Chapitre II Les lois de la dialectique

Principes élémentaires de philosophie
Georges Politzer

Quatrième partie : Étude de la dialectique

Chapitre II
Les lois de la dialectique

Première loi : le changement dialectique

I. Ce que l’on entend par le mouvement dialectique.

   La première loi de la dialectique commence par constater que « rien ne reste là où il est, rien ne demeure ce qu’il est ». Qui dit dialectique dit mouvement, changement. Par conséquent, lorsqu’on parle de se placer au point de vue de la dialectique, cela veut dire se placer au point de vue du mouvement, du changement : lorsque nous voudrons étudier les choses suivant la dialectique, nous les étudierons dans leurs mouvements, dans leur changement.

   Voici une pomme. Nous avons deux moyens d’étudier cette pomme : d’une part du point de vue métaphysique, de l’autre du point de vue dialectique.

   Dans le premier cas, nous donnerons une description de ce fruit, sa forme, sa couleur. Nous énumérerons ses propriétés, nous parlerons de son goût, etc.. Puis nous pourrons comparer la pomme avec une poire, voir leurs ressemblances, leurs différences et, enfin, conclure : une pomme, c’est une pomme, et une poire, c’est une poire. C’est ainsi que l’on étudiait les choses autrefois, de nombreux livres en témoignent.

   Si nous voulons étudier la pomme en nous plaçant du point de vue dialectique, nous nous placerons du point de vue du mouvement ; non pas du mouvement de la pomme lorsqu’elle roule et se déplace, mais du mouvement de son évolution. Alors nous constaterons que la pomme mûre n’a pas toujours été ce qu’elle est. Auparavant, elle était une pomme verte. Avant d’être une fleur, elle était un bouton ; et, ainsi, nous remonterons jusqu’à l’état du pommier à l’époque du printemps. La pomme n’a donc pas toujours été une pomme, elle a une histoire ; et, aussi bien, ne restera-t-elle pas ce qu’elle est. Si elle tombe, elle pourrira, elle se décomposera, elle libérera ses pépins, qui donneront, si tout va bien, une pousse, puis un arbre. Donc la pomme n’a pas toujours été ce qu’elle est et ne restera pas non plus toujours ce qu’elle est.

   Voilà ce que l’on appelle étudier les choses du point de vue du mouvement. C’est l’étude du point de vue du passé et de l’avenir. En étudiant ainsi, on ne voit plus la pomme présente que comme une transition entre ce qu’elle était, le passé, et ce qu’elle deviendra, l’avenir.

   Pour bien situer cette façon de voir les choses, nous allons encore prendre deux exemples : la terre et la société.

   En nous plaçant du point de vue métaphysique, nous décrirons la forme de la terre dans tous ses détails. Nous constaterons qu’à sa surface il y a des mers, des terres, des montagnes ; nous étudierons la nature du sol. Puis nous pourrons comparer la terre aux autres planètes ou à la lune, et nous conclurons enfin : la terre, c’est la terre.

   Tandis qu’en étudiant l’histoire de la terre du point de vue dialectique, nous verrons qu’elle ne fut pas toujours ce qu’elle est, qu’elle a subi des transformations et que, par conséquent, la terre subira dans l’avenir à nouveau d’autres transformations. Nous devons donc considérer aujourd’hui que l’état actuel de la terre n’est qu’une transition entre les changements passés et les changements à venir. Transition dans laquelle les changements qui s’effectuent sont imperceptibles, bien qu’ils soient à une échelle beaucoup plus grande que ceux qui s’effectuent dans la maturation de la pomme.

   Voyons maintenant l’exemple de la société, qui intéresse particulièrement les marxistes.

   Appliquons toujours nos deux méthodes : du point de vue métaphysique, on nous dira qu’il y a toujours eu des riches et des pauvres. On constatera qu’il y a des grandes banques, des usines énormes. On nous donnera une description détaillée de la société capitaliste, que l’on comparera avec les sociétés passées (féodale, esclavagiste), en cherchant les ressemblances ou les différences, et on nous dira : la société capitaliste est ce qu’elle est.

   Du point de vue dialectique, nous apprendrons que la société capitaliste n’a pas toujours été ce qu’elle est. Si nous constatons que dans le passé d’autres sociétés ont vécu un temps, ce sera pour en déduire que la société capitaliste, comme toutes les sociétés, n’est pas définitive, n’a pas de base intangible, mais qu’elle n’est pour nous, au contraire, qu’une réalité provisoire, une transition entre le passé et l’avenir.

   Nous voyons, par ces quelques exemples, que considérer les choses du point de vue dialectique, c’est considérer chaque chose comme provisoire, comme ayant une histoire dans le passé et devant avoir une histoire dans l’avenir, ayant un commencement et devant avoir une fin…

II. « Pour la dialectique, il n’y a rien de définitif, d’absolu, de sacré… »

   « Pour la dialectique, il n’y a rien de définitif, d’absolu, de sacré ; elle montre la caducité de toutes choses et en toutes choses, et rien n’existe pour elle que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire. » (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 7 et 8.)

   Voilà une définition qui souligne ce que nous venons de voir et que nous allons étudier :

   « Pour la dialectique, il n’y a rien de définitif. » Cela veut dire que, pour la dialectique, toute chose a un passé et aura un avenir ; que, par conséquent, elle n’est pas là une fois pour toutes et que ce qu’elle est aujourd’hui n’est pas définitif. (Exemples de la pomme, de la terre, de la société.)

   Pour la dialectique, il n’y a aucun pouvoir au monde ni au-delà du monde qui puisse fixer les choses dans un état définitif, donc « rien d’absolu ». (Absolu veut dire : qui n’est soumis à aucune condition ; donc universel, éternel, parfait.)

   « Rien de sacré », cela ne veut pas dire que la dialectique méprise tout. Non ! Une chose sacrée, c’est une chose que l’on considère comme immuable, que l’on ne doit ni toucher, ni discuter, mais seulement vénérer. La société capitaliste est « sacrée », par exemple. Eh bien ! La dialectique dit que rien n’échappe au mouvement, au changement, aux transformations de l’histoire.

   « Caducité » vient de « caduc », qui signifie : qui tombe ; une chose caduque est une chose qui vieillit et doit disparaître. La dialectique nous montre que ce qui est caduc n’a plus de raison d’être, que toute chose est destinée à disparaître. Ce qui est jeune devient vieux ; ce qui est en vie aujourd’hui meurt demain, et rien n’existe, pour la dialectique, « que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire ».

   Donc, se placer du point de vue dialectique, c’est considérer que rien n’est éternel, sauf le changement. C’est considérer qu’aucune chose particulière ne peut être éternelle, sauf le « devenir ».

   Mais qu’est-ce que le « devenir » dont parle Engels dans sa définition ?

   Nous avons vu que la pomme a une histoire. Prenons maintenant par exemple un crayon qui, lui aussi, a son histoire.

   Ce crayon, qui est usé aujourd’hui, a été neuf. Le bois dont il est fait sort d’une planche, et cette planche sort d’un arbre. Nous voyons donc que la pomme et le crayon ont chacun une histoire et que l’un et l’autre n’ont pas toujours été ce qu’ils sont. Mais y a-t-il une différence entre ces deux histoires ? Certainement !

   La pomme verte est devenue mûre. Pouvait-elle, étant verte, si tout allait bien, ne pas devenir mûre ? Non, elle devait mûrir, comme, tombant à terre, elle doit pourrir, se décomposer, libérer ses pépins.

   Tandis que l’arbre d’où vient le crayon peut ne pas devenir planche, et cette planche peut ne pas devenir crayon. Le crayon peut, lui-même, rester toujours entier, ne pas être taillé.

   Nous constatons donc entre ces deux histoires une différence. Pour la pomme, c’est la pomme verte qui est devenue mûre, si rien d’anormal ne se produit, et c’est la fleur qui est devenue pomme. Donc, une phase étant donnée, l’autre phase suit nécessairement, inévitablement (si rien n’arrête l’évolution).

   Dans l’histoire du crayon, au contraire, l’arbre peut ne pas devenir une planche, la planche peut ne pas devenir un crayon, et le crayon peut ne pas être taillé. Donc une phase étant donnée, l’autre phase peut ne pas suivre. Si l’histoire du crayon parcourt toutes ces phases, c’est grâce à une intervention étrangère — celle de l’homme.

   Dans l’histoire de la pomme, nous trouvons des phases qui se succèdent, la seconde phase découlant de la première, etc. Elle suit le « devenir » dont parle Engels. Dans celle du crayon, les phases se juxtaposent, sans découler l’une de l’autre. C’est que la pomme, elle, suit un processus naturel.

III. Le processus.

   (Mot qui vient du latin et qui veut dire : marche en avant, ou le fait d’avancer, de progresser.)

   Pourquoi la pomme verte devient-elle mûre ? C’est à cause de ce qu’elle contient. C’est à cause d’enchaînements internes qui poussent la pomme à mûrir; c’est parce qu’elle était pomme avant même d’être mûre, qu’elle ne pouvait pas ne pas mûrir.

   Quand on examine la fleur qui deviendra pomme,puis la pomme verte qui deviendra mûre, on constate que ces enchaînements internes, qui poussent la pomme dans son évolution, agissent sous l’empire de forces internes que l’on nomme l’autodynamisme, ce qui veut dire : force qui vient de l’être lui-même.

