Discours à la Conférence de Russie des directions de l’enseignement politique auprès des sections de province et de district de l’instruction publique
Lénine
3 novembre 1920
Publié dans le « Bulletin de la Conférence de Russie des Directions de l’Enseignement politique (1-8 novembre 1920) »((La Conférence de Russie des directions de l’enseignement politique auprès des sections de province et de district de l’Instruction publique eut lieu à Moscou les 2-8 novembre 1920. 283 délégués y assistaient. La Conférence examina principalement les questions portant sur la création du Comité principal de propagande politique de la République (Glavpolitprosvet). L’ordre du jour comprenait aussi les questions suivantes : campagne de ravitaillement et propagande politique, propagande économique dans l’édification économique du pays, liquidation de l’analphabétisme, etc.))
Camarades, permettez-moi de vous faire part de quelques idées, dont certaines ont été abordées au Comité central du Parti communiste et au Conseil des Commissaires du Peuple lors de la discussion sur l’organisation de la Direction centrale de l’Enseignement politique, et dont les autres se sont présentées à mon esprit à l’occasion du projet déposé au Conseil des Commissaires du Peuple. Ce projet a été adopté hier comme base générale, il sera encore discuté dans ses détails. Je me permettrai seulement de faire remarquer, pour ma part, que j’ai d’abord été très hostile au changement de nom de votre institution. A mon avis, la tâche du Commissariat de l’Instruction publique est d’aider les gens à apprendre eux-mêmes et à enseigner aux autres. Mon expérience soviétique m’a habitué à considérer les variations de noms comme des plaisanteries d’enfants, chaque nouvelle appellation n’en est-elle pas une ? Voilà que celle-ci est déjà adoptée : Direction centrale de l’Enseignement politique.
La question étant réglée, veuillez ne considérer ma remarque que comme une remarque personnelle. Si l’affaire ne se borne pas à un changement d’étiquette, on ne pourra que s’en féliciter. Si nous parvenons à nous assurer le concours de nouveaux collaborateurs pour le travail éducatif et culturel, il ne s’agira plus seulement d’une appellation nouvelle, et nous pourrons alors nous réconcilier avec la propension « soviétique » à coller des étiquettes sur toute nouvelle entreprise et sur toute nouvelle institution. Si nous réussissons, nous aurons obtenu beaucoup plus que ce qui a été obtenu jusqu’à présent.
Le problème essentiel, celui qui doit obliger les camarades à participer à notre travail commun d’enseignement et d’éducation, c’est celui de la liaison de l’enseignement avec notre politique. Le titre peut préjuger de quelque chose, s’il en est besoin, car sur toute la ligne de notre travail éducatif, nous ne pouvons pas nous placer sur les anciennes positions de l’apolitisme dans l’enseignement, nous ne pouvons pas organiser le travail éducatif en dehors de la politique.
Cette conception a prédominé et prédomine encore dans la société bourgeoise. L’enseignement « apolitique » ou « non politique » est une hypocrisie bourgeoise destinée à duper les masses qui, dans la proportion de 99 %, sont avilies par le règne de l’Eglise, de la propriété privée, etc. Dominant actuellement dans tous les pays encore bourgeois, la bourgeoisie s’attache à tromper ainsi les masses.
Et plus une institution a d’importance dans ces pays, moins elle est indépendante à l’égard du capital et de sa politique. Dans tous les Etats bourgeois, la liaison entre l’appareil politique et l’enseignement est extrêmement forte, bien que la société bourgeoise ne puisse en convenir ouvertement. Mais cette société travaille les masses par l’intermédiaire de l’Eglise, de tout le système de la propriété privée.
Notre tâche essentielle consiste, entre autres, à opposer notre vérité et à l’imposer comme contre-poids à la « vérité » bourgeoise.
