Les enseignements de l’insurrection autrichienne

Les enseignements de l’insurrection autrichienne

Parti Communiste Français (PCF)

   Les éléments les plus réactionnaires et les plus sinistres de l’Autriche, la clique vénale qui ne pense qu’au râtelier étranger où elle pourrait manger le mieux, réunie par un seul sentiment – la haine contre le prolétariat – fête sa « victoire ».

   Tous les débris du corps d’officiers impérial enragés par l’effondrement de l’empire des Habsbourg, tous les déchets de la bureaucratie impériale ayant perdu complètement le sens de la réalité, et avec eux la grande bourgeoisie autrichienne, tous les épigones et avortons dont le « courage » n’a pu être rétabli que par le soutien de koulaks et de la paysannerie montagnarde d’Autriche trompée par les fascistes, ils ont tous voulu montrer au monde leurs exploits.

   Ces héros s’avéraient incapables d’insuffler la vie à l’organisme mort-né créé à Versailles; ils se vendaient aussi bien au pape qu’aux financiers, ils mendiaient honteusement auprès de la Société des nations et ses banquiers, ils se prostituaient dans toutes les antichambres de gouvernements européens; ils se transformèrent depuis longtemps moralement et matériellement en loques.

   Ce qui est resté vivant chez eux après toutes les catastrophes et transformations, c’est l’héritage historique de Metternich, créateur de la Sainte-Alliance, l’ancienne férocité sanguinaire transformée en fascisme « moderne ».

   Les banqueroutiers misérables, sous tous les rapports, se montrèrent capables de faire une seule chose – inonder le pays dans le sang ouvrier, transformer les quartiers ouvriers de Vienne en décombres fumants.

La terreur sanglante

   Les ouvriers d’Autriche luttaient héroïquement pour leurs droits. Même des journaux autrichiens devaient avouer que dans certaines maisons ils luttaient pour chaque mètre carré.

   Voilà comment luttent les prolétaires!

   Contre ces héros furent mis en mouvement tous les moyens modernes de guerre.

   Il fallait assiéger des maisons comme de véritables forteresses.

   Le Times de Londres signale que dans la seule cité Karl Marx 350 personnes furent tuées.

   La bataille se déroulait dans une des villes les plus peuplées du monde.

   Le Times écrit : une souffrance humaine si concentrée n’a, sans doute depuis la guerre mondiale, nulle part encore été éprouvée.

   Après avoir remporté la « victoire » à l’aide des canons et des mitrailleuses, les assassins érigèrent des gibets.

   On pendait même des combattants grièvement blessés.

   Le même Times, qu’on ne peut nullement soupçonner de sympathie pour les insurgés, communique des faits « où des ouvriers grièvement blessés étaient reconnus aptes à la pendaison ».

   On reconnaît « aptes à la pendaison » non seulement des prolétaires grièvement blessés qu’on transporte au gibet mais les pendeurs jettent fébrilement la corde sur les acquisitions révolutionnaires de la classe ouvrière.

   Les syndicats et toutes les organisations ouvrières sont liquidés. Les assurances sociales sont abolies.

   Des commissaires fascistes remplacent des organes élus par les travailleurs, tout cela au moment où le sang n’a pas encore séché dans les rues de l’Autriche.

   Quelle leçon pour le prolétariat du monde entier !

   Quelle illusion idiote de croire que cette leçon ne sera pas gravée dans le cœur du prolétariat et qu’elle n’aura pas de conséquences diamétralement opposées à celles imaginées par les pendeurs.

   Ce carnage bestial des prolétaires fut préparé d’avance, la tactique provocatrice des chefs fascistes le montre.

   Durant les derniers jours qui ont précédé l’insurrection, les organisations de la Heimwehr sont intervenues dans tout le pays « comme si elles avaient reçu un ordre précis » (expression du Times), exigeant l’institution de l’Etat  autoritaire , la dissolution de tous les partis, la démission des fonctionnaires social-démocrates, etc.