   Lorsque le crayon était encore planche, il a fallu l’intervention de l’homme pour le faire devenir crayon, car jamais la planche ne se serait transformée d’elle-même en crayon. Il n’y a pas eu de forces internes, pas d’autodynamisme, pas de processus. Donc qui dit dialectique dit non seulement mouvement, mais dit aussi autodynamisme.

   Nous voyons donc que le mouvement dialectique contient en lui le processus, l’autodynamisme, qui en est l’essentiel. Car tout mouvement ou changement n’est pas dialectique. Si nous prenons une puce, que nous allons étudier du point de vue dialectique, nous dirons qu’elle n’a pas toujours été ce qu’elle est et qu’elle ne sera pas toujours ce qu’elle est ; si nous l’écrasons, certes, il y aura là pour elle un changement, mais ce changement sera-t-il dialectique ? Non. Sans nous, elle ne serait pas écrasée. Ce changement n’est donc pas dialectique, mais mécanique.

   Nous devons donc faire bien attention lorsque nous parlons du changement dialectique. Nous pensons que si la terre continue d’exister, la société capitaliste sera remplacée par la société socialiste, puis communiste. Ce sera un changement dialectique. Mais, si la terre saute, la société capitaliste disparaîtra non par un changement autodynamique, mais par un changement mécanique.

   Dans un autre ordre d’idées, nous disons qu’il y a une discipline mécanique quand cette discipline n’est pas naturelle. Mais elle est autodynamique quand elle est librement consentie, c’est-à-dire quand elle vient de son milieu naturel. Une discipline mécanique est imposée du dehors ; c’est une discipline venant de chefs qui sont différents de ceux qu’ils commandent. (Nous comprenons alors combien la discipline non mécanique, la discipline autodynamique, n’est pas à la portée de toutes les organisations !)

   Il nous faut donc éviter de nous servir de la dialectique d’une façon mécanique. C’est là une tendance qui nous vient de notre habitude métaphysique de penser. Il ne faut pas répéter comme un perroquet que les choses n’ont pas toujours été ce qu’elles sont. Quand un dialecticien dit cela, il doit chercher dans les faits ce que les choses ont été avant. Car dire cela, ce n’est pas la fin d’un raisonnement, mais le commencement des études pour observer minutieusement ce que les choses ont été avant.

   Marx, Engels, Lénine ont fait des études longues et précises sur ce que la société capitaliste a été avant eux. Ils ont observé les détails les plus minimes pour noter les changements dialectiques. Lénine, pour décrire et critiquer les changements de la société capitaliste, pour analyser la période impérialiste, a fait des études très précises et consulté de nombreuses statistiques.

   Quand nous parlons d’autodynamisme, nous ne devons jamais non plus en faire une phrase littéraire, nous ne devons employer ce mot qu’à bon escient et pour ceux qui le comprennent totalement.

   Enfin, après avoir vu, en étudiant une chose, quels sont ses changements autodynamiques et dit quel changement on a constaté, il faut étudier, chercher d’où vient qu’il est autodynamique.

   C’est pourquoi la dialectique, les recherches et les sciences sont étroitement liées.

   La dialectique, ce n’est pas un moyen d’expliquer et de connaître les choses sans les avoir étudiées, mais c’est le moyen de bien étudier et de faire de bonnes observations en recherchant le commencement et la fin des choses, d’où elles viennent et où elles vont.

Deuxième loi : l’action réciproque

I. L’enchaînement des processus.

   Nous venons de voir, à propos de l’histoire de la pomme, ce qu’est un processus. Reprenons cet exemple. Nous avons cherché d’où venait la pomme, et nous avons dû, dans nos recherches, remonter jusqu’à l’arbre. Mais ce problème de recherche se pose aussi pour l’arbre. L’étude de la pomme nous conduit à l’étude des origines et des destinées de l’arbre. D’où vient l’arbre ? De la pomme. Il vient d’une pomme qui est tombée, qui a pourri en terre pour donner naissance à une pousse, et cela nous conduit à étudier le terrain, les conditions dans lesquelles les pépins de la pomme ont pu donner une pousse, les influences de l’air, du soleil, etc. Ainsi, en partant de l’étude de la pomme, nous sommes conduits à l’examen du sol, en passant du processus de la pomme à celui de l’arbre et ce processus s’enchaîne à son tour à celui du sol. Nous avons ce que l’on appelle : un « enchaînement de processus ». Cela va nous permettre d’énoncer et d’étudier cette deuxième loi de la dialectique : la loi de l’action réciproque. Prenons comme exemple d’enchaînement de processus, après l’exemple de la pomme, celui de l’Université Ouvrière de Paris.

   Si nous étudions cette école du point de vue dialectique, nous rechercherons d’où elle vient, et nous aurons d’abord une réponse : en automne 1932, des camarades réunis ont décidé de fonder à Paris une Université Ouvrière pour étudier le marxisme.

   Mais comment ce comité a-t-il eu l’idée de faire étudier le marxisme ? C’est évidemment parce que le marxisme existe. Mais alors d’où vient donc le marxisme ?

   Nous voyons que la recherche de l’enchaînement des processus nous entraîne à des études minutieuses et complètes. Bien plus : en recherchant d’où vient le marxisme, nous serons amenés à constater que cette doctrine est la conscience même du prolétariat; nous voyons (que l’on soit pour ou contre le marxisme) que le prolétariat existe donc ; et alors nous poserons à nouveau cette question : d’où vient le prolétariat ?

   Nous savons qu’il provient d’un système économique : le capitalisme. Nous savons que la division de la société en classes, que la lutte des classes, n’est pas née, comme le prétendent nos adversaires, du marxisme, mais, au contraire, que le marxisme constate l’existence de cette lutte des classes et puise sa force dans le prolétariat déjà existant.

   Donc, de processus en processus, nous en arrivons à l’examen des conditions d’existence du capitalisme. Nous avons ainsi un enchaînement de processus, qui nous démontre que tout influe sur tout. C’est la loi de l’action réciproque.

   En conclusion de ces deux exemples, celui de la pomme et celui de l’Université Ouvrière de Paris, voyons comment aurait procédé un métaphysicien.

   Dans l’exemple de la pomme, il n’aurait pu que penser « d’où vient la pomme ? ». Et il se serait satisfait de la réponse : « la pomme vient de l’arbre ». Il n’aurait pas cherché plus loin.

   Pour l’Université Ouvrière, il se serait satisfait de dire sur son origine qu’elle fut fondée par un groupe d’hommes qui veulent « corrompre le peuple français » ou autres balivernes…

   Mais le dialecticien, lui, voit tous les enchaînements de processus qui aboutissent d’une part à la pomme, de l’autre à l’Université Ouvrière. Le dialecticien rattache le fait particulier, le détail, à l’ensemble.

   Il rattache la pomme à l’arbre, et il remonte plus loin, jusqu’à la nature dans son ensemble. La pomme est non seulement le fruit du pommier, mais aussi le fruit de toute la nature.

   L’Université Ouvrière est non seulement le « fruit » du prolétariat, mais aussi le « fruit » de la société capitaliste.

   Nous voyons donc que, contrairement au métaphysicien qui conçoit le monde comme un ensemble de choses figées, le dialecticien verra le monde comme un ensemble de processus. Et, si le point de vue dialectique est vrai pour la nature et pour les sciences, il est vrai aussi pour la société.

   « L’ancienne méthode de recherche et de pensée, que Hegel appelle la méthode métaphysique et qui s’occupait de préférence de l’étude des choses considérées en tant qu’objets fixes donnés… avait, en son temps, sa grande justification historique. » (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 35.)

   Par conséquent, on étudiait à cette époque toute chose et la société comme un ensemble d’« objets fixes donnés », qui non seulement ne changent pas, mais, particulièrement pour la société, ne sont pas destinés à disparaître.

   Engels signale l’importance capitale de la dialectique, cette

   « grande idée fondamentale selon laquelle le monde ne doit pas être considéré comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparence stables, tout autant que leurs reflets intellectuels dans notre cerveau, les idées, passent par un changement ininterrompu de devenir et de dépérissement où finalement, malgré tous les hasards apparents et tous les retours momentanés en arrière, un développement progressif finit par se faire jour. » (Idem, p. 34.)

   La société capitaliste ne doit donc pas être considérée, elle non plus, comme un « complexe de choses achevées », mais, au contraire, doit être étudiée aussi comme un complexe de processus.

   Les métaphysiciens se rendent compte que la société capitaliste n’a pas toujours existé, et ils disent qu’elle a une histoire, mais ils pensent qu’avec son apparition la société a fini d’évoluer et restera désormais « fixée ». Ils considèrent toutes choses comme achevées et non pas comme le commencement d’un nouveau processus. Le récit de la création du monde par Dieu est une explication du monde comme complexe de choses achevées. Dieu a fait chaque jour une tâche achevée. Il a fait les plantes, les animaux, l’homme une fois pour toutes ; de là, la théorie de fixisme.

   La dialectique juge d’une façon opposée. Elle ne considère pas les choses en tant qu’ « objets fixés », mais en « mouvement ». Pour elle, aucune chose ne se trouve achevée ; elle est toujours la fin d’un processus et le commencement d’un autre processus, toujours en train de se transformer, de se développer. C’est, pourquoi nous sommes si sûrs de la transformation de la société capitaliste en société socialiste. Rien n’étant définitivement achevé, la société capitaliste est la fin d’un processus auquel succédera la société socialiste, puis la société communiste et ainsi de suite ; il y a et il y aura continuellement un développement.