La transition de la société bourgeoise à la politique du prolétariat est très difficile, d’autant plus difficile que la bourgeoisie nous calomnie constamment en mettant en branle tout son appareil de propagande et d’agitation. Elle cherche à estomper le plus possible la mission importante de la dictature du prolétariat, sa mission d’éducation, particulièrement importante en Russie où le prolétariat ne forme qu’une minorité de la population. Or, cette mission doit être avancée au premier plan, car il nous faut préparer les masses à bâtir le socialisme. Il ne saurait être question de la dictature du prolétariat si, dans la lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat ne s’était pas forgé une haute conscience, une forte discipline, un grand esprit de sacrifice, c’est-à-dire toutes les qualités requises pour assurer la victoire totale du prolétariat sur son ennemi de toujours.
Nous ne partageons pas le point de vue utopique selon lequel les masses travailleuses seraient prêtes pour la société socialiste. D’après les données précises de toute l’histoire du socialisme ouvrier, nous savons qu’il n’en est pas ainsi, que seule la grande industrie, la lutte gréviste, l’organisation sur le plan politique permettent de préparer le socialisme. Pour remporter la victoire, pour accomplir la révolution socialiste, le prolétariat doit être capable d’une action solidaire, capable de renverser les exploiteurs. Nous voyons maintenant qu’il a acquis toutes les qualités requises et qu’il les a traduites dans les faits quand il a conquis son pouvoir.
La tâche essentielle des travailleurs de l’enseignement et du Parti communiste, avant-garde dans la lutte, doit être de contribuer à l’éducation et à l’instruction des masses travailleuses, afin de surmonter les anciennes habitudes, les vieilles routines héritées de l’ancien régime, routines et habitudes de propriétaires, qui ont profondément imprégné les masses. Cette tâche essentielle de toute révolution socialiste ne doit jamais être négligée lors de l’examen des questions particulières qui, pendant si longtemps, ont retenu l’attention du Comité central du Parti et du Conseil des Commissaires du Peuple. Quelle structure donner à la Direction centrale de l’Enseignement politique, comment l’intégrer aux diverses institutions, comment la rattacher non seulement au centre mais également aux organismes locaux, des camarades plus compétents en la matière, possédant une plus grande expérience et ayant étudié spécialement la question nous répondront là-dessus. Je voudrais simplement souligner les principes essentiels du problème. Nous ne pouvons manquer de poser la question ouvertement, en affirmant publiquement, contrairement au mensonge d’autrefois, que l’enseignement ne peut qu’être lié à la politique. Nous vivons à l’époque historique de la lutte contre la bourgeoisie mondiale, qui est beaucoup, beaucoup plus forte que nous. En un tel moment, nous devons défendre l’édification révolutionnaire, combattre la bourgeoisie par les armes et, encore davantage, sur le plan idéologique, par l’éducation, afin que les habitudes, les usages et les convictions que la classe ouvrière a acquises durant des dizaines d’années de lutte pour sa liberté politique, afin que l’ensemble de ces habitudes, coutumes et idées deviennent les moyens d’éducation de tous les travailleurs ; et c’est le prolétariat qui doit résoudre la question des moyens à employer. Il est indispensable d’inculquer aux masses qu’il est impossible, qu’il est inadmissible de rester à l’écart de la lutte du prolétariat, lutte qui embrasse aujourd’hui, et de plus en plus, tous les pays capitalistes, de rester à l’écart de la politique internationale. La coalition de tous les pays capitalistes puissants du monde contre la Russie des Soviets, telle est la base véritable de la politique internationale actuelle. Et il faut reconnaître que le sort de centaines de millions de travailleurs des pays capitalistes en dépend. Car, à l’heure actuelle, il n’y a pas un coin de terre qui ne soit soumis à la domination d’une poignée de pays capitalistes. La situation est donc telle qu’il faut ou bien rester à l’écart de la lutte en cours et faire ainsi preuve d’une inconscience totale, comme ces ignorants demeurés à l’écart de la révolution et de la guerre, et qui ne voient pas que la bourgeoisie dupe les masses et les laisse sciemment dans l’ignorance, ou bien engager la lutte pour la dictature du prolétariat.
