La situation des classes laborieuses en Angleterre
Friedrich Engels
Préface à l’édition américaine de 1887
Le Mouvement ouvrier en Amérique ((Publiée sous le titre « Le Mouvement ouvrier en Amérique » les 16 et 23 juillet 1887 par Le Socialiste dans une traduction qui avait reçu l’approbation d’Engels et dont nous nous sommes bornés à corriger les erreurs manifestes, d’après l’original anglais.
Le Socialiste : Hebdomadaire dirigé par Guesde et Lafargue , paraissant à Paris avec des interruptions à partir de 1885. Ici 3° année, 2° série.))
Dix mois se sont écoulés depuis que, pour répondre au désir du traducteur, j’écrivis « l’Appendice » de ce livre; et pendant ces dix mois, il s’est accompli dans la société américaine, une révolution qui aurait demandé au moins dix années dans tout autre pays. En février 1886, l’opinion publique américaine était presque unanime sur ce point : c’est qu’il n’existait pas en Amérique de classe ouvrière, au sens européen du mot; que, par suite, aucune lutte de classes entre travailleurs et capitalistes, comme celle qui déchire la société européenne, n’était possible dans la République américaine; et que le socialisme était donc un fait d’importation étrangère, incapable de prendre racine dans le sol américain.
Et cependant, à ce moment même, la lutte de classes en marche projetait devant elle son ombre gigantesque dans les grèves des mineurs pensylvaniens et d’autres corps de métiers, et surtout dans l’élaboration, par tout le pays, du grand mouvement des huit heures qui devait éclater et a éclaté en mai suivant. Que j’ai alors apprécié exactement ces symptômes et prédit le mouvement de classe qui s’est produit dans le cadre national : c’est ce que montre mon « Appendice ».
Mais personne ne pouvait prévoir qu’en si peu de temps le mouvement éclaterait avec une force aussi irrésistible; qu’il se propagerait avec la rapidité d’un incendie de prairie et qu’il ébranlerait la société américaine jusque dans ses fondements.
Le fait est là, patent et incontestable; quant à la terreur dont il a frappé les classes dirigeantes d’Amérique, j’ai pu, à mon grand amusement, m’en rendre compte par les journalistes américains qui m’ont honoré de leur visite au printemps dernier; ce « nouveau départ » les avait jetés dans un état d’angoisse et de perplexité désespérées. A cette époque pourtant, le mouvement n’était encore qu’à son début. Il n’y avait qu’une série d’explosions confuses, et sans lien apparent, de la classe qui, par la suppression de l’esclavage noir et le rapide développement des manufactures, est devenue la dernière couche de la société américaine. Mais l’année n’était pas terminée que ces convulsions sociales désordonnées commencèrent à prendre une direction bien définie. Les mouvements spontanés et instinctifs de ces grandes masses du peuple travailleur, sur une vaste étendue de territoire; l’explosion simultanée de leur commun mécontentement contre une misérable situation sociale, la même partout et due aux mêmes causes, tout donna à ces masses la conscience qu’elles formaient une nouvelle classe et une classe distincte dans la société américaine, une classe – à proprement parler – de salariés plus ou moins héréditaires, de prolétaires. Et, avec un véritable instinct américain, cette conscience les conduisit immédiatement au premier pas vers leur émancipation : autrement dit à la formation d’un parti ouvrier politique, avec un programme à lui et, pour but, la conquête du Capitole et de la Maison-Blanche.
En mai, la lutte pour la journée de huit heures, les troubles de Chicago, de Milwaukee, etc., les efforts de la classe dominante pour écraser le mouvement naissant du travail par la force brutale et une brutale justice de classe. En novembre, le nouveau parti du travail déjà organisé dans tous les grands centres, et les élections socialistes de New-York, de Chicago et de Milwaukee. Mai et novembre n’avaient jusqu’alors rappelé à la bourgeoisie américaine que le paiement des coupons de la dette publique des États-Unis; mais à l’avenir, mai et novembre lui rappelleront en plus d’autres coupons, ceux que le prolétariat américain lui a présentés en paiement.
