Conférences à l’université Sverdlov sur la libération des femmes
Alexandra Kollontaï
X° conférence
La dictature du prolétariat : l’organisation du travail
La Guerre mondiale a créé toutes les conditions objectives à la libération des femmes. Leur travail est aujourd’hui un facteur important de l’économie nationale. La plupart des femmes en âge de travailler exécutent un travail socialement utile. Malgré cela, et à l’intérieur du système capitaliste bourgeois, il n’a pas été possible jusque-là de réaliser la libération de la femme.
Nous abandonnerons maintenant l’univers du capitalisme et ses problèmes sociaux complexes, pour étudier une forme étatique inconnue jusqu’à présent, c’est-à-dire la dictature du prolétariat. Dans notre pays, la classe ouvrière s’est levée et s’est emparée elle-même du pouvoir. Nous allons donc nous occuper de la première république ouvrière. Dans la Russie révolutionnaire, le pouvoir de l’État est aux mains des travailleurs. Pour la première fois dans l’histoire, la classe ouvrière et paysanne réussit à abattre la bourgeoisie. Celle-ci a perdu son autorité et ses privilèges. Au sein des Conseils (Soviets), la bourgeoisie n’a pas droit de vote, car il n’y a plus de place pour les fainéants et les brigands dans notre république ouvrière. La propriété privée des moyens de production a été éliminée, ainsi que le commerce privé et l’accumulation du capital. Nous avons réussi à en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme.
Le Parti communiste de Russie (PCR), avant-garde de la classe ouvrière, a proclamé la république des Soviets. La vie a été profondément modifiée, le fondement de la classe bourgeoise est ébranlé, l’ancien régime est détruit et, à sa place, nous construisons quelque chose de totalement nouveau.
Au cours des trois premières années de notre Révolution, nous avons créé les conditions pour un nouveau mode de production. Le système économique socialiste remplace le capitalisme, la propriété privée et l’exploitation du travail salarié. La grande industrie, les mines, les transports, les terres sont dorénavant la propriété du peuple, administrée de façon centrale par l’appareil d’État. Certes, le travail salarié existe toujours, mais la plus-value cesse de tomber dans les poches de quelconques entrepreneurs privés, il est utilisé désormais pour satisfaire des besoins sociaux : pour le développement de la production, la réalisation d’une nouvelle conscience sociale, et le ravitaillement de l’Armée Rouge, dont il est impossible de se passer pendant la période de la dictature révolutionnaire du prolétariat.
Au sein de ses propres organes administratifs, le prolétariat décide lui-même de la conduite, à adopter pour l’économie, planifie la production et l’échange et organise la distribution des biens d’usage courant selon les besoins du prolétariat. Or, toutes ces grandioses initiatives en sont toujours à leur premier stade. Rien jusqu’ici n’a acquis de forme définitive. Dans tous les domaines, nous vivons un développement accéléré. Par la pratique révolutionnaire, nous réussissons partout de nouvelles expériences et nous assistons en permanence à l’éclosion de nouvelles idées. La classe ouvrière jette le fondement d’une nouvelle forme de production et s’emploie à surmonter et à détruire les obstacles et les survivances de la société bourgeoise qui pourraient compromettre l’épanouissement des forces productives. La tâche principale de cette récente société consiste à frayer la voie à cette forme de production inhabituelle. Naturellement, c’est là une tache difficile et comportant de lourdes responsabilités. Sous les yeux de l’humanité tout entière, une immense collectivité entreprend de concentrer ses efforts et sa volonté sur un but unique : elle ébranle le capitalisme jusque dans ses fondations. Le principe sacro-saint de la propriété privée est réduit en poussière. La bourgeoisie s’affole et s’exile précipitamment à l’étranger pour organiser l’invasion armée contre les esclaves rebelles et désobéissants. La menace de guerre est permanente. On signale quotidiennement des incidents sanglants aux frontières. A la clameur dépitée des anciens possédants répondent les hurlements vengeurs de notre jeune génération défendant courageusement l’avenir.