   « Ainsi – constate le Times – la liquidation des socialistes fut d’avance préparée, comme en Allemagne et en Italie, par le prince fasciste Starhemberg et le major Fey. »

   « Au lendemain du voyage de Dollfuss à Budapest, la police a reçu l’ordre d’occuper le siège de la rédaction de l’organe du Parti socialiste. On comptait pourtant avec la résistance et pour cette raison furent jointes aux forces policières les troupes régulières. Les ordres du gouvernement furent partout reçus comme des déclarations de guerre… »

   Ainsi présentent les choses, même les journaux les plus réactionnaires.

   Et pourtant, la presse autrichienne vénale construit une légende sur l’organisation méthodique de l’insurrection fixée d’avance pour un jour et une heure déterminés.

   Ces bobards correspondent entièrement à la légende de Goe ring sur « l’insurrection communiste qui devait éclater le jour de l’incendie du Reichstag ».

   En réalité, la direction de la social-démocratie autrichienne était incapable d’organiser une insurrection armée selon un plan établi d’avance.

   C’est la classe ouvrière qui se souleva.

   Les ouvriers autrichiens ont montré qu’ils étaient prêts à un héroïsme sans bornes, à une lutte implacable pour changer d’une façon décisive leur situation, car ils ne pouvaient plus vivre comme auparavant.

   Mais le moment et les conditions de la lutte ont été dictés et fixés par les provocateurs fascistes.

   Or, cela à son tour serait absolument impossible sans la politique extrêmement lâche et traîtresse des chefs de la social-démocratie autrichienne.

   Par toute leur tactique les austro-marxistes, les « gauches », ont fait le lit de l’ennemi de classe le plus féroce.

   Les chefs austro-marxistes – par exemple, Otto Bauer et Deutsch – reconnaissent encore actuellement qu’ils n’ont pas voulu la lutte, qu’ils essayaient jusqu’au dernier instant de l’ajourner, qu’ils n’ont cédé qu’à la pression irrésistible des ouvriers.

   Même pendant la lutte la plus ardente les chefs fascistes ont eu la possibilité, pour affaiblir la résistance des ouvriers en lutte, d’utiliser dans leurs appels ce fait que la direction du Parti so cial-démocrate décida la grève générale par la majorité d’une seule voix.

   Les chefs les plus en vue de la social-démocratie, avec l’ancien chancelier Renner et le bourgmestre de Vienne Seitz, au lieu de prendre leur place dans les rangs des combattants, se sont laissés lâchement arrêter dans leurs institutions ou dans leurs logements légaux en protestant contre l’arrestation au nom de la légalité bourgeoise, tout comme les Sévering et les Braun en Prusse, en juillet 1932.

   Ainsi, des douzaines de dignitaires social-démocrates se sont laissés amener comme des moutons dans les prisons de Vienne.

   Voici les seules « forces » social-démocrates qui se sont trouvées au centre de la ville où, d’après la stratégie révolutionnaire élémentaire, devait se rendre d’une façon organisée toute la masse de combattants si elle avait eu une direction révolutionnaire véritable.

Une chaîne de trahisons

   Tout cela est le résultat fatal et conséquent de la politique et de la tactique suivies par la social-démocratie autrichienne depuis la fin de la guerre, le couronnement de ses capitulations successives et de ses trahisons multiples.

   Celle-ci fut sensiblement analogue à celle de la social-démocratie allemande, malgré une utilisation plus abondante de phrases « révolutionnaires » et « marxistes ».

   En 1919, après l’écrasement de la dynastie des Habsbourg par les troupes de l’Entente, la social-démocratie, qui était le plus fort parti politique et qui groupait derrière lui presque l’ensemble de la classe ouvrière, se trouva devant une situation révolutionnaire.

