Vingtième leçon

Principes fondamentaux de philosophie

Georges Politzer

QUATRIEME PARTIE – LE MATERIALISME HISTORIQUE

Vingtième leçon. — Le socialisme

1. Répartition et production

   Depuis l’apparition des classes, les hommes n’ont cessé de rêver à un régime social idéal d’où seraient bannies l’exploitation de l’homme par l’homme et la lutte des classes. Un véritable courant souterrain d’aspirations populaires traverse ainsi l’histoire des masses opprimées depuis la croyance antique au retour de l’âge d’or. Jamais le peuple n’a désespéré de l’avenir de l’humanité. A toutes les époques poètes et penseurs ont attendu et célébré l’aube des temps nouveaux, comme ce Thomas Campanella qui, à la fin du XVIe siècle, écrivit la Cité du Soleil et passa 27 ans en prison. La religion chrétienne s’est évertuée pendant deux mille ans à répéter aux opprimés que « ce royaume n’est pas de ce monde », mais rien n’a pu tuer au cœur des masses l’espoir du bonheur terrestre et Beethoven a fait de sa merveilleuse Neuvième Symphonie un hymne des temps futurs.

   Néanmoins, avant le marxisme, les idées sur la « cité idéale » ne sont pas sorties et ne pouvaient sortir du domaine de l’utopie. Privés de la connaissance des lois économiques, les philosophes sociaux de toutes les époques ont vu le mal essentiel dans l’inégale répartition des biens entre les individus ; ils ont donc préconisé soit un partage égal, soit la communauté des biens. Mais, dépourvus de la science des sociétés, ils ne savent pas faire l’analyse de la production et démonter le mécanisme de l’exploitation de classe. C’est pourquoi ils ont été traités en rêveurs et un préjugé tenace s’est implanté dans la bourgeoisie — petite et grande — selon lequel le socialisme et le communisme sont irréalisables.

   Au XIXe siècle, les socialistes utopiques se sont aperçus qu’il fallait prendre le problème par l’autre bout : non par la consommation, mais par la production, — qu’on ne pouvait exiger l’abondance des biens avant d’avoir considérablement augmenté la production, ce que permet justement la grande industrie mécanisée moderne. Mais, faute d’une analyse scientifique des lois de la production et de l’économie, ils n’ont pas vu clairement que la question décisive sur laquelle il faut se prononcer, si l’on veut réellement augmenter la production, c’est celle de la suppression de la propriété privée capitaliste des moyens de production et nulle autre, puisque c’est cette propriété et elle seule qui aboutit au paradoxe de faire de la « surproduction » une calamité économique. Ignorant les lois du capitalisme, ils pensaient que la bonne volonté pourrait suffire à mettre l’énorme appareil de l’industrie capitaliste au service des besoins de la société. Nous avons vu qu’il ne peut en être ainsi, puisque la propriété privée des moyens de production fait justement obstacle aux réalisations que l’industrie et la science modernes pourraient permettre.

   Cependant les socialistes utopiques ont mis en avant cette idée révolutionnaire que les immenses forces productives libérées par la science et l’industrie modernes doivent être utilisées à satisfaire les besoins matériels de la société, et non à procurer un profit à une mince couche d’exploiteurs : « remplacer l’exploitation de l’homme par l’homme par l’exploitation du monde par les hommes associés, remplacer le gouvernement des hommes par l’administration des choses », tels étaient les buts du socialisme selon Saint-Simon.

   Seul le marxisme donna une réponse scientifique aux problèmes soulevés par la réalisation de ces buts en montrant :

  1. que l’élément essentiel des rapports de production, c’est la propriété des moyens de production ;
  2. que le changement des rapports de production ne peut être effectué si l’on ne s’appuie pas sur la dialectique interne du développement du mode de production ;
  3. que la force qui peut seule vaincre la résistance des classes lésées par ce changement, c’est la lutte de classe politique du prolétariat et de ses alliés.

   Le marxisme permet ainsi de définir scientifiquement :

  1. la base du socialisme ;
  2. les conditions objectives requises pour son avènement ;
  3. les conditions subjectives de son édification.

2. La base économique du socialisme

   En montrant que l’élément essentiel des rapports de production, dans n’importe quelle société, c’est la forme de propriété des moyens de production, le marxisme a montré du même coup que le socialisme ne peut consister ni dans la communauté des « biens » en général, ni dans le partage des « biens », ni dans l’association des capitaux privés, ni dans la concentration et l’organisation du capitalisme. La base du socialisme, c’est la propriété sociale des moyens de production, ce qui signifie l’expropriation des propriétaires privés, et avant tout des propriétaires des grands moyens de production modernes qui peuvent et doivent être mis en mouvement pour la satisfaction des besoins sociaux. Le marxisme a montré que ce but était parfaitement réalisable, il en a indiqué les voies, qui n’ont plus rien d’utopique : c’est le prolétariat qui est objectivement capable d’accomplir cette transformation historique du mode de production, car il est la victime directe de la propriété privée ; la propriété sociale des moyens de production coïncide intégralement avec ses intérêts de classe exploitée. Les capitalistes, qui pendant des siècles se sont approprié le produit du travail des masses réduites à la misère, sont les expropriateurs des masses. Le socialisme, c’est l’expropriation des expropriateurs.

   La propriété sociale des moyens de production a pour effet la suppression du salariat. En effet, l’excédent de valeur que les forces productives modernes permettent de produire en un jour par rapport à la valeur nécessaire à l’entretien de la force de travail de l’ouvrier revient, non plus au capitaliste privé, mais à la collectivité tout entière, puis est réparti entre ses membres selon le travail fourni et aussi sous la forme d’avantages sociaux multiples. Les notions de plus-value, de salaire comme prix de la force de travail, de profit, de capital, de travail nécessaire et de travail gratuit perdent leur signification.