Dans les pays européens, il a fallu à la classe des travailleurs, des années et encore des années pour comprendre pleinement qu’elle forme une classe distincte, et dans les conditions existantes, une classe permanente de la société moderne.
Et il lui a fallu de nouvelles années encore pour que cette conscience de classe l’amenât à se former en un parti politique distinct, indépendant et ennemi de tous les anciens partis politiques formés par les fractions diverses de la classe dominante. Sur le sol plus favorisé de l’Amérique, où aucune ruine moyen-âgienne n’obstrue la route, où l’histoire commence avec les éléments de la moderne société bourgeoise élaborée au XVIIe siècle, la classe des travailleurs a passé à travers ces deux phases de son développement en dix mois seulement.
Cependant, tout cela n’est encore qu’un commencement. Que les masses laborieuses sentent la communauté de leurs griefs et de leurs intérêts, leur solidarité comme classe en opposition avec toutes les autres classes; qu’à l’effet de donner expression et portée à ce sentiment, elles songent à mettre en mouvement la machinerie politiquement organisée à cette fin dans tout pays libre – il n’y a là qu’un premier pas. Le second pas consiste à trouver le remède commun aux communs griefs et à l’incorporer dans le programme du nouveau parti du travail. Et ce pas – le plus important et le plus difficile – est encore à faire en Amérique.
Un nouveau parti doit avoir un programme positif distinct; un programme qui peut varier dans les détails, avec les circonstances et le développement du parti lui-même, mais programme unique, sur lequel, pour le temps présent, le parti est d’accord.
Tant qu’un pareil programme n’a pas été élaboré, ou n’existe que dans une forme rudimentaire, le nouveau parti lui-même n’aura qu’une existence rudimentaire; il peut exister localement, mais non pas nationalement; il pourra devenir un parti; il ne l’est pas encore.
Ce programme, quelle que puisse être sa première forme initiale, doit se développer dans une direction qui peut se déterminer à l’avance. Les causes qui ont creusé l’abîme entre la classe travailleuse et la classe capitaliste sont les mêmes en Amérique et en Europe; les moyens de combler cet abîme sont également les mêmes partout. Conséquemment le programme du prolétariat américain devra à la longue coïncider, quant au dernier but à atteindre, avec celui qui est devenu, après soixante ans de dissensions et de débats, le programme adopté par la grande masse du prolétariat militant d’Europe. Il devra proclamer, comme le but dernier, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, à l’effet d’effectuer l’appropriation directe de tous les moyens de production – sol, chemins de fer, mines, machines, etc. – par la société tout entière, et leur mise en œuvre par tous, pour le compte et au bénéfice de tous.
Mais si le nouveau parti américain, comme tous les partis politiques de partout, par le simple fait de sa formation aspire à la conquête du pouvoir politique, il est encore loin de s’entendre sur l’usage à faire de ce pouvoir une fois conquis.
A New-York, et dans les autres grandes villes de l’est, l’organisation de la classe ouvrière s’est faite sur le terrain corporatif formant dans chaque ville une puissante Union centrale du travail. A New-York, en novembre dernier, le Central Labor Union a choisi pour porte-drapeau Henry George ((Henry GEORGE (1838-1897) : Publiciste américain, établi à New York depuis 1880, auteur d’un ouvrage d’économie politique, critiqué par Marx : Progress and Poverty. En 1886, George a été candidat au poste de maire de New York.)) et, par suite, son programme électoral temporaire s’est fortement imprégné des principes de ce dernier. Dans les grandes villes du nord-ouest, la bataille électorale s’est engagée sur un programme ouvrier plus indéterminé encore, dans lequel l’influence des théories de Henry George était ou nulle ou à peine visible. Et pendant que, dans ces grands centres de population et d’industrie le nouveau mouvement de classe avait un aboutissant politique, nous trouvons se développant par tout le pays, deux organisations ouvrières : Les Chevaliers du Travail ((« Knights of Labor » : organisation qui exista en Amérique entre 1870 et 1890; elle recrutait ses membres surtout parmi les ouvriers non qualifiés. A son apogée, elle comptait en 1886, 700.000 membres. Sur les Chevaliers du Travail et Henry George, voir lettre d’Engels à Laura Lafargue in Correspondance Engels-Lafargue, Éditions Sociales, Paris, 1956, I, p. 410.)) et le Parti Socialiste du Travail, ce dernier possédant seul un programme en harmonie avec le moderne point de vue européen résumé plus haut.