Le monde est inquiet. Le « péril rouge » rôde. L’avenir est auréolé de rouge, menaçant pour les uns, libérateur pour les autres.
Le nouveau système économique de Russie se caractérise par la planification étatique centralisée de la production et de la consommation. Toutes les richesses de la nation sont chiffrées statistiquement et chaque citoyen russe enregistré dans sa fonction de producteur et de consommateur. Notre mode de production ne supporte aucune espèce de désordre économique. Elle ignore la concurrence, les crises économiques et le chômage qui avait régné auparavant à l’état endémique disparaît et dès la troisième année de la Révolution. II n’existe déjà plus de main-d’œuvre disponible, il serait plus juste de parler de pénurie de main-d’œuvre.
Par l’élimination de la propriété privée des moyens de production, nous nous sommes « débarrassés » de la classe des parasites qui ne produisaient aucun travail utile pour l’économie nationale, mais se contentaient de consommer. C’est pourquoi nous agissons en Russie soviétique selon le principe : « Celui qui refuse de travailler ne doit pas non plus manger.»
Les actionnaires qui perçoivent un revenu sans travailler ou les déserteurs qui abandonnent leur emploi sont poursuivis conformément aux lois de notre république (Commission extraordinaire de lutte contre la contre-révolution, la spéculation et le sabotage). L’État des Soviets demande à l’ensemble de la population de fournir un effort pour satisfaire les besoins les plus pressants de notre société. L’industrie, totalement anéantie par la guerre et la mauvaise administration des employés tsaristes, doit être relevée. Par ailleurs, il nous faut soutenir l’Armée Rouge, qui assure la défense de notre Révolution.
Naturellement, il n’y a pas non plus de place dans notre nouvelle société pour les parasites féminins – c’est-à-dire les femmes entretenues par leur mari ou leur amant ou encore les prostituées de métier -, car « celui qui refuse de travailler ne doit pas non plus manger ». C’est aussi pourquoi la distribution des biens de consommation est sévèrement réglementée, tout particulièrement dans les villes. Les rations ne sont distribuées qu’à ceux qui travaillent. Grâce à cette politique économique (Nouvelle Economie politique), la relation entre les sexes est amenée à se modifier totalement. La femme ne cajole plus comme autrefois son époux soutien de famille, et elle cesse de se soumettre à ses désirs. Elle est indépendante, se rend à son travail, possède son livret de travail personnel et sa propre carte de ravitaillement (pour s’approvisionner de façon rationnée en vivres et en objets d’usage courant). L’homme a cessé d’être le chef de famille, seigneur et maître à la maison. Et comment pourrait-il en être autrement alors que la femme possède sa propre carte de ravitaillement sur laquelle les enfants sont mentionnés ?
La femme n’est donc plus dépendante d’un entrepreneur privé. En Russie soviétique, l’unique dirigeant des travailleuses et des travailleur, est l’Union soviétique. La participation des femmes aux travaux de reconstruction a une signification essentielle pour notre peuple signification impossible à atteindre dans une société capitaliste bourgeoise. Le système économique bourgeois est fondé justement sur l’existence de cellules familiales privées éclatées et sur l’oppression et la non-émancipation des femmes.
L’acte révolutionnaire le plus important est l’introduction du travail obligatoire pour les hommes et les femmes adultes. Cette loi a apporté un changement sans précédent dans la vie de la femme. Elle a modifié le rôle de la femme dans la société, l’État et la famille, de façon bien plus importante que tous les autres décrets depuis la révolution d’Octobre et qui accordaient à la femme l’égalité politique et civique. Par exemple le droit d’éligibilité des femmes au sein des Conseils ouvriers et autres représentations nationales ou encore le nouveau droit matrimonial du 18 et 19 décembre 1917 et où il est stipulé que le mariage est une association entre deux individus égaux. Cette règle de droit ne signifie finalement qu’une égalité formelle devant la loi : en réalité, la femme, à cause de la survivance des traditions bourgeoise continue à être discriminée et non émancipée comme par le passé. Nous parlons maintenant des degrés de conscience, des traditions, des habitudes et de la morale. Ce n’est qu’avec l’introduction du travail obligatoire pour tous que le rôle de la femme se modifia dans l’économie nationale. Elle est maintenant généralement acceptée comme participante à un travail socialement utile pour la collectivité.