   La foule ouvrière parcourait les rues demandant la « Dictature du Prolétariat » et « Tout le pouvoir aux Soviets ! » Les paysans eux-mêmes, qui jusqu’alors étaient hostiles au mouvement ouvrier, sentaient la nécessité d’un renversement révolutionnaire.

   Tout cela était si évident que les chefs social-démocrates eux mêmes ne faisaient aucune difficulté pour le reconnaître.

   Mais s’ils reconnaissaient les faits, c’était pour mieux empêcher la révolution d’éclater.

   Voici les aveux de Otto Bauer que les socialistes considèrent comme « le plus grand homme de la IIè Internationale. »

   Dans ces journées où toutes les autorités surannées s’écroulaient, celle de la social-démocratie était plus forte que jamais.

   C’était elle, et elle seule, qui pouvait encore discipliner ces foules de prolétaires armés qui se rassemblaient dans les casernes, les mettre sous sa direction, les remplir de son idéologie et les empêcher par là de faire abus de leurs armes. (« La Révolution autrichienne de 1919 »)

   Et quelques pages plus loin :

   Seuls les social-démocrates étaient capables d’apaiser, par des négociations, par des harangues, les manifestations sauvagement agitées, seuls eux étaient capables de s’entendre avec les chômeurs, de diriger les milices populaires, de retenir les masses ouvrières des tentatives d’aventures révolutionnaires…

   L’ébranlement profond de l’ordre bourgeois trouva son expression dans le fait qu’un gouvernement bourgeois, un gouvernement sans les social-démocrates, était tout à fait impossible. (Ibidem)

   Au lieu d’utiliser l’énergie révolutionnaire du prolétariat et l’impuissance de la bourgeoisie pour prendre le pouvoir et proclamer la dictature du prolétariat, comme le demandaient les masses, la social-démocratie autrichienne s’assignât pour tâche de sauver le capitalisme et entra dans un cabinet de concertation.

   Ce fut sa première trahison ! Une fois au gouvernement, les trahisons à la classe ouvrière se succédèrent à un rythme rapide.

   Quand les Soviets hongrois, aux prises avec les armées alliées, demandèrent le secours aux socialistes autrichiens, ceux-ci se retranchèrent derrière la « neutralité » et refusèrent de les aider non seulement militairement, mais encore en leur fournissant des vivres.

   Lorsque éclata le mouvement révolutionnaire du 15 juin 1919, la social-démocratie qui ne voulait pas utiliser les armes contre la bourgeoisie n’hésita point à en faire usage contre les ouvriers.

   Voici le récit de cette journée sanglante, faite par Otto Bauer lui-même :

   « Le ministre socialiste Eldersch ordonna, dans la nuit du 14 au 15 juin, l’arrestation de tous les dirigeants communistes.

   Le 15 juin une foule de plusieurs milliers de communistes se dirigea vers la prison de police pour libérer les prisonniers.

   Dans la rue Hörl, ils furent rencontrés par un détachement de la Stadtschutzwache, formation policière composée de socialdémocrates.

   Lorsque les manifestants voulurent forcer les barrages de police, celle-ci fit usage de ses armes à feu. 20 morts et 80 blessés restèrent sur le pavé.

   La bourgeoisie aurait été incapable de leur opposer la moindre résistance, tant à Vienne que dans les régions industrielles de la Basse-Autriche et de la Styrie, et la police aurait été complètement impuissante.

   Ce n’est que par la lutte à l’intérieur des conseils d’ouvriers et de soldats que l’offensive du bolchevisme a été brisée. »

   La social-démocratie autrichienne s’efforça de justifier toutes ses trahisons en implantant dans la conscience du prolétariat la théorie qu’une Autriche soviétique ne saurait être longtemps viable à cause de son isolement et de son impuissance à l’égard des interventionnistes étrangers.

   C’est cette théorie qui lui permit de conserver autour d’elle la presque totalité du prolétariat.

   Ce fut à l’aide de cette même théorie que la social-démocratie put contribuer impunément au massacre du 15 juillet 1927 de Vienne.

