s’assombrissaient, et la vie de la femme devint de plus en plus insupportable. Mais le travail productif hors du foyer, créateur de richesse pour l’ensemble de la société et reconnu de ce fait par l’économie nationale, fut malgré tout la force ouvrant la voie à la libération de la femme.
Nous savons que la situation de la femme dans la société est déterminée par son rôle dans la production. Tant que la plupart des femmes demeuraient au foyer, Occupées a des tâches improductives pour l’ensemble de la société, toutes les tentatives et les initiatives féminines pour obtenir liberté et égalité furent vouées à l’échec. Ces tentatives n’avaient aucune base dans l’économie. Pourtant, la production industrielle dans les usines, qui engloutit des milliers d’ouvrières, modifia notablement l’ordre des choses. Le travail domestique arriva dorénavant en seconde position, et le travail de la femme hors du foyer, qui avait revêtu jusqu’alors un caractère secondaire, devint la règle, bref un état normal et nécessaire.
Le XX° siècle marqua un tournant décisif dans l’histoire de la femme. Au début du XIX°siècle, les femmes, qui étaient obligées de travailler comme « filles d’usine », vivaient cette situation comme une catastrophe personnelle- Mais, à partir de la fin du XIX° siècle et, à plus forte raison, au XX° siècle, 30 à 45 %> des femmes travaillaient au sein des États capitalistes. A l’époque de la manufacture, les travailleuses étaient essentiellement des veuves, des célibataires ou des femmes abandonnées par leur mari. Au XIX°siècle, près de la moitié des femmes qui travaillaient étaient mariées. Pourquoi ? Bien évidemment, le salaire du mari ne suffisait plus à couvrir les besoins du ménage. C’en était enfin fini du mariage-assurance-entretien pour la femme. Pour pouvoir nourrir leur famille, l’homme et la femme devaient se mettre au travail. L’homme n’était plus le seul soutien, c’était fréquemment la femme qui devait subvenir aux besoins du foyer, en particulier aux époques de crises ou lors des longues périodes de chômage du mari. Dans les familles ouvrières, il n’était pas rare de voir la femme partir au travail et l’homme rester à la maison pour garder les enfants et s’occuper des travaux ménagers. Ces conditions étaient temporairement courantes dans les régions du textile aux États-Unis. Dans certaines villes, les industriels engageaient de préférence de la main-d’œuvre à bon marché, de sorte que la femme travaillait dans une usine de tissage, par exemple, tandis que l’homme restait à la maison. Ces petites villes s’appelaient périodiquement » she towns » (villes de femmes). Avec le temps, la reconnaissance générale du travail féminin obligea l’ensemble de la classe ouvrière à réviser ses positions à l’égard des femmes et à les accepter finalement comme camarades de lutte et membres à part entière dans leurs organisations prolétariennes.
Le travail féminin se développa dans la seconde moitié du XIX°siècle de façon remarquable. Entre 1871 et 1901, dans la branche industrielle en Angleterre, par exemple la proportion des hommes augmenta de 23 %, et la proportion des femmes de 25 %. A la même période, les femmes se taillèrent la part du lion en ce qui concerne le taux de croissance de l’ensemble de la classe laborieuse anglaise : le groupe des ouvrières s’accrut en effet de 21 % tandis que le groupe des ouvriers atteignit à peine 8 %. En 1901, 34 % des femmes françaises exerçaient une profession et, en 1906. elles furent 39 %. En 1881, on évalua à 5,5 millions le nombre de travailleuses allemandes, de 1890 à 1895 à 6,5 millions et, en 1907, à 9,5 millions. Pendant la Première Guerre mondiale, il y eut en Allemagne plus de 10 millions de femmes exerçant une activité professionnelle. En Allemagne aussi, en 1882, 23 % des femmes travaillaient dans la production et, en 1907, cette proportion atteignit 30 %. Pendant la Première Guerre impérialiste mondiale, 30 % des femmes travaillaient dans l’industrie (avant la guerre, le travail de la femme dominait dans 17 branches industrielles seulement, pendant la guerre dans 30 branches industrielles). En Russie, le nombre des femmes exerçant une profession se multiplia par vingt lors de la Première Guerre mondiale. Si l’on évalue le nombre des femmes travailleuses en Europe et aux États-Unis à 60 millions avant la Première Guerre mondiale, on peut, sans exagération, le faire passer aujourd’hui à 70 millions. A ce chiffre vient s’ajouter un nombre croissant de femmes travailleuses en Asie qui vit actuellement une forte industrialisation.