   Mais il faut faire attention ici à ne pas considérer la dialectique comme quelque chose de fatal, d’où l’on pourrait conclure : « puisque vous êtes si sûr du changement que vous désirez, pourquoi luttez-vous ? » Car, comme dit Marx, « pour faire accoucher la société socialiste, il faudra un accoucheur » ; d’où la nécessité de la révolution, de l’action.

   C’est que les choses ne sont pas si simples. Il ne faut pas oublier le rôle des hommes qui peuvent avancer ou retarder cette transformation (nous reverrons cette question au chapitre V de cette partie, quand nous parlerons du « matérialisme historique »).

   Ce que nous constatons actuellement, c’est l’existence en toutes choses d’enchaînement de processus qui se produisent par la force interne des choses (l’autodynamisme). C’est que, pour la dialectique, nous insistons là-dessus, rien n’est achevé. Il faut considérer le développement des choses comme n’ayant jamais de scène finale. A la fin d’une pièce de théâtre du monde commence le premier acte d’une autre pièce. A vrai dire, ce premier acte avait déjà commencé au dernier acte de la pièce précédente…

II. Les grandes découvertes du XIX° siècle.

   Ce qui a déterminé l’abandon de l’esprit métaphysique et qui a obligé les savants, puis Marx et Engels, à considérer les choses dans leur mouvement dialectique, c’est, nous le savons, les découvertes faites au XIX° siècle. Ce sont surtout trois grandes découvertes de cette époque, signalées par Engels dans Ludwig Feuerbach, qui ont fait progresser la dialectique. (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 35 et 36.)

   1. La découverte de la cellule vivante et de son développement. (C’est Schwann et Schleiden qui, en découvrant avec la cellule organique « l’unité d’où se développe, par la multiplication et la différenciation, tout l’organisme végétal et animal », établirent la continuité des deux grands règnes de la nature vivante.)

   Avant cette découverte, on avait pris comme base de raisonnement le « fixisme ». On considérait les espèces comme étrangères les unes aux autres. De plus, on distinguait catégoriquement, d’un côté, le règne animal, de l’autre, le règne végétal.

   Puis arrive cette découverte qui permet de préciser cette idée de l’« évolution » que les penseurs et les savants du XVIII° siècle avaient déjà mise dans l’air. Elle permet de comprendre que la vie est faite d’une succession de morts et de naissances et que tout être vivant est une association de cellules. Cette constatation ne laisse alors subsister aucune frontière entre les animaux et les plantes et chasse ainsi la conception métaphysique.

   2. La découverte de la transformation de l’énergie,

   Autrefois, la science croyait que le son, la chaleur, la lumière, par exemple, étaient complètement étrangers les uns aux autres. Or on découvre que tous ces autres phénomènes peuvent se transformer les uns dans les autres, qu’il y a des enchaînements de processus aussi bien dans la matière inerte que dans la nature vivante. Cette révélation est encore un coup porté à l’esprit métaphysique.

   3. La découverte de l’évolution chez l’homme et les animaux.

   Darwin, dit Engels, démontre que tous les produits de la nature sont l’aboutissement d’un long processus de développement de petits germes unicellulaires à l’origine : tout est le produit d’un long processus ayant pour origine la cellule.

   Et Engels conclut que, grâce à ces trois grandes découvertes, nous pouvons suivre l’enchaînement de tous les phénomènes de la nature non seulement à l’intérieur des différents domaines, mais aussi entre les différents domaines.

   Ce sont donc les sciences qui ont permis l’énoncé de cette deuxième loi de l’action réciproque.

   Entre les règnes végétal, animal, minéral, pas de coupure, mais seulement des processus ; tout s’enchaîne. Et cela est vrai aussi pour la société. Les différentes sociétés qui ont traversé l’histoire des hommes doivent être considérées comme une suite d’enchaînements de processus, où l’une est sortie nécessairement de celle qui l’a précédée.

   Nous devons donc retenir que : la science, la nature, la société doivent être vues comme un enchaînement de processus, et le moteur qui agit pour développer cet enchaînement, c’est l’autodynamisme.

III. Le développement historique ou développement en spirale.

   Si nous examinons d’un peu plus près le processus que nous commençons à connaître, nous voyons que la pomme est le résultat d’un enchaînement de processus. D’où vient la pomme ? La pomme vient de l’arbre. D’où vient l’arbre ? De la pomme. Nous pouvons donc penser que nous avons là un cercle vicieux dans lequel nous tournons pour revenir toujours au même point. Arbre, pomme. Pomme, arbre. De même, si nous prenons l’exemple de l’œuf et de la poule. D’où vient l’œuf ? De la poule. D’où vient la poule ? De l’œuf.

   Si nous considérions les choses ainsi, ce ne serait pas là un processus, mais un cercle, et cette apparence a d’ailleurs donné l’idée du « retour éternel ». C’est-à-dire que nous reviendrions toujours au même point, au point de départ.

   Mais voyons exactement comment se pose le problème.

  1. Voici une pomme.
  2. Celle-ci, en se décomposant, engendre un arbre ou des arbres.
  3. Chaque arbre ne donne pas une pomme, mais des pommes.

   Nous ne revenons donc pas au même point de départ ; nous revenons à la pomme, mais sur un autre plan.

   De même, si nous partons de l’arbre, nous aurons :

  1. Un arbre qui donne
  2. des pommes, et ces pommes donneront
  3. des arbres.

   Là aussi, nous revenons à l’arbre, mais sur un autre plan. Le point de vue s’est élargi.

   Nous n’avons donc pas un cercle, comme les apparences tendaient à le faire penser, mais un processus de développement que nous appellerons un développement historique. L’histoire montre que le temps ne passe pas sans laisser de trace. Le temps passe, mais ce ne sont pas les mêmes développements qui reviennent. Le monde, la nature, la société constituent un développement qui est historique, un développement qu’en langage philosophique on appelle « en spirale ».

   On se sert de cette image pour fixer les idées ; c’est une comparaison pour illustrer ce fait que les choses évoluent selon un processus circulaire, mais ne reviennent pas au point de départ, elles reviennent un peu au-dessus, sur un autre plan ; et ainsi de suite, ce qui donne une spirale ascendante.

   Donc, le monde, la nature, la société ont un développement historique (en spirale), et ce qui meut ce développement, c’est, ne l’oublions pas, l’autodynamisme.

Conclusion.

   Nous venons d’étudier, dans ces premiers chapitres sur la dialectique, les deux premières lois : celle du changement et celle de l’action réciproque. Cela était indispensable pour pouvoir aborder l’étude de la loi de contradiction, car c’est elle qui va nous permettre de comprendre la force qui meut le « changement dialectique », l’autodynamisme.

   Dans le premier chapitre relatif à l’étude de la dialectique, nous avons vu pourquoi cette théorie avait été longtemps dominée par la conception métaphysique et pourquoi le matérialisme du XVIII°e siècle était métaphysique. Nous comprenons mieux maintenant, après avoir vu rapidement les trois grandes découvertes du XIX° siècle, qui ont permis au matérialisme de se développer pour devenir dialectique, pourquoi il était nécessaire que l’histoire de cette philosophie traversât les trois grandes périodes que nous connaissons : 1° matérialisme de l’antiquité (théorie des atomes) ; 2° matérialisme du XVIII° siècle (mécaniste et métaphysique) pour aboutir, enfin, 3° au matérialisme dialectique.

   Nous avions affirmé que le matérialisme était né des sciences et lié à elles. Nous pouvons voir, après ces trois chapitres, combien cela est vrai. Nous avons vu dans cette étude du mouvement et du changement dialectiques, puis de cette loi de l’action réciproque, que tous nos raisonnements sont basés sur les sciences.

   Aujourd’hui, où les études scientifiques sont spécialisées à l’extrême et où les savants (ignorant en général le matérialisme dialectique) ne peuvent parfois comprendre l’importance de leurs découvertes particulières par rapport à l’ensemble des sciences, c’est le rôle de la philosophie, dont la mission, avons-nous dit, est de donner une explication du monde et des problèmes les plus généraux, c’est la mission en particulier du matérialisme dialectique de réunir toutes les découvertes particulières de chaque science pour en faire la synthèse et donner ainsi une théorie qui nous rende de plus en plus, comme le disait Descartes, « maîtres et possesseurs de la nature ».

Troisième loi : la contradiction

   Nous avons vu que la dialectique considère les choses comme étant en perpétuel changement, évoluant continuellement, en un mot subissant un mouvement dialectique (1ère loi).

   Ce mouvement dialectique est possible parce que toute chose n’est que le résultat, au moment où nous l’étudions, d’un enchaînement de processus, c’est-à-dire un enchaînement de phases qui sortent les unes des autres. Et, poussant notre étude plus avant, nous avons vu que cet enchaînement de processus se développe nécessairement dans le temps en un mouvement progressif, « malgré les retours momentanés » en arrière.

   Nous avons appelé ce développement un « développement historique » ou « en spirale », et nous savons que ce développement s’engendre lui-même, par autodynamisme.

   Mais quelles sont maintenant les lois de l’autodynamisme ? Quelles sont les lois qui permettent aux phases de sortir les unes des autres ? C’est ce que l’on appelle les « lois du mouvement dialectique ».

   La dialectique nous apprend que les choses ne sont pas éternelles : elles ont un commencement, une maturité, une vieillesse, qui se termine par une fin, une mort.