Nous parlons de cette lutte du prolétariat tout à fait ouvertement et chacun doit se placer de ce côté, du nôtre, ou de l’autre côté. Toutes les tentatives de ne se mettre ni d’un côté ni de l’autre aboutissent à la faillite et à la catastrophe.
Considérant les épaves innombrables de l’expérience Kérenski, les épaves des socialistes-révolutionnaires, de la social-démocratie, en la personne des Ioudénitch, des Koltchak, des Pétlioura, des Makhno, etc., nous avons connu dans les différentes régions de la Russie une telle variété de formes et de nuances de la contre-révolution que nous pouvons nous dire aguerris comme personne et, quand nous jetons un regard sur l’Europe occidentale, nous voyons s’y reproduire les phénomènes que nous avons connus, nous voyons notre histoire s’y répéter.
Presque partout, à côté de la bourgeoisie, on trouve des éléments de « kérenskisme ». Ils l’emportent dans toute une série de pays, en Allemagne surtout. On observe partout la même chose : l’impossibilité d’une position intermédiaire quelle qu’elle soit et la claire conscience de la nécessité du choix : ou bien la dictature blanche (la bourgeoisie s’y prépare dans tous les pays d’Europe occidentale en s’armant contre nous) ou bien la dictature du prolétariat. Nous avons si fortement et si profondément fait cette expérience que je n’ai pas à m’étendre sur les communistes russes. Une seule conclusion s’impose dès lors, conclusion qui doit servir de base à toutes les discussions et toutes les thèses relatives à la Direction centrale de l’Enseignement politique. Avant tout, dans le fonctionnement de cette institution, la primauté de la politique du Parti communiste doit être hautement reconnue. Nous ne connaissons pas d’autre forme et aucun pays n’en a pas encore trouvé. Le parti peut répondre plus ou moins aux intérêts de sa classe. Il subit telles ou telles modifications ou redressements, mais nous ne connaissons pas encore de forme supérieure, et toute la lutte dans la Russie des Soviets qui, durant trois années, a résisté aux assauts de l’impérialisme mondial, est conditionnée par le fait que le Parti se donne à bon escient pour tâche d’aider le prolétariat à remplir son rôle d’éducateur, d’organisateur et de guide, sans quoi l’effondrement du capitalisme est impossible. Les masses laborieuses, les masses paysannes et ouvrières doivent vaincre les anciennes habitudes des intellectuels et se rééduquer en vue de l’édification du communisme, sinon nous ne saurions aborder cette œuvre. Toute notre expérience montre que c’est là une question extrêmement grave, aussi devons-nous avoir toujours présente à l’esprit l’affirmation du rôle dirigeant du Parti et ne point l’oublier lors des discussions sur l’activité de cet organisme et les problèmes d’organisation. Comment réaliser cette tâche, il faudra en parler encore beaucoup, et au Comité central du Parti et au Conseil des Commissaires du Peuple : le décret qui a été adopté hier a servi de base à la Direction centrale de l’Enseignement politique, mais le Conseil des Commissaires du Peuple n’en a pas encore arrêté tous les termes. Il sera publié ces jours-ci et vous verrez que dans sa rédaction définitive il ne comporte aucune déclaration directe sur les rapports avec le Parti.