   « Les propos sur la force de travail comme marchandise et sur le « salariat » des ouvriers paraissent assez absurdes dans notre régime ; comme si la classe ouvrière, qui possède les moyens de production, se salariait elle-même et se vendait à elle-même sa force de travail. Il n’est pas moins étrange de parler aujourd’hui de travail « nécessaire » et de « surtravail » : comme si, dans nos conditions, le travail des ouvriers donné à la société en vue d’élargir la production, de développer l’instruction, de protéger la santé publique, d’organiser la défense nationale, etc. n’était pas aussi nécessaire à la classe ouvrière, aujourd’hui au pouvoir, que le travail dépensé pour subvenir aux besoins personnels de l’ouvrier et de sa famille. » (Staline : « Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. », Derniers écrits, p. 108-109)

   Le socialisme, tel qu’il est défini scientifiquement par le marxisme, c’est donc bien la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme et du même coup la suppression des classes antagonistes dans la société. Par conséquent, l’antagonisme des classes sur le plan économique entre exploiteurs et exploités prend fin, lui aussi.

   La propriété sociale des moyens de production a également pour conséquence la suppression de toute possibilité de crise économique. En effet la concurrence entre producteurs privés guidés par la perspective du profit disparaît, et avec elle l’anarchie de la production capitaliste. D’autre part la loi de l’accumulation capitaliste, qui veut que le développement de forces productives gigantesques ait pour condition la misère croissante des masses du fait de l’appropriation privée du produit du travail social, devient caduque. Il en résulte que : 1. le développement de la production des moyens de production et le développement de la production des moyens de consommation peuvent être harmonisés selon les règles de la reproduction établies par la science économique marxiste ; l’anarchie de la production fait place à la loi du développement harmonieux (proportionné) de l’économie ; autrement dit, celle-ci peut être planifiée ; 2. l’augmentation continue de la production ne peut aboutir à une « crise de surproduction », car, chacun recevant selon le travail fourni, elle s’accompagne nécessairement de l’élévation du pouvoir d’achat de tous les travailleurs qui augmentent leur consommation. Le désaccord entre la production et la consommation, et toutes les absurdités qui en résultent, — chômage, destruction des forces productives, — ne peut survenir. Le socialisme, c’est donc l’absence de crises économiques, la suppression de l’impérialisme et la disparition des causes de guerre.

   Résumant les traits fondamentaux du socialisme, Staline a écrit :

   « Sous le régime socialiste qui, pour le moment, n’est réalisé qu’en U.R.S.S., c’est la propriété sociale des moyens de production qui forme la base des rapports de production. Ici, il n’y a plus ni exploiteurs ni exploités. Les produits sont répartis d’après le travail fourni et suivant le principe : « Qui ne travaille pas, ne mange pas ». Les rapports entre les hommes dans le processus de production sont des rapports de collaboration fraternelle et d’entraide socialiste des travailleurs affranchis de l’exploitation. » (Staline : Matérialisme dialectique et matérialisme historique, 3, c, p. 27.)

   De quelle façon peut être réalisée la propriété sociale des moyens de production ? Si nous prenons l’exemple de l’U.R.S.S., nous voyons que :

1° les moyens de production dans l’industrie ont été expropriés et remis au peuple tout entier ;

2° les petits et moyens producteurs individuels ont été groupés progressivement en des coopératives de production, c’est-à-dire en de grosses entreprises agricoles, les kolkhoz ;

3° pour assurer l’alliance économique de la ville et des campagnes, de l’industrie et de l’agriculture, la production marchande (c’est-à-dire l’échange par achat et vente) a été maintenue pour un temps comme la forme la seule acceptable — pour les paysans — des relations économiques avec la ville : le commerce d’Etat et le commerce coopératif et kolkhozien ont été développés à fond, en éliminant du circuit commercial les capitalistes de toutes sortes. [Voir Staline : « Les problèmes économiques… », ouvrage cité, p. 106.]

   Il en résulte qu’il existe en Union soviétique deux formes de propriété sociale des moyens de production :

   « La propriété socialiste en U.R.S.S. revêt soit la forme de propriété d’Etat (bien du peuple tout entier), soit la forme de propriété coopérative kolkhozienne (propriété de chaque kolkhoz, propriété des unions coopératives). (Article 5 de la Constitution de l’U.R.S.S.).

   La terre, le sous-sol, les eaux, les forêts ; les usines, les fabriques, les mines de charbon et de minerai, les chemins de fer, les transports par eau et par air, les banques, les P.T.T., les grandes entreprises agricoles organisées par l’Etat (sovkhoz, stations de machines et de tracteurs, etc.), ainsi que les entreprises municipales et la masse fondamentale des habitations dans les villes et les agglomérations industrielles sont la propriété de l’Etat, c’est-à-dire le bien du peuple tout entier. (Article 6).

   Les entreprises communes dans les kolkhoz et dans les organisations coopératives avec leur cheptel vif et mort, la production fournie par les kolkhoz et les organisations coopératives, ainsi que leurs bâtiments communs, constituent la propriété commune socialiste des kolkhoz et des organisations coopératives… » (Article 7).

   On voit que, dans le cas de l’U.R.S.S., les coopératives agricoles travaillent une terre qui leur est donnée en jouissance gratuite à perpétuité, mais qui est le bien du peuple tout entier. En outre, elles sont abondamment fournies par l’Etat en tracteurs et autres machines de premier ordre qui sont la propriété de l’Etat. Ce dont le kolkhoz dispose en toute liberté, c’est donc essentiellement, outre ses entreprises et bâtiments, le fruit de la production kolkhozienne, source de ses revenus.

   Chaque foyer kolkhozien, outre le revenu fondamental de l’économie kolkhozienne commune, a la jouissance d’un petit terrain sur lequel il possède en propre une économie auxiliaire : maison d’habitation, bétail productif, volaille, menu matériel agricole.

   La loi admet les petites économies privées des paysans individuels et des artisans, excluant l’exploitation du travail d’autrui.

   En ce qui concerne les moyens de consommation, les citoyens ont droit à la propriété personnelle des revenus et épargnes provenant de leur travail, à la propriété de leur maison d’habitation et de l’économie domestique auxiliaire, des objets de ménage et d’usage quotidien, des objets d’usage et de commodité personnels (automobile par exemple) ; ils ont le droit d’hériter de la propriété personnelle.