   Toutes les choses passent par ces phases : naissance, maturité, vieillesse, fin. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi les choses ne sont-elles pas éternelles ?

   C’est là une vieille question qui a toujours passionné l’humanité. Pourquoi faut-il mourir? On ne comprend pas cette nécessité et les hommes, au cours de l’histoire, ont rêvé de la vie éternelle, aux moyens de changer cet état de fait, par exemple au moyen âge en inventant des boissons magiques (élixirs de jeunesse, ou de vie).

   Pourquoi donc ce qui naît est-il contraint de mourir ? C’est là une grande loi de la dialectique que nous devrons confronter, pour bien la comprendre, avec la métaphysique.

I. La vie et la mort.

   Du point de vue métaphysique, on considère les choses d’une façon isolée, prises en elles-mêmes et, parce que la métaphysique étudie les choses ainsi, elle les considère d’une façon unilatérale, c’est-à-dire d’un seul côté. C’est pourquoi l’on peut dire de ceux qui voient les choses d’un seul côté qu’ils sont métaphysiciens. En bref, lorsqu’un métaphysicien examine le phénomène qu’on appelle la vie, il le fait sans relier ce phénomène à un autre. Il voit la vie, pour elle et en elle-même, d’une façon unilatérale. Il la voit d’un seul côté. S’il examine la mort, il fera la même chose ; il appliquera son point de vue unilatéral et conclura en disant : la vie, c’est la vie ; et la mort, c’est la mort. Entre elles deux, rien de commun, on ne peut être à la fois vivant et mort, car ce sont deux choses opposées, tout à fait contraires l’une à l’autre.

   Voir ainsi les choses, c’est les voir d’une façon superficielle. Si on les examine d’un peu plus près, on verra d’abord que l’on ne peut pas les opposer l’une à l’autre, qu’on ne peut même pas les séparer aussi brutalement, puisque l’expérience, la réalité nous montrent que la mort continue la vie, que la mort vient du vivant.

   Et la vie, peut-elle sortir de la mort ? Oui. Car les éléments du corps mort vont se transformer pour donner naissance à d’autres vies et servir d’engrais à la terre, qui sera plus fertile, par exemple. La mort, dans bien des cas, aidera la vie, la mort permettra à la vie de naître ; et, dans les corps vivants eux-mêmes, la vie n’est possible que parce qu’il y a un continuel remplacement des cellules qui meurent par d’autres qui naissent. (« Tant que nous considérons les choses comme en repos et sans vie, chacune pour soi, l’une à côté de l’autre et l’une après l’autre, nous ne nous heurtons certes à aucune contradiction en elles. Nous trouvons là certaines propriétés qui sont en partie communes, en partie diverses, voire contradictoires l’une à l’autre, mais qui dans ce cas sont réparties sur des choses différentes et ne contiennent donc pas en elles-mêmes de contradiction. Dans les limites de ce domaine d’observation, nous nous en tirons avec le mode de pensée courant, le mode métaphysique. Mais il en va tout autrement dès que nous considérons les choses dans leur mouvement, leur changement, leur vie, leur action réciproque l’une sur l’autre. Là, nous tombons immédiatement dans des contradictions. » (Friedrich Engels : Anti-Dühring, p. 152.))

   Donc, la vie et la mort se transforment continuellement l’une dans l’autre, et, en toutes choses, nous constatons la constance de cette grande loi : partout, les choses se transforment en leur contraire.

II. Les choses se transforment en leur contraire.

   Les métaphysiciens opposent les contraires, mais la réalité nous démontre que les contraires se transforment l’un dans l’autre ; que les choses ne restent pas elles-mêmes, mais se transforment en leurs contraires.

   Si nous examinons la vérité et l’erreur, nous pensons : entre elles, il n’y a rien de commun. La vérité, c’est la vérité, et une erreur, c’est une erreur. Cela, c’est le point de vue unilatéral, qui oppose brutalement les deux contraires comme on opposerait la vie et la mort.

   Et pourtant, si nous disons : « Tiens, il pleut ! » il arrive parfois que nous n’avons pas fini de le dire que, déjà, il ne pleut plus. Cette phrase était juste, quand nous l’avons commencée, et elle s’est transformée en erreur. (Les Grecs avaient déjà constaté cela et ils disaient que, pour ne pas se tromper, il fallait ne rien dire !)

De même, reprenons l’exemple de la pomme. On voit à terre une pomme mûre, et l’on dit : « Voilà une pomme mûre. » Pourtant, elle est à terre depuis un certain temps, et, déjà, elle commence à se décomposer, de telle sorte que la vérité devient erreur.

   Les sciences, elles aussi, nous donnent de nombreux exemples de lois considérées pendant de nombreuses années comme des « vérités », qui se sont révélées, à un certain moment, à la suite des progrès scientifiques, comme des « erreurs ».

   Nous voyons donc que la vérité se transforme en erreur. Mais est-ce que l’erreur se transforme en vérité ?

   Au début de la civilisation, les hommes imaginaient, notamment en Egypte, des combats entre les dieux pour expliquer le lever et le coucher du soleil ; cela est une erreur dans la mesure où on dit que les dieux poussent ou tirent le soleil pour le faire bouger. Mais la science donne partiellement raison à ce raisonnement en disant qu’il y a effectivement des forces (purement physiques, d’ailleurs) qui font mouvoir le soleil. Nous voyons donc que l’erreur n’est pas nettement opposée à la vérité.

   Si donc les choses se transforment en leur contraire, comment est-ce possible ? Comment la vie se transforme-t-elle en la mort ?

   S’il n’y avait que la vie, la vie 100 p. 100, elle ne pourrait jamais être la mort et si la mort était totalement elle-même, la mort 100 p. 100, il serait impossible que l’une se transformât dans l’autre. Mais il y a déjà de la mort dans la vie et donc de la vie dans la mort.

   En regardant de près, nous verrons qu’un être vivant est composé de cellules, que ces cellules sont renouvelées, qu’elles disparaissent et reparaissent à la même place. Elles vivent et meurent continuellement dans un être vivant, où il y a donc de la vie et de la mort.

   Nous savons aussi que la barbe d’un mort continue de pousser. Il en est de même pour les ongles et les cheveux. Voilà des phénomènes nettement caractérisés, qui prouvent que la vie continue dans la mort.

   En Union Soviétique, on conserve dans des conditions spéciales du sang de cadavre qui sert pour faire la transfusion du sang : ainsi, avec du sang d’un mort on refait un vivant. Nous pouvons dire, par conséquent, qu’au sein de la mort il y a de la vie.

   « La vie est donc également une contradiction « existant dans les choses et les phénomènes eux-mêmes », une contradiction qui, constamment, se pose et se résout ; et, dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient. » (Friedrich Engels: Anti-Dühring, p. 153.)

   Donc les choses non seulement se transforment les unes dans les autres, mais encore une chose n’est pas seulement elle-même, mais autre chose qui est son contraire, car chaque chose contient son contraire.

   Chaque chose contient à la fois elle-même et son contraire.

   Si l’on représente une chose par un cercle, nous aurons une force qui poussera cette chose vers la vie, poussant du centre vers l’extérieur par exemple (expression), mais nous aurons aussi des forces qui pousseront cette chose dans une direction opposée, des forces de mort, poussant de l’extérieur vers le centre (compression).

   Ainsi, à l’intérieur de chaque chose coexistent des forces opposées, des antagonismes.

   Que se passe-t-il entre ces forces ? Elles luttent. Par conséquent, une chose n’est pas seulement mue par une force agissant dans un seul sens, mais toute chose est réellement mue par deux forces de directions opposées. Vers l’affirmation et vers la négation des choses, vers la vie et vers la mort. Que veut dire : affirmation et négation des choses ?

   Il y a, dans la vie, des forces qui maintiennent la vie, qui tendent vers l’affirmation de la vie. Puis il y a aussi dans les organismes vivants des forces qui tendent vers la négation. Dans toutes choses, des forces tendent vers l’affirmation et d’autres tendent vers la négation, et, entre l’affirmation et la négation, il y a contradiction.

   Donc la dialectique constate le changement, mais pourquoi les choses changent-elles ? Parce que les choses ne sont pas d’accord avec elles-mêmes, parce qu’il y a lutte entre les forces, entre les antagonismes internes, parce qu’il y a contradiction. Voilà la troisième loi de la dialectique : Les choses changent parce qu’elles contiennent en elles-mêmes la contradiction.

   (Si nous sommes obligés, parfois, d’employer des mots plus ou moins compliqués (comme dialectique, autodynamisme, etc.) ou des termes qui semblent contraires à la logique traditionnelle et difficiles à comprendre, ce n’est pas que nous aimions compliquer les choses à plaisir et imiter en cela la bourgeoisie. (Voir l’article de René Maublanc dans La Vie ouvrière du 14 octobre 1937.) Non. Mais cette étude, quoique élémentaire, veut être aussi complète que possible et permettre de lire ensuite plus facilement les œuvres philosophiques de Marx-Engels et de Lénine, qui emploient ces termes. En tout cas, puisque nous devons employer un langage qui n’est pas usuel, nous nous attachons à le rendre compréhensible à tous dans le cadre de cette étude.)