   Le « bonze » social-démocrate Kunfi écrivit, à ce sujet, les lignes suivantes dans la revue Kampf du mois d’août 1927 :

   « Ce fut un moment tragique, profondément bouleversant, lorsqu’en présence de la chasse à l’homme organisée par les hommes d’ordre, l’appel aux armes partit des milliers des prolétaires présents.

   Mais le Parti social-démocrate s’est opposé avec toute son énergie à l’appel « Aux armes ! »

   Quelle que fut la puissance et le caractère instinctif de cet appel, quelle que fut la difficulté de s’y opposer, dans une situation pareille, si l’on y avait obéi, cela aurait entraîné une guerre civile sanglante et aurait préparé au prolétariat autrichien le même sort que celui que subissent les ouvriers hongrois et italiens. »

   Les social-démocrates ont alors reculé devant la guerre civile, à un moment où la situation était particulièrement favorable au prolétariat, à un moment où une issue victorieuse était à peu près certaine pour la classe ouvrière.

   Près de 200 ouvriers tombèrent ce jour-là sous les balles de la police des catholiques Seipel et Schober.

   Cette trahison fut le signal de l’offensive fasciste.

   Depuis ce jour mémorable du 15 juillet 1927, la bourgeoisie s’efforça d’enlever petit à petit toutes les libertés que la classe ouvrière avait conquises dans des dizaines d’années de lutte.

Quelques dates

   « Il y a des dates historiques que la classe ouvrière d’Autriche n’a pas le droit d’oublier. Ce sont les dates de ses défaites subies sans combat, de lâches abandons par la social-démocratie des positions conquises au cours de la révolution » (Manouilski).

   Prenons quelques faits seulement des dernières années :

   Le 17 mai 1927, remise des armes que les ouvriers avaient prises à l’arsenal ;

   Le 15 juillet, trahison directe de l’insurrection des ouvriers de Vienne. Otto Bauer est partisan de la coalition avec Seipel, pour « liquider la catastrophe »;

   Le 28 mai 1928, pacte de Gutenberg, qui ouvrait aux fascistes les portes des usines, alors que jusque là l’embauche était contrôlée par les syndicats réformistes ;

   Le 7 octobre 1928, concours apporté à la première marche offensive de la Heimwehr fasciste contre Wiener-Neustadt et le sabotage de la contre-manifestation des ouvriers ;

   Le 7 décembre 1929, vote au Parlement pour la « réforme de la Constitution », pour les lois d’exception, pour la collaboration de la Heimwehr fasciste avec la police, pour l’emploi de la force armée contre les ouvriers, etc. ;

   Le 2 février 1930, Seitz autorise une grande manifestation fasciste, malgré l’interdiction promulguée par lui-même de toutes manifestations ;

   Le 5 avril 1930, vote au Parlement de la « loi contre la terreur », c’est-à-dire, pour la défense des briseurs de grève et du fascisme dans les entreprises ;

   Le 13 juin 1930, loi sur le désarmement des organisations de masse qui a désarmé, en fait, les ouvriers, face aux fascistes s’armant ouvertement ;

   Le 8 octobre 1931, vote des pouvoirs économiques extraordinaires au gouvernement réactionnaire de Bouresch.

   Les événements se développent avec une rapidité particulière depuis le 7 mars 1933 où Dollfuss, par un véritable coup d’Etat, s’empare du pouvoir sans une résistance réelle de la social-démocratie.

   Il prépare rapidement la voie à l’instauration du régime fasciste actuel.

   Avril 1933 – suppression du droit de grève, interdiction du Parti communiste autrichien, dissolution du Schutzbund, interdiction de la Rote Fahne, organe central du Parti communiste, interdiction des manifestations du ler mai.

   Mai 1933 – annulation des droits des fonctionnaires et des travailleurs des services publics, suppression des syndicats des fonctionnaires.

