Avant propos

La faillite de la II° Internationale

Lénine

Avant propos

   On entend parfois par faillite de l’Internationale simplement le côté formel de la chose, l’interruption des liaisons internationales entre les partis socialistes des pays belligérants, l’impossibilité de réunir ni une conférence internationale, ni le Bureau socialiste international((Le B.S.I. était l’organe exécutif de la II° Internationale; à partir de 1914 il ne se réunira plus jusqu’à la fin de la guerre en conséquence des positions chauvines prises par leurs principaux partis et qui empêchaient par exemple que socialistes français et allemands siègent dans une même instance internationale.)), etc. C’est à ce point de vue que s’en tiennent certains socialistes de petits pays neutres, probablement même la plupart des partis officiels qui y existent, et aussi les opportunistes et leurs défenseurs. Dans la presse russe, M. VI. Kossovski a plaidé avec une franchise méritant une profonde reconnaissance la cause de cette position dans le n°8 du Bulletin d’information du Bund((Le Bund est l’Union Générale des Ouvriers Juifs de Lithuanie, de Pologne et de Russie, très opposée aux bolcheviques.)). Notons que la rédaction du Bulletin n’a pas fait la moindre réserve pour marquer son désaccord avec l’auteur. On peut espérer que la défense du nationalisme par M. Kossovski, lequel en est arrivé à justifier les social-démocrates allemands qui ont voté les crédits de guerre, aidera bien des ouvriers à se convaincre définitivement du caractère nationaliste bourgeois du Bund.

   Pour les ouvriers conscients, le socialisme est une conviction sérieuse, et non un masque commode servant à camoufler des opinions conciliatrices petites-bourgeoises et des tendances d’opposition nationaliste. La faillite de l’Internationale, pour eux, c’est le reniement révoltant par la plupart des partis social-démocrates officiels de leurs convictions, des déclarations les plus solennelles faites dans les discours aux congrès internationaux de Stuttgart et de Bâle, dans les résolutions de ces congrès((Lors des congrès de Stuttgart (août 1907) et Bâle (novembre 1912), les divers dirigeants de l’Internationale avaient tous voté des résolutions contre la guerre qui menaçait et contre l’Union Sacrée au cas ou elle pourrait être déclenchée.)), etc. Ceux-là seuls peuvent ne pas voir cette trahison qui ne veulent pas la voir, qui n’y ont pas intérêt. Pour formuler la chose d’une manière scientifique, c’est-à-dire du point de vue des rapports entre les classes de la société contemporaine, nous devons dire que la plupart des partis social-démocrates, avec à leur tête, en tout premier lieu, le plus grand et le plus influent des partis de la II° Internationale, le parti allemand, se sont rangés du côté de leur état-major général, de leur gouvernement, de leur bourgeoisie, contre le prolétariat. C’est là un événement d’une portée historique mondiale, et l’on ne saurait faire autrement que de l’analyser sous ses aspects les plus divers. Il est reconnu de longue date que les guerres, malgré toutes les horreurs et les calamités qu’elles entraînent, sont utiles dans une mesure plus ou moins grande en ce sens qu’elles dévoilent, dénoncent et détruisent implacablement, dans les institutions humaines, bien des éléments pourris, périmés et nécrosés.

   La guerre européenne de 1914-1915 a commencé, elle aussi, à être d’une utilité indubitable pour l’humanité, car elle a montré à la classe avancée des pays civilisés qu’un hideux abcès purulent est près de crever dans ses partis, et qu’il se dégage on ne sait d’où une insupportable puanteur cadavérique.

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