III. Affirmation, négation et négation de la négation.

   Il nous faut faire ici une distinction entre ce que l’on appelle la contradiction verbale, qui signifie que, lorsque l’on vous dit « oui », vous répondez « non » ; et la contradiction que nous venons de voir et que l’on appelle la contradiction dialectique, c’est-à-dire contradiction dans les faits, dans les choses.

   Quand nous parlons de la contradiction qui existe au sein de la société capitaliste, cela ne veut pas dire que les uns disent oui, et les autres non sur certaines théories ; cela veut dire qu’il y a une contradiction dans les faits, qu’il y a des forces réelles qui se combattent : d’abord une force qui tend à s’affirmer, c’est la classe bourgeoise qui tend à se maintenir ; puis une deuxième force sociale qui tend à la négation de la classe bourgeoise, c’est le prolétariat. La contradiction est donc dans les faits, parce que la bourgeoisie ne peut exister sans créer son contraire, le prolétariat. Comme le dit Marx,

   « avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. » (Karl Marx et Friedrich Engels : Manifeste du Parti communiste, p. 20. Editions sociales, 1961.)

   Pour empêcher cela, il faudrait que la bourgeoisie renonce à être elle-même, ce qui serait absurde. Par conséquent, en s’affirmant, elle crée sa propre négation.

   Prenons l’exemple d’un œuf qui est pondu et couvé par une poule : nous constatons que, dans l’œuf, se trouve le germe qui, à une certaine température et dans certaines conditions, se développe. Ce germe, en se développant, donnera un poussin : ainsi ce germe, c’est déjà la négation de l’œuf. Nous voyons bien que dans l’œuf il y a deux forces : celle qui tend à ce qu’il reste un œuf et celle qui tend à ce qu’il devienne poussin. L’œuf est donc en désaccord avec lui-même et toutes les choses sont en désaccord avec elles-mêmes.

   Cela peut sembler difficile à comprendre, parce que nous sommes habitués au mode de raisonnement métaphysique, et c’est pourquoi nous devons faire un effort pour nous habituer à nouveau à voir les choses dans leur réalité.

   Une chose commence par être une affirmation qui sort de la négation. Le poussin est une affirmation issue de la négation de l’œuf. Cela est une phase du processus. Mais la poule sera à son tour la transformation du poussin et, au cœur de cette transformation, il y aura une contradiction entre les forces qui luttent pour que le poussin devienne poule et les forces qui luttent pour que le poussin reste poussin. La poule sera donc la négation du poussin, qui venait, lui, de la négation de l’œuf.

   La poule sera donc la négation de la négation. Et cela est la marche générale des phases de la dialectique.

  1. Affirmation on dit aussi Thèse.
  2. Négation ou Antithèse.
  3. Négation de la négation, ou Synthèse.

   Ces trois mots résument le développement dialectique. On les emploie pour représenter l’enchaînement des phases, pour indiquer que chaque phase est la destruction de la phase précédente.

   La destruction est une négation. Le poussin est la négation de l’œuf, puisque en naissant il détruit l’œuf. L’épi de blé est, de même, la négation du grain de blé. Le grain en terre germera ; cette germination est la négation du grain de blé, qui donnera la plante, et cette plante, à son tour, fleurira et donnera un épi; celui-ci sera la négation de la plante ou la négation de la négation.

   Nous voyons donc que la négation dont parle la dialectique est une façon résumée de parler de la destruction. Il y a négation de ce qui disparaît, de ce qui est détruit.

  1. Le féodalisme a été la négation de l’esclavagisme.
  2. Le capitalisme est la négation du féodalisme.
  3. Le socialisme est la négation du capitalisme.

   De même que pour la contradiction, où nous avons fait une distinction entre contradiction verbale et contradiction logique, nous devons bien comprendre ce qu’est la négation verbale, qui dit « non », et la négation dialectique, qui veut dire « destruction ».

   Mais si la négation veut dire destruction, il ne s’agit pas là de n’importe quelle destruction, mais d’une destruction dialectique. Ainsi, lorsque nous écrasons une puce, elle ne meurt pas par destruction interne, par négation dialectique. Sa destruction n’est pas le résultat de phases autodynamiques ; elle est le résultat d’un changement purement mécanique.

   La destruction est une négation seulement si elle est un produit de l’affirmation, si elle sort d’elle. Ainsi : l’œuf couvé étant l’affirmation de ce que l’œuf est, il engendre sa négation : il devient poussin, et celui-ci symbolise la destruction, ou négation de l’œuf, en perçant, en détruisant la coquille.

   Dans le poussin, nous voyons deux forces adverses : « poussin » et « poule » ; au cours, de ce développement du processus, la poule pondra des œufs, d’où nouvelle négation de la négation. De ces œufs alors partira un nouvel enchaînement du processus.

   Pour le blé, nous voyons aussi une affirmation, puis une négation et une négation de la négation.

   Comme autre exemple, nous donnerons celui de la philosophie matérialiste.

   Au début, nous trouvons un matérialisme primitif, spontané, qui, parce qu’il est ignorant, crée sa propre négation : l’idéalisme. Mais l’idéalisme qui nie l’ancien matérialisme sera nié par le matérialisme moderne ou dialectique, parce que la philosophie se développe et provoque, avec les sciences, la destruction de l’idéalisme. Donc, là aussi, nous avons affirmation, négation et négation de la négation.

   Nous constatons aussi ce cycle dans l’évolution de la société.

   Nous constatons au début de l’histoire l’existence d’une société de communisme primitif, société sans classes, basée sur la propriété commune du sol. Mais cette forme de propriété devient une entrave au développement de la production et, par-là même, crée sa propre négation : la société avec classes, basée sur la propriété privée et sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais cette société porte aussi en elle sa propre négation, parce qu’un développement supérieur des moyens de production entraîne la nécessité de nier la division de la société en classes, de nier la propriété privée, et nous revenons ainsi au point de départ : la nécessité de la société communiste, mais sur un autre plan ; au début, nous avions un manque de produits ; aujourd’hui, nous avons une capacité de production très élevée.

   Remarquons à ce sujet que, pour tous les exemples que nous avons donnés, nous revenons bien au point de départ, mais sur un autre plan (développement en spirale), un plan plus élevé.

   Nous voyons donc que la contradiction est une grande loi de la dialectique. Que l’évolution est une lutte de forces antagonistes. Que non seulement les choses se transforment les unes dans les autres, mais aussi que toute chose se transforme en son contraire. Que les choses ne sont pas d’accord avec elles-mêmes parce qu’il y a en elles lutte entre forces opposées, parce qu’il y a en elles une contradiction interne.

   Remarque. Nous devons bien faire attention à ceci que l’affirmation, la négation, la négation de la négation ne sont que des expressions résumées des moments de l’évolution dialectique, et qu’il ne faut pas vouloir courir par le monde pour trouver partout ces trois phases. Car nous ne les trouverons pas toujours toutes ; mais parfois seulement la première ou la deuxième, l’évolution n’étant pas terminée. Il ne faut donc pas vouloir voir mécaniquement dans toutes choses ces changements tels quels. Retenons surtout que la contradiction est la grande loi de la dialectique. C’est l’essentiel.

IV. Faisons le point.

   Nous savons déjà que la dialectique est une méthode de penser, de raisonner, d’analyser, qui permet de faire de bonnes observations et de bien étudier, car elle nous oblige à chercher la source de toute chose et à en décrire l’histoire.

   Certes l’ancienne méthode de penser, nous l’avons vu, a eu sa nécessité en son temps. Mais étudier avec la méthode dialectique, c’est constater, répétons-le, que toutes choses, en apparence immobiles, ne sont qu’un enchaînement de processus où tout a un commencement et une fin, où en toute chose,

   « finalement, malgré tous les hasards apparents et tous les retours momentanés en arrière, un développement progressif finit par se faire jour. » (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 34.)

   Seule, la dialectique nous permet de comprendre le développement, l’évolution des choses ; seule, elle nous permet de comprendre la destruction des choses anciennes et la naissance des nouvelles. Seule, la dialectique nous fait comprendre tous les développements dans leurs transformations en les connaissant comme des touts formés de contraires. Car, pour la conception dialectique, le développement naturel des choses, l’évolution, est une lutte continuelle de forces et de principes opposés.

   Si donc, pour la dialectique, la première loi est la constatation du mouvement et du changement : « Rien ne reste ce qu’il est, rien ne reste là où il est » (Engels), nous savons maintenant que l’explication de cette loi réside en ce que les choses changent non seulement en se transformant les unes dans les autres, mais en se transformant en leurs contraires. La contradiction est donc une grande loi de la dialectique.

   Nous avons étudié ce qu’est du point de vue dialectique là contradiction, mais il nous faut encore insister pour apporter certaines précisions et aussi pour signaler certaines erreurs qu’il ne faut pas commettre.

   Il est bien certain qu’il faut d’abord nous familiariser avec cette affirmation, qui est en accord avec la réalité : la transformation des choses en leurs contraires. Certes, elle heurte l’entendement, nous étonne, parce que nous sommes habitués à penser avec la vieille méthode métaphysique. Mais nous avons vu pourquoi il en est ainsi ; nous avons vu d’une façon détaillée, au moyen d’exemples, que cela est dans la réalité et pourquoi les choses se transforment en leurs contraires.

   C’est pourquoi on peut dire et affirmer que, si les choses se transforment, changent, évoluent, c’est parce qu’elles sont en contradiction avec elles-mêmes, parce qu’elles portent en elles leur contraire, c’est parce qu’elles contiennent en elles l’unité des contraires.

