Un appendice de la fabrique

Le développement du capitalisme en Russie

Lénine

Chapitre VII : LE DÉVELOPPEMENT DE LA GRANDE INDUSTRIE MÉCANIQUE

X. UN APPENDICE DE LA FABRIQUE

   Nous appelons appendice de la fabrique les formes de travail salarié et de petite industrie dont l’existence est directement liée à la fabrique. Dans cette catégorie entrent tout d’abord les ouvriers forestiers et du bâtiment (une certaine partie d’entre eux) dont nous venons de parler, qui parfois s’intègrent directement à la population industrielle des centres de fabrique et qui, d’autres fois, appartiennent à la population des villages environnants((Ainsi dans la province de Riazan «la seule fabrique de Khloudov» (4849 ouvriers en 1894/95, 6 millions de roubles de production) «occupe pendant l’hiver au transport du bois près de 7000 chevaux, dont la plupart appartiennent aux paysans du district d’Egorievsk»150 (Travaux de la commission artisanale, VII, pp. 1109-1110). (voir note suivante).))((La «fabrique Khloudov», Société de filature de coton des frères Khloudov (la fabrique se trouvait à Egorievsk, province de Riazan). Les chiffres mis entre parenthèses dans la note de Lénine (sur le nombre d’ouvriers et le montant de la production) ont été tirés de la Liste des fabriques et usines, Saint-Pétersbourg, 1897, n° 763.)). Nous y trouvons ensuite les ouvriers des tourbières qui parfois sont exploitées directement par les propriétaires des fabriques((Le chaos règne dans la statistique des tourbières. En général cette industrie n’est pas classée parmi les «fabriques et usines» (cf. Kobéliatski. Mémento, p. 15), mais cependant il arrive parfois qu’elle y figure. Ainsi, la Liste dénombre 12 tourbières avec 2201 ouvriers dans la province de Vladimir, et seulement dans cette province, bien qu’elle ne soit pas la seule où l’on extraie la tourbe. D’après Svirski (Les fabriques et les usines de la province de Vladimir), 6038 ouvriers étaient occupés en 1890 à extraire la tourbe dans la province de Vladimir. Le nombre total des ouvriers tourbiers en Russie doit être beaucoup plus important. )), puis les camionneurs, les débardeurs, les emballeurs et, d’une façon générale, tous les manoeuvres qui constituent toujours une partie importante de la population des centres de fabrique. A Pétersbourg, par exemple, le recensement du 15 décembre 1890 dénombrait 44814 «journaliers et manœuvres» (des deux sexes) et 51000 personnes employées dans les transports dont 9500 étaient spécialement chargés du transport des fardeaux et colis. D’autre part, il y a un certain nombre de travaux accessoires qui sont exécutés pour les fabriques par de petits industriels «indépendants»; c’est ainsi, par exemple, que dans les centres et les banlieues, on voit apparaître des industries comme la fabrication des tonneaux pour les huileries et les distilleries((Travaux de la commission artisanale, fasc. VI. )), le tressage des paniers pour l’emballage du verre((Ibid., fasc. VIII, dans la province de Novgorod. )), la fabrication des boîtes pour l’emballage de la quincaillerie et des articles de serrurerie, l’exécution des manches pour les instruments de menuiserie et de serrurerie((Ibid., fasc. IX, dans les cantons suburbains du district de Toula. )), la fabrication des aiguilles pour la cordonnerie, du tan pour les usines de cuir, etc.((Dans la province de Perm, près de la ville de Koungour, dans celle de Tver, dans le bourg de Kimry, etc. )), le tissage des nattes pour l’emballage des produits manufacturés (dans la province de Kostroma et autres), la fabrication des bûchettes pour les allumettes (dans les provinces de Riazan, de Kalouga, etc.), le collage des boîtes de carton pour les fabriques de tabac (dans les environs de Pétersbourg)((Voir le Compte rendu de la direction du zemstvos du district de St-Pétersbourg pour 1889. Compte rendu de M. Voïnov sur le Ve secteur médical. )), la fabrication de la poudre de bois pour les vinaigreries((Comptes rendus et recherches, I, p. 360. )) la préparation du couston par les petites filatures qui s’est développée à Lodz pour répondre aux besoins des grandes fabriques((Comptes rendus de l’enquête sur les fabriques et usines du Royaume de Pologne, St-Pétersbourg, 1888, p. 24. )), etc., etc. Tous ces petits industriels appartiennent, comme les ouvriers salariés que nous avons mentionnés plus haut, soit à la population industrielle des centres de fabriques, soit à la population semi-agricole des localités environnantes. Il arrive, d’autre part, que lorsque la fabrique se borne à produire des articles semi-finis, elle fasse apparaître des petites industries chargées du finissage des articles; c’est ainsi, par exemple, que les filatures mécaniques ont donné une impulsion au tissage artisanal, qu’autour des usines sidérurgiques on a vu apparaître des «koustaris» qui fabriquent des objets de métal. etc. Enfin, il arrive fréquemment que le travail capitaliste à domicile soit lui aussi un appendice de la fabrique((Nous avons trouvé dans la Liste 16 fabriques comptant 1000 ouvriers et plus en ateliers et aussi 7857 ouvriers travaillant au-dehors. 14 fabriques de 500 à 999 ouvriers emploient 1352 ouvriers au-dehors. La Liste enregistre les travaux au-dehors d’une manière tout à fait accidentelle, avec une foule de lacunes. Le Relevé des comptes rendus des inspecteur de fabrique dénombre en 1903, 632 comptoirs de distribution avec 65115 ouvriers. Bien entendu, ces données sont très incomplètes, mais elles n’en montrent pas moins que l’énorme majorité de ces comptoirs et des ouvriers qu’ils occupent, est à classer parmi les centres de fabriques (région de Moscou: 503 comptoirs avec 49345 ouvriers. Province de Saratov, cotonnade-sarpinka, 35 comptoirs avec 10000 ouvriers). (Note de la 2e édition.) )). Dans tous les pays, l’époque de la grande industrie mécanique est caractérisée par un grand développement du travail capitaliste à domicile pour des branches comme, par exemple, la confection. Nous avons déjà vu à quel point ce travail était répandu en Russie, quels étaient ses caractères distinctifs et pourquoi il nous semblait plus juste de le décrire dans le chapitre consacré à la manufacture.

   Pour écrire de façon un tant soit peu complète les appendices de la fabrique, il faudrait disposer de statistiques qui donnent des renseignements exhaustifs sur les occupations de la population ou de monographies qui décrivent l’ensemble de la vie économique des centres de fabriques et de leurs environs. Mais, même les données fragmentaires dont nous devons nous contenter, permettent de voir à quel point est erronée l’opinion si répandue dans notre pays, selon laquelle il existe une coupure entre l’industrie des fabriques et les autres types d’industrie, entre la population des fabriques et celle qui n’est pas employée à l’intérieur des fabriques. Comme tous les rapports sociaux, les formes d’industrie ne peuvent se développer que de façon lente et progressive, en se frayant un chemin parmi une masse de formes transitoires entrelacées les unes aux autres, avec des retours apparents vers le passé. Ainsi, par exemple, nous savions déjà que le développement des petites industries pouvait être l’indice d’un progrès de la manufacture capitaliste. Nous voyons maintenant que parfois la fabrique peut également stimuler les petites industries. Le travail effectué pour un «revendeur» est parfois lui aussi un appendice de la manufacture et de la fabrique. Si on veut apprécier correctement les phénomènes de ce genre, il faut les rattacher à l’ensemble du régime industriel à un stade donné de son développement et aux tendances fondamentales de ce développement.

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