La Politique de Répression aux Philippines
Jose Maria Sison
Président de la Ligue Internationale de la Lutte des Peuples
31 octobre 2009
Je remercie le Comité international contre les disparitions, IBON l’Europe et les réfugiés Philippins aux Pays-Bas de m’avoir invité à donner un bref aperçu sur la politique de répression aux Philippines.
C’est un honneur et un privilège pour moi de parler par la même occasion avec Edith Burgos et Jayel Burgos, dont le bien-aimé Jonas Burgos a été victime de disparition forcée par les forces militaires du régime Arroyo.
J’ai toujours admiré le regretté José Burgos et toute sa famille pour leur sens élevé du patriotisme et du dévouement à la démocratie. Je suis heureux de fournir un arrière-plan général, historique, socio-économique et politique à la présentation d’Edith de la situation actuelle des droits de l’homme aux Philippines et celle de Jayel du Mouvement « Jonas Free ».
Histoire de la répression et de l’exploitation aux Philippines
Le peuple philippin a longtemps souffert d’une histoire de répression et d’exploitation. Il a traversé plus de trois siècles de domination coloniale par l’Espagne, du 16e au 19e siècle. Après qu’il ait gagné l’indépendance nationale en 1898, les États-Unis ont déclenché une guerre d’agression impérialiste pour la conquête des Philippines. Ils ont imposé une domination coloniale et planifié une économie semi-féodale. En 1946, ils ont instauré un État fantoche pour gouverner le système semi-colonial et semi-féodal actuel.
Ceux qui ont exercé le pouvoir politique aux différentes périodes de l’histoire des Philippines ont réprimé le peuple philippin non pas simplement pour le plaisir d’intimider, d’emprisonner, de torturer et tuer des gens, mais pour des raisons aussi froide et cynique que l’accumulation de la richesse privée à travers l’exploitation et toutes les satisfactions sociales et culturelles que la richesse apporte.
Le colonialisme espagnol est arrivé aux Philippines d’abord à la recherche d’or et d’épices. Ce fut une poursuite à long terme d’un pur pillage sous l’impulsion du capitalisme mercantile européen. En plus de la dépossession et de la prolétarisation des paysans de l’Europe, le colonialisme est une des principales méthodes de l’accumulation primitive du capital. Les colonisateurs espagnols ont utilisé la tactique du « diviser pour régner » et réprimé le peuple Philippin afin de maintenir une situation coloniale et un système féodal.
Les formes les plus brutales de répression ont été appliquées aux gens qui s’opposaient au système ou un seul de ses aspects. Même lorsque le sang n’était pas versé, l’exploitation était une forme quotidienne et généralisée de violence envers les gens qui étaient tenus au travail forcé, à payer les redevances féodales et l’impôt religieux. En fin de compte, le peuple philippin a développé une conscience nationale et une unité révolutionnaire d’objectifs, s’est battu pour l’indépendance nationale et a remporté la première révolution démocratique bourgeoise d’ancien type de toute l’Asie.
Malheureusement, les USA sont intervenus et ont commencé une guerre d’agression contre le peuple Philippin. Cette guerre a tué 1,5 millions de Philippins de 1899 à 1913 afin d’imposer un système colonial et semi-féodal sur les Philippines. Le nouveau système colonial du capitalisme monopoliste américain impliquait une méthode d’exploitation dans lequel les investissements directs et indirects ont été faits par les banques américaines et les entreprises sur un nombre limité d’entreprises modernes, afin de faciliter l’exportation des matières premières et la réalisation de superprofits.
Pendant toute la période de la domination coloniale directe, les États-Unis ont adopté et appliqué des politiques de répression contre la classe ouvrière grandissante, contre les masses paysannes qui réclamaient une réforme agraire et contre tout le peuple Philippin qui réclamait l’indépendance réelle, immédiate et complète. Les impérialistes américains et leurs alliés réactionnaires locaux sont devenus encore plus répressifs lorsque le Parti communiste, le parti révolutionnaire de la classe ouvrière, est apparu en 1930 et affronté le pouvoir en place.
Une autre puissance impérialiste, celle du Japon, s’est emparée Philippines de 1942 à 1945 et prélevé un « péage » d’1 million de morts sur les Philippins dans des actes barbares de répression. Au même moment, les conditions de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation japonaise ont donné naissance au mouvement révolutionnaire armé du peuple dirigé par le Parti fusion des partis communiste et socialiste dans certaines régions.
En reconquérant les Philippines sur le Japon, les États-Unis ont semé de lourdes destructions sur la vie et les biens des Philippins. Peu de temps après le débarquement de leurs troupes sur le sol philippin à la fin de 1944, ils ont cherché à détruire les forces révolutionnaires du peuple qui avaient pris de l’avant dans la libération du centre de Luzon. En tout cas, les forces révolutionnaires et le peuple conservèrent leurs armes et exigèrent la libération nationale et la démocratie pour les Philippines.
