Discours à la séance du Soviet des députés ouvriers et soldats et des délégués du front, le 4 (17) novembre 1917
Lénine
Paru dans la « Pravda » n° 181, le 18 (5) novembre 1917
Compte rendu de presse
Ne pouvant faire un long rapport, je me bornerai à vous informer brièvement de la situation du nouveau gouvernement, de son programme et de ses tâches.
Vous savez combien était unanime l’exigence d’une politique de paix, d’une proposition immédiate de paix. Il n’est pas un seul ministre bourgeois, ni dans toute l’Europe ni chez nous, qui n’ait promis la paix ; les soldats de la Russie se sont convaincus du caractère mensonger de ces discours ; on leur a promis une politique de paix, mais on n’a pas proposé la paix ; bien au contraire, on les a lancés à l’attaque. Nous avons estimé que le premier devoir de notre gouvernement était de proposer une paix immédiate ; c’est chose faite.
Le camarade Lénine explique à quelles conditions la paix a été proposée par le nouveau gouvernement et poursuit en ces termes : si les Etats gardent leurs colonies, cela signifie que cette guerre ne se terminera jamais. Quelle est donc l’issue ? Une seule : la victoire de la révolution ouvrière et paysanne sur le capital. Nous n’avons jamais dit qu’on pouvait finir la guerre du jour au lendemain, en mettant la crosse en l’air. La guerre est faite parce que des milliards de capitaux se sont affrontés et se sont partagé le monde entier ; si l’on n’anéantit pas le pouvoir du capital, il est impossible de mettre fin à la guerre.
Évoquant le passage du pouvoir aux mains des Soviets, le camarade Lénine déclare qu’il observe aujourd’hui un nouveau phénomène : les paysans refusent de croire que tout le pouvoir appartienne aux Soviets ; ils attendent encore on ne sait quoi du gouvernement, oubliant que le Soviet est une institution d’Etat, et non une institution privée. Nous proclamons que nous voulons un nouvel Etat, que le Soviet doit remplacer l’ancienne bureaucratie, que tout le peuple doit apprendre à gouverner. Dressez-vous de toute votre taille, tenez ferme, et alors les menaces ne nous intimideront pas. Les élèves-officiers ont tenté de fomenter un soulèvement, mais nous avons eu raison d’eux ; à Moscou, ils ont organisé un massacre et fusillé des soldats devant le mur du Kremlin. Mais, quand le peuple eut remporté la victoire, il rendit aux ennemis non seulement les honneurs de la guerre, mais encore leurs armes.
Le Vikjel nous menace d’une grève, mais nous ferons appel aux masses et nous leur demanderons si elles veulent par une grève vouer à la famine les soldats au front et le peuple à l’arrière ; je suis convaincu que les prolétaires des chemins de fer ne marcheront pas contre nous. On nous reproche de procéder à des arrestations. Oui, c’est un fait ; aujourd’hui nous avons arrêté le directeur de la Banque d’Etat. On nous reproche de pratiquer la terreur, mais ce n’est pas la terreur des révolutionnaires français qui guillotinaient des gens désarmés, et j’espère que nous n’irons pas jusque-là. Je l’espère parce que nous sommes forts. Quand nous appréhendions des gens, nous leur disions qu’ils seraient relâchés s’ils s’engageaient à ne pas saboter. Et l’on prend de tels engagements. Notre défaut, c’est que les Soviets n’ont pas encore appris à gouverner, nous tenons trop de meetings. Que les Soviets se divisent en sections et qu’ils se mettent à gouverner. Aller au socialisme, telle est notre tâche. Ces jours-ci, les ouvriers ont obtenu une loi sur le contrôle de la production((Lénine a en vue le «Projet de loi sur le contrôle ouvrier présenté à l’examen de la Commission du travail » adopté par le Conseil des Commissaires du peuple et publié le 1er (14) novembre 1917 dans le Journal du Gouvernement provisoire des ouvriers et paysans, n° 3. )), en vertu de laquelle les comités d’usine deviennent une institution d’Etat. Les ouvriers doivent sans tarder mettre cette loi en vigueur. Ils donneront aux paysans des tissus, du fer, et recevront en échange du blé. Je viens de voir un camarade d’Ivanovo-Voznessensk qui m’a dit que c’était là le principal. Le socialisme, c’est le contrôle. Si vous voulez tenir compte de chaque morceau de fer, de chaque morceau de tissu, vous aurez le socialisme. Pour la production, il nous faut des ingénieurs et nous apprécions beaucoup leur travail. Nous les rétribuerons volontiers. Nous n’avons pas l’intention pour le moment de les priver de leur situation privilégiée. Quiconque veut travailler nous est précieux, mais il s’agit de travailler comme un égal sous le contrôle ouvrier et non comme un chef. Nous n’avons pas l’ombre de rancune contre les individus, et nous les aiderons à changer de situation.
En ce qui concerne les paysans, nous disons : il faut aider le paysan travailleur, ne pas vexer le paysan moyen, contraindre le paysan riche. Après la révolution du 25 octobre, on nous a menacés de nous anéantir. Des gens qui ont pris peur, ont voulu se dérober au pouvoir, mais on n’a pas pu nous anéantir. On n’y a pas réussi parce que nos ennemis ne peuvent s’appuyer que sur les élèves-officiers, alors que nous avons le peuple pour nous. Sans l’élan unanime des soldats et des ouvriers, le pouvoir ne serait jamais tombé des mains de ceux qui le détenaient. Le pouvoir est passé aux Soviets. Les Soviets sont l’expression de la liberté totale du peuple. Nous, Gouvernement soviétique, avons reçu nos pleins pouvoirs du congrès des Soviets et nous continuerons à agir comme nous avons agi jusqu’ici, convaincus que nous sommes d’avoir votre soutien. Nous n’avons exclu personne. Si les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires sont partis, c’est un crime de leur part. Nous avons proposé aux socialistes-révolutionnaires de gauche de participer au gouvernement, mais ils ont refusé. Nous ne voulons pas marchander le pouvoir, nous ne voulons pas de marchandages sans fin. Nous ne permettrons pas à la Douma de la ville, ce centre de korniloviens, de s’emparer du pouvoir. On dit que nous sommes isolés. La bourgeoisie a créé autour de nous une atmosphère de mensonges et de calomnies, mais je n’ai pas encore vu un soldat qui n’ait salué avec enthousiasme le passage du pouvoir aux Soviets. Je n’ai pas vu de paysan qui se soit prononcé contre les Soviets. L’alliance de la paysannerie pauvre et des ouvriers est indispensable ; elle assurera le triomphe du socialisme dans le monde entier.
(Les membres du Soviet se lèvent et acclament Lénine.)