   Juin 1933 — dissolution des Libres penseurs prolétariens, violation de l’autonomie communale.

   Août 1933 – limitation ultérieure de la liberté de presse et de réunion.

   Novembre 1933 – introduction de la peine de mort, instauration des camps de concentration, aggravation de la loi sur le chômage.

   Décembre 1933 – proclamation de la « trêve des partis » jusqu’au 15 janvier avec la suspension de toutes libertés, suppression des conseils d’usines dans tous les services publics, suppression des chambres ouvrières élues et leur remplacement par des commissaires gouvernementaux.

   La social-démocratie supportait passivement toute cette offensive réactionnaire contre les droits élémentaires des travailleurs, elle laissait saper sans résistance la force des organisations ouvrières, sous le prétexte hypocrite que le moment n’était pas encore venu pour employer la violence prévue même par le programme social-démocrate de Linz dans le cas où les classes dirigeantes y auraient recours les premières.

   Mais chaque fois on remettait le coup à demain, car le moment n’était pas encore, paraît-il, venu.

   Ainsi, de retraite en retraite, de capitulation en capitulation, on est arrivé à s’accommoder de toutes les exigences de la réaction fasciste, on lui facilitait la consolidation de ses positions lui permettant de s’emparer du pouvoir au moment qui lui paraîtrait le plus opportun.

   Léon Blum, le 16 février, à la salle Wagram a expliqué ainsi cette tactique.

   La social-démocratie a différé le plus longtemps possible l’instant de la lutte ouverte, parce que la guerre civile en Autriche pouvait être le signal de la guerre en Europe.

   Ils se sacrifiaient stoïquement à la paix européenne qui est la plus grande nécessité du socialisme.

   Ils ont empêché, à plusieurs reprises, le prolétariat d’agir, alors que celui-ci sentait bien la nécessité qu’il y avait de riposter aux attaques fascistes.

   Ainsi, on peut lire dans le Populaire du 11 octobre 1933 :

   « Le coup de force contre notre confrère viennois, l’ArbeiterZeitung, a eu pour conséquence une réaction très vive de la part du prolétariat autrichien.  Il a fallu l’intervention du Parti social-démocrate pour empêcher les ouvriers indignés de commencer une grève générale, qui, dans les circonstances actuelles, ne pourrait constituer que le prélude à la guerre civile. »

   Le Parti ne l’a pas voulu.

   Au lieu de combattre le gouvernement fasciste de Dollfuss, la social-démocratie voulait s’entendre avec lui en lui faisant toutes les concessions que celui-ci exigeait.

   Le tout, en prétextant que Dollfuss symbolise l’ « indépendance de l’Autriche » et qu’en le soutenant, on combat mieux le danger hitlérien.

   Pour le soutenir, les socialistes de l’étranger, notamment ceux de France, lui ont même octroyé un emprunt de 300 millions de francs.

   Les ouvriers français se rappellent encore que ce fut le « socialiste » Longuet qui défendit le projet de loi en question devant la Chambre.

Sur les genoux de Dollfuss

   De concession en concession, les social-démocrates s’offrirent même à coopérer avec Dollfuss en vue d’une révision fasciste de la Constitution.

   Au Congrès du Parti qui eut lieu le 3 décembre 1933, la socialdémocratie s’est déclarée prête « à coopérer à une solution pacifique et constitutionnelle de la crise politique », et même à collaborer à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, à la seule condition que soient garantis « l’exercice du pouvoir exécutif par des corps élus sur la base du suffrage universel et égal, ainsi que le droit de libre coalition aux ouvriers et employés ».

   Au Conseil national de la C.G.T., le 20 février, Jouhaux a raconté que jusqu’au dernier moment les socialistes et les syndicats autrichiens étaient prêts d’appuyer Dollfuss, d’accord avec leurs protecteurs socialistes des grands pays impérialistes.