De ces trois formes plus ou moins définies sous lesquelles le mouvement ouvrier américain se présente à nous, la première – le mouvement que personnifie Henry George à New-York – n’a pour le moment qu’une importance locale. Certes, New-York est de beaucoup la ville la plus importante des États-Unis, mais New York n’est pas Paris et les États-Unis ne sont pas la France. Et il me semble que le programme de Henry George, dans sa teneur actuelle, est trop étroit pour servir de base à autre chose qu’à un mouvement local, ou, au plus, à une phase très limitée du mouvement général. Pour Henry George la grande et universelle cause de la division de l’humanité en riches et en pauvres consiste en ce que la masse du peuple est expropriée du sol. Or, historiquement, cela n’est pas exact. Dans l’antiquité asiatique et classique, la forme prédominante de l’oppression de classe était l’esclavage, c’est-à-dire non pas tant l’expropriation des masses du sol, que l’appropriation de leurs personnes. Lorsque, au déclin de la république romaine, les libres paysans italiens furent expropriés de leurs fermes, ils formèrent une classe de « pauvres blancs » semblables aux noirs des États esclavagistes du sud avant 1861; et entre les esclaves et les pauvres blancs, deux classes également incapables de s’émanciper elles-mêmes, l’ancien monde s’en alla en pièces. Au moyen âge, ce n’était pas leur expropriation du sol, mais bien plutôt leur appropriation au sol qui devint pour ces masses la source de l’oppression féodale.
Le paysan conservait son morceau de terre, mais il y était attaché comme serf ou vilain et contraint de fournir au seigneur un tribut en travail ou en produits. Ce ne fut qu’à l’aurore des temps nouveaux, vers la fin du XV° siècle, que l’expropriation des paysans, opérée sur une grande échelle, posa les premières assises de la classe moderne des travailleurs salariés, ne possédant rien en dehors de leur force-travail et ne pouvant vivre que de la vente de cette force-travail à autrui. Mais si l’expropriation du sol donna naissance à cette classe, ce fut le développement de la production capitaliste, de la moderne industrie, et de l’agriculture en grand qui la perpétua, l’accrût et la transforma en une classe distincte avec des intérêts distincts et une mission historique distincte. Tout cela a été pleinement exposé par Marx (Le Capital, livre premier, section VIII; la soi-disant accumulation primitive) . Selon Marx, la cause de l’antagonisme actuel des classes et de la dégradation sociale de la classe laborieuse, git dans son expropriation de tous les moyens de production, dans lesquels le sol est naturellement compris.
Ayant déclaré que la monopolisation du sol est la cause unique de la pauvreté et de la misère, Henry George, naturellement, trouve le remède dans la reprise du sol par la société tout entière. Or, les socialistes de l’école de Marx demandent eux aussi cette reprise du sol par la société, mais ils ne la limitent pas au sol, ils l’étendent à tous les moyens de production quels qu’ils soient. Ce n’est d’ailleurs pas sur ce point seul qu’existe la divergence. Que doit-on faire du sol ? Les socialistes modernes, représentés par Marx, demandent qu’il soit conservé et travaillé en commun pour le bénéfice commun; ils demandent qu’il en soit de même de tous les autres moyens de production sociale, mines, chemins de fer, fabriques, etc. Henry George, lui, se contenterait de l’affermer individuellement comme aujourd’hui, en régularisant sa distribution et en en appliquant la vente à des services publics, et non plus, comme à présent, à des fins privées.
Ce que demandent les socialistes implique une révolution totale de tout le système de production sociale. Ce que demande Henry George laisse intact le présent mode de production sociale et a été d’ailleurs préconisé il y a des années par les plus avancés des économistes bourgeois de l’école de Ricardo, lesquels demandaient eux aussi, la confiscation de la rente foncière par l’État.
Évidemment, il serait injuste de supposer que Henry George a dit, une fois pour toutes, son dernier mot. Mais je suis obligé de prendre sa théorie telle que je la trouve.