   La société socialiste comprend donc deux classes : la classe ouvrière [La suppression de l’exploitation rend impropre en effet le mot « prolétariat ».], et la classe des paysans travailleurs, kolkhoziens, entre lesquelles n’existe aucun antagonisme puisque leurs intérêts sont solidaires.

   Il existe aussi une couche sociale d’intellectuels : cadres techniques et ingénieurs, cadres de l’organisation économique, travailleurs scientifiques, membres de l’enseignement, artistes et écrivains. Elle offre la particularité inconnue dans la société bourgeoise de se recruter dans toutes les catégories de travailleurs. En 1936, Staline pouvait constater que la composition des intellectuels avait changé par rapport à la situation léguée par l’ancien régime et que 80 à 90 % d’entre eux étaient issus de la classe ouvrière et de la paysannerie laborieuse. Ces intellectuels sont au service, non plus de la classe privilégiée, mais de tout le peuple.

   Le caractère essentiel de la structure sociale de l’U.R.S.S. c’est que, grâce à la suppression de l’exploitation, les groupes sociaux différenciés qui existent encore sont alliés et amis, associés pour l’édification d’une société sans classes, et sont tous formés de travailleurs.

   Cette alliance s’est cimentée dans la lutte : par exemple, les ouvriers ont aidé les paysans dans leur lutte contre la classe des paysans propriétaires exploiteurs (koulaks) ; ils leur ont envoyé des machines, tandis que les paysans travailleurs assuraient le ravitaillement des centres ouvriers, que les koulaks voulaient affamer.

   De même les rapports entre les intellectuels et les ouvriers dans la production se sont modifiés.

   « Maintenant travailleurs manuels et personnel de direction ne sont pas des ennemis, mais des camarades et des amis, membres d’une seule collectivité de producteurs, vivement intéressés au progrès et à l’amélioration de la production. De l’ancienne animosité il ne reste plus trace. » (Staline : « Les problèmes économiques… », p. 117.)

   Avec l’exploitation de l’homme par l’homme a disparu l’opposition entre la campagne et la ville — la campagne ruinée et expropriée par les bourgeois capitalistes de la ville —, opposition qui était à la base de l’hostilité des paysans pour les citadins et du mépris des citadins pour les paysans. Avec l’exploitation de l’homme par l’homme, a disparu aussi l’opposition entre les travailleurs manuels et les travailleurs intellectuels instruments de la bourgeoisie exploiteuse — opposition qui était à la base de l’hostilité des travailleurs manuels pour les travailleurs intellectuels, et du mépris des intellectuels pour les manuels.

   Ajoutons que, dans la société socialiste, la production est constamment placée sous le contrôle démocratique des travailleurs et de leurs organisations. Dans les entreprises d’Etat, le travail du directeur (nommé par l’Etat) est soumis au feu de la critique de tous les travailleurs. Dans les kolkhoz, qui sont gérés par l’assemblée des membres du kolkhoz, la direction est démocratiquement élue.

   Enfin, avec l’exploitation de l’homme par l’homme, a disparu l’asservissement de la femme et ont été établies les bases de l’égalité de l’homme et de la femme.

   Avec la socialisation des moyens de production et la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, sont créées les conditions pour qu’apparaisse une loi économique fondamentale nouvelle, spécifique des rapports de production socialistes, non antagonistes. Cette loi reflète le processus de développement de l’économie socialiste, le but et les moyens d’une économie sans exploitation de l’homme et sans crise. Une telle économie ne peut avoir d’autre but que d’assurer la satisfaction maxima des besoins matériels et culturels des masses. Mais avant d’étudier cette loi spécifique du socialisme, rappelons que le passage au socialisme réclame des conditions objectives déterminées, conformes à la loi fondamentale des sociétés, loi de correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives.

3. Conditions objectives du passage au socialisme

   Le marxisme, en définissant scientifiquement le socialisme, définit aussi les conditions de l’avènement et de l’édification de la société socialiste. Le changement du mode de propriété n’est possible que dans des conditions objectives données. Quelle est la base de la transformation des rapports de production ? C’est le désaccord entre ces rapports et le caractère des forces productives, désaccord qui survient à un moment donné.

   Le but de la révolution socialiste n’est donc pas un but subjectif. Il n’est pas déterminé par l’envie et la cupidité, comme voudrait le faire croire la bourgeoisie qui attribue ses vices à la classe ouvrière ! Il n’est pas davantage déterminé par l’ambition de quelques meneurs qui décideraient de déchaîner la catastrophe un grand soir !

   La révolution socialiste a pour tâche de créer les conditions propices au développement illimité des forces productives, en écartant le seul obstacle qui s’y oppose, les rapports capitalistes de production, au moment où cela est devenu possible ; c’est en effet le capitalisme qui, en développant les forces productives jusqu’au point où elles entrent en contradiction avec le capitalisme lui-même, fournit la base objective de la révolution socialiste.

   La suppression révolutionnaire de la propriété privée des moyens de production, de l’exploitation capitaliste, permet que s’établisse la correspondance entre de nouveaux rapports de production et le caractère des forces productives, au moment où cela est à la fois possible et nécessaire.

   Par conséquent, sans conditions objectives, liées à une époque historique donnée, pas de socialisme. Dans un pays dont l’industrie est encore peu développée, par exemple la Chine, le prolétariat au pouvoir ne peut songer à instaurer le socialisme avant d’en avoir créé les bases, c’est-à-dire une grande industrie nationale, et pour un certain temps le mode de production capitaliste subsiste dans un secteur de l’économie.

   Autrement dit, il n’est au pouvoir de personne d’abolir les lois de l’économie ; la volonté des hommes que guide leur intérêt de classe n’est efficace que lorsqu’elle s’appuie sur les lois objectives. Le « volontarisme » est une philosophie fausse qui croit que la volonté de l’homme, s’exerçant en dehors de la connaissance des lois de la nature et de l’économie, est toute-puissante.