   Jouhaux informe le C.C.N. qu’il y a trois semaines encore (c’est-à-dire au début de février) le secrétaire de la Fédération syndicale internationale était à Vienne et faisait savoir à l’homme de confiance de Dollfuss que les organisations syndicales autrichiennes étaient décidées à accepter sa politique, si mauvaise qu’elle leur paraisse, à la condition qu’il oppose une fin de non-recevoir aux demandes formulées par la Heimwehr. Dollfuss a refusé. (Le Peuple du 21 février.)

   Un ouvrier social-démocrate a résumé, dans sa conversation avec le correspondant du Petit Parisien, d’une façon précise ce qui était la politique de son parti depuis un an, politique qui a préparé la défaite .

   « Depuis la fermeture du Parlement par M. Dollfuss (mars 1933), l’histoire de la social-démocratie autrichienne n’est qu’une suite ininterrompue de capitulations pacifiques.

   La Chambre, où nous avions la majorité, est licenciée. Nous nous inclinons.

   On interdit notre formation de défense militaire en laissant subsister celle des Heimwehren. Nous acceptons.

   On perquisitionne dans nos syndicats, dans nos bourses du travail. Nous ne disons rien.

   On inonde les rues de placards et de papillons qui insultent notre idéal et réclament notre mort. Nous ne répondons pas.

   On organise même des fêtes officielles qui, dans la commune socialiste de Vienne, peuvent ressembler à des provocations.

   Dans le même temps le gouvernement central frappait le portemonnaie socialiste en enlevant à nos municipalités la plupart de leurs recettes d’impôts et créant ainsi le déficit dans le budget viennois. Nous nous contentons de protester.

   Nos journaux sont censurés, saisis, interdits. Nous baissons la tête.

   Nous nous inclinons toujours, tant et si bien qu’on en arrive à nous retirer peu à peu nos libertés fédérales et municipales.

   On enlève à nos maires leur pouvoir et leur autorité.

   Enfin, un putsch heimwehr, dont on n’a pas parlé à l’étranger, s’est produit à Innsbruck.

   Le gouverneur légal est remplacé par un dictateur fasciste.

   Les Heimwehren, triomphants, annoncent tout haut leur intention de licencier les Diètes fédérales, d’instituer partout le régime dictatorial.

   Les soldats politiques parcourent les rues, font jouer la matraque et l’huile de ricin.

   Messieurs Fey et Stahremberg annoncent, dans des discours, que nos jours sont comptés.

   Nos chefs, aux abois, supplient le gouvernement.

   Ils acceptent tout, centre une seule promesse que le régime électoral et parlementaire sera rétabli… plus tard!

   Les syndicats n’attendent plus leurs ordres. Des grèves dispersées éclatent çà et là, spontanément.

   Alors on arrête nos anciens capitaines, du temps où la milice socialiste avait une existence légale : le capitaine Eifler, le capitaine Loew et bien d’autres dont on redoute la technicité militaire en cas de bagarres.

   Nous laissons décapiter nos troupes sans sourciller.

   On achète dans nos rangs des traîtres qui livrent des dépôts d’armes.

   De plus en plus, la masse des cotisants s’indigne contre la patience de leurs dirigeants. Ceux-là ne sont plus obéis; chaque foyer socialiste prend en quelque sorte son autonomie et lorsque vingt Hemwehren viennent à la Maison du peuple, à Linz, avec leurs matraques et leurs fioles… l’étincelle se produit!

   Les chefs donnent alors, la mort dans l’âme, l’ordre qui est exécuté tant bien que mal, l’armature du parti étant déjà cassée. (Petit Parisien du 21 février.)

   Dans la dernière période toute la tactique de la social-démocratie autrichienne consistait à espérer que Léon Blum et Jouhaux la sauveraient par leur intervention auprès du Quai d’Orsay et que Dollfuss, qu’ils étaient prêts de soutenir, comme nous l’avons vu, serait un « moindre mal » par rapport à son propre vice-chancelier, le major Fey.