Les Chevaliers du Travail forment la deuxième grande section du mouvement américain et cette section semble être la plus typique de l’état actuel du mouvement, en même temps qu’elle en est, sans aucun doute, de beaucoup la plus forte. Une immense association répandue sur une immense étendue de pays en innombrables Assemblées, représentant toutes les nuances d’opinions individuelles et locales de la classe ouvrière; tous les membres réunis sous le couvert d’un programme d’une indétermination correspondante, et tenus ensemble bien moins par leur impraticable constitution que par le sentiment instinctif que le simple fait de leur union pour une aspiration commune en fait une grande puissance dans le pays, un paradoxe bien américain qui revêt les efforts les plus modernes des mômeries les plus moyen-âgiennes et qui cache l’esprit le plus démocratique et même le plus insurgentionnel derrière un despotisme apparent, mais impuissant en réalité – tel est le spectacle que les Chevaliers du Travail présentent à un observateur européen. Mais si nous ne nous laissons pas arrêter par de simples extravagances extérieures, nous ne pouvons manquer de voir, dans cette vaste agglomération, une somme énorme d’énergie latente, évoluant lentement, mais sûrement en force réelle. Les Chevaliers du Travail sont la première organisation nationale créée par l’ensemble de la classe ouvrière américaine. Peu importe leur origine et leur histoire, leurs défauts et leurs petites absurdités, leur programme et leur constitution; ils sont l’œuvre pratiquement(( Texte corrigé. Le Socialiste écrivait « l’œuvre pratique de toute la classe américaine des salariés ».)) de toute la classe américaine des salariés, le seul lien national qui les unisse, qui leur fasse sentir leur puissance en même temps qu’il la fait sentir à leur ennemi et les remplisse d’une fière espérance en la victoire future. Car il ne serait pas exact de dire que les Chevaliers du Travail sont susceptibles de développement. Ils sont constamment en pleine voie de développement et de révolution; c’est une masse plastique de matière humaine en fermentation à la recherche de la forme appropriée à sa propre nature. Et cette forme elle l’obtiendra aussi sûrement que l’évolution historique a, comme l’évolution naturelle, ses propres lois immanentes. Que les chevaliers du travail conservent alors ou non leur nom actuel, c’est ce qui importe peu; mais à qui les observe du dehors, il paraît évident que là est l’élément premier d’où aura à sortir l’avenir du mouvement ouvrier américain et par conséquent, l’avenir de la société américaine en général.
La troisième section constitue le Parti Socialiste du Travail. C’est un parti qui n’existe que de nom, car nulle part en Amérique il n’a jusqu’ici été actuellement en état de s’affirmer comme parti politique. Il est, en outre, dans une certaine mesure, étranger à l’Amérique, ayant été jusque tout récemment formé presque exclusivement par les immigrants allemands((Texte corrigé. Le Socialiste disait « les émigrants allemands ».)), employant leur propre langue et, pour la plus grande part, peu familiers avec la langue ordinaire du pays. Mais s’il est de souche étrangère, il arrive en même temps armé de toute l’expérience acquise par de longues années de lutte de classes en Europe, et avec une notion des conditions générales de l’émancipation de la classe des travailleurs bien supérieure à celle que possèdent les travailleurs américains. C’est un bonheur pour le prolétariat américain, qui est ainsi mis en état de s’approprier et d’utiliser l’acquis intellectuel et moral de quarante ans de lutte de ses compagnons de classe en Europe, et d’accélérer ainsi sa propre victoire. Car, comme je l’ai dit, il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet. Le programme dernier de la classe ouvrière américaine doit être et sera essentiellement le même que celui actuellement accepté par tout le prolétariat militant d’Europe, le même que celui du Parti Socialiste du Travail allemand-américain. Ce Parti est donc appelé à jouer un rôle très important dans le mouvement. Mais pour cela, il lui faudra dépouiller tout vestige de son costume étranger. Il aura à devenir américain jusqu’aux moelles. Il ne peut demander que les Américains viennent à lui : c’est à lui, minorité – et minorité immigrée – d’aller aux Américains, qui sont à la fois l’immense majorité – et majorité d’indigènes. Et, à cet effet, il doit, avant tout, apprendre l’anglais.