   Parlant de l’édification du socialisme, Staline rappelle que c’était là, pour le pouvoir des Soviets, une tâche difficile et complexe, mais qu’il l’a néanmoins accomplie avec honneur :

   « Non point parce qu’il a soi-disant aboli les lois économiques existantes et en a « formé » de nouvelles, mais uniquement parce qu’il s’est appuyé sur la loi économique de la correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives… Sans cette loi et sans s’appuyer sur elle, le pouvoir des Soviets n’aurait pas pu s’acquitter de sa tâche. » (Staline : « Les problèmes économiques… », p. 97-98.)

   Et plus loin, il précise que c’est l’intérêt de classe qui présidait à l’utilisation de cette loi :

   « La classe ouvrière a utilisé la loi de correspondance nécessaire entre les rapports de production et le caractère des forces productives, elle a renversé les rapports de production bourgeois, elle a créé des rapports de production nouveaux, socialistes, et les a fait concorder avec le caractère des forces productives. Elle a pu le faire, non en vertu de ses facultés particulières, mais parce qu’elle y était vivement intéressée… » (Idem, p. 138.)

4. La loi fondamentale du socialisme

   Cependant la révolution socialiste ne peut se satisfaire d’utiliser au mieux les forces productives léguées par la société capitaliste. Il faut tenir compte en effet que, quelles que soient les forces productives développées par le capitalisme, elles ne sauraient suffire aux besoins d’une société socialiste. D’abord parce que dans sa phase ultime le capitalisme, même le plus avancé techniquement, détruit les forces productives ; ensuite parce que le développement des forces productives sous le capitalisme est tout à fait anarchique ; enfin parce que la consommation des masses sous le capitalisme est très faible et que seule une mince couche d’exploiteurs peut se permettre de bien vivre. La quantité de produits que consomme la société capitaliste la plus évoluée techniquement est donc sans commune mesure avec les besoins réels des masses que la société socialiste se propose de satisfaire au maximum, car le socialisme ce n’est pas la généralisation de la misère, mais la généralisation de l’abondance.

   Par conséquent pas de socialisme sans un accroissement impétueux, inimaginable sous le capitalisme, de la production. C’est là une nécessité objective. Mais pour pouvoir produire en grande quantité des biens de consommation et sans cesse accroître leur volume, il faut produire d’abord en quantité suffisante les moyens de production, et notamment les instruments de production, et pourvoir à. leur remplacement et à leur accroissement. C’est pourquoi l’élévation de la production doit obligatoirement commencer par l’augmentation de la production des moyens de production. Ce qui veut dire que l’une des conditions objectives du socialisme, c’est la création et le développement d’une industrie lourde puissante, capable par exemple de fournir en grande quantité des tracteurs à l’agriculture. L’essor impétueux des forces productives n’est pas seulement un phénomène que la disparition du capital privé a rendu possible ; c’est aussi, nous le voyons, une exigence objective des nouveaux rapports de production socialistes.

   Ce qui veut dire que les nouveaux rapports de production sont devenus la force principale qui accélère au maximum le développement des forces productives. Avant la révolution socialiste, les forces productives exigent le changement des rapports de production ; après la révolution socialiste, les nouveaux rapports de production exigent le développement des forces productives.

   Mais le développement des forces productives ne saurait se borner à l’augmentation des effectifs de la classe ouvrière ou de la quantité des instruments de production. Les besoins croissants d’une population elle-même croissante exigent une élévation de la productivité du travail. Or celle-ci serait en contradiction manifeste avec les buts du socialisme si elle était acquise par une plus grande fatigue du travailleur, par un « travail d’esclave », comme voulait le faire croire Léon Blum. Accroître la productivité du travail tout en diminuant le temps de travail et la fatigue des travailleurs, cela n’est possible que par un progrès qualitatif des instruments de production, par l’utilisation d’une technique d’avant-garde, par la mécanisation des travaux pénibles, etc. Par suite le socialisme, en conséquence de ses lois objectives, développe inévitablement la science, depuis la mécanique jusqu’à l’agronomie, dans des proportions qu’ignorent les pays capitalistes. Du même coup il requiert l’élévation de la qualification du travailleur, en sorte que le travail manuel s’intellectualise de plus en plus au contact d’une technique supérieure.

   Tels sont les éléments nécessaires au développement de la société socialiste. Il en résulte qu’il existe une loi économique fondamentale du socialisme, loi objective, indépendante de la volonté des hommes :

   « Les traits essentiels et les exigences de la loi économique fondamentale du socialisme pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer la satisfaction maxima des besoins matériels et culturels sans cesse croissants de toute la société en développant et en perfectionnant sans cesse la production socialiste sur la base d’une technique supérieure.

   Par conséquent : au lieu d’assurer le maximum de profits, on assure la satisfaction maxima des besoins matériels et culturels de la société ; au lieu de développer la production avec des temps d’arrêt — de l’essor à la crise, de la crise à l’essor, — on accroît sans arrêt la production ; au lieu d’arrêts périodiques dans le progrès technique s’accompagnant d’une destruction des forces productives de la société, c’est un perfectionnement ininterrompu de la production sur la base d’une technique supérieure. » (Staline : « Les problèmes économiques… », p. 130.)

   Il est essentiel de bien comprendre que les immenses progrès industriels et agricoles dont la société socialiste donne au monde l’exemple ne constituent nullement un but en soi. Le progrès technique est la base de développement de la production ; ce développement à son tour est subordonné à une exigence objective fondamentale du socialisme : la satisfaction maxima des besoins sans cesse croissants de toute la société. Exigence objective, car la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme signifie que les travailleurs travaillent pour eux. Le but de la production, c’est donc nécessairement la satisfaction maxima des besoins do la société, et cela, dans les meilleures conditions de travail. Quels besoins ? Les besoins matériels, mais aussi les besoins culturels. Le but de la production socialiste, c’est donc « l’homme avec tous ses besoins ». [M. Thorez : Salut au XIXe Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique.] Le socialisme n’est pas une « civilisation technicienne », avide de réalisations matérielles grandioses, mais indifférente à l’homme, comme le prétendent les idéologues bourgeois. C’est l’homme en plein épanouissement qui est au centre du socialisme, et toutes les réalisations matérielles n’ont d’autre but que de mieux satisfaire ses besoins de toutes sortes : le besoin de connaissance et de culture tout autant que le besoin de bien-être : éléments divers d’une vie heureuse. Le socialisme, c’est l’humanisme réalisé.