   Ces chefs n’ont pas escompté seulement deux faits :

   – primo, que les éléments les plus réactionnaires et les plus combatifs du fascisme, les dirigeants de la Heimwehr voudraient mener leur victoire jusqu’au bout;

   – secundo, que les ouvriers, y compris les ouvriers social-démocrates, ne se laisseraient pas réduire en esclavage sans résistance, qu’ils prendraient les armes afin de lutter pour le pouvoir.

   Au dernier instant même la direction social-démocrate s’est scindée en deux.

   Les uns ont préféré se laisser arrêter ou même passer au fascisme pour éviter seulement la résistance, les autres – « les gauches » – contre leur volonté en grinçant les dents, pour essayer de sauver leur prestige ont cédé à la pression d’en bas avec le but non pas d’élargir la lutte, mais de la limiter à la défensive pure, selon leur vieille tactique, ce qui dans ces conditions n’a pu avoir que des conséquences les plus fatales.

Qui a désarmé les ouvriers ?

   Ainsi, la social-démocratie a préparé la défaite des ouvriers autrichiens qui, au moment décisif, se sont trouvés sans une direction révolutionnaire, aussi bien militaire que politique.

   L’absence tragique de la direction militaire s’est montrée en premier lieu dans le fait qu’au lieu de commencer dès le début une offensive sur tous les centres vitaux et les postes de commande, les ouvriers et les détachements armés du Schutzbund se virent refouler sur les positions de la défensive éparpillée, se sont renfermés dans leurs maisons et attendaient qu’on vienne les frapper les uns après les autres.

   La trahison et la lâcheté des chefs les plus en vue de la socialdémocratie – ceux de « gauche » en premier lieu – a abouti au fait qu’aucun enseignement de la Commune de Paris et de la révolution d’Octobre ne fut mis à profit.

   Des réserves énormes de l’héroïsme prolétarien furent dissipées sans aucun résultat militaire.

   L’absence de la direction politique s’exprime dans le fait que la lutte ne fut pas menée sous le seul mot d’ordre qui correspondait à la situation – mot d’ordre du pouvoir soviétique.

   Ce n’est pas pour le soutien de Dollfuss contre Fey, pour le retour impossible vers le passé, pour la conservation des municipalités socialistes privées de tout pouvoir réel que luttaient les héros du prolétariat !

   Il est clair que quel que soit le mot d’ordre avec lequel le prolétariat autrichien s’est soulevé en février 1933, le résultat inévitable de sa victoire – malgré et contre tous les Renner et Bauer – serait la conquête du pouvoir par le prolétariat, serait l’Autriche soviétique.

   Mais précisément à cause de la trahison des Renner et Batier le drapeau de la lutte pour les Soviets ne fut pas déployé avec la netteté qui correspondrait à la situation et aux tendances réelles des combattants.

   Seuls, les communistes, qui se sont battus aux premiers rangs des insurgés, en combattants les plus dévoués de la classe ouvrière, ont fait et font la propagande pour ces buts.

   Mais le petit Parti communiste d’Autriche n’a pas pu créer la direction révolutionnaire centralisée unique de l’insurrection s’étendant à tout le pays.

Le sens de l’insurrection

   Les masses ouvrières tireront les conclusions qui s’imposent de l’insurrection autrichienne.

   Ces leçons leur apprendront comment lutter et vaincre.

   La première de ces leçons, c’est que les rangs du prolétariat doivent être nettoyés des traîtres, des chefs social-démocrates.

   L’insurrection des ouvriers autrichiens est la première étape d’une nouvelle phase de gigantesques batailles de classe du prolétariat contre le fascisme, pour le pouvoir des Soviets.

   La victoire de Dollfuss est une victoire â la Pyrrhus.

   Le fascisme autrichien le comprend et c’est pourquoi la terreur qu’il exerce est si effrénée.

