L’anarcha-féminisme

Les courants philosophiques dans le mouvement féministe

Anuradha Ghandy

2006

3. L’anarcha-féminisme

   Le mouvement féministe a été influencé par l’anarchisme et les anarchistes ont étudié les féministes radicales les plus proches de leurs idées. Ainsi le corps de travail appelé anarcha-féminisme peut être considéré comme étant une partie du mouvement féministe radical. Les anarchistes considèrent toutes les formes de gouvernement (État) comme autoritaires et la propriété privée comme tyrannique. Ils ont envisagé la création d’une société qui n’aurait aucun gouvernement, aucune hiérarchie et pas de propriété privée.

   Alors que les idées anarchistes de Bakounine, Kropotkine et d’autres anarchistes classiques ont eu une influence, la célèbre anarchiste américaine Emma Goldman a été particulièrement influente dans le mouvement féministe. Emma Goldman, Lituanienne de naissance, a émigrée aux États-Unis en 1885, et est entrée en contact avec les idées anarchistes et socialistes en tant que travailleuse dans diverses usines de confection. Elle est devenue un agitatrice active, conférencière et militante pour les idées anarchistes. Dans le mouvement féministe contemporain, les écrits de Emma Goldman circulent parmi les anarchistes et ses idées ont une influence. Les anarcha-féministes conviennent qu’il n’y a pas une seule version de l’anarchisme, mais dans la tradition anarchiste ils partagent une compréhension commune, sur (1) une critique des sociétés existantes, en se concentrant sur les relations de pouvoir et de domination, (2) une vision d’une société alternative, égalitaire, non-autoritaire, accompagnée de prétentions sur la façon dont elle pourrait être organisée, et (3) une stratégie pour passer de l’un à l’autre.

   Ils envisagent une société dans laquelle la liberté humaine est assurée, mais croient que la liberté humaine et la communauté vont ensemble. Pourtant, les communautés doivent être structurées de manière à ce qu’elles rendent possible la liberté. Il devrait n’y avoir aucune hiérarchie ni autorité. Leur vision est différente de la tradition marxiste et libérale, mais est plus proche de celle pour laquelle les féministes radicales luttent, dans les pratiques auxquelles elles prennent part. Les anarchistes croient que les moyens doivent être compatibles avec les objectifs, le processus par lequel la révolution est provoquée, les structures doivent refléter la nouvelle société et les relations qui doivent être créées.

   Ainsi, le processus et la forme d’organisation sont extrêmement importants. Selon les anarchistes, la domination et la subordination dépendent des structures sociales hiérarchiques qui sont appliquées par l’État et par la coercition économique (qui se fait à travers le contrôle des biens, etc.). Leur critique de la société ne repose pas sur les classes et l’exploitation, ou sur la nature de classe de l’État, etc., mais se concentre sur la hiérarchie et la domination. L’État défend et soutient ces structures hiérarchiques et les décisions au niveau central sont imposées à celles et ceux subordonnés hiérarchiquement. Donc pour eux, les structures sociales hiérarchiques constituent la racine de la domination et de la subordination dans la société.

   Cela conduit aussi bien à la domination idéologique, parce que le point de vue promu et propagé est le point de vue officiel, le point de vue de ceux qui dominent, à propos de la structure et de ses processus. Les anarchistes critiquent les marxistes, car selon eux les révolutionnaires créent des organisations hiérarchiques (le Parti) à travers lesquelles ils apportent le changement. Selon eux, une fois une hiérarchie créée, il est impossible pour les gens au sommet de renoncer à leur pouvoir. Par conséquent, ils estiment que le processus par lequel le changement doit être apporté est tout aussi important. « Avec une organisation hiérarchique, nous ne pouvons pas apprendre à agir de manière non-autoritaire. » Les anarchistes mettent l’accent sur la « propagande par le fait » qu’ils entendent comme des actions exemplaires qui sont des exemples positifs visant à encourager les autres à les joindre. Les anarcha-féministes produisent des exemples de groupes qui ont créé diverses activités communautaires de base, comme tenir une station de radio ou une coopérative alimentaire aux États-Unis dans lesquelles des moyens non-autoritaires de gestion de l’organisation ont été développés. Ils ont mis l’accent central sur de petits groupes sans hiérarchie ni domination.

   Mais le fonctionnement de ces groupes dans la pratique, la direction tyrannique cachée (Joreen) qui existait ont conduit à de nombreuses critiques. Les problèmes rencontrés incluait une direction cachée, avoir des leaders imposés par les médias, la surreprésentation des femmes de la classe moyenne qui disposaient de beaucoup de temps libre, l’absence de groupes de travail que les femmes pouvaient joindre, l’hostilité envers les femmes qui faisaient preuve d’initiative ou de direction. Lorsque les communistes soulèvent la question que l’Etat centralisé contrôlé par les impérialistes doit être renversé, ils admettent que leurs efforts sont éparpillés et qu’il y a un besoin de se coordonner avec les autres, et d’établir des liens avec d’autres. Mais ils ne sont pas prêts à envisager la nécessité d’une organisation révolutionnaire centralisée pour renverser l’État.

   Fondamentalement, selon leur théorie, l’État capitaliste ne doit pas être renversé, mais il doit être dépassé, (« la façon dont nous procédons contre la structure pathologique de l’État, le mot le plus adapté est de le dépasser plutôt que de le renverser » tiré d’un manifeste anarcha-féministe – Siren 1971).

   De leur analyse, il est clair qu’ils diffèrent fortement du point de vue révolutionnaire. Ils ne voient pas le renversement de l’État bourgeois/impérialiste comme la question centrale et préfèrent dépenser leur énergie dans la formation de petits groupes impliqués dans des activités de coopération.

   Dans l’ère du capitalisme de monopole, il est illusoire de penser que ces activités peuvent se développer, croître et progressivement engloutir toute la société. Ils ne sont tolérés en tant que bizarrerie, comme une plante exotique que dans une société ayant un excédent important comme les États-Unis. Ces groupes ont tendance à coopérer avec le système de cette façon.

   Les féministes radicales ont trouvé ces idées adaptées à leurs points de vue et ont été très influencées par les idées anarchistes d’organisation ou il y a eu convergence sur la question de l’organisation entre les points de vue anarchistes et ceux des féministes radicales. Un autre aspect d’idées anarcha-féministe est leur préoccupation pour l’écologie et nous trouvons que l’éco-féminisme a été engendré par la pensée anarcha-féministe. Effectivement, dans les pays occidentaux, les anarchistes sont actifs sur la question environnementale.

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