Les conclusions que nous pouvons tirer de cette évolution c’est que l’égalité de la femme dans tous les autres domaines ne tardera pas à se réaliser. Car nous savons que le rôle de la femme dans la société et la relation entre les sexes dépendent de sa fonction dans la production. C’est pourquoi il ne nous faudra pas perdre de vue l’importance révolutionnaire de l’introduction du travail obligatoire pour la libération de la femme. Le nouveau mode de production en Russie suppose trois conditions :
- Une évaluation exacte et une utilisation judicieuse de toutes les forces de travail disponibles, y compris celles des femmes.
- Le passage de l’économie domestique familiale individuelle et de la consommation familiale privée à une planification sociale de l’économie et à la consommation collective.
- L’application d’un plan économique homogène.
L’interminable guerre, d’abord la guerre impérialiste, puis la guerre de libération révolutionnaire, a ruiné l’économie du pays, détruit les moyens de transports et stoppé le développement technique. L’appropriation privée des richesses sociales a certes cessé, mais la république ouvrière a désormais la lourde tâche de reconstituer l’économie et d’accélérer le déploiement des forces productives. Les pays capitalistes vivent actuellement aussi une période d’incertitude économique et d’effondrement intérieur. L’économie capitaliste tout entière se dirige en vacillant vers une crise économique inévitable et généralisée. Aujourd’hui, le prolétariat russe a la certitude que les forces productives peuvent s’épanouir aussi à l’avenir. Dans les États bourgeois, à la même période, les capitalistes et les magnats de la finance essaient bon gré mal gré de relancer la production. Les pays capitalistes, après une brève période d’essor économique. se retrouvent en pleine crise, de nombreuses entreprises recommencent à fermer leurs portes et l’économie tout entière s’achemine vers la catastrophe. La classe ouvrière a compris actuellement Qu’il n’existe qu’un seul traitement efficace contre l’effondrement et la destruction de l’économie nationale : l’introduction d’un nouveau mode de production comme unique solution pour empêcher l’humanité de sombrer de nouveau dans la barbarie. Et l’Union soviétique est en train d’instaurer ce nouveau mode de production. Mais tant que la classe ouvrière en Union soviétique reste tributaire de la technique héritée du capitalisme, le développement des forces productrices ne se fera pas véritablement sans accrocs, étant donné que nous ne pourrons pas compter, en raison de la situation politique chaotique des états capitalistes, sur une aide économique de la part des nouveaux gouvernements ouvriers en Europe. Nous sommes donc obligés de poursuivre seuls, et par une organisation planifiée de la force vivante de travail, le développement nécessaire des forces productives. Actuellement, la population de l’Union soviétique a pour tâche d’augmenter la productivité de chaque travailleur et de chaque travailleuse. Il n’est pas encore possible de parler d’une réforme profonde des conditions de vie générales, car la majorité de la classe ouvrière continue à vivre dans des conditions héritées du passé bourgeois. Les énergies des travailleuses continuent d’être partiellement employées aux tâches improductives au service de la famille et demeurent perdues à jamais pour la production de valeurs sociales et de produits de consommation courants. Les travailleuses n’engagent donc que partiellement leur énergie dans le processus de production. Ce qui a naturellement pour conséquence qu’elles exécutent souvent un travail non qualifié et que, de surcroît, la qualité de leur travail laisse souvent à désirer. Les femmes n’ont tout simplement pas le temps de continuer à se perfectionner professionnellement. Il apparaît clairement que la qualité de leur travail dans la production se dégrade en fonction de l’intensité de l’utilisation de leur force de travail en dehors du processus de production social. L’ouvrière mère de famille, obligée de veiller des nuits entières au chevet de son nourrisson et de se consacrer pendant son temps libre à sa famille et aux soins du ménage, est naturellement bien moins attentive à son travail que l’homme qui peut dormir la nuit sans être dérangé et qui, par ailleurs, est dispensé des tâches ménagères.