La répression sous le système semi-colonial et semi-féodal
Les Etats-Unis accordèrent une sorte d’indépendance factice aux Philippines et établirent un gouvernement fantoche en 1946. Depuis lors, les Philippines ont été un pays semi-colonial et semi-féodal. Les États-Unis reconnurent aux politiciens et aux bureaucrates des grands compradores et grands propriétaires terriens la responsabilité de l’administration nationale. Mais ils ont conservé leur puissance économique et militaire ainsi que la domination politique et culturelle à travers les traités inégaux, les accords et arrangements.
Les États-Unis ont continué de diriger les Philippines, mais cette fois indirectement, par les classes réactionnaires locales. Les factions des représentants politiques de ces classes ont alterné dans l’administration de la république fantoche, d’abord par le duopole des partis Libéral et Nationaliste de 1945 à 1972, puis avec le monopole du pouvoir politique par le parti fasciste Kilusang Bagong Lipunan de 1972 à 1986, et actuellement par la multiplicité des partis réactionnaires et des coalitions.
Quelque soit celui de ces partis qui a pris les rênes de l’administration nationale, il a été asservi aux intérêts du capitalisme monopoliste américain et des classes d’exploiteurs locaux. Il a utilisé tous les moyens pour réprimer les forces patriotiques et progressistes et les mouvements de masse du peuple pour la libération nationale et la démocratie. Il collabore étroitement avec les États-Unis à entreprendre la répression.
Les États-Unis ont le plus grand intérêt et la parole la plus décisive dans l’élaboration des politiques et la planification de la répression dans les Philippines. Ils assurent la direction stratégique, l’endoctrinement, la formation des officiers et le matériel militaire aux appareils de répression. L’armée et les forces de police sont soumises aux États-Unis. Jusqu’en 1992, ils étaient contrôlés par les forces militaires américaines dans les énormes bases militaires américaines qui existaient aux Philippines.
Même après que leurs bases militaires ont été démantelées en 1992, les forces militaires américaines ont continué à contrôler les forces de répression dans les Philippines. Ils ont fait de même depuis leurs bases militaires au Japon, en Corée du Sud, à Guam et en Australie. Ils couvrent les Philippines avec des satellites, des patrouilles aériennes et des patrouilles navales. Ils contrôlent le système sonar et radar des Philippines. Ils ont des postes militaires dans les camps militaires philippins ainsi que des conseillers, des formateurs, des assesseurs et des unités embarquées dans l’armée philippine et les bureaux et les unités de police.
Les États-Unis ont utilisé les régimes de Roxas, Quirino et Magsaysay pour attaquer et détruire les forces révolutionnaires du peuple philippin dans la période de 1946 à 1957. La colonne vertébrale du mouvement révolutionnaire armé a été brisée de façon stratégique dans les années 1950 à 1952, avec plus de 10.000 militants et cadres de masse torturés et assassinés par les militaires. Alors que ce mouvement disparaissait, les États-Unis et les réactionnaires locaux devenaient encore plus répressif et promulguèrent la loi anti-subversion en 1957 dans le but de détruire tout vestige, reminiscence ou successeur de l’ancien Parti fusion des partis communiste et socialiste.
Cependant, la crise chronique du régime philippin a continué de s’aggraver au cours des régimes de Garcia, Macapagal et Marcos dans la période de 1957 à la fin des années 1960. Les révolutionnaires prolétariens relancèrent la lutte et le mouvement de masse anti-impérialiste et anti-féodal parmi les travailleurs, les paysans et les jeunes. Les régimes fantoches ont tenté de réprimer le mouvement de masse. Au lieu de cela, celui-ci monta en puissance et conduit à la fondation du nouveau Parti Communiste des Philippines en 1968 et de la Nouvelle armée populaire en 1969.
Sous l’instigation des États-Unis, le régime de Marcos décida de déclarer la loi martiale et d’imposer une dictature fasciste sur les Philippines en 1972, dans le vain espoir de détruire le CPP et la NPA. En quatorze ans de 1972 à 1986, l’armée et la police ont arbitrairement arrêté et détenu des centaines de milliers de personnes, torturé plus d’une centaine de milliers, assassiné des dizaines de milliers et déplacé plus de 5 millions de personnes.
Dans le procès des droits de l’homme contre Marcos devant le système judiciaire américain, près de 10.000 cas de disparitions, de tortures et d’exécutions extrajudiciaires ont été rapportés et prouvés. Mais la justice et l’indemnisation pour les victimes de violations des droits de l’homme ont été hors de portée aux Philippines. Pas un seul militaire ou policier n’a été puni pour une seule des violations des droits de l’homme.
Les États-Unis et les réactionnaires locaux ont maintenu le système de l’impunité pour les auteurs de la répression, du niveau de Marcos au sergent-chef de l’armée. Ils ont décidé en 1986 d’abandonner Marcos et de mettre fin à l’autocratie flagrante uniquement parce qu’il n’avait pas réussi à réprimer le mouvement révolutionnaire, et aussi parce qu’il avait mis tout le système en danger en assassinant son rival politique Aquino, en 1983.