Mais nous devons savoir et ne jamais oublier que la constitution juridique et pratique de la République des Soviets repose sur le fait que le Parti rectifie, prescrit et bâtit tout à partir d’un principe unique, afin que les éléments communistes, liés au prolétariat, puissent imprégner celui-ci de leur esprit, le soumettre à ses directives, le libérer du mensonge bourgeois que nous cherchons depuis si longtemps à éliminer. Le Commissariat du Peuple à l’Instruction publique a dû soutenir une longue lutte ; l’organisation des instituteurs a, pendant très longtemps, combattu la révolution socialiste. Dans ce milieu des enseignants, les préjugés bourgeois sont particulièrement enracinés. La lutte y a été longue, sous forme de sabotage direct, sous forme d’une résistance tenace des préjugés bourgeois, et il nous faut y conquérir, pas à pas, les positions du communisme. Pour la Direction centrale de l’Enseignement politique, qui travaille dans le domaine de l’enseignement extra-scolaire, qui doit résoudre les problèmes que pose cet enseignement et éduquer les masses, la tâche apparaît clairement : soumettre à la direction du Parti cette gigantesque institution, cette armée d’un demi-million d’enseignants, aujourd’hui au service de l’ouvrier, l’imprégner de son esprit, l’animer de l’ardeur de son initiative. Le corps enseignant, les instituteurs ont été élevés dans le sens des habitudes et des préjugés bourgeois, dans un esprit hostile au prolétariat, ils n’avaient absolument aucun lien avec lui. Nous devons maintenant former une armée nouvelle de pédagogues et d’enseignants qui devront être étroitement liés au Parti et à ses idées, qui devront être imprégnés de son esprit, qui devront rallier les masses ouvrières, leur insuffler l’esprit communiste, les intéresser à l’œuvre des communistes.
Puisqu’il faut briser avec les habitudes, les coutumes et les conceptions d’autrefois, la Direction centrale de l’Enseignement politique et ses collaborateurs ont à résoudre un problème de la plus haute importance et sur lequel ils doivent porter avant tout leur attention. Nous sommes en effet devant le problème suivant : comment lier le corps enseignant, en sa majorité de formation ancienne, aux membres du Parti, aux communistes ? C’est une question extrêmement difficile, à laquelle il faut réfléchir encore et encore.
Examinons les moyens d’établir des liens d’organisation entre des hommes aussi différents. Sur le plan des principes, il ne peut pas y avoir de doute pour nous quant au rôle dirigeant du Parti communiste. Ainsi, le but de la culture politique, de l’instruction politique, est de former de vrais communistes, capables de vaincre le mensonge et les préjugés et d’aider les masses travailleuses à vaincre l’ancien régime et à bâtir un Etat sans capitalistes, sans exploiteurs et sans propriétaires fonciers. Mais comment s’y prendre ? Ce n’est réalisable que si nous acquérons toute la somme de connaissances que les enseignants ont héritées de la bourgeoisie. Sans cela, toutes les conquêtes techniques des communistes seraient impossibles et il serait vain d’y songer. Alors, comment donc les lier sur le terrain d’organisation, ces travailleurs qui ne sont pas habitués à faire cadrer leur activité avec la politique, et en particulier avec la politique qui nous est nécessaire, c’est-à-dire nécessaire au communisme ?
C’est, je l’ai dit, une tâche très ardue. Nous en avons discuté aussi au Comité central, et, lors de la discussion, nous nous sommes efforcés de tenir compte des indications accumulées par l’expérience, et nous pensons qu’un congrès comme celui où je parle maintenant, une conférence comme la vôtre, aura sous ce rapport une très grande importance. Chaque comité du parti doit désormais considérer sous un angle nouveau tout propagandiste que l’on considérait jusqu’à présent comme un homme appartenant à un cercle donné, à une organisation déterminée. Chacun d’eux appartient au parti qui gouverne, qui dirige tout l’Etat et la lutte mondiale de la Russie des Soviets contre le régime bourgeois. Il représente la classe en lutte et le parti qui domine et doit dominer l’énorme machine d’Etat. De très nombreux communistes, qui ont été à la dure école du travail illégal, éprouvés et trempés dans la lutte, ne veulent ni ne peuvent comprendre l’importance de ce changement, de ce bouleversement qui d’un agitateur-propagandiste fait un dirigeant d’agitateurs, un dirigeant d’une immense organisation politique. Qu’on lui donne, en la circonstance, tel ou tel nom, voire celui fort délicat de directeur des écoles populaires, cela n’a pas tant d’importance, ce qui importe, c’est qu’il sache diriger la masse des enseignants.