Si nous voulons améliorer la productivité du travail de la classe ouvrière et en particulier celle de la femme travailleuse, nous devons d’abord chercher à changer les conditions de vie. Nous devons pas à pas, mais conscients de l’objectif à atteindre, jeter les bases d’un mode de vie collectif, c’est-à-dire que nous devons commencer par créer un vaste réseau de crèches et de jardins d’enfants ainsi que des centres de production totalement inédits. Les commissions de planification et les syndicats ne pourront attendre des femmes une amélioration de leur productivité du travail répondant aux normes de rendement qu’à cette seule condition. Ils ne pourront se permettre de critiquer les travailleuses pour leur négligence ou leur travail bâclé que lorsque cet objectif sera atteint. Mais celui-ci ne sera atteint que lorsque toutes les travailleuses – et elles sont légion – trouveront en dehors de leur lieu de travail des conditions de vie leur évitant d’user leurs forces à des activités économiques familiales et privées. Il est nécessaire de mettre fin au gaspillage de la force de travail féminine et véritablement important de limiter enfin les énormes pertes pour notre économie socialiste occasionnées par les conditions de vie actuelles. Nous ne pouvons augmenter la productivité du travail en augmentant simplement le nombre des travailleurs. Il est tout aussi important de s’employer à changer les conditions de vie où se trouve notre classe ouvrière. C’est pourquoi nous devons remplacer peu à peu l’économie domestique familiale individuelle par une économie domestique réellement communautaire. En effet, ce sera la seule façon de ménager la force de travail de la femme.
Mais aujourd’hui la productivité du travail en Union soviétique dépend très largement du nombre des travailleurs, et c’est pourquoi le Conseil pour le travail et la défense cherche à réduire le nombre des parasites vivant aux frais de la classe ouvrière sans contribuer à la prospérité de la société. Depuis que la propriété privée des moyens de production a été éliminée dans notre république ouvrière, les conditions pour le déploiement des forces productives ont été nettement améliorées. Dorénavant, la plus-value sociale ainsi obtenue est utilisée pour le développement des forces productives ou pour la satisfaction de besoins jusque-là insatisfaits. La plus-value sociale ainsi produite est destinée maintenant au peuple tout entier et non plus à la consommation privée d’une classe dominante. Dans la société bourgeoise, seule une partie de la société, la classe ouvrière, produisait la plus-value sociale. Mais les classes qui ne produisaient pas directement avaient donné naissance à une nouvelle couche sociale, occupée à des travaux totalement improductifs pour satisfaire aux besoins de consommation et aux fantaisies des classes possédantes : la domesticité, les fabricants de produits de luxe, les artistes de salon, les pseudo-artistes et les pseudo-savants ainsi que le nombre croissant de cocottes et de prostituées. Les capitalistes dilapidaient une part de plus en plus importante de la richesse sociale à leurs misérables divertissements.
Si la part improductive de la population dans les pays capitalistes bourgeois était si grande, c’est aussi parce que beaucoup de femmes se laissaient entretenir par leur mari. Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, plus de la moitié des femmes étaient à la charge de leur mari ou leur père. De telles anomalies sont une conséquence de la structure sociale capitaliste et freinent le déploiement des forces productives en même temps que la lutte nécessaire contre la situation chaotique dans ces pays.