Sur 2 millions de prolétaires japonais, il faut compter 750 000 ouvrières et, lors des derniers recensements en Inde, on évalue à 19 millions les femmes employées dans les usines, la métallurgie, le travail à domicile, l’agriculture et les plantations de thé, de café et de coton. En Chine, on évalue grossièrement à 10 millions le nombre des femmes travaillant soit en usine, soit à domicile ou encore comme employées dans les services privés ou publics. Aux pays occidentaux se joignent désormais les pays orientaux en voie de développement, et nous rencontrons partout la femme travailleuse et l’homme travailleur côte à côte. L’économie capitaliste mondiale ne peut absolument plus se passer de la participation de la femme, ce qui signifie que la femme a définitivement été reconnue comme force de travail.
Or, presque la moitié de ces femmes sont mariées. Ce fait est pour nous particulièrement intéressant parce qu’il balaie le vieux préjugé selon lequel la femme, une fois mariée, peut renoncer à gagner sa vie. En Allemagne, en Angleterre et en Russie, le nombre des femmes mariées atteint un tiers de la totalité des travailleuses. Aux stades de développement les plus avancés du capital, la femme n’est donc plus seulement un vivant complément et un appendice de son mari. Elle a cessé de s’occuper du seul travail ménager improductif, et c’est pourquoi elle peut envisager la fin de son esclavage millénaire.
Qu’est-ce qui pousse les femmes dans les fabriques et les ateliers d’usine ? Laquelle d’entre vous peut répondre à ma question ? La femme s’employait-elle volontairement à la fabrique ou au service d’étrangers, au était-ce une force sociale étrangère qui la poussait à cela ?
Étudiante : Le travail de l’ouvrier était de plus en plus mal payé, si bien qu’il n’était plus en mesure d’entretenir à lui seul sa famille.
Kollontaï : Vous avez entièrement raison. A la période de la production mécanique, on ne tient plus compte, en calculant son salaire, du fait que l’ouvrier puisse avoir une famille à charge. Le fabricant ne se préoccupe pas le moins du monde dans quelles conditions les enfants de l’ouvrier sont condamnés à vivre. Le progrès technique lui permet de disposer à tout moment d’une quantité suffisante de sans-travail, et si le salaire suffit à peine à nourrir l’ouvrier, sa femme n’a qu’à se mettre elle aussi au travail. Les statistiques montrent que 90 % des ouvrières mariées se sont engagées à l’usine forcées par la misère et le dénuement le plus complet. Ces milliers de femmes travailleuses n’ont donc pas vendu volontairement leur force de travail, mais elles y furent poussées par la nécessité.
Le travail dans les fabriques et les usines, épuisant et souvent dangereux pour l’organisme féminin, a créé un problème nouveau qui n’avait jamais existé jusque-là : le problème de la maternité. Autrement dit : la maternité est-elle compatible avec le travail salarié au service du capital ? La maternité et la profession, c’est-à-dire la participation de la femme au travail productif, sont incompatibles dans les faits dans le système capitaliste. La famille de l’ouvrier se dissout, les enfants sont livrés à eux-mêmes et la maison est négligée. De surcroît, la femme n’est pas une mère en bonne santé tant qu’elle travaille dans une branche de production où règnent des conditions de travail malsaines, qu’elle se nourrit mal, qu’il n’existe pas de protection maternelle et que les conditions de vie sont de toute façon extrêmement misérables. Fausses-couches et accouchements d’enfants mort-nés sont nombreux. La mortalité des nourrissons, dans les villes industrielles, atteint un niveau de 30 à 50 % et dans des métiers particulièrement dangereux, comme la préparation de la céruse ou du mercure, elle dépasse même les 60 %.
