Professeur Saibaba : le plus grand petit homme dans le pays aujourd’hui

Professeur Saibaba : le plus grand petit homme dans le pays aujourd’hui

   [Note éditoriale de Sanhati : Compte tenu de la prolongation de l’incarcération de G.N. Saibaba, nous reproduisons cet article qui a été écrit par PK Vijayan en Juin 2014 et a été publié dans l’Economic and Political Weekly]

   Je veux vous raconter une histoire, celle d’un petit homme, si je le peux; son nom était – bon, son nom, nous y reviendrons dans peu de temps. Ce petit homme est né dans une famille de paysans misérables qui a vécu à la périphérie d’un petit village connu, avec les Adivasis et les intouchables.

   Le père de ce petit homme avait choisi de vivre avec les marginaux et les exclus, comme une marque de solidarité avec eux – et cela était motivé simplement par un sens instinctif de la justice, car le père du petit homme n’était même pas lettré, et encore moins politiquement éduqué.

   Alors le petit homme a grandi parmi les éboueurs et les balayeurs, qui étaient ses intimes compagnons et sa fratrie de faim et de misère. Puis, quand il était à peine âgé de cinq ans, ses deux jambes ont été atteintes de la polio et il a failli mourir d’un manque d’installations médicales. Mais le père du petite homme a réussi à éviter sa mort, en courant d’un endroit à l’autre, allant d’un médecin à l’autre et d’une pharmacie à l’autre, gardant espoir, jusqu’à ce que la maladie se propageant vite ne soit finalement diagnostiquée; Néanmoins, le petit homme avait complètement  perdu l’usage de ses deux jambes à cause d’elle.

   Cela n’a pas dissuadé le petit homme ou son père. Il a été inscrit dans une école de mission, où il a appris à lire et à écrire et a lu tout ce qu’il trouvait avec une grande avidité.

   Lisant à la lumière des lampadaires, se traînant sur ses coudes et ses mains par les chemins de terre de son village, de la maison à l’école, mangeant parfois un repas en deux jours, le petit homme oublia le monde dépravé et dépossédé dans lequel il vivait. Il était heureux dans le monde des livres, durant les heures où il s’y perdait.  Son père quant à lui, prenait le petit homme partout où il pouvait, lui montrant autant de monde que possible au guidon de sa bicyclette, refusant obstinément d’accepter l’état de mobilité limité de son fils. Le petit homme a ainsi grandi avec un esprit d’aventure profonde et une volonté indomptable de surmonter les limites de sa condition.

   C’est comme ça que le petit homme, qui n’était plus petit mais un jeune homme en pleine croissance, malgré son handicap de 90%, a terminé l’école, réussi ses études pré-universitaires et ses diplômes de premier cycle avec brio, en grande partie grâce aux bourses d’études et aux bourses gagnées grâce à son excellence académique. Et comme ce jeune homme a grandi en maturité, il a également vu les couleurs et les préjugés du monde autour de lui, et a appris de ses inégalités et de ses injustices profondes, et de beaucoup, beaucoup de dizaines de millions de personnes qui étaient systémiquement désavantagés dès la naissance – si ce n’était en raison de conditions médicales comme lui, alors selon des termes sociaux et économiques, comme il les connaissait, et en fait, même plus discriminés que lui.

   C’est ainsi que quand il a déménagé à la grande ville de Hyderabad pour faire un master, il était déjà rempli d’une détermination à toute épreuve pour lutter contre ces injustices avec la même détermination avec laquelle il avait combattu, et a continué à se battre, contre ses propres handicap. C’est ainsi que le jeune homme, au moment où il a complété son master, était devenu un intellectuel accompli, respecté et extrêmement populaire, ainsi qu’un militant politique

   Mais le jeune homme voulait voir plus, pour en savoir plus, pour faire plus – alors il a abandonné le terrain familier, le peuple et les langues de Hyderabad, et a déménagé à New Delhi, avec sa femme qu’il venait d’épouser. Luttant pour affronter les difficiles et impitoyables conditions de vie de la grande ville, face à l’inconnu, au chômage, aux préjugés et à la solitude, cet homme, contre ses meilleurs instincts, contre les exigences énormes placées en lui mentalement, physiquement et financièrement, est néanmoins resté droit et est allé d’un boulot à l’autre jusqu’à finalement être nommé en tant que conférencier dans une Université de Delhi.