Le système économique communiste, en revanche, fonctionne tout différemment. Le fondement de l’économie sociale est une administration planifiée de tout le processus économique, ne s’orientant plus selon les besoins d’une petite clique de profiteurs, mais selon les besoins de la population entière. La production de marchandises de type capitaliste historiquement dépassée disparaît, et les forces productives connaissent sous le socialisme un essor prodigieux. En tout premier lieu, nous avons besoin d’une étude statistique répertoriant le nombre de forces de travail disponibles, ensuite seulement nous pourrons distribuer ces forces de façon planifiée. A cause de la libre concurrence, le désordre règne sur le marché du travail capitaliste. C’est ainsi qu’une entreprise peut être gagnée par le chômage et souffrir d’un trop-plein de forces de travail, tandis que dans l’entreprise voisine et à la même période ce sont justement les forces de travail qui lui font défaut. Dans certains secteurs industriels, les ouvriers tombent malades à cause d’un travail trop intensif, tandis que dans d’autres le processus de production est relâché et son organisation irrationnelle parce que la mécanisation et le bas niveau des salaires garantissent cependant aux capitalistes un profit suffisamment élevé. Ce n’est que par le recensement et la distribution planifiée de la force de travail que les travailleurs et les travailleuses peuvent échapper au spectre du chômage. Dans l’Union soviétique, le chômage a aujourd’hui entièrement disparu. Ce qui représente pour la classe ouvrière une amélioration considérable.
Un pas important en Union soviétique pour augmenter la productivité du travail, c’est le passage immédiat à la distribution communiste. L’énorme dilapidation des forces de travail féminines qui avait régné jusque-là (les femmes sont finalement plus nombreuses en Russie que les hommes) est une conséquence de l’économie familiale individuelle extrêmement peu rentable. Cette dilapidation ne cessera qu’avec l’apparition de l’économie communautaire publique. Les jardins d’enfants, les crèches, les cantines et les maisons de repos installées par les Soviets épargnant aux femmes du travail improductif. Ce n’est que lorsque la femme sera déchargée des monotones tâches domestiques et autres devoirs familiaux qu’elle pourra utiliser sa force de travail tout entière pour un travail productif. Seuls un changement et une réforme profonde des conditions et des habitudes de vie d’après les principes socialistes permettront d’introduire avec succès le travail obligatoire pour tous. Car, si l’introduction du travail obligatoire n’est pas relié simultanément à un changement des conditions et des habitudes de vie, cela signifie pour les femmes un surcroît de travail, conduisant fatalement à un réel surmenage mettant en danger leur santé et leur vie. C’est pourquoi l’introduction du travail obligatoire pour tous dans les sociétés capitalistes entraînant une « double charge » pour la femme peut être considérée comme une évolution extrêmement réactionnaire. Dans les républiques ouvrières socialistes, en revanche, l’introduction du travail obligatoire et la création parallèle de nouvelles conditions de vie, comme le développement de l’économie communautaire publique, signifie l’édification d’une base solide pour la future libération de la femme.
Mais les survivances des traditions bourgeoises entrent toujours pour une part importante dans nos usages et nos coutumes, en particulier dans les traditions de la classe paysanne. Ces traditions rendent la vie des femmes bien plus difficile que celle des hommes, et même dans les familles de travailleurs l’épouse, la mère ou la sœur doivent supporter les répercussions de ces traditions. Cette double charge de travail entraîne naturellement pour les femmes des conséquences graves. Pourquoi les femmes doivent-elles mettre ainsi leur santé en jeu ? Il est donc nécessaire de réorganiser le quotidien dans l’intérêt des travailleuses. Et comme les femmes sont des ménagères habiles et expérimentées, elles ont fait preuve de grandes qualités d’initiative personnelles dès qu’il s’agissait de réorganiser la vie quotidienne. Nous n’avons donc rien d’autre à faire que de soutenir leur esprit d’initiative et de lui ouvrir un champ suffisamment vaste à son application. La prolétaire est accoutumée à construire un « chez-soi à partir du néant » et à administrer un ménage avec des moyens matériels dérisoires. C’est pourquoi il est aussi important d’intéresser les femmes à un mode d’organisation collectif permettant d’envisager une réorganisation de la vie quotidienne. Une telle évolution serait extrêmement avantageuse pour l’ensemble de la population.