Si le capitalisme avait pu continuer à progresser en toute tranquillité, c’est-à-dire si la classe ouvrière n’était pas en train de conquérir le pouvoir et le contrôle sur la production, l’humanité serait bientôt menacée de véritable dégénérescence. Par bonheur, le prolétariat a tiré de l’histoire les conclusions justes pour mener sa propre action. La victoire de la révolution russe ouvre la voie – aussi dans les autres pays – à la révolution sociale. D’ores et déjà, la planification fondée sur les principes communistes a fourni à l’humanité la possibilité de résoudre les problèmes de la maternité. Dans la société communiste, la force vivante de travail, donc aussi celle des travailleurs féminins, est utilisée de façon productive et dans l’intérêt de la société. C’est pourquoi notre société protège les femmes enceintes et celles qui allaitent leur enfant, et leur garantit un niveau de vie leur offrant la possibilité de se consacrer de façon satisfaisante à d’autres tâches sociales.
Cependant, la population dans les pays capitalistes continue à vivre sous le joug du capitalisme, et la maternité pèse lourdement sur les épaules de la femme, qui ploie de surcroît sous la double charge de son métier et des soins du ménage. Est-ce que le revenu de l’ouvrier s’améliorera un jour de manière à libérer la femme mariée de l’obligation de gagner de l’argent ? Naturellement pas ! Les augmentations de salaire conquises par les ouvriers et leurs organisations syndicales restent en décalage constant avec les augmentations de prix des objets de consommation courante. A supposer même que la classe ouvrière réussisse à faire aboutir ses revendications, c’est-à-dire à bloquer la hausse des prix – ce qui serait une victoire incontestable -, le problème ne serait fondamentalement pas résolu pour autant. Nous ne devons pas oublier que les besoins de la famille ouvrière ne cessent eux aussi de croître. En effet, il ne suffit pas d’éloigner la pauvreté pour que cesse la nécessité du travail salarié de la femme, d’autres besoins naissent alors, telles les revendications d’ordre culturel de l’ouvrier et de l’ouvrière : ils réclament une meilleure éducation et formation pour leurs enfants, ils désirent s’acheter de temps à autre un livre ou aller au théâtre. Ce qui oblige de nouveau les femmes à un travail salarié.
La demande grandissante de la main-d’œuvre féminine de la part de la production en pleine expansion est un autre facteur, empêchant effectivement l’application des lois destinées à limiter le travail féminin. La guerre a démontré clairement à la société qu’elle ne pouvait désormais plus se passer des femmes. Aucune loi ou autre intervention de l’État ne peut plus obliger les femmes à réintégrer leur foyer. Un retour à la famille n’est désormais plus possible. (Une solution semblable fut encore envisagée sérieusement il y a une cinquantaine d’années par des savants bourgeois, soutenue d’ailleurs par les cercles prolétariens.) Et qu’est-ce que les femmes peuvent encore bien avoir à faire dans la famille, alors que la plupart de leurs fonctions traditionnelles ont été depuis longtemps prises en charge par des institutions hors de la famille ?
Au cas où vous vous intéresseriez davantage à la situation des femmes exerçant une activité professionnelle, je vous recommande le chapitre « La profession et la maternité » dans mon ouvrage la Société et la Maternité. Dans ce livre, j’ai exposé de façon détaillée les réactions hostiles au travail de la femme au sein du prolétariat lui-même. Par ailleurs, vous trouverez également dans ce livre les statistiques sur les femmes mariées exerçant une profession dans les différents pays concernés.
Nous aborderons maintenant dans notre discussion une autre question, question d’une importance capitale pour l’évaluation du travail de la femme dans le capitalisme. Quelles sont les branches d’activité qui emploient le plus grand nombre de femmes ? Actuellement – et tout particulièrement après la Première Guerre mondiale – les femmes sont présentes partout. Le travail de la femme ne s’est pas seulement imposé dans l’industrie et l’agriculture, mais aussi dans les transports et dans toute l’administration, tant municipale que d’État. Depuis le Moyen Age, !es femmes ont toujours travaillé dans le commerce, surtout le petit commerce. Mais on peut dire, en général, que le travail de la femme dans ces branches est surtout dû à la faible qualification de sa force de travail ou encore à des qualifications se rapportant à ses fonctions antérieures dans l’économie domestique. Nous trouvons la plupart des femmes dans les industries de textile, de tabac et de chimie, mais aussi dans le commerce, bref dans des branches réclamant une qualification professionnelle relativement faible.