   Cet homme est maintenant un érudit et un enseignant de standing et de renommée internationale. Il a terminé son doctorat, et a beaucoup voyagé, nationalement et internationalement, présentant des publications et donnant des conférences. Et il a parlé fermement, de manière cohérente et irrépressible contre les injustices et les inégalités avec lesquelles il a grandi, et d’autres qu’il a apprises, et d’autres encore qui évoluent autour de nous, dans des formes qui se multiplient, comme les tendances à la baisse de l’État providence.

   La perversité polymorphe qui a éjecté et remplacé l’Etat-providence est cependant profondément déterminée à soutenir, maintenir, supporter et consolider précisément ces-mêmes injustices et inégalités et d’autres encore, parce que c’est précisément ce dont elle se nourrit et se repait, et elle ne peut supporter d’être contestée, encore moins par un homme comme lui, qui incarne et symbolise tout ce qu’elle veut écraser et détruire – l’esprit indomptable, la résistance intrépide, et la volonté de surmonter le plus cruel des obstacles.

   Il est peu étonnant alors, que les drones pervers de cette perversité polymorphe aient cherché à arrêter un homme déjà dans en état permanent d’arrestation, en raison de son handicap. Pas étonnant non plus, qu’ils l’aient fait selon un style mafieux, en lui bandant les yeux et en l’enlevant de sa voiture dans une rue de l’université en plein jour à la vue du public, en l’envoyant rapidement par avion vers une autre ville. Pas étonnant qu’ils aient avancé affaire après affaire fabriquée contre lui, à commencer par l’accusation de détenir des biens volés dans sa maison (peut-il y avoir quelque chose de plus absurde que d’accuser un homme en fauteuil roulant de courir après des biens volés?). Et pour finir, l’accuser de conspiration en vue de faire la guerre à l’Etat (en réponse à la question de la parenthèse précédente – oui, incroyablement, notre perversité polymorphe peut atteindre, et a même atteint des niveaux encore plus absurdes en accusant un homme en fauteuil roulant de chercher à faire tomber le grand Etat indien!).

   Peu étonnant alors, qu’ils aient choisi de le faire en pleine période d’élections générales, de sorte que l’absurdité de leurs actions disparaitrait tout simplement dans la plus grande absurdité que constitue encore de grand cirque Indien des élections qui sont grotesquement célébrées comme étant le plus grand festival de la participation démocratique dans le monde. Et quel plus grand commentaire du grotesque de cette fameuse «démocratie» peut-il y avoir à cette arrestation, son calendrier, sa justification et sa méthode? Et quel plus grand commentaire ironique peut-il être fait sur l’histoire de cet homme, si, après toutes les obstacles qu’il a dû surmonter, après tous les handicaps qu’il a écartés, après toutes les privations et les handicaps au travers desquels il s’est forgé, après toutes ses réalisations et réussites, il devrait être réduit au silence et immobilisé par la pure force brute de la très polymorphe perversité qu’il a passé sa vie à combattre et à surmonter?

Students clamour for an immediate and unconditional release of Prof G.N. Saibaba, outside the Maharashtra Sadan in New Delhi on Saturday. Tribune Photo: Mukesh Aggarwal

   Comme nous le savons maintenant, cet homme est maintenant en isolement, dans une « cellule unda » (ovule), sans lumière ni ventilation, privé de médicaments, incapable d’utiliser même les toilettes sans douleur et inconfort sévère, rampant sur les mains et les coudes partout où qu’il doive aller – le tout dans une tentative désespérée de détruire sa dignité, briser son esprit et lui faire avouer des crimes qu’il n’a ni commis ni dans lesquels il aurait été impliqué.

   GN Saibaba est pas juste un autre «bon docteur». Aujourd’hui, il est devenu le plus grand « petit homme » du pays. Sa voix est la voix des marginaux et des exclus avec lesquels il a grandi dans ce village, dans sa jeunesse – de toutes les voix marginales et des tous les exclus dans chaque village de ce pays. Son histoire est leur histoire, et ne doit pas être muselée, et ne peut pas être réduite au silence. Saibaba doit être libéré pour que cette histoire soit libérée. Immédiatement.

   PK Vijayan (pk.vijayan@gmail.com) enseigne la littérature anglaise à l’Hindu College, Université de Delhi.

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