Cependant, nous ne devons pas nous attarder de façon unilatérale sur le changement des conditions de vie. Les femmes doivent aussi acquérir une plus grande conscience d’elles-mêmes et de leur propre valeur. Nous devons donc poursuivre sans relâche notre lutte pour la participation des femmes à tous les secteurs locaux d’auto-administration si nous voulons vraiment atteindre un changement des conditions de vie de la classe ouvrière.
Mais sans ces profonds changements des conditions générales de vie, toute tentative de hausser la productivité du travail restera un coup d’épée dans l’eau. Les services de planification économique supérieurs ont tout intérêt à se consacrer au changement des conditions générales de vie à l’intérieur de l’entreprise et à envisager, par exemple, l’installation d’une cantine et d’un jardin d’enfants d’entreprise, etc. Les heures de travail employées par les travailleurs et les travailleuses à l’installation de ces institutions communistes devront alors être comptées comme heures de travail effectives. Ce n’est qu’à ces conditions que nous pouvons espérer un changement des conditions générales de vie.
Les sections féminines, en collaboration avec les sections syndicales d’entreprise, doivent créer de nouveaux modèles garantissant à la fois une utilisation productive de la main-d’œuvre féminine et la protection des travailleuses contre une surcharge de travail. Il s’agit de ménager temps de travail et temps de repos. La planification de la vie quotidienne communiste est tout aussi importante que la planification de la production. Si nous voulons vraiment obtenir un déploiement total des forces productives, nous ne pouvons nous permettre de négliger le travail préliminaire. Lors de la planification et de l’organisation de la production, tous les facteurs qui allègent la vie quotidienne et mettent un terme à l’absurde gâchis de la force de travail féminine, doivent être pris en considération.
Je répète une dernière fois : le changement des conditions de vie doit aller de pair avec l’introduction du travail obligatoire pour tous. Ce qui signifie une intensification des initiatives, appliquées essentiellement à l’économie communautaire publique. Si nous atteignons ce but, le système économique socialiste s’élaborant actuellement sous la dictature du prolétariat et soutenu par la participation active de toute la population à la production, conduira à un changement inconnu jusque-là dans l’histoire de l’humanité : l’émancipation de la femme dans la société.
En Union soviétique, toutes les femmes entre seize et quarante ans doivent accomplir actuellement un travail (dans la mesure où elles ne sont pas employées à temps plein à la production ou à l’administration d’État). Après le chaos général, la production doit être relancée. Ce travail obligatoire ne vaut pas seulement pour les villes, maïs également pour les campagnes. Les paysannes, tout comme les paysans, doivent accomplir à période fixe et répétée ce travail pour la société. Les paysannes et les paysans sont mis à contribution comme conducteurs, ils transportent le bois, participent à la construction des routes ou cultivent des pépinières. Les paysannes confectionnent des costumes pour les soldats de l’Armée Rouge. Ce travail obligatoire représente incontestablement une charge supplémentaire pour la paysanne, étant donné qu’à la campagne, les conditions de vie sont restées inchangées. II n’existe ni jardins d’enfants ni cantines d’entreprise, ce qui signifie naturellement que les paysannes continuent à supporter seules le poids des tâches domestiques. Toutefois le fait que la société reconnaisse les paysannes comme forces de travail productives conduira à la longue à changer leur vie et à rehausser leur statut social. Le paysan lui-même finira par se dire : « Si même l’État accepte ma bonne femme comme force de travail utile, c’est qu’elle est ma foi bonne à quelque chose. » La sous-estimation traditionnelle sans bornes des « bonnes femmes » à la campagne doit reculer en faveur des conceptions nouvelles. Certes, il existe déjà un certain déplacement des rapports de force entre homme et femme, mais il n’est pas encore possible de parler du respect de l’homme à l’égard de la femme.