Par la suite, ils se sont assurés que les régimes post-Marcos continueraient la répression du peuple philippin même sans la loi martiale, en vue de maintenir le système d’exploitation par les banques et les entreprises multinationales et les compradores locaux et grands propriétaires terriens. Les appareils de répression et leurs officiers sont restés intacts et ont continué à s’engager dans des violations des droits de l’homme contre le peuple, les forces démocratiques légales et les forces révolutionnaires.
La veuve d’Aquino est devenu présidente et a mis en place une façade démocratique libérale à son régime réactionnaire. Après avoir consolidé sa position dominante et feint de chercher un accord de paix avec le mouvement révolutionnaire, elle a dégainé l’épée de la guerre et de la répression sous Oplan Lambat Bitag et sous la doctrine dictée par les Etats-Unis des « conflits de basse intensité » contre les forces révolutionnaires et le peuple. Les régimes suivants de Ramos, Estrada et Arroyo auront leurs plans opérationnels nationaux respectifs et chercheront aussi à réprimer le mouvement révolutionnaire, malgré des périodes courtes de pure forme sur la nécessité de négociations de paix.
Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui aux Philippines sous le régime Arroyo, est du terrorisme d’Etat sous Oplan Bantay Laya, inspiré par la guerre globale de terreur américaine et soutenue par l’augmentation des approvisionnements de l’armée américaine et par le déploiement permanent de troupes interventionnistes des États-Unis dans le cadre du Visiting Forces Agreement . Les Etats-Unis et les réactionnaires locaux aux Philippines ont la prétention de lutter contre le terrorisme, mais ils sont en fait ceux qui pratiquent le terrorisme à travers les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme.
Oplan Bantay Laya a impliqué 1093 cas avérés d’exécutions extrajudiciaires, 209 de disparitions forcées, des centaines de personnes détenues sur des accusations forgées de toute pièce, plus d’un millier de victimes de la torture, et des centaines de milliers de victimes de l’évacuation forcée. Les forces réactionnaires militaires accroissent leurs violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme en suivant l’ordre impossible du régime Arroyo de détruire ou de réduire le mouvement révolutionnaire armé à un niveau inconséquent avant Juin 2010.
Le régime Arroyo est devenu célèbre dans le monde entier pour l’enlèvement, la torture et les exécutions extrajudiciaires de militants sociaux non armés, y compris des travailleurs, paysans, femmes, jeunes, prêtres et pasteurs, des défenseurs des droits humains et des journalistes. Les auteurs de violations des droits de l’homme désignent leurs victimes en faisant de fausses accusations de terrorisme, de rébellion et d’assassinat et en les mettant sur la liste des ennemis de l’Etat. Puis, les enlèvements, les tortures et les exécutions extrajudiciaires suivent.
Plus fort encore, la machine de guerre psychologique des forces armées réactionnaires prétend mensongèrement que les victimes ont commis des délits contre le mouvement révolutionnaire et ont donc été victimes de leurs propres camarades. Le niveau criminel de ruse et de malice des auteurs de violations des droits humains sous le régime Arroyo surpasse celui de la dictature fasciste de Marcos.
Répression à venir et besoin de solidarité internationale
La crise actuelle du système mondial capitaliste est la plus grave depuis la Grande Dépression, elle va continuer à empirer dans les années à venir parce que les puissances impérialistes ne sont pas en train de la résoudre, mais de l’aggraver en utilisant l’argent public pour renflouer les grandes banques et sociétés et augmenter leurs profits sur leurs bilans, et non pas pour relancer l’économie et accroître l’emploi. Les puissances impérialistes et leurs marionnettes font la promotion du chauvinisme, du racisme et du fascisme et utilisent de plus en plus la répression d’Etat et le déclenchement de guerres d’agression, afin de surmonter la résistance des peuples et des mouvements de libération nationale.
La crise du système politique philippin continuera de s’aggraver en raison de ses faiblesses internes et de la crise économique mondiale. Pendant des décennies, les Etats-Unis ont dirigé la politique de mondialisation néolibérale qui a encore aggravé le caractère sous-développé, pré-industriel et agricole de l’économie philippine. La demande pour les matières premières des Philippines et les produits semi-manufacturés d’exportations a diminué. La dette est en augmentation et de nouveau le crédit est en baisse.
Le mécontentement social est largement répandu et intense parmi les masses laborieuses des ouvriers et des paysans et la couche sociale moyenne en raison de la hausse du chômage de masse, l’effondrement des revenus réels, la flambée des prix des denrées de base et des services, la charge fiscale croissante, l’absence ou l’insuffisance de services sociaux et autres problèmes socio-économiques. Les dirigeants des Philippines ne résolvent pas ces problèmes, mais de plus en plus déchaînent la violence pour réprimer les protestations de la population et les demandes de respect de leurs droits et d’amélioration de leurs conditions sociales.
Les États-Unis et les réactionnaires locaux reportent le fardeau de la crise sur les travailleurs. Dès lors qu’ils exploitent plus le peuple, ils répriment plus les gens, cherchant à empêcher ou stopper la résistance. Les larges masses du peuple Philippin sont capables de lutter pour leurs droits et leurs intérêts. Mais ils ont aussi besoin de la solidarité et du soutien des peuples du monde pour lutter contre les puissances impérialistes, plus efficacement.