L’œuvre de fusion de ces différents éléments de la vaste masse en mouvement – éléments qui ne sont pas réellement discordants, mais sont mutuellement isolés par la diversité de leur point de départ – prendra un certain temps et ne s’accomplira pas sans maints chocs qui sont déjà visibles sur différents points. Les Chevaliers du Travail, par exemple, sont ici et là, dans les villes de l’est, localement en guerre avec les syndicats. Mais ce même choc existe entre les Chevaliers du Travail eux-mêmes, parmi lesquels la paix et l’harmonie sont loin de régner. Ce ne sont pas là cependant des symptômes de dissolution dont les capitalistes aient le droit de se réjouir. Ce sont simplement des signes que les innombrables armées de travailleurs, pour la première fois mises en marche dans une commune direction, n’ont trouvé jusqu’ici ni une expression adéquate à leurs intérêts communs, ni la forme d’organisation la mieux adaptée à la lutte, ni la discipline requise pour assurer la victoire. Ce ne sont encore que les premières levées en masse de la grande guerre révolutionnaire, recrutées et équipées localement et indépendantes les unes des autres tendant toutes à la formation d’une armée commune, mais encore sans organisation régulière et sans plan commun de campagne. Les colonnes convergentes se heurtent ici et là; il en résulte de la confusion, des disputes violentes, des menaces même de conflit. Mais la communauté du but dernier finit par avoir raison de toutes ces difficultés; avant peu, les bataillons épars et tumultueux se formeront en une longue ligne de bataille, présentant à l’ennemi un front bien ordonné, silencieux sous l’éclat de leurs armes, couverts par de hardis tirailleurs et appuyés sur des réserves inentamables.
Pour arriver à ce résultat, l’unification des divers corps indépendants en une seule Armée Nationale du Travail avec un programme commun – si provisoire que soit ce programme, pourvu seulement qu’il soit un véritable programme de classe ouvrière, – est le premier grand pas à accomplir en Amérique. A cet effet, et pour rendre ce programme digne de la cause, le Parti Socialiste du Travail peut être d’un grand secours s’il agit seulement comme ont agi les socialistes européens à l’époque où ils n’étaient encore qu’une petite minorité de la classe ouvrière. Cette ligne de conduite a été exposée pour la première fois en 1847 dans le Manifeste du Parti Communiste dans les termes suivants :
« Les communistes – c’était le nom que nous avions alors adopté et que nous sommes aujourd’hui encore très loin de répudier – les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n’ont pas d’intérêts séparés et distincts des intérêts du prolétariat tout entier.
Ils n’arrivent pas avec des principes de leur cru, à imposer au mouvement prolétarien.
Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1º dans les luttes nationales des prolétaires de différents pays ils évoquent et mettent au premier plan les intérêts communs de tout le prolétariat, intérêts indépendants de toute nationalité; 2º dans les différentes phases de développement par lesquelles a à passer la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste, toujours et partout ils représentent des intérêts du mouvement dans son ensemble.
Pratiquement, les communistes sont donc la section la plus avancée et la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays; théoriquement, d’autre part, ils ont cet avantage sur la grande masse des prolétaires, d’avoir une vue claire des conditions, de la marche et du résultat final du mouvement prolétarien.
Ils combattent pour la réalisation des objectifs immédiats, pour la satisfaction des intérêts momentanés de la classe ouvrière; mais dans le mouvement du présent, ils représentent et sauvegardent l’avenir du mouvement . »
C’est la tactique qui a été suivie depuis plus de quarante années par le grand fondateur du socialisme moderne, Karl Marx, et par moi-même, ainsi que par les socialistes de toutes les nations qui travaillent en accord avec nous . C’est elle qui partout, nous a conduits à la victoire; c’est grâce à elle qu’aujourd’hui la masse des socialistes européens en Allemagne comme en France, en Belgique et en Hollande comme en Suisse, en Danemark et en Suède comme en Espagne et au Portugal, combat comme une seule et commune armée sous un seul et même drapeau.
Londres, 26 janvier 1887.