Dans les villes, l’obligation du travail touche toutes les femmes qui ne possèdent pas un livret de travail, c’est-à-dire qui ne sont employées ni à l’usine ni à l’atelier ou ne travaillent pas pour le parti. Ces femmes travaillent pour les organismes de santé publique, à l’hôpital ou déblaient la neige. D’autres femmes distribuent le bois rationné ou balaient les rues de la ville. Ce travail obligatoire pour tous a contribué jusque-là à accélérer le processus de libération sociale de la femme. Sa vie entière s’en est trouvée changée, se répercutant habituellement aussi sur la relation entre l’homme et la femme. Il serait pourtant naïf de croire que l’introduction du travail obligatoire a suffi à jeter les bases pour une véritable libération de la femme. Nous ne devons pas oublier les différentes fonctions des femmes dans la société, comme force de travail productive pour l’économie nationale, d’une part, et comme mères des générations futures, d’autre part. Aucun État ouvrier ne peut éviter de prendre en considération cette tâche particulièrement importante dévolue à la femme. Notre parti, sur l’initiative des sections féminines et en étroite collaboration avec elles, a élaboré une réglementation assurant la protection de la santé et de la force de travail de la femme. Par cette réglementation légale, nous tenons compte, en particulier, des conditions de vie propres à la période de transition actuelle. Comme tous les citoyens de l’Union soviétique sont tenus d’accomplir un travail productif pour la société, notre intérêt se reporte particulièrement sur les mères et les ménagères qui bénéficieront désormais d’une réglementation spéciale. Tous les hommes entre seize et cinquante ans doivent accomplir un travail obligatoire; pour les femmes, la limite d’âge supérieure se situe à quarante ans. Les travailleurs qui peuvent prouver que leur santé est atteinte sont dispensés du travail obligatoire ; cette réglementation est applicable aussi aux femmes qui ont perdu 45 % de leur capacité de travail. Naturellement les femmes enceintes sont dispensées de tout travail huit semaines avant et huit semaines après la naissance. En outre, la réglementation prévoit qu’une mère ayant à charge un enfant de moins de huit ans ne doit pas travailler si un autre membre de la famille ne reste pas à la maison pour s’occuper de l’enfant. Les femmes qui doivent s’occuper d’une famille de plus de cinq personnes sont également dispensées du travail obligatoire. Le Conseil pour le travail et la défense précise aussi que les femmes ne doivent être employées qu’à des travaux faciles. Toutes les femmes des villes ayant des enfants au-dessous de quatorze ans et toutes celles des campagnes ayant des enfants au-dessous de douze ans sont dispensées du travail obligatoire en dehors de leur localité.
Toutes les questions que nous avons soulevées aujourd’hui n’ont évidemment absolument rien à voir avec les principes abstraits de l’égalité entre les sexes tels qu’ils ont été posés par les féministes bourgeoises ! Nous représentons dans notre République soviétique la conception suivante : égalité des droits, protection maternelle et droits spéciaux.
Ce travail obligatoire entre pour une part importante dans notre nouvel ordre social et apporte, par ailleurs, une solution radicale à la « question des femmes ». Cependant, cette tendance doit être soutenue par une protection élargie de la mère, c’est ainsi que nous pourrons garantir à la fois la force de travail et la santé des générations futures. Ce n’est que lorsque la classe ouvrière aura pris le pouvoir dans l’État et que les femmes accompliront un travail socialement utile qu’on en finira une fois pour toutes avec la situation de sujétion millénaire de la femme. Le chemin de la libération totale de la femme passe par la dictature de prolétariat.