Dans de nombreux pays – en Russie, en Angleterre, en Allemagne et au Japon -, on compte plus de travailleurs féminins que de travailleurs masculins dans les branches de production qui se sont développées assez tardivement à partir du travail domestique et qui sont, entre autres, la confection des tissus et des vêtements, la fabrication des produits alimentaires, le travail de domestique à proprement parler, le travail dans les blanchisseries, les restaurants et les cafés. Le fait qu’une femme ne sache ni coudre, ni repasser, ni mettre la table est extrêmement inhabituel. Dans ces branches, la formation professionnelle est tout simplement remplacée par l’expérience pratique. Toutefois, il est remarquable que, avec l’introduction de la mécanisation du travail dans des branches pourtant réservées jusque-là aux femmes (laveries électrifiées ou à vapeur, usines de confection, etc.), la main-d’œuvre féminine tend à être remplacée par la main-d’œuvre masculine. Les forces de travail sont redistribuées. Les hommes s’introduisent dans des secteurs traditionnellement féminins, tandis que les femmes embrassent des professions qui passaient jusque-là pour être masculines. Cette redistribution a une seule et même cause : la mécanisation de la production. L’homme adopte la machine à coudre électrique et le fer à repasser. La femme s’installe au tour ou au crible. La mécanisation du travail par la machine atteint là son accomplissement. Cette mécanisation de la production conduit à une égalité de situation entre hommes et femmes, entraînant à son tour la reconnaissance de l’égalité sociale de l’homme et de la femme. Le nombre des femmes travaillant dans le secteur des communications a augmenté considérablement ces vingt dernières années. Ce travail réclame une formation professionnelle tout comme le travail de bureau. Or, ces deux derniers secteurs professionnels sont pris d’assaut par les femmes. Le fait que la femme s’aventure dans des domaines exigeant une formation professionnelle plus poussée est une preuve certaine de la nécessité du travail de la femme dans la production.
La femme a appris à considérer son travail comme nécessaire et non plus comme superflu. Elle a cessé de se faire des illusions. Pour son avenir, elle ne compte plus sur le mariage, mais sur son propre travail. C’est pourquoi, de nos jours, les parents s’efforcent de donner à leurs fils et à leurs filles – en particulier dans les pays capitalistes avancés – une formation professionnelle correcte. Grâce à elle, leurs enfants devront pouvoir gagner plus facilement leur vie. Au XIX° siècle donc, le travail de la femme perdit son caractère fortuit et acheva de s’imposer partout. La guerre mondiale a parachevé cette évolution dans la mesure où elle a enlevé à la femme ses dernières illusions, en l’occurrence la possibilité pour elle de réintégrer un jour le foyer pour s’occuper exclusivement de sa propre famille.
Nous allons résumer une dernière fois notre conférence d’aujourd’hui. Nous avons analysé le destin des femmes dans l’histoire. Le cercle s’est refermé au XX° siècle. A une période très reculée, la femme se tenait aux côtés de l’homme et elle jouissait des mêmes droits que lui en tant que productrice de biens de consommation courante pour l’ensemble de la collectivité. Elle fut tout particulièrement respectée, non seulement parce qu’elle accomplissait ses devoirs par rapport à la société en travaillant, mais, de plus, parce qu’elle mettait les enfants au monde et assurait ainsi la perpétuation du clan. Sa signification pour la communauté primitive était de ce fait plus importante que celle de l’homme. La division du travail et la propriété privée enchaînèrent cependant la femme à son propre foyer et elle fut dès lors considérée comme le complément et l’appendice de son mari. Mais ces mêmes forces productives, qui à un certain stade avaient permis la division du travail entre les sexes et l’introduction de la propriété privée, amenèrent par la suite la possibilité d’une libération totale et universelle de la femme. Par la participation de la femme à la production, le fondement de sa libération dans l’ensemble des domaines sociaux a été posé. Mais ce n’est que dans le nouvel ordre économique et social, le communisme, que cette libération peut trouver son application pratique.