5. Conditions subjectives du passage au socialisme et de son développement

   Le marxisme permet de connaître scientifiquement — non seulement les conditions objectives requises pour l’avènement du socialisme et pour son développement, — mais encore les conditions subjectives, celles qui tiennent à l’action consciente des hommes dans l’histoire. Nous savons en effet que la classe capitaliste s’oppose par tous les moyens à l’action de la loi de correspondance nécessaire, qu’elle essaie de sauver son mode de production grâce à l’action de l’Etat, et que ce barrage qu’elle élève devant le progrès de l’histoire ne peut être écarté de la route que par l’action consciente du prolétariat et de ses alliés, qui constituent la force sociale nécessaire pour vaincre la résistance des capitalistes. (Voir la 19e leçon, point III.)

   La première condition subjective de l’instauration du socialisme, c’est donc que la classe ouvrière, dont les intérêts s’identifient avec ceux de la nation, se soit donné un Parti véritablement révolutionnaire.

   A quoi doit aboutir cette action de masse consciente ? A briser le seul rempart derrière lequel s’abritent les capitalistes condamnés par l’histoire : l’Etat bourgeois, et à organiser un nouveau pouvoir d’Etat capable de supprimer la propriété privée des moyens de production. C’est ce nouveau pouvoir d’Etat que l’on appelle la dictature du prolétariat.

   La dictature du prolétariat, c’est l’instrument sans lequel il ne peut y avoir de changement dans les rapports de production : chacun comprend en effet qu’il n’est pas possible que les syndicats ouvriers, par exemple, se mettent tout simplement un beau jour à exproprier les capitalistes, à organiser la production socialiste, la production par les travailleurs associés librement par corporation et se partageant le fruit de leur travail ! Cette platitude anarcho-syndicaliste sous-estime gravement l’action politique violente de l’Etat bourgeois, protecteur du capitalisme. [En outre, au point où sont arrivées les forces productives du capitalisme, c’est dans le cadre national que doit être réalisée la propriété sociale des moyens de production : c’est donc un pouvoir politique national de la classe ouvrière qui seul peut l’établir.]

   La tâche essentielle de la dictature du prolétariat a été clairement formulée par Marx :

   « Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’Etat, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives. » (Marx et Engels : Manifeste du Parti communiste, p. 48.)

   La période historique où s’établit la dictature du prolétariat est une période où la lutte des classes entre dans sa phase la plus aiguë. Longtemps après que le socialisme a supprimé les antagonismes économiques, la lutte continue contre les résidus des classes déchues et les tentatives de la bourgeoisie pour restaurer le capitalisme, et cela jusqu’à ce que le communisme ait triomphé sur la majeure partie du globe.

   « La dictature du prolétariat n’est pas la fin de la lutte des classes ; elle en est la continuation sous des formes nouvelles. La dictature du prolétariat est la lutte de classe du prolétariat victorieux qui a pris dans ses mains le pouvoir politique, contre la bourgeoisie vaincue, mais non anéantie, non disparue, n’ayant pas cessé de résister, mais ayant accru la résistance. » (Lénine. Cité par Staline : Questions du léninisme, t. I, p. 124.)

   Lénine écrivait aussi :

   « Qui reconnaît uniquement la lutte des classes n’est pas encore marxiste ; il peut se faire qu’il ne sorte pas encore du cadre de la pensée bourgeoise et de la politique bourgeoise. Limiter le marxisme à la doctrine de la lutte des classes, c’est le tronquer, le déformer, le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie. N’est marxiste que celui qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. » (Lénine : L’Etat et la révolution, p. 35.)

   Et encore :

   « La cause fondamentale de l’incompréhension de la dictature du prolétariat par les socialistes, c’est qu’ils ne poussent pas jusqu’au bout l’idée de la lutte de classe. » (Lénine : « De la dictature du prolétariat », dans L’Etat et la révolution, p. 145.)

   La dictature du prolétariat est une domination de classe. Domination sur qui ? Sur les capitalistes et les diverses couche d’exploiteurs, de trafiquants et d’aventuriers qui vivent sur la pourriture capitaliste et soutiennent son pouvoir d’Etat.

   De ce fait la dictature du prolétariat est un pouvoir d’Etat d’un type entièrement nouveau. Tous les pouvoirs politiques que l’histoire a connus auparavant représentaient la domination des classes exploiteuses, la domination de la minorité sur la majorité. La dictature du prolétariat, pour la première fois, représente la domination des exploités sur les exploiteurs. Aussi jouit-elle de la sympathie et du soutien des autres couches et classes sociales laborieuses, exploitées et opprimées : c’est donc la domination de la majorité sur la minorité, le règne des travailleurs.

   Cette domination ne peut s’établir, se maintenir et se consolider que grâce à l’action consciente et organisée des masses laborieuses, à leur activité politique et à leur initiative créatrice.

   Cette domination ne peut s’embarrasser de la « légalité » bourgeoise qui n’est que l’alibi idéologique du régime politique et du système économique qu’il s’agit précisément de briser et de supprimer. C’est pourquoi les masses en mouvement créent une nouvelle légalité, correspondant aux intérêts de la nation et par laquelle les libertés démocratiques sont largement développées.

   Cette domination ne peut utiliser la machine d’Etat bureaucratique de la bourgeoisie, conçue dans tous ses détails pour l’oppression de la majorité. C’est pourquoi les masses en mouvement brisent le bureaucratisme bourgeois imposé d’en haut et instaurent une administration de type nouveau contrôlée par elles-mêmes, et qui fonctionne ouvertement sous les yeux du peuple.