V. L’unité des contraires.

   Chaque chose est une unité de contraires.

   Affirmer une pareille chose paraît tout d’abord une absurdité. « Une chose et son contraire n’ont rien de commun », voilà ce que l’on pense en général. Mais, pour la dialectique, toute chose est, en même temps, elle-même et son contraire, toute chose est une unité de contraires, et il nous faut bien expliquer cela.

   L’unité des contraires, pour un métaphysicien, est une chose impossible. Pour lui, les choses sont faites d’une seule pièce, d’accord avec elles-mêmes, et voilà que nous affirmons, nous, le contraire, à savoir que les choses sont faites de deux pièces — elles-mêmes et leurs contraires — et qu’en elles il y a deux forces qui se combattent parce que les choses ne sont pas d’accord avec elles-mêmes, qu’elles se contredisent elles-mêmes.

   Si nous prenons l’exemple de l’ignorance et de la science, c’est-à-dire du savoir, nous savons qu’au point de vue métaphysique voilà deux choses totalement opposées et contraires l’une à l’autre. Celui qui est ignorant n’est pas un savant, et celui qui est un savant n’est pas un ignorant.

   Pourtant, si nous regardons les faits, nous voyons qu’ils ne donnent pas lieu à une opposition aussi rigide. Nous voyons que tout d’abord a régné l’ignorance puis la science est venue ; et nous vérifions là qu’une chose se transforme en son contraire : l’ignorance se transforme en science.

   Il n’y a pas d’ignorance sans science, il n’y a pas d’ignorance 100 p. 100. Un individu, si ignorant soit-il, sait reconnaître au moins les objets, sa nourriture ; il n’y a jamais d’ignorance absolue ; il y a toujours une part de science dans l’ignorance. La science est déjà en germe dans l’ignorance ; il est donc juste d’affirmer que le contraire d’une chose est dans la chose elle-même.

   Voyons la science maintenant. Peut-il y avoir une science 100 p. 100 ? Non. On ignore toujours quelque chose. Lénine dit : « L’objet de la connaissance est inépuisable » ; ce qui veut dire qu’il y a toujours à apprendre. Il n’y a pas de science absolue. Tout savoir, toute science contiennent une part d’ignorance. (« L’histoire des sciences est l’histoire de l’élimination progressive de l’erreur, c’est-à-dire de son remplacement par une erreur nouvelle, mais de moins en moins absurde. » (Engels.))

   Ce qui existe dans la réalité, c’est une ignorance et une science relatives, un mélange de science et d’ignorance.

   Ce n’est donc pas la transformation des choses en leurs contraires que nous constatons dans cet exemple, mais c’est dans la même chose l’existence des contraires ou l’unité des contraires.

   Nous pourrions reprendre les exemples que nous avons déjà vus : la vie et la mort, la vérité et l’erreur, et nous constaterions que, dans l’un et l’autre cas, comme en toutes choses, existe une unité des contraires, c’est-à-dire que chaque chose contient à la fois elle-même et son contraire. C’est pourquoi, dira Engels :

   « Si l’on s’inspire constamment de ce point de vue dans la recherche, on cesse une fois pour toutes de demander des solutions définitives et des vérités éternelles ; on a toujours conscience du caractère nécessairement borné de toute connaissance acquise, de sa dépendance à l’égard des conditions dans lesquelles elle a été acquise ; pas plus qu’on ne s’en laisse imposer par les antinomies, irréductibles pour la vieille métaphysique toujours en usage, du vrai et du faux, du bien et du mal, de l’identique et du différent, du fatal et du fortuit, on sait que ces antinomies n’ont qu’une valeur relative, que ce qui est reconnu maintenant comme vrai a son côté faux caché, qui apparaîtra plus tard, de même que ce qui est actuellement reconnu comme faux a son côté vrai, grâce auquel il a pu précédemment être considéré comme vrai. (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 34 et 35.)

   Ce texte d’Engels nous montre bien comment il faut comprendre la dialectique et le sens véritable de l’unité des contraires.

VI. Erreurs à éviter.

   Il faut bien expliquer cette grande loi de la dialectique qu’est la contradiction pour ne pas créer de malentendus.

   D’abord, il ne faut pas la comprendre d’une façon mécanique. Il ne faut pas penser que, dans toute connaissance, il y a la vérité plus l’erreur, ou le vrai plus le faux.

   Si l’on appliquait cette loi ainsi, on donnerait raison à ceux qui disent que, dans toutes les opinions, il y a une part de vrai plus une part de faux et que : « retirons ce qui est faux, il restera ce qui est vrai, ce qui est bon ». On dit cela dans certains milieux prétendument marxistes, où l’on pense que le marxisme a raison de montrer que, dans le capitalisme, il y a des usines, des trusts, des banques qui tiennent entre leurs mains la vie économique, qu’il a raison de dire que cette vie économique marche mal ; mais ce qui est faux dans le marxisme, ajoute-t-on, c’est la lutte de classes : laissons de côté la théorie de la lutte de classes, et nous aurons une bonne doctrine. On dit aussi que le marxisme appliqué à l’étude de la société est juste, est vrai, « mais pourquoi y mêler la dialectique ? Voilà le côté faux, enlevons la dialectique et gardons comme vrai le reste du marxisme ! »

   Ce sont là des interprétations mécaniques de l’unité des contraires.

   Voici encore un autre exemple : Proudhon pensait, après avoir pris connaissance de cette théorie des contraires, que, dans chaque chose, il y avait un bon et un mauvais côté. Aussi, constatant que, dans la société, il y a la bourgeoisie et le prolétariat, il disait : enlevons ce qui est mauvais : le prolétariat ! Et c’est ainsi qu’il mit sur pied son système des crédits qui devaient créer la propriété parcellaire, c’est-à-dire permettre aux prolétaires de devenir propriétaires ; de cette façon, il n’y aurait plus que des bourgeois, et la société serait bonne.

   Nous savons bien pourtant qu’il n’y a pas de prolétariat sans bourgeoisie et que la bourgeoisie n’existe que par le prolétariat : ce sont deux contraires qui sont inséparables. Cette unité des contraires est interne, véritable : c’est une union inséparable. Il ne suffit donc pas, pour supprimer les contraires, de couper l’un de l’autre. Dans une société basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme, il existe obligatoirement deux classes antagonistes : maîtres et esclaves dans l’antiquité, seigneurs et serfs au moyen âge, bourgeoisie et prolétariat aujourd’hui.

   Pour supprimer la société capitaliste, pour faire la société sans classes, il faut supprimer la bourgeoisie et le prolétariat — pour permettre aux hommes libres de créer une société plus évoluée matériellement et intellectuellement, pour marcher vers le communisme dans sa forme supérieure et non pas pour créer, comme prétendent nos adversaires, un communisme « égalitaire dans la misère ».

   Nous devons donc bien faire attention quand nous expliquons ou quand nous appliquons à un exemple ou à une étude l’unité des contraires. Nous devons éviter de vouloir partout et toujours retrouver et appliquer mécaniquement, par exemple, la négation de la négation, vouloir partout et toujours retrouver l’unité des contraires, car nos connaissances sont en général très limitées, et cela peut nous mener dans des impasses.

   Ce qui compte, c’est ce principe : la dialectique et ses lois nous obligent à étudier les choses pour en découvrir l’évolution et les forces, les contraires qui déterminent cette évolution. Il nous faut donc étudier l’unité des contraires contenue dans les choses, et cette unité des contraires revient à dire qu’une affirmation n’est jamais une affirmation absolue, puisqu’elle contient en elle-même une part de négation. Et c’est là l’essentiel : c’est parce que les choses contiennent leur propre négation qu’elles se transforment. La négation est le « dissolvant » : si elle n’existait pas, les choses ne changeraient pas. Comme, en fait, les choses se transforment, il faut bien qu’elles contiennent un principe dissolvant. Nous pouvons d’avance affirmer qu’il existe, puisque nous voyons les choses évoluer, mais nous ne pouvons découvrir ce principe sans une étude minutieuse de la chose elle-même, car ce principe n’a pas le même aspect en toutes choses.

VII. Conséquences pratiques de la dialectique.

   Pratiquement, donc, la dialectique nous oblige à considérer toujours non pas un côte des choses, mais leurs deux côtés : ne considérer jamais la vérité sans l’erreur, la science sans l’ignorance. La grande erreur de la métaphysique, c’est justement de ne considérer qu’un côté des choses, de juger d’une façon unilatérale et, si nous commettons beaucoup d’erreurs, c’est toujours dans la mesure où nous ne voyons qu’un côté des choses, c’est parce que nous tenons souvent des raisonnements unilatéraux.

   Si la philosophie idéaliste affirme que le monde n’existe que dans les idées des hommes, il faut reconnaître qu’il y a, en effet, des choses qui n’existent que dans notre pensée. Cela est vrai. Mais l’idéalisme est unilatéral, il ne voit que cet aspect. Il ne voit que l’homme qui invente des choses qui ne sont pas dans la réalité, et il en conclut que rien n’existe en dehors de nos idées. L’idéalisme a raison de souligner cette faculté de l’homme, mais, n’appliquant pas le critérium de la pratique, il ne voit que cela.

   Le matérialisme métaphysique se trompe aussi parce qu’il ne voit qu’un côté des problèmes. Il voit l’univers comme une mécanique. Est-ce que la mécanique existe ? Oui ! Joue-t-elle un grand rôle ? Oui ! Le matérialisme métaphysique a donc raison de dire cela, mais c’est une erreur de ne voir que le seul mouvement mécanique.