   Mais le prolétariat autrichien n’est pas seul. Son exploit immortel et son héroïsme flamboient sur l’Europe. Le prolétariat mondial est avec les ouvriers autrichiens en lutte.

   Dans tous les pays du monde, les masses opprimées et exploitées expriment leur solidarité combative avec les prolétaires autrichiens qui ont manifesté la grande force que possède la classe ouvrière.

   L’insurrection des ouvriers autrichiens réfute toutes les affirmations des fourbes social-fascistes, affirmant que les masses ouvrières ne veulent pas lutter contre le fascisme.

   A la lumière de la lutte du prolétariat autrichien apparaît encore plus criminelle l’activité de la social-démocratie allemande qui, ayant en mains non seulement les principales organisations ouvrières, mais aussi l’appareil d’État et la police, a renoncé à lutter, sous prétexte que la classe ouvrière a besoin non pas de la lutte pour le pouvoir, mais d’une entente avec la bourgeoisie.

   L’insurrection du prolétariat d’Autriche a montré ensuite que la classe ouvrière peut mener la lutte contre tous les moyens militaires modernes de la bourgeoisie.

   Elle a établi le véritable front unique des ouvriers social-démocrates et communistes à la base et montré, au cours de la lutte, que là où il y a lutte révolutionnaire, les communistes sont toujours premiers rangs.

   Les événements d’Autriche sont d’une grande portée politique internationale.

   Ils montrent a la bourgeoisie ce qui l’attend en cas de guerre et combien ses arrières sont incertains.

   Ils témoignent d’un tournant dans l’état d’esprit des grandes masses vers la lutte contre le système capitaliste, pour la dictature du prolétariat.

   Ils montrent combien est grande l’influence de l’exemple de l’Union soviétique sur tout le prolétariat international.

   Ils montrent combien sont grandes les forces cachées clans la classe ouvrière.

   Les événements d’Autriche et de France montrent au monde entier que, tandis que la bourgeoisie s’engage dans la voie de la guerre, la lutte de classe des ouvriers dans les pays capitalistes prend des formes toujours plus aiguës.

   Le front des classes en lutte s’élargit sans cesse en même temps que ses objectifs s’élèvent.

   C’est la lutte pour le pouvoir.

   La guerre civile entre la bourgeoisie et le prolétariat est à l’ordre du jour.

   Les ouvriers de France et d’Autriche, le plus fort et le plus faible des pays capitalistes, ont montré pratiquement combien la vague révolutionnaire est haute en Europe, combien sont grandes les contradictions entre les classes, combien est proche la révolution prolétarienne.

   Le régime bourgeois dans le monde entier traverse la plus grande crise révolutionnaire.

   Il faut prouver par la pratique des partis révolutionnaires « qu’ils ont assez de conscience, d’organisation, de contact avec les masses exploitées, de résolution, de capacité pour utiliser cette crise pour la révolution victorieuse ». (Lénine.)

   Dans cette lutte des ouvriers et des travailleurs contre la bourgeoisie, il n’y a qu’une voie : le renversement de la dictature bourgeoise et l’instauration de la dictature du prolétariat.

   Les événements d’Autriche et de France ont montré que la ligne intermédiaire, la ligne de la social-démocratie, trompe les ouvriers et conduit au fascisme.

   La classe ouvrière doit enfin comprendre que, dans la lutte pour le pouvoir, la bourgeoisie est sans merci envers la classe ouvrière et est prête à toutes les atrocités pour maintenir les ouvriers dans les chaînes.

   La classe ouvrière doit comprendre qu’elle aussi est obligée d’être sans merci envers la bourgeoisie, qu’une lutte sans merci contre la bourgeoisie et ses chiens de garde, les fascistes, est le principe qu’elle doit suivre intégralement si elle ne veut pas rester 1’esclave de la bourgeoisie.

   Et si la classe ouvrière d’Europe comprend cette vérité, elle vaincra certainement.

   Tels sont les enseignements des événements d’Autriche.

Romier
Mars 1934

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