   La dictature du prolétariat n’est pas seulement un instrument de domination, c’est aussi l’instrument de l’alliance entre le prolétariat, la paysannerie travailleuse et les classes moyennes. Elle est indispensable au prolétariat pour diriger ses alliés dans la voie conforme à l’intérêt national. Domination de la majorité sur la minorité, la dictature du prolétariat est la démocratie pour les travailleurs, pour les masses, puisqu’elle est la fin du joug politique que la bourgeoisie impose aux masses ; l’avènement de la dictature du prolétariat est une libération, et cette libération politique a pour condition la répression politique des menées de la bourgeoisie. Pour la première fois, les masses accèdent à une démocratie qui est la leur. Qu’on y songe ! Pour la première fois des millions d’hommes sont ainsi appelés à une vie d’hommes. C’est ainsi, par exemple, en Chine, où dans les plus lointains villages, les paysans, jusqu’alors traités en bêtes de somme, redressent l’échiné et se sentent citoyens, responsables du bien public. Tel est l’immense bienfait de la dictature du prolétariat : elle donne une vie consciente, active à ces masses profondes d’hommes à qui tout horizon était refusé. Etant pour la première fois la démocratie pour les masses, la dictature du prolétariat est la forme la plus élevée de démocratie. C’est un tournant : le tournant de la démocratie bourgeoise, dictature du capital, à la démocratie prolétarienne ou populaire, de la démocratie des oppresseurs à la démocratie des classes opprimées. L’Etat, qui jusqu’alors était la force spéciale destinée à opprimer le grand nombre, devient l’expression de la force générale de la majorité du peuple, des ouvriers et des paysans, de leurs alliés, contre les oppresseurs enfin réprimés.

   « Ce n’est que sous la dictature du prolétariat que sont possibles les « libertés » véritables pour les exploités et la participation véritable des prolétaires et des paysans à l’administration du pays. » (Staline : Des Principes du léninisme, p. 37.)

   Du fait que l’Etat qui remplit les fonctions de la dictature du prolétariat ne s’appuie pas seulement sur une force spéciale de répression, mais sur la force générale de la majorité du peuple, il change profondément de caractère. C’est un Etat de type nouveau. Son renforcement continu, qui est indispensable tant que la bourgeoisie n’est pas battue et liquidée en tant que classe dans le monde entier, signifie avant tout le renforcement de l’activité politique consciente des masses. A l’opposé, le « renforcement » des Etats bourgeois ne signifie que l’augmentation de leurs forces policières et la tentative d’étouffer l’activité politique des masses. On voit que le renforcement de la dictature du prolétariat est tout juste le contraire du « renforcement » des Etats des classes exploiteuses ; c’est pourquoi le renforcement de la dictature du prolétariat est en même temps le dépérissement véritable des traits « classiques » de l’Etat : le comportement d’une police populaire, ses liens avec les masses, ne sont nullement comparables avec ceux d’une police d’Etat bourgeois — si l’on peut parler dans ce dernier cas de liens avec les masses ! Le comportement d’une armée populaire n’a rien à voir avec celui d’une armée impérialiste : le monde entier l’a constaté lors de la libération de la Chine. La politique de l’Etat nouveau ne s’élabore pas dans des cercles étroits et fermés de « spécialistes », elle s’élabore dans les masses et dans leur avant-garde : un kolkhozien député reste travailleur dans son kolkhoz.

   Les formes historiques dans lesquelles s’exerce la dictature du prolétariat sont variées. La première fut la Commune de Paris. La démocratie populaire en est une autre. La forme classique en est le pouvoir des Soviets.

   Les Soviets (ou Conseils) de députés des travailleurs apparurent en Russie pendant la Révolution de 1905. Cette forme de pouvoir politique fut créée par les masses en mouvement. La Révolution d’Octobre 1917 donna « tout le pouvoir aux Soviets ». Les Soviets sont l’organisation de masse la plus vaste du prolétariat et de tous les exploités, l’organe direct des masses elles-mêmes. Ils décident, exécutent, et contrôlent eux-mêmes l’exécution de leurs décisions. A la différence des assemblées parlementaires bourgeoises (nationales ou locales), ils détiennent tout le pouvoir, exécutif aussi bien que législatif. Ce sont les organes, locaux ou centraux, du pouvoir d’Etat. Forme de démocratie la plus avancée du monde, leurs membres sont révocables à tous moments par les électeurs.

   La Constitution stalinienne, reflet de la nouvelle base économique, a consacré ce fait :

   « Tout le pouvoir dans l’U.R.S.S. appartient aux travailleurs de la ville et de la campagne en la personne des Soviets de députés des travailleurs. » (Article 3.)

   C’est pourquoi — n’en déplaise aux idéologues bourgeois, —  qui assimilent frauduleusement le socialisme au fascisme, —  nul, en Union soviétique, n’est dispensé d’obéir à la loi. Instaurée par les éléments les plus réactionnaires du grand capital, la dictature fasciste n’a d’autres armes que l’arbitraire et la terreur ; elle piétine la légalité bourgeoise elle-même. Au contraire, la démocratie socialiste tire sa force de l’appui des travailleurs : elle ne peut donc subsister qu’en garantissant l’exercice de leurs droits privés et publics. Le gouvernement soviétique est, comme tout citoyen, tenu de respecter la Constitution et de se conformer aux lois. Il ne pourrait agir autrement sans perdre toute autorité.

   L’idéal de Rousseau — la démocratie comme expression de la volonté générale — est donc pleinement réalisé par la dictature du prolétariat et il ne peut l’être en effet qu’avec l’abolition de l’antagonisme économique des classes.