   Naturellement, nous sommes portés à ne voir qu’un seul côté des choses et des gens. Si nous jugeons un camarade, nous ne voyons presque toujours que son bon ou son mauvais côté. Il faut voir l’un et l’autre, sans quoi il ne serait pas possible d’avoir des cadres dans les organisations. Dans la pratique politique, la méthode du jugement unilatéral aboutit au sectarisme. Si nous rencontrons un adversaire appartenant à une organisation réactionnaire, nous le jugeons d’après ses chefs. Et pourtant c’est peut-être simplement un petit employé aigri, mécontent, et nous ne devons pas le juger comme un grand patron fasciste. On peut de même appliquer ce raisonnement aux patrons et comprendre que, s’ils nous apparaissent mauvais, c’est souvent parce qu’ils sont eux-mêmes dominés par la structure de la société et que, dans d’autres conditions sociales, ils seraient peut-être différents.

   Si nous pensons à l’unité des contraires, nous considérerons les choses sous leurs multiples aspects. Nous verrons donc que ce réactionnaire est réactionnaire d’un côté, mais, de l’autre, que c’est un travailleur et qu’il y a chez lui une contradiction. On cherchera et on trouvera pourquoi il a adhéré à cette organisation, et on cherchera en même temps pourquoi il n’aurait pas dû y adhérer. Et alors nous jugerons et nous discuterons ainsi d’une façon moins sectaire.

   Nous devons donc, conformément à la dialectique, considérer les choses sous tous les angles que l’on peut distinguer.

   Pour, nous résumer, et comme conclusion théorique, nous dirons : les choses changent parce qu’elles renferment une contradiction interne (elles-mêmes et leurs contraires). Les contraires sont en conflits, et les changements naissent de ces conflits ; ainsi le changement est la solution du conflit.

   Le capitalisme contient cette contradiction interne, ce conflit entre le prolétariat et la bourgeoisie ; le changement s’explique par ce conflit et la transformation de la société capitaliste en société socialiste est la suppression du conflit.

   Il y a changement, mouvement, là où il y a contradiction. La contradiction est la négation de l’affirmation et lorsque le troisième terme, la négation de la négation, est obtenu, apparaît la solution, car, à ce moment, la raison de la contradiction est éliminée, dépassée.

   On peut donc dire que si les sciences : la chimie, la physique, la biologie, etc., étudient les lois du changement qui leur sont particulières, la dialectique étudie les lois du changement qui sont les plus générales. Engels, dit :

   « La dialectique n’est pas autre chose que la science des lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et de la pensée. » (Friedrich Engels: Anti-Dühring, p. 172.)

Lectures

  • Engels : Anti-Dühring, chapitre XIII, « Dialectique. Négation de la négation » p. 161. Chapitre XIV, « Conclusion », p. 175.
  • Lénine : Karl Marx et sa doctrine : « La dialectique ».

Quatrième loi : transformation de la quantité en qualité ou loi du progrès par bonds

   Il nous reste maintenant, avant d’aborder le problème de l’application de la dialectique à l’histoire, à étudier une dernière loi de la dialectique.

   Cela va nous être facilité par les études que nous venons de faire et où nous avons vu ce qu’est la négation de la négation et ce que l’on entend par l’unité des contraires.

   Comme toujours, procédons par des exemples.

I. Réformes ou révolution ?

   On dit, en parlant de la société : Faut-il recourir à des réformes ou faire la révolution ? On discute pour savoir si, pour transformer la société capitaliste en une société socialiste, on atteindra ce but par des réformes successives ou par une transformation brusque : la révolution.

   Devant ce problème, rappelons ce que nous avons déjà étudié. Toute transformation est le résultat d’une lutte de forces opposées. Si une chose évolue, c’est qu’elle contient en elle son contraire, chaque chose étant une unité de contraires. On constate la lutte des contraires et la transformation de la chose en son contraire. Comment se fait cette transformation ? C’est là le nouveau problème qui se pose.

   On peut penser que cette transformation s’effectue peu à peu, par une série de petites transformations, que la pomme verte se transforme en une pomme mure par une série de petits changements progressifs.

   Bien des gens pensent ainsi que la société se transforme petit à petit et que le résultat d’une série de ces petites transformations sera la transformation de la société capitaliste en société socialiste. Ces petites transformations sont les réformes et ce sera leur total, la somme des petits changements graduels, qui nous donnera une société nouvelle.

   C’est la théorie que l’on appelle le réformisme. On nomme ceux qui sont partisans de ces théories les réformistes non pas parce qu’ils réclament des réformes, mais parce qu’ils pensent que les réformes suffisent, qu’en s’accumulant elles doivent insensiblement transformer la société.

   Examinons si cela est vrai :

   L’argumentation politique. Si nous regardons les faits, c’est-à-dire ce qui s’est passé dans les autres pays, nous verrons que, là où l’on a essayé ce système, cela n’a pas réussi. La transformation de la société capitaliste — sa destruction — a réussi en un seul pays : l’U.R.S.S., et nous constatons que ce n’est pas par une série de réformes, mais par la révolution.

   1. L’argumentation historique. Est-ce que, d’une façon générale, il est vrai que les choses se transforment par de petits changements, par des réformes ?

   2. Voyons toujours les faits. Si nous examinons les changements historiques, nous verrons qu’ils ne se produisent pas indéfiniment, qu’ils ne sont pas continus. Il arrive un moment où, au lieu de petits changements, le changement se fait par un saut brusque.

   Dans l’histoire des sociétés, les événements marquants que nous constatons sont des changements brusques, des révolutions.

   Même ceux qui ne connaissent pas la dialectique savent, de nos jours, qu’il s’est produit des changements violents dans l’histoire ; pourtant jusqu’au XVII° siècle, on croyait que « la nature ne fait pas de saut », ne fait pas de bonds ; on ne voulait pas voir les changements brusques dans la continuité des changements. Mais la science intervint et démontra dans les faits que, brusquement, des changements se faisaient. La Révolution de 1780 ouvrit mieux encore les yeux ; elle était en elle-même un exemple évident de nette rupture avec le passé. Et on en vint à s’apercevoir que toutes les étapes décisives de l’histoire avaient été et étaient des bouleversements importants, brusques, soudains. Par exemple : d’amicales qu’elles étaient, les relations entre tel et tel Etat devenaient plus froides, puis tendues, s’envenimaient, prenaient un caractère d’hostilité — et, tout d’un coup, c’était la guerre, brusque rupture dans la continuité des événements. Ou encore : en Allemagne, après la guerre de 1914-1918, il y eût une montée graduelle du fascisme, puis un jour Hitler prit le pouvoir : l’Allemagne entra dans une nouvelle étape historique.

   Aujourd’hui, ceux qui ne nient pas ces brusques changements prétendent que ce sont des accidents, un accident étant une chose qui arrive et qui aurait pu ne pas arriver.

   On explique ainsi les révolutions dans l’histoire des sociétés : « Ce sont des accidents ».

   On explique, par exemple, en ce qui concerne l’histoire de notre pays, que la chute de Louis XVI et la Révolution française sont arrivées parce que Louis XVI était un homme faible et mou : « S’il avait été un homme énergique, nous n’aurions pas eu la Révolution ». On lit même que, si, à Varennes, il n’avait pas prolongé son repas, on ne l’aurait pas arrêté et le cours de l’histoire aurait été changé. Donc la révolution française est un accident, dit-on.

   La dialectique, au contraire, reconnaît que les révolutions sont des nécessités. Il y a bien des changements continus, mais, en s’accumulant, ils finissent par produire des changements brusques.

   3. L’argumentation scientifique. Prenons l’exemple de l’eau. Partons de 0° et faisons monter la température de l’eau de 1°, 2°, 3° jusqu’à 98° : le changement est continu. Mais est-ce que cela peut continuer ainsi indéfiniment ? Nous allons encore jusqu’à 99° mais, à 100°, nous avons un changement brusque : l’eau se transforme en vapeur.

   Si, inversement, de 99° nous descendons jusqu’à 1°, nous aurons à nouveau un changement continu, mais nous ne pourrons descendre ainsi indéfiniment, car, à 0°, l’eau se transforme en glace.

   De 1° à 99°, l’eau reste toujours de l’eau ; il n’y a que sa température qui change. C’est ce que l’on nomme un changement quantitatif, qui répond à la question : « Combien ? » c’est-à-dire « combien de chaleur dans l’eau ? ». Lorsque l’eau se transforme en glace ou en vapeur, nous avons là un changement qualitatif, un changement de qualité. Ce n’est plus de l’eau ; elle est devenue de la glace ou de la vapeur.

   Quand la chose ne change pas de nature, nous avons un changement quantitatif (dans l’exemple de l’eau, nous avons un changement de degré de chaleur, mais non de nature). Quand elle change de nature, quand la chose devient autre chose, le changement est qualitatif.

   Nous voyons donc que l’évolution des choses ne peut être indéfiniment quantitative : les choses se transformant subissent, à la fin, un changement qualitatif. La quantité se transforme en qualité. Cela est une loi générale. Mais, comme toujours, il ne faut pas s’en tenir uniquement à cette formule abstraite.