Il faut le dire, les centaines de milliers d’instituteurs forment l’appareil qui doit faire avancer le travail, stimuler la pensée, lutter contre les préjugés qui existent encore dans les masses. L’héritage de la culture capitaliste, le fait que la foule des instituteurs est imprégnée de ses défauts et que, par là-même, elle ne saurait être communiste, ne peuvent cependant pas nous empêcher d’intégrer ces maîtres dans les rangs des travailleurs de l’enseignement politique, étant donné qu’ils possèdent des connaissances sans lesquelles nous ne saurions atteindre notre but.
Nous devons mettre au service de l’enseignement communiste des centaines de milliers d’hommes utiles. C’est un problème qui a déjà été résolu au front, dans notre Armée Rouge, où ont été incorporés des dizaines de milliers de représentants de l’ancienne armée. Un long processus de rééducation les a fondus avec l’Armée Rouge, et leurs victoires en ont, finalement, administré la preuve. Dans notre œuvre culturelle et éducative, nous devons suivre cet exemple. Moins brillante, il est vrai, cette œuvre est plus importante encore. Chaque agitateur et chaque propagandiste nous est nécessaire, il s’acquitte de sa tâche quand il travaille strictement dans l’esprit du Parti, mais ne s’en tient pas à l’action au sein de ce dernier et se souvient qu’il lui appartient de diriger les centaines de milliers de membres du corps enseignant, de les intéresser, de vaincre leurs vieux préjugés bourgeois, de les faire participer à l’œuvre que nous accomplissons, de leur donner conscience de l’immensité de cette œuvre ; ce n’est qu’en nous attaquant à ce travail que nous pourrons orienter dans la bonne voie toute cette masse que le capitalisme opprimait et écartait de nous.
Telles sont les tâches dévolues à chaque agitateur, à chaque propagandiste qui travaille en marge de l’école, et il ne doit jamais les perdre de vue. Leur réalisation comporte une foule de difficultés pratiques, mais vous devez aider le communisme et de venir les représentants et les dirigeants non seulement des cercles du parti, mais de tout le pouvoir d’Etat exercé par la classe ouvrière. Briser la résistance des capitalistes non seulement militaire et politique, mais également idéologique, résistance la plus profonde et la plus puissante, telle est notre tâche. Il revient à nos travailleurs de l’enseignement de procéder à cette rééducation des masses. L’intérêt qu’elles manifestent, leur aspiration à l’instruction et à la connaissance du communisme sont le gage de notre victoire aussi dans ce domaine, peut-être moins rapide qu’au front, plus difficile peut-être, interrompue même par des revers, mais c’est nous, en fin de compte, qui vaincrons.
Je voudrais, pour terminer, m’arrêter encore sur un point : les termes de « Direction centrale de l’Enseignement politique » ne sont peut-être pas bien compris. Si la politique y est mentionnée, c’est que la politique y est l’essentiel.
Mais comment comprendre la politique ? Si l’on prend ce mot dans son acception ancienne, on peut commettre une grave, une lourde erreur. La politique, c’est la lutte entre les classes ; la politique, c’est le comportement du prolétariat en lutte pour sa libération, contre la bourgeoisie mondiale. Mais dans notre lutte il faut distinguer deux aspects du problème : d’une part, la tâche de détruire l’héritage du régime bourgeois, de faire échec aux tentatives réitérées de la bourgeoisie tout entière qui veut briser le pouvoir des Soviets. Jusqu’à présent, c’est cette tâche qui a le plus accaparé notre attention et qui nous a empêchés de passer à la seconde tâche, celle de l’édification. Dans la conception bourgeoise du monde, la politique était comme détachée de l’économie. La bourgeoisie disait : paysans, travaillez pour pouvoir subsister, ouvriers, travaillez pour acquérir sur le marché ce qui est indispensable pour vivre, mais la politique économique, ce sont vos patrons qui s’en occupent. Mais il n’en est pas ainsi, la politique doit être l’affaire du peuple, l’affaire du prolétariat. Ici, il est indispensable de souligner que les 9/10 de notre temps et de notre activité sont consacrés à la lutte contre la bourgeoisie. Les victoires