   Le rôle de l’Etat soviétique, appuyé sur l’activité consciente des larges masses, est immense dans l’édification du socialisme. Le nouveau pouvoir est une condition subjective indispensable à l’apparition de nouveaux rapports de production. En effet le pouvoir du prolétariat présente cette particularité de précéder historiquement sa base économique et d’avoir à créer sa propre base. Le pouvoir bourgeois, au contraire, au moment de la révolution bourgeoise devait principalement faire concorder la domination politique de la bourgeoisie avec l’économie bourgeoise existante. En outre, les révolutions antérieures à la révolution prolétarienne avaient pour objet de substituer une forme d’exploitation (bourgeoise) à une autre (féodale) ; la révolution prolétarienne au contraire supprime toute exploitation et cela ne fait qu’accroître l’importance de l’Etat.

   A partir du moment où la base économique socialiste existe, l’Etat soviétique doit être considéré comme le reflet de sa base économique, et c’est alors que la réalité des faits peut être exprimée dans une forme nouvelle, qui est précisément la Constitution stalinienne de 1936.

   La Constitution soviétique offre cette particularité qu’au lieu de proclamer des droits abstraits en renvoyant à plus tard la création des conditions matérielles permettant l’exercice de ces droits — ce que font les constitutions bourgeoises —, elle consacre l’existence de droits réels dont les bases matérielles sont déjà créées. Exemple :

   « Les citoyens de l’U.R.S.S. ont droit au travail, c’est-à-dire le droit de recevoir un emploi garanti, avec rémunération de leur travail, selon sa quantité et sa qualité.

   Le droit au travail est assuré par l’organisation socialiste de l’économie nationale, par la croissance continue des forces productives de la société soviétique, par l’élimination de la possibilité des crises économiques et par la liquidation du chômage. » (Article 118.)

   Cela signifie-t-il que l’Etat soviétique se contente de refléter passivement sa base économique ? Nullement ! A aucun moment il ne cesse d’être une force active qui, s’appuyant sur la connaissance des lois objectives de l’économie, accélère le développement de l’économie socialiste et la planifie de façon conséquente.

   Deux choses sont nécessaires à l’Etat soviétique pour remplir cette tâche : 1. la connaissance des lois de la nature et de la société, c’est-à-dire la science ; 2. l’appui conscient des masses, pénétrées des nouvelles idées. Le rôle immense joué par le socialisme scientifique au moment de l’instauration du pou^ voir politique du prolétariat ne fait donc que croître par la suite. La lutte consciente contre l’idéologie bourgeoise, la diffusion du marxisme-léninisme dans les masses, la création d’une culture nouvelle, nationale par la forme, socialiste par le contenu, sont ainsi des conditions subjectives indispensables à l’édification du socialisme.

   A mesure que s’édifie le socialisme, grandit par conséquent le rôle éducatif et culturel de l’Etat soviétique, Etat de type nouveau. Cet accroissement du rôle de l’Etat ne signifie nullement l’accroissement de la « contrainte totalitaire » dont parlent les adversaires du marxisme. Ce rôle nouveau de l’Etat est presque inconnu des Etats bourgeois capitalistes, qui ne peuvent élever, sans danger pour la classe dominante, le niveau culturel et intellectuel des masses ! Aussi l’Etat capitaliste est-il principalement occupé à des besognes de répression. L’Etat des travailleurs, au contraire, tout en sachant défendre son existence, devient de plus en plus le centre dirigeant du travail créateur des masses, tant dans le domaine économique que dans le domaine culturel : il est l’organisateur et l’éducateur des masses, et non leur ennemi, et c’est pourquoi l’accroissement continu du rôle de l’Etat soviétique signifie, là encore, le dépérissement des traits « classiques » de l’Etat !

   La révolution culturelle, la diffusion dans les masses des idées et de la science d’avant-garde, le triomphe de l’idéologie socialiste sur l’idéologie bourgeoise sont donc l’objet de toute l’attention de l’Etat lui-même, conformément à ce qu’enseigne le matérialisme dialectique sur le rôle des idées dans la vie sociale. Or la transformation des rapports de production a créé les conditions pour l’avènement d’une conscience nouvelle dans les masses, en supprimant les bases objectives de l’idéologie bourgeoise : la propriété privée des moyens de production. Par suite, la conscience nouvelle, socialiste, n’est pas créée à partir de rien : le rôle de l’Etat est de faire concorder aussi exactement que possible la conscience des masses avec les nouvelles conditions objectives, socialistes, — d’accélérer le processus qui veut que tôt ou tard une nouvelle forme de conscience vienne correspondre au nouveau contenu. En même temps il faut porter en avant la conscience socialiste, grâce à la connaissance des lois de la société, afin que la connaissance des perspectives de développement, agissant à son tour sur les conditions objectives, accélère le développement économique. On voit que dans la société socialiste les conditions objectives et les conditions subjectives, qui ne sont pas en contradiction, exercent une action réciproque et se prêtent un appui mutuel. C’est pourquoi la société socialiste peut se développer, matériellement et culturellement, à des rythmes inconnus de la société bourgeoise. L’émulation socialiste est un exemple de l’importance de la conscience nouvelle des masses pour le développement de la production socialiste. Dans cette transformation de la conscience, la littérature et l’art sont appelés à jouer un grand rôle : les écrivains deviennent, selon l’expression de Staline, « les ingénieurs des âmes ». Il est clair enfin que toutes les tâches incombant à l’Etat socialiste n’auraient pu être réalisées — depuis la conquête de la dictature du prolétariat jusqu’à la révolution culturelle — si la classe ouvrière et ses alliés n’avaient pas eu à leur tête un détachement conscient et organisé, un parti politique lié aux masses et armé de la théorie marxiste-léniniste des sociétés, le Parti communiste. Le rôle de cette avant-garde qui éclaire la marche de la société socialiste, qui unit la théorie et la pratique, ne fait que croître à mesure que surgissent des exigences nouvelles, matérielles et culturelles, et que grandit le rôle de l’Etat soviétique.