   On trouvera dans le livre d’Engels, Anti-Dühring, au chapitre « Dialectique, quantité et qualité » un grand nombre d’exemples qui feront comprendre que dans tout comme dans les sciences de la nature, se vérifie l’exactitude de la loi selon laquelle

   « à certains degrés de changement quantitatif se produit soudainement une conversion qualitative. » (Friedrich Engels-, Anti-Dühring, p. 157.)

   Voici un exemple nouveau, cité par H. Wallon, dans le tome VII de l’Encyclopédie française (où il renvoie à Engels) : l’énergie nerveuse s’accumulant chez un enfant provoque le rire ; mais, si elle continue à grandir, le rire se transforme en crise de larmes ; ainsi, les enfants s’excitent et rient trop fort, ils finissent par pleurer.

   Nous donnerons un dernier exemple que l’on connaît bien : celui de l’homme qui pose sa candidature à un mandat quelconque. S’il faut 4.500 voix pour obtenir la majorité absolue, le candidat n’est pas élu avec 4.499 voix, il reste ce qu’il est : un candidat. Avec 1 voix de plus, ce changement quantitatif détermine un changement qualitatif, puisque le candidat qu’il était devient un élu.

   Cette loi nous apporte la solution du problème : réforme ou révolution.

   Les réformistes nous disent: « Vous voulez des choses impossibles qui n’arrivent que par accident ; vous êtes des utopistes. »Mais nous voyons bien par cette loi quels sont ceux qui rêvent de choses impossibles ! L’étude des phénomènes de la nature et de la science nous montre que les changements ne sont pas indéfiniment continus, mais qu’à un certain moment le changement devient brusque. Ce n’est pas nous qui l’affirmons arbitrairement, c’est la science, c’est la nature, la réalité !

   On peut alors se demander : quel rôle jouons-nous dans ces transformations brusques ?

   Nous allons répondre à cette question et développer ce problème par l’application de la dialectique à l’histoire. Nous voilà arrivés à une partie très célèbre du matérialisme dialectique : le matérialisme historique.

II. Le matérialisme historique.

   Qu’est-ce que le matérialisme historique ? C’est simplement, maintenant que l’on connaît ce qu’est la dialectique, l’application de cette méthode à l’histoire des sociétés humaines.

   Pour bien comprendre cela, il faut préciser ce qu’est l’histoire. Qui dit histoire dit changement, et changement dans la société. La société a une histoire au cours de laquelle elle change continuellement ; nous y voyons se produire de grands événements. Alors se pose ce problème : puisque, dans l’histoire, les sociétés changent, qu’est-ce qui explique ces changements ?

1.Comment expliquer l’histoire ?

   C’est ainsi que l’on se demande : « Pour quelle raison faut-il que reviennent les guerres ? Les hommes devraient pouvoir vivre en paix ! »

   A ces questions, nous allons fournir des réponses matérialistes.

   La guerre, expliquée par un cardinal, est une punition de Dieu ; c’est là une réponse idéaliste, car elle explique les événements par Dieu ; c’est expliquer l’histoire par l’esprit. C’est ici l’esprit qui crée et fait l’histoire.

   Parler de la Providence est aussi une réponse idéaliste. C’est Hitler qui, dans Mein Kampf, nous dit que l’histoire est l’œuvre de la Providence, et il remercie celle-ci d’avoir placé le lieu de sa naissance à la frontière autrichienne.

   Rendre Dieu, ou la Providence, responsable de l’histoire, voilà une théorie commode : les hommes ne peuvent rien et, par conséquent, nous ne pouvons rien faire contre la guerre, il faut laisser faire !

   Pouvons-nous, au point de vue scientifique, soutenir une telle théorie ? Pouvons-nous trouver dans les faits sa justification ? Non.

   La première affirmation matérialiste, dans cette discussion, c’est que l’histoire n’est pas l’œuvre de Dieu, mais qu’elle est l’œuvre des hommes. Alors les hommes peuvent agir sur l’histoire et ils peuvent empêcher la guerre.

2. L’histoire est l’œuvre des hommes.

   « Les hommes font leur histoire, quelque tournure qu’elle prenne, en poursuivant chacun leurs fins propres, consciemment voulues, et ce sont précisément les résultats de ces nombreuses volontés agissant dans des sens différents et de leurs répercussions variées sur le monde extérieur qui constituent l’histoire. Il s’agit aussi, par conséquent, de ce que veulent les nombreux individus pris isolément. La volonté est déterminée par la passion ou la réflexion… Mais les leviers qui déterminent directement à leur tour la passion ou la réflexion sont de nature très diverse… On peut encore se demander… quelles sont les causes historiques qui se transforment en ces motifs dans les cerveaux des hommes qui agissent. » (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 38-39.)

   Ce texte d’Engels nous dit donc que ce sont les hommes qui agissent selon leurs volontés, mais que ces volontés ne vont pas toujours dans le même sens ! Qu’est-ce qui détermine, qu’est-ce qui fait alors les actions des hommes ? Pourquoi leurs volontés ne vont-elles pas dans le même sens ?

   Certains idéalistes consentiront à dire que ce sont les actions des hommes qui font l’histoire et que cette action résulte de leur volonté : c’est la volonté qui détermine l’action, et ce sont nos pensées ou nos sentiments qui déterminent notre volonté. Nous aurions donc le processus suivant : idée — volonté — action, et, pour expliquer l’action, nous suivrons le sens inverse, à la recherche de l’idée cause déterminante.

   Or nous précisons tout de suite que l’action des grands hommes et des doctrines n’est pas niable, mais qu’elle a besoin d’être expliquée. Ce n’est pas le processus idée — volonté — action qui l’explique. C’est ainsi que certains prétendent qu’au XVIII° siècle Diderot et les Encyclopédistes, en répandant dans le public la théorie des Droits de l’homme, ont, par ces idées, séduit et gagné la volonté des hommes qui ont, en conséquence, fait la révolution; de même qu’en U.R.S.S., les idées de Lénine ont été répandues et que les gens ont agi conformément à ces idées. Et l’on conclut que, s’il n’y avait pas d’idées révolutionnaires, il n’y aurait pas de révolution. C’est ce point de vue qui fait dire que les forces motrices de l’histoire, ce sont les idées des grands chefs ; que ce sont ces chefs qui font l’histoire. Vous connaissez la formule de l’Action française : « 40 rois ont fait la France » ; on pourrait ajouter : des rois qui pourtant n’avaient pas beaucoup d’« idées » !

   Quel est le point de vue matérialiste sur la question ?

   Nous avons vu qu’entre le matérialisme du XVIII° siècle et le matérialisme moderne, il y avait beaucoup de points communs, mais que l’ancien matérialisme avait de l’histoire une théorie idéaliste.

   Donc, franchement idéaliste ou dissimulée sous un matérialisme inconséquent, cette théorie idéaliste que nous venons de voir et qui a l’air d’expliquer l’histoire n’explique rien. Car qui provoque l’action ?

   « L’ancien matérialisme, dit Engels, apprécie tout d’après les motifs de l’action, partage les hommes exerçant une action historique en nobles et non-nobles et constate ensuite ordinairement que ce sont les nobles qui sont les dupes et les non-nobles les vainqueurs, d’où il résulte pour l’ancien matérialisme que l’étude de l’histoire ne nous apprend pas grand’chose d’édifiant, et pour nous que, dans le domaine historique, l’ancien matérialisme est infidèle à lui-même parce qu’il prend les forces motrices idéales qui y sont actives pour les causes dernières, au lieu d’examiner ce qu’il y a derrière elles. » (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 39.)

   La volonté, les idées, prétend-on. Mais pourquoi les philosophes du XVIII° siècle ont-ils eu précisément ces idées ? S’ils avaient essayé d’exposer le marxisme, on ne les aurait pas écoutés, car, à cette époque, les gens n’auraient pas compris. Ne compte pas seulement le fait que l’on donne des idées, il faut aussi qu’elles soient comprises ; par conséquent, il y a des époques déterminées pour accepter les idées et aussi pour les forger.

   Nous avons toujours dit que les idées ont une grande importance, mais nous devons voir d’où elles viennent.

   Nous devons donc rechercher quelles sont les causes qui nous donnent ces idées, quelles sont, en dernière analyse, les forces motrices de l’histoire.

Lectures
  • F. Engels: Anti-Dühring, chapitre XII : « Dialectique. Quantité et qualité », p. 151.
  • Lénine : Matérialisme et Empiriocriticisme, p. 324. « A propos de la dialectique ».
  • F. Engels : Ludwig Feuerbach, chapitre IV, « Le matérialisme dialectique », p. 32 et suivantes.
Questions de contrôle

Chapitre premier

  1. D’où vient la méthode métaphysique ?
  2. D’où vient la méthode dialectique ?
  3. Pourquoi et comment le matérialisme métaphysique s’est-il transformé en matérialisme dialectique ?
  4. Quels sont les rapports philosophiques qui existent entre Hegel et Marx ?

Chapitre II

  1. Qu’est-ce qu’un changement mécanique ?
  2. Comment la dialectique conçoit-elle le changement?

Chapitre III

  1. Comment la dialectique conçoit-elle le changement ? (Comparer la réponse du cours précédent à celle de celui-ci).
  2. Qu’est-ce qu’un développement historique ?
  3. Pourquoi et comment les choses se transforment-elles ?

Chapitre IV

  • Comment ne faut-il pas comprendre la dialectique ?

Chapitre V

  1. Qu’est-ce que la dialectique ?
  2. Quelles sont ses lois ?

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