sur Wrangel, que nous avons apprises hier et dont vous lirez des nouvelles aujourd’hui et probablement demain, montrent qu’une étape de la lutte touche à sa fin, que nous avons conquis la paix avec toute une série de pays occidentaux. Or, chaque victoire sur le plan militaire libère nos forces pour la lutte sur le plan intérieur, pour la politique d’édification de l’Etat. Tout pas qui nous rapproche de la victoire sur les gardes blancs déplace progressivement le centre de gravité de la lutte vers la politique économique. La propagande de type ancien dit ce qu’est le communisme, en donne des exemples. Elle n’est plus bonne à rien maintenant qu’il faut montrer pratiquement comment on doit bâtir le socialisme. Toute notre propagande doit être fondée sur l’expérience politique de l’édification économique. C’est là notre tâche essentielle, et si quelqu’un s’avisait de prendre le mot dans son acception ancienne, il serait en retard et ne pourrait pas mener à bien son travail de propagande parmi la masse des ouvriers et des paysans. Notre politique principale, aujourd’hui, doit être l’édification économique de l’Etat, afin d’accumuler plus de blé, de produire plus de charbon, d’employer au mieux ce blé et ce charbon, pour qu’il n’y ait plus d’affamés. Voilà ce que doit être notre politique. Et tout notre travail d’agitation et de propagande doit reposer là-dessus. Il faut moins de beaux discours, car ce n’est pas avec de beaux discours que vous contenterez les travailleurs. Dès que la guerre nous aura permis de déplacer le centre de gravité de la lutte contre la bourgeoisie, contre Wrangel, contre les gardes blancs, nous nous tournerons vers la politique économique. Et l’agitation et la propagande y joueront un rôle énorme et sans cesse croissant.
Chaque agitateur doit être un dirigeant de l’Etat, un dirigeant de la masse des ouvriers et des paysans dans le domaine de l’édification économique. Il doit leur dire ce qu’il faut savoir, quelle brochure, quel livre ils doivent lire pour devenir des communistes.
C’est comme cela que nous améliorerons notre économie et la rendrons plus solide et plus sociale, que nous augmenterons la production, que nous améliorerons la situation en ce qui concerne le pain, que nous répartirons plus correctement les produits fabriqués, que nous accroîtrons la production de charbon et rétablirons l’industrie, sans capitalisme ni esprit capitaliste.
En quoi consiste le communisme ? Sa propagande doit être organisée d’une manière telle qu’elle aboutisse à la direction pratique de l’édification de l’Etat. Le communisme doit être accessible aux masses ouvrières comme leur propre affaire. Cette tâche est mal réalisée. L’on y commet beaucoup d’erreurs. Nous ne cherchons pas à le dissimuler, mais ce sont les ouvriers et les paysans eux-mêmes qui doivent, avec notre aide, avec notre concours faible et limité, améliorer et redresser notre appareil ; le communisme n’est plus pour nous un programme, une théorie, une mission, il s’agit de la construction concrète d’aujourd’hui. Et si, dans notre combat, nous nous sommes vu infliger par nos ennemis les pires défaites, ces défaites nous ont instruits et nous avons remporté une victoire totale. Aujourd’hui nous devons tirer les enseignements de chacun de nos revers, nous devons nous souvenir qu’il faut instruire les ouvriers et les paysans par l’exemple du travail déjà accompli. Nous devons montrer ce qui va mal chez nous pour y remédier à l’avenir.
Par l’exemple de cette édification, en le reprenant un grand nombre de fois, nous parviendrons à faire de mauvais dirigeants communistes de véritables bâtisseurs, avant tout dans le domaine de notre économie nationale. Nous atteindrons tous nos objectifs, nous vaincrons tous les obstacles hérités de l’ancien régime et qu’il n’est pas possible d’éliminer d’un seul coup. Il faut rééduquer les masses, — seules la propagande et l’agitation peuvent le faire ; il faut, en premier lieu, faire participer les masses à l’édification de toute la vie économique. Ce doit être l’objet principal et essentiel du travail de chaque agitateur-propagandiste, et quand il l’aura bien compris, son succès sera assuré.
(Vifs applaudissements.)