6. Conclusion

   La loi économique fondamentale du socialisme est une loi objective. Assurer la satisfaction maxima des besoins matériels et culturels des masses, ce n’est pas et ce ne peut jamais être le fruit du « libre choix » d’un gouvernement. C’est la conséquence nécessaire de la socialisation des moyens de production, et seul le pouvoir de la classe ouvrière peut donner aux masses ce qu’il promet, parce qu’il a socialisé les moyens de production et qu’il s’appuie sur la loi objective qui caractérise les nouveaux rapports de production. Ce qui distingue la conception marxiste du socialisme des conceptions utopiques, c’est qu’elle fait coïncider la revendication subjective millénaire des masses avec les exigences de la loi économique fondamentale d’un mode de production scientifiquement défini. C’est cela qui explique le succès de l’édification du socialisme en U.R.S.S., sous la conduite du Parti communiste, non pas en raison d’un « libre choix » et d’une chance heureuse, mais parce qu’il était armé de la science des sociétés.

   Les adversaires du socialisme, la bourgeoisie capitaliste, vont répétant que les succès de l’édification socialiste ne peuvent être obtenus que par l’asservissement de l’individu. Es prétendent que le socialisme écrase et anéantit la personne humaine, l’énergie et l’initiative personnelles, les capacités et les talents, les droits et les libertés individuelles ; qu’il nivelle les besoins et les goûts. Mais c’est le capitalisme qui, en exploitant et en mutilant les travailleurs, physiquement et intellectuellement, étouffe tout un monde d’intérêts spirituels, d’aspirations et de capacités humaines, fait de l’ouvrier un appendice de la machine et l’estropie dans son individualité physique et morale, le réduit à un1 travail servile, sous un régime d’oppression, de famine, de chômage, qui voue son existence à l’insécurité et transforme les hommes en robots. Devant le capitalisme l’individu est seul et désarmé ; il n’est, pour l’affranchir, que l’union des exploités et opprimés, la lutte révolutionnaire. La masse, voilà, disait Staline en 1906, « la pierre angulaire du marxisme », car sans l’affranchissement de la masse on ne saurait affranchir l’individu. L’affranchissement de la masse est la condition principale de l’affranchissement de l’individu.

   Les défenseurs du capitalisme affirment que sous le capitalisme tout homme énergique, pourvu d’initiative et de capacités, même sans fortune, peut « faire son chemin » et occuper une position conforme à ses capacités. Et ils citent les « cas heureux » de cireurs de bottes devenus millionnaires. Mais ils dissimulent que la « réussite » de quelques-uns se paie sur le dos de milliers de travailleurs exploités. La nécessité de « faire son chemin » sous le capitalisme prouve justement que la situation des hommes en société bourgeoise est déterminée par l’étendue de la propriété privée. Ce sont les représentants des classes « supérieures » ou leurs commis qui sont promus aux postes de direction. La situation des hommes est déterminée par leur situation de fortune, de classe, de caste, par l’origine nationale, le sexe, la confession, les alliances, les protections, etc. Tel est « l’ordre » considéré par les « penseurs.» et les « moralistes » du capitalisme comme « éternel », « logique », seul raisonnable et concevable. On exalte les « capacités créatrices » des Krapp, Stinnes, Morgan, Rothschild, Rockefeller, Ford, Boussac, pour prouver qu’ils occupent de droit une position maîtresse. Mais chacun sait que les « capacités créatrices » des capitalistes se ramènent à l’art d’extorquer la plus-value aux salariés et que c’est uniquement la proportion de leur capital qui détermine leur situation dominante. C’est là ce qui fixe la « valeur » d’un homme sous le capitalisme.

   Sous le socialisme au contraire l’élévation de l’individu, le développement de ses capacités, de ses talents, de ses dons créateurs a pour condition l’élévation des capacités créatrices des masses elles-mêmes. La loi économique fondamentale du socialisme nous a montré le rôle de la technique d’avant-garde ; l’étude des conditions subjectives du socialisme a souligné l’importance de la conscience socialiste, immense force active de la nouvelle société.

   Il faut retenir notamment de cette double étude que le socialisme développe sous tous les aspects la personnalité du travailleur : comme technicien, instruit et intellectuellement développé ; comme homme social qui possède une connaissance large et approfondie des problèmes de la société, bâtisseur conscient d’une vie nouvelle. Le développement multilatéral de l’individualité humaine, des capacités personnelles, loin de rester phénomène isolé comme sous le capitalisme, est devenu sous le socialisme un phénomène de masse. L’émulation socialiste est une illustration vivante des possibilités désormais offertes à l’initiative personnelle, à l’intelligence créatrice de tous.

   C’est par millions que se comptent en U.R.S.S. les stakhanovistes, les novateurs, les rationalisateurs, les inventeurs de toutes sortes, les travailleurs et spécialistes hautement qualifiés, les expérimentateurs en agriculture, les organisateurs de la production et de l’économie, les intellectuels avancés issus du peuple, les hommes et femmes exerçant une activité sociale et politique, les travailleurs capables de participer à une discussion scientifique, à un concours littéraire ou artistique, et, marchant au milieu d’eux, la nombreuse légion des Héros du travail socialiste, et des lauréats des Prix Staline.

   Ce n’est que dans la société socialiste que l’homme occupe réellement une place correspondant à ses capacités sans considération d’origine, de sexe, de fortune, etc.

   Le socialisme est bien le règne des masses, le règne des millions d’hoir mes victimes jadis de l’oppression séculaire et privés, par l’exploitation, de tout développement humain. Ce sont ces masses qui font l’histoire, car elles seules peuvent jeter bas le pouvoir du Capital. Affranchies du joug, elles bâtissent impétueusement une vie nouvelle pour elles-mêmes. En supprimant l’exploitation de l’homme par l’homme, elles ont réconcilié l’individu et la société et donné à chacun les moyens de s’épanouir pleinement.

QUESTIONS DE CONTROLE

  1. Quelles sont les principales conséquences sur le plan économique et social de la socialisation des moyens de production ?
  2. Quelles sont les conditions objectives du passage au socialisme ?
  3. Enoncez et expliquez la loi fondamentale du socialisme.
  4. Quelles sont les conditions subjectives du passage au socialisme ? de son développement ?
  5. Le